L'Aérostation militaire française
pendant la Grande Guerre
par le lieutenant-colonel Patard.
Le front Ouest
L’aérostation avant 1914 :
Créés en 1794 par le comité du Salut public, les premiers aérostiers français rendirent d’éclatants services au siège de Maubeuge et à la bataille de Fleurus. Mais, n’ayant pu acquérir la mobilité nécessaire pour les guerres de l’époque, ils furent supprimés par Napoléon et dissous en 1797.
En 1870-1871, on dut avoir recours aux ballons libres, pour faire communiquer Paris assiégé avec la province. Soixante-quatre ballons franchissent les lignes prussiennes, emportant 64 aéronautes, 91 passagers, 363 pigeons voyageurs, 9.000 kilogrammes de lettres. Cinq ballons furent capturés par l’ennemi, deux se perdirent en mer.
Citons encore, pour mémoire, les essais infructueux de Tissandier dans l’emploi de ballons captifs à l’armée de la Loire. De leur côté, les Allemands n’avaient pas eu plus de succès avec un ballon captif, au siège de Strasbourg.
Aussi, après 1870, on se rendit compte de la nécessité d’organiser l’aérostation militaire dès le temps de paix.
Centre d'études de Chalais-Meudon :
En 1875, le capitaine Charles Renard était chargé d’installer à Chalais-Meudon, un centre d’études, d’expériences et d’instruction. Ce fut le berceau de l’aérostation française.
Création de quatre compagnies d'aérostiers :
En 1886, quatre compagnies d’aérostiers étaient créées, à raison d’une dans chacun des quatre premiers régiments du génie.
Ces quatre compagnies furent réunies à Versailles en 1900 et constituèrent le 25ème bataillon du génie, commandé par le chef de bataillon Hirschauer.
Organisation à la mobilisation :
A la mobilisation, les aérostiers devaient former :
-
8 compagnies d’aérostiers de campagne,
-
4 compagnies d’aérostiers de Place (Verdun, Toul, Epinal et Belfort). Toutes ces unités étaient dotées du ballon sphérique de 540 m3, dit normal et du treuil à vapeur de campagne.
Peu de temps après, le ballon sphérique de siège de 750 m3 et le treuil à vapeur de siège, dûs respectivement aux capitaines du génie Pezet et Borschneck, étaient mis en service dans l’aérostation militaire. C’est avec ce matériel que les aérostiers commencèrent la guerre en 1914.
Par ailleurs, comme on s’était rendu compte de la nécessité d’organiser l’observation aérienne au profit de l’artillerie dans la guerre de siège, on décida vers 1910, de doter chaque grande place forte de six ballons captifs. Dans chacune d’elle, ces six ballons devaient être mis en oeuvre par deux compagnies d’aérostiers de place à trois sections, chaque section manoeuvrant un ballon.
Naissance du dirigeable :
Sur ces entrefaites, le dirigeable était né et il devait bientôt prendre une place prépondérante dans l’aérostation.
Au « Lebaudy » (le Jaune), succède le "Patrie", emporté par un coup de vent à Verdun, puis le "République", crevé par une pale d’hélice au retour des manoeuvres du Centre et dont l’équipage fut tué (Cne Marchal, Ltt Chauré, Adjs Reau et Vincenot), puis le "Liberté", etc....
Vers 1912, un certain nombre de dirigeables sont mis en service, dont plusieurs prendront une part plus ou moins importante à la guerre : "1’adjudant Vincenot", le "Dupuy de Lôme", le "Fleurus", le "Conté", etc...
Naissance de l'aéronautique militaire :
Mais, dès 1910-1911, l’aviation militaire avait pris naissance et se développait rapidement. La loi du 29 mars 1912 permit de créer des unités d’aviation. Après quelques essais d’une organisation qui réunissait sous de mêmes chefs, les troupes et services d’aviation et d’aérostation (Arrêté ministériel du 16 avril 1913), on décida en 1913 de les rendre, l’une et l’autre, autonomes (Arrêté ministériel du 38 novembre 1913.)
L'aérostation retrouve son autonomie :
L’aérostation retrouvait donc son autonomie et allait pouvoir se consacrer entièrement à sa tâche. Mais elle était orientée presque uniquement vers le dirigeable. Déjà en 1911, on avait supprimé les compagnies d’aérostiers de campagne. En 1913, on décida de ne plus remplacer le matériel des parcs d’aérostation de Place.
Le ballon captif, considéré comme un organe de transition, était destiné à disparaître par extinction. Telle était la situation au début de la guerre, en 1914.
Constitution de compagnies d’aérostiers de campagne :
Le 1er jour de la mobilisation, huit compagnies d’aérostiers de port d’attache (numérotées de 1 à 8) sont formées par les 1ère, 2ème, 4ème et 5ème compagnies du temps de paix. Ces compagnies étaient destinées à la manoeuvre des dirigeables. En outre, chacune des 4 grandes places fortes de l’Est (Verdun, Toul, Epinal, Belfort), mobilisait une compagnie d’aérostiers de Place à 3 sections, chaque section manoeuvrant un ballon de siège de 750 m3. En outre, la place de Maubeuge disposait d’un parc de campagne d’instruction qui fut utilisé pour la défense de la Place.
Mais ces compagnies de Place ne devaient pas s’éloigner des camps retranchés à la défense desquels elles étaient affectées, et nos armées en campagne étaient entièrement dépourvues de ballons captifs.
Pendant ce temps, les Drachen allemands, profitant du magnifique mois d’août 1914, ascensionnaient obstinément, et nos troupes cherchaient en vain dans le ciel, les ballons français.
Le Cne Saconney :
Le capitaine Saconney, du port d’attache d’Epinal, qui malgré les progrès des dirigeables et de l’aviation, avait conservé intacte sa foi dans le ballon captif et dans les services qu’il peut rendre en campagne, propose et obtient du Gouverneur d’Epinal, l’autorisation de travailler pour la 1ère Armée avec une section automobile d’aérostiers qu’il organise à cet effet.
Dans ce but, il utilise le ballon normal de 540 m3, des anciennes compagnies d’aérostiers de campagne, récemment supprimées, et le treuil automobile de la section de cerfs-volants d’expérience qui avait été envoyée dans la Place au début des hostilités. Le reste du matériel et le personnel sont transportés dans des camions et autobus. Sa mobilité lui permet, tout en restant affecté à la Place, de travailler pour les formations de campagne voisines, faisant chaque jour 20, 30, 40 kilomètres et rentrant chaque soir à son port d’attache d’Epinal.
D’ailleurs, le capitaine Saconney ne se contente pas d’organiser. Au début, c’est lui le seul observateur de sa section et il obtient de suite de brillants résultats. Peu après, il découvre Tourtay, alors simple soldat à la section de cerfs-volants et le forme comme observateur. Promu sergent, puis sous-lieutenant, Tourtay devient rapidement un observateur hors pair.
Le 28 août 1914, le capitaine Saconney s’installe sur la Mortagne, puis, pendant 14 jours, parcourt le front de l’Est, se relie téléphoniquement avec les premiers canons lourds qui viennent d’apparaître, règle les tirs, repère des batteries ennemies, signale des mouvements de troupe, surveille les routes. Chacun connaît bientôt les résultats obtenus par le Cne Saconney, et les armées de l’Est réclament aussitôt le concours des aérostiers. Dans les 15 premiers jours de septembre, huit ballons s’évadent des Places fortes et opèrent avec nos troupes de l’Est.
Création de la 30ème compagnie d'aérostiers :
Le 28 septembre 1914, la section d’aérostiers du capitaine Saconney est officiellement constituée en compagnie d’aérostiers de campagne, sous le nom de 30ème compagnie. La 30ème compagnie provenait de la compagnie d’aérostiers d’Epinal et avait eu pour noyau la section de cerfs volants envoyée dans cette Place au début des hostilités. Sous le commandement du Cne Saconney, elle se distingua brillamment d’abord sur la Mortagne puis successivement en Picardie, en Belgique et en Artois.
Quand nos fantassins voyaient, au-dessus de la tranchée, se lever le drachen allemand, qui durant tout le jour les observait inlassablement, il leur semblait que tous leurs moindres gestes étaient épiés par cet oeil vigilant, que c’était lui qui les signalait à l’artillerie ennemie et que c’était lui encore qui dirigeait sur eux ses coups. Et ils étaient péniblement impressionnés de ne pas avoir la contrepartie, de ne pas sentir derrière eux, des ballons captifs français, pour rendre à l’ennemi tout le mal que les drachens leur causaient.
Aussi, toutes les armées demandèrent-elles des ballons captifs au GQG, qui invita l’aéronautique à procéder immédiatement à l’organisation de nouvelles compagnies d’aérostiers de campagne. On trouve une démonstration de cet état d’esprit dans le mode de formation de la 30ème compagnie d’aérostiers qui fut constituée tout d’abord, d’après les ordres du général commandant le XVIIè Corps d’Armée, par le capitaine, depuis commandant Perrin avec un personnel de fortune et du matériel de réquisition (ballon offert par M. Vermorel et treuil Sauter-Harle de la Société Astra). La constitution de cette unité fut régularisée peu après par le GQG tant en ce qui concernè le personnel que le matériel. Toute cette organisation et, d'une manière générale, l'organisation des 26 premières compagnies d'aérostiers fut étudiée au GQG par le commandant Jaillet, qui dirigea l'aérostation au GQG d’août 1914 à juin 1915, et réalisée avec le concours des officiers aérostiers du ministère, les Lcl Guéry et Cdt Do.
Les matériels :
L'aérostation militaire possédait six parcs d’aérostiers de siège dans chacune des quatre grandes places (Verdun, Toul, Epinal et Belfort), soit 24 parcs d’aérostiers. Avec chacun d’eux, on constituera le train de combat d’une compagnie d’aérostiers en y ajoutant 4 camions à tubes, 2 camionnettes et un voiture légère.
En ajoutant les deux sections de cerfs-volants d’expériences qui avaient été envoyées au début des hostilités à Epinal et à Belfort et dont on utilisera le treuil automobile avec un ballon normal de 540 m3. Il sera remplacé en 1915 par un ballon de 600 mètres cubes à ralingue. Nous avons le matériel de 26 compagnies d’aérostiers.
Les personnels :
Pour les officiers, on utilisera un certain nombre d’officiers affectés aux équipages de dirigeable, comme personnel de remplacement ou dans les ports d’attache. D’autre part, on recherche aux armées et dans les dépôts, les réservistes et territoriaux ayant servi dans l’aérostation et on les envoie au dépôt du 1er groupe d’aérostation. Rappelons que sous la pression des circonstances, le dépôt du 1er groupe d’aérostation avait dû évacuer Saint-Cyr au début de septembre et s’installer près de Bourges, où il fonctionnera jusqu’au début de janvier 1915. C’est ainsi que 26 compagnies d’aérostiers vont être créées.
Les unités dans le détail :
-
10 compagnies (n° 30 à 39) sont créées vers octobre 1914, avec les ressources des ports d’attache et les ressources locales en matériel et en personnel.
-
10 compagnies (n° 19 à 21 et 23 à 29) sont formées au début de 1915 par transformation des sections d’aérostiers de Place.
-
6 compagnies (n° 40 à 45) sont constituées au dépôt du 1er groupe d’aérostation, de janvier à juin 1915, avec le matériel des parcs d’aérostiers de siège et les ressources en personnel du dépôt.
En décembre 1914, on avait décidé la création de 10 trains de combat automobiles du type préconisé par le commandant Saconney.
- Ces 10 compagnies (n° 46 à 55), dont le personnel provenait pour moitié du dédoublement des compagnies existantes furent formées d’août à décembre 1915.
Cependant, dès juin 1915, le commandement demandait à l’aérostation du GQG de porter à 75 le nombre des compagnies d’aérostiers. A cette date, seulement 26 compagnies existaient.
Le problème ainsi posé était, comme au début, une question de matériel et de personnel avec cette différence que les ressources existantes avaient été déjà entièrement utilisées.
Pour le matériel, on posa le principe qu’il y avait lieu d’utiliser, autant que possible, des véhicules de types courants non aménagés, le matériel était contenu dans des caisses facilement amovibles. C’est le principe de nos compagnies actuelles. Les unités étaient créées par dédoublement. L’organisation des 39 dernières compagnies d'aérostiers fut étudiée et réalisée au GQG par le Cdt Patart tant en ce qui concerne le personnel que la constitution des nouveaux trains de combat. Cette dernière étude fut faite en collaboration avec le personnel de Chalais-Meudon et, en particulier, avec le Cdt Lenoir et le Cne Letourneur.
Dédoublement des compagnies :
A cet effet, chacune des compagnies d’aérostiers désignées pour se dédoubler recevait un renfort numériquement égal à l’unité de dédoublement à créer, se dédoublait et constituait une section à laquelle elle passait une partie de ses cadres et hommes instruits. Cette section manoeuvrait séparément, mais, tout d’abord, sous la direction et le contrôle du commandant de la compagnie mère. Puis, quand la section avait acquis une expérience suffisante pour fonctionner isolément, on la transformait en compagnie autonome.
En ce qui concerne les officiers, un certain nombre fut demandé aux autres armes et, en particulier, à la cavalerie qui disposait à l’époque de quelques excédents, alors que l’artillerie, l’infanterie, etc...,, n’arrivaient que très difficilement à assurer l’encadrement de leurs formations.
Ces officiers furent détachés aussitôt dans les unités existantes où ils commencèrent leur instruction qui fut complétée ultérieurement dans les centres d’instruction installés à cette époque dans chaque Groupe d’Armées, à Cramont (Groupe d’Armées du Nord), à Aubigny (Groupe d’Armées du Centre), et à Toul (Groupe d’Armées de l’Est).
Huit nouvelles compagnies d'aérostiers :
Auparavant, en juillet-août 1915, huit compagnies (n° 56 à 63) avaient été créées dans des conditions d’improvisation particulières. On préparait alors l’offensive de Champagne de septembre 1915, dont on attendait des résultats importants, sinon décisifs. Pour renforcer l’aérostation dans toute la mesure du possible, on décida d’utiliser les anciens treuils des compagnies d’aérostiers de campagne, concurremment avec le premier ballon Caquot, le ballon L.
Huit compagnies, ou plutôt 8 sections, furent ainsi créées, à raison de 2 dans chacun des ports d’attache de Verdun, Toul, Epinal et Belfort. Chacune était constituée par un noyau d’aérostiers prélevé sur une compagnie existante et par des hommes de renforts. Après 2 ou 3 semaines d’exercice au port d’attache, ces sections rejoignirent leur compagnie mère et participèrent à la bataille. Toutefois, le ballon L n’ayant pu être mis au point en temps voulu, la plupart de ces sections durent utiliser le ballon sphérique. Ainsi, nos quatre compagnies d’aérostiers de Place du mois d’août 1914, se scindant, se multipliant sans cesse, parvinrent à constituer, en moins de deux ans, 75 compagnies d'aérostiers de campagne.
Création de 31 compagnies d'aérostiers :
Trente et une compagnies (n° 64 à 94) furent ensuite créées en deux séries de 15 et 16, de février à juillet 1916. L’offensive allemande de Verdun gêna bien l’essor des nouvelles compagnies et le ralentit, mais sans l’arrêter. Et, au moment de l’offensive française sur la Somme, en juillet 1916, toutes les nouvelles compagnies d’aérostiers étaient formées et l’aérostation française au grand complet, put déployer son plein effort.
Les progrès du matériel aérostatique :
Parallèlement à cette multiplication des compagnies d’aérostiers, le matériel mis en oeuvre par ces unités s’est progressivement transformé et perfectionné. En voici le détail :
Le ballon type E de 750 m3 :
Les premières compagnies françaises utilisèrent le ballon sphérique, type E, dit ballon de siège de 750 m3. Ce ballon pouvait, à l’extrême limite, enlever deux observateurs à 7 ou 800 mètres d’altitude ; par vent faible, on y était bien, mais dès que le vent atteignait 8 à 10 mètres, le ballon était tellement rabattu et tellement instable qu’il fallait renoncer à l’utiliser.
De l’autre côté de la ligne, les Allemands utilisaient le "Drachen" et il apparut nettement que ce ballon était supérieur au ballon sphérique, car fréquemment on le voyait en l’air, alors que les aérostiers français étaient condamnés à rester au campement. Aussi, dès le mois d’octobre 1914, l’ordre fut donné à l’Etablissement Central de Chalais-Meudon, de construire des ballons "Drachen" dans le délai le plus court.
Le "Drachen" n’est pas stable par le vent. Pour lui donner de la stabilité, il était nécessaire de lui adjoindre une queue de godets d’orientation, analogue à une queue de cerf-volant, constituée par plusieurs petits parachutes en étoffe. Cette queue avait une longueur totale de 50 mètres.
Ce ballon était stable jusqu’à 16 mètres de vent environ, tout au moins quand le vent était régulier ; en outre, il recevait du vent une poussée verticale assez notable, mais au prix d’une traînée très considérable. Il en résulte que le câble travaillait à de très fortes tensions, que le treuil ne pouvait que difficilement ramener quand le vent était fort, d’où grande usure du matériel et de grosses difficultés de manoeuvre. Le ballon "Drachen" fut utilisé depuis décembre 1914 jusqu’en août 1916. Son cube, qui était de 820 m3 au début, fut porté ensuite à 900 m3.
Ballon sphérique type E de 750 m3 avec identification des différents composants - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Dessin d'après illustration d'époque Albin Denis.
Ballon allongé type H - Copie du Drachen allemand - Mis en service à partir de décembre 1914 - Volume 800 m3 - Longueur 27,25 mètres - Diamètre 6,85 m - Dessin d'origine transmis par le général Guy François que je remercie pour son aide - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Dessin Albin Denis.
Le Cne Caquot :
Le capitaine Caquot, alors qu’il commandait la 21ème compagnie d’aérostiers (automne et hiver de 1914) avait utilisé le ballon sphérique et le Drachen et avait été frappé de leurs défauts. Il avait alors étudié un ballon allongé empenné, qui devait être stable sans queue.de godets. Affecté en avril 1915 à l’Etablissement Central de Chalais-Meudon, il y avait poursuivi ses études et, dès le mois de mai 1915, l’atelier de Chalais construisait une petite série de ballons type L, qui étaient aussitôt mis en service. Il a ensuite été commandant puis directeur de la section technique de l’aéronautique d’octobre 1917 jusqu’à l’armistice.
Ballon Caquot type L - Mis en service à partir du 2ème trimestre 1915 - Volume 880 m3 - Longueur 24 mètres - Diamètre 8,14 m - La 30ème compgnie a utilisé ce type de ballon à partir du 24 août 1915 - Dessin d'origine transmis par le général Guy François que je remercie pour son aide - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Dessin Albin Denis.
Le ballon Caquot type L :
Ce ballon était stable mais sa manoeuvre était délicate. Pour répondre aux critiques de détail qui lui étaient faites, le capitaine Caquot reprit son projet et aboutit en mai 1916, au ballon type M qui, aussitôt, fut construit en série.
Ce ballon est stable, sans queue de godets et cela jusqu’à des vents violents. Il a été utilisé dans tous les cas, jusqu’à 16 mètres de vitesse. Lorsque le vent était très régulier, on pouvait encore observer par des vents de 20 mètres. Enfin, sur mer, remorqué par des bateaux qui se déplaçaient à vive allure contre le vent il a été utilisé jusqu’à une vitesse de 35 mètres de vent relatif.
En outre, il possède une poussée au moins aussi grande que celle du Drachen, mais sa traînée est considérablement moindre, en grande partie du fait de la suppression de la queue de godets. Il donne donc de moindres efforts sur le câble de retenue, et peut être manoeuvré par des treuils moins puissants. En réalité, on n’a pas diminué la puissance des treuils, bien au contraire, mais la vitesse de "ramener" a été très augmentée, et les ballons ont pu ainsi se défendre plus efficacement contre les attaques-des avions ennemis.
Le succès des ballons Caquot a été considérable. D’abord le ballon type M, puis, à partir de 1917, le ballon type R. Presque tous les Alliés les ont adoptés. Bien plus, les aérostiers allemands et autrichiens les ont adoptés. A l’exception des Italiens qui utilisèrent un ballon d’un type spécial (type A. P.) Quelques semaines seulement après qu’un ballon M, ayant rompu son câble sur le front de la Somme, eut été emporté par le vent dans les lignes ennemies, on vit s’élever de l’autre côté de la ligne, un ballon sans queue de godets.
Ballon Caquot type M - Volume 930 m3 - Longueur 25 mètres - Diamètre 8,20 m - Dessin d'origine transmis par le général Guy François que je remercie pour son aide - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Dessin Albin Denis.
Bientôt, sur tous les fronts, en France, en Italie, en Bulgarie, ce fut du côté de l’ennemi une floraison de ballons Caquot. Quelques-uns d’entre-eux nous revinrent par la même voie qui leur avait envoyé le modèle. Ces ballons étaient une copie exacte du ballon français ; seul, le mode d’attache des cordeaux de suspension sur la ralingue était différent.
A côté du problème de qualité, perfectionnement du type des ballons, se posa un problème de quantité pour répondre à la consommation qui s’était accrue dans des proportions considérables.
En effet, en 1918, il avait fallu, en outre des ballons d’observation, construire les ballons dits de protection. Et, en ce qui concerne les ballons d'observation, il fallait pourvoir au remplacement des ballons détruits par les avions ennemis, soit, approximativement, un ballon par jour en moyenne.
Néanmoins, jusqu’à la fin, le ravitaillement en ballons fut constamment assuré d’une façon entièrement satisfaisante. Il faut en féliciter les officiers de Chalais-Meudon qui surent organiser la production et obtenir de l’industrie l’effort énorme qui s’imposait. Le service des ballons était dirigé par le Cne Letourneur, puis par le Cne Bricard.
Le ravitaillement en hydrogène :
Ce fut, au début, un des problèmes les plus ardus dont la solution s’imposa au GQG En effet, alors que nos compagnies d’aérostiers se multipliaient, toutes les usines civiles d’hydrogène étaient en territoire occupé (usines du Nord), ou sous le canon (usine de Lamotte-Breuil). Ce fut donc, tout d’abord, avec les seules usines à hydrogène des places fortes et de Chalais et le nombre restreint de tubes dont on disposait, que l’aérostation du GQG (commandant Jaillet) dut organiser le ravitaillement en hydrogène qu’il assura, au début, directement.
Quelques mois plus tard, ce service fut passé à Chalais-Meudon où, sous la direction du commandant Caquot, il reçut successivement toute l’extension nécessitée par l’accroissement de la consommation. Là encore, le commandant Caquot fit preuve de remarquables qualités d’organisation et de réalisation. De nombreux tubes furent achetés en France et en Amérique. Des marchés furent passés avec les usines qui fabriquaient l’hydrogène comme sous produit. Même une grande usine fut spécialement construite aux portes de Paris pour la fabrication de l’hydrogène (usine de Saint-Ouen, aujourd’hui usine de l’oxylithe).
En 1916, le service du ravitaillement en hydrogène fut passé à la 2ème réserve de ravitaillement, la production restant organisée par Chalais-Meudon. Et malgré l’énorme accroissement de la consommation (incendies de ballons, ballons de protection), malgré les fluctuations du front, jamais l’hydrogène ne manqua à nos ballons.
Les treuils :
Au début de la guerre, les aérostiers utilisèrent le treuil à vapeur des compagnies d’aérostiers de Place. Ce "treuil de siège", comme on l’appelait, était un excellent appareil, robuste et d’un fonctionnement très sûr. L’adoption de "ceintures cingoli" au début de 1915, augmenta notablement sa mobilité et lui permit de circuler dans tous les terrains, voire d’aller au trot dans les terres labourées. Mais sa vitesse de ramener n’était que de 1 m. 50 à la seconde et sa puissance insuffisante pour ramener le ballon allongé par vent fort. De plus, il produisait un panache de vapeur qui décelait sa position à l’artillerie ennemie.
Dès le début de la guerre, le capitaine Caquot, qui commandait alors la compagnie d’aérostiers de Toul, avait transformé un de ces treuils à vapeur en treuil automobile. A cet effet, il avait monté sur un camion Berliet un mécanisme de treuil à vapeur, actionné par un bloc moteur Panhard de 12 HP. C’était le treuil à deux moteurs qui permettait de manoeuvrer le ballon tout en déplaçant le treuil.
Ce matériel était d’une construction aisée et relativement rapide. C’est pour cette raison qu’on en dota, en 1916, la plupart des compagnies de nouvelle formation. Mais ces treuils ne ramenaient guère qu’à une vitesse de 2 mètres à la seconde et quand les attaques d’avions devinrent plus fréquentes et plus dangereuses, ils durent être remplacés par des treuils 1915 ou 1916, dus au commandant Saconney.
Le treuil 1915, dont furent dotées les 10 premières compagnies automobiles, était à peu de chose près, semblable aux treuils des sections de cerfs-volants montées, qui avaient fait leurs preuves, avant et pendant la guerre. Muni d’un moteur de 35 HP, sa vitesse de ramener pouvait atteindre 4,50 m dans les circonstances atmosphériques les plus favorables.
En 1916, on jugea nécessaire d’augmenter la vitesse de ramener des treuils. Un nouveau modèle, le treuil 1916, dû également au commandant Saconney, fut adopté. Ce treuil est conçu d’après les mêmes principes que le treuil 1915, mais plus puissant. Son moteur de 60 HP (au lieu de 35 HP) permet de ramener à une vitesse maximale de 5,50 m à la seconde.
A la même époque, le commandant Caquot construisit un nouveau treuil à 2 moteurs, dit treuil 1917 ou à tension constante. Ce treuil était destiné à la fois à l'aérostation militaire et à l’aérostation maritime. Quand la tension dépasse une limite déterminée, ce treuil laisse automatiquement dérouler du câble. On évite ainsi les à-coups et par suite les ruptures du câble particulièrement à craindre dans l’aérostation maritime. Grâce à son moteur de 70 HP, ce treuil peut ramener à une vitesse maximale de près de 6 mètres à la seconde. Il est monté sur châssis Latil à 4 roues motrices.
Dans toutes les unités, les treuils 1916 ou 1917, remplacèrent tous les anciens treuils. Même en 1918, on profita des disponibilités en matériel pour doter chaque compagnie de deux treuils 1916 ou 1917, de façon à éviter tout arrêt de fonctionnement dû à une avarie de treuil.
En novembre 1918, l’aérostation militaire française possédait 163 treuils, dont 37 treuils 1915, 100 treuils 1916 et 26 treuils 1917 à tension constante.
Les câbles et téléphone :
En terminant cet exposé, il convient de remarquer qu’en dehors des ballons et des treuils, le matériel aérostatique, d’observation et de protection, ne cessa, pendant la campagne, d’être constamment amélioré.
C’est le câble de 9 m/m comportant une seule âme téléphonique qui fait place à un câble d’un diamètre de 6 m/m 8, plus léger, puis résistant et muni de 3 âmes téléphoniques. Ce sont les appareils téléphoniques de campagne du début de la guerre, employés en nacelle par les observateurs, qui sont remplacés par des casques téléphoniques avec parleur permettant de causer sans interrompre l’observation.
Les parachutes :
Ce sont encore les parachutes, inconnus en 1914, et dont toutes les unités furent rapidement dotées au début de 1916. Dès les premiers incendies de ballon par avion, en octobre 1915, on reconnut la nécessité urgente de doter les observateurs de parachutes. Justement, il y avait à Chalais-Meudon un officier, le lieutenant Juchmès (décédé en février 1918), qui dirigeait avant la guerre un atelier de construction aérostatique. Il avait construit, en particulier, un certain nombre de parachutes expérimentés avec succès. En collaboration avec le capitaine Letourneur, il étudia et réalisa le parachute individuel des observateurs en ballon captif. La construction des parachutes fut menée rapidement à Chalais-Meudon et ceux-ci furent livrés aux compagnies dans les conditions suivantes.
Le marin Duclos :
Comme on pouvait craindre de la part des observateurs une appréhension naturelle à se confier à cet engin peu connu, le lieutenant Juchmès parcourut le front en automobile en compagnie d’un parachutiste volontaire. Ce parachutiste volontaire était un marin du nom de Duclos. Employé à l’établissement de Chalais-Meudon et ayant assisté à de très nombreuses expériences de parachute, toutes réussies, il avait acquis la plus grande confiance dans le fonctionnement de l’appareil. Au cours de ses tournées sur le front, le lieutenant Juchmès organisait auprès d’une compagnie, une exhibition à laquelle étaient conviés les officiers et observateurs des compagnies voisines. Le marin montait en nacelle et descendait en parachute. Le lieutenant Juchmès distribuait ses parachutes aux aérostiers instruits et convaincus par cette expérience, et il continuait sa tournée. Le marin Duclos exécuta ainsi 23 sauts en parachute avec un plein succès. Un peu plus tard, le marin Duclos demanda et obtint de passer dans l’aviation maritime. Après avoir été pilote à l’escadrille de Dunkerque, il termina la guerre à l’escadrille de Saint-Raphaël. La 1ère expérience réelle de parachute fut faite le 10 mars 1916, à Verdun, par le lieutenant Levassor d’Yerville.
La tempête du 5 mai 1916 :
Mais ce fut la tempête du 5 mai 1916, où 24 ballons rompirent leur câble, qui provoqua la première expérience en grand du nouvel engin. Malheureusement, en raison de la violence du vent, deux observateurs furent tués à l’atterrissage (Slt Garcia-Calderon de la 30ème compagnie et Sgt Spiess de la 53ème compagnie) et deux autres trouvèrent également la mort à la suite d’incidents survenus dans le fonctionnement de leur parachute (Adj Contentin de la 28ème compagnie et MdL André Salats de la 24ème compagnie). Enfin, à la fin de 1917, apparut le parachute de nacelle qui fut mis en service dans toutes les unités en 1918. Néanmoins, la plupart des observateurs, confiants dans la régularité de fonctionnement du parachute individuel, lui conservèrent leur confiance et leur préférence.
L'armement :
Citons aussi les perfectionnements apportés à l’armement d’autoprotection des aérostiers, et à l’organisation de la protection des ballons par mitrailleuses. En dehors du lieutenant de vaisseau Le Prieur, qui construisit les premiers correcteurs pour tir de terre contre avions et en posa les principes, cette étude fut continuée brillamment et utilement par des officiers aérostiers, les capitaines Cottin et Terrisse, et le lieutenant Peycru. C’est à ce dernier qu’est dû un correcteur de tir, ainsi que le jumelage qui portent son nom.
L'organisation de l’aérostation pendant la Grande Guerre :
En août 1914, les formations de l’aérostation militaire étaient réparties dans les ports d’attache de dirigeables installés à Maubeuge, Verdun, Toul, Epinal, Belfort et Saint-Cyr. Au GQG, le colonel Voyer était chef du Service Aéronautique. Le capitaine Jaillet lui était adjoint pour l’Aérostation.
Quand un certain nombre de compagnies d’aérostiers furent mises à la disposition des armées, elles furent rattachées dans chacune d’elles au Service de l’Aviation de l’Armée, qui devint alors le Service Aéronautique de l'Armée. Les commandants des compagnies d’aérostiers furent donc placés sous les ordres du chef du Service Aéronautique et, plus tard, du commandant de l'Aéronautique de l'Armée.
Nous verrons plus tard, qu’à la fin de 1914 et au début de 1915, à l’armée de Saint-Pol (Xème armée), plusieurs compagnies furent groupées sous le commandement du chef de bataillon Saconney. Quand, au début de l’été 1915, cet officier supérieur fut envoyé à la IVème armée, pour la préparation de l’offensive de Champagne, il fut remplacé par le Cne Delassus comme adjoint aérostier au commandant de l’aéronautique de la Xème armée. En même temps, le Cdt Saconney remplissait les fonctions d’adjoint aérostier à la IVème armée. Vers la même époque, la préparation de l’offensive de Champagne nécessita la désignation du Cne Muiron comme adjoint aérostier au commandant de l’aéronautique de la IIème armée, qui devait participer concurremment avec la IVème armée à l’offensive projetée. Progressivement, toutes les armées furent dotées d’un adjoint aérostier qui, sous l’autorité du commandant de l’aéronautique de l’armée, était chargé de toutes les questions d’aérostation.
Au cours de l’offensive allemande de 1916 sur Verdun (février et mois suivants), on reconnut la nécessité de répartir le territoire de l’armée en un certain nombre de Secteurs aéronautiques, dont les chefs, par leur connaissance de la situation et leur installation matérielle, facilitaient le travail des unités nouvellement engagées, en leur fournissant les renseignements et les moyens nécessaires à l’exécution de leur mission. En outre, on réalisait ainsi une continuité de vues des plus utiles.
Chaque secteur correspondait, en principe, à la zone d’un Corps d’Armée. Dans chacun d’eux, un aérostier fut adjoint au commandant de l’aéronautique du secteur qui devint plus tard le commandant de l’aéronautique du Corps d’Armée. Cette organisation fut conservée à l’occasion de la préparation de l’offensive de la Somme (juillet 1916) et des offensives ultérieures. Progressivement, tous les Corps d’Armée furent pourvus d’un adjoint aérostier au commandant de l’aéronautique du Corps d’Armée.
Cette organisation de l’aérostation à l’Armée et au Corps d’Armée fut maintenue dans ses grandes lignes jusqu’à la fin de la guerre. Toutefois, afin de donner aux officiers aérostiers chargés de l’aérostation aux armées et dans les Corps d’Armée, l’autorité et la responsabilité nécessaires à la bonne exécution de leur mission, leur rôle et leurs attributions furent précisées par l’instruction du GQG, du 11 février 1918 et ils reçurent respectivement les titres de commandant de l’Aérostation de l'Armée ou du Corps d'Armée.
Enfin, dans le courant de l’été 1918, on jugea nécessaire de donner un officier adjoint à chaque commandant d’Aérostation de Corps d’Armée, dans le but d’assurer une continuité dans la centralisation et dans l’exploitation des observations des ballons, tout en laissant au commandant de l’Aérostation du Corps d’Armée, l’indépendance nécessaire pour l’exécution des reconnaissances, des liaisons, ainsi que du contrôle des compagnies d’aérostiers sur le terrain.
Signalons enfin qu’à deux reprises pendant la guerre, on reconnut la nécessité d’installer un officier aérostier compétent à l’aéronautique d’un Groupe d’Armées. Ces officiers furent, à l’occasion de l’offensive du 16 avril 1917, le Cdt Saconney, puis lors de l’offensive allemande du 21 mars 1918, le Cdt Delassus.
Dans chacune de ces périodes où des fluctuations importantes du front étaient à prévoir, le rôle de ces officiers fut de traiter sur place les questions urgentes, de contrôler le travail de l’Aérostation des Armées du Groupe, d’orienter les commandants d’Aérostation, le cas échéant, enfin, de répartir les approvisionnements d’hydrogène suivant les besoins.
La généralisation de cette mesure fut décidée à la fin de la campagne, l’aéronautique de chaque Groupe d’Armées devant comprendre organiquement un officier supérieur aérostier ; mais cette mesure ne fut pas réalisée effectivement en raison de l’armistice.
Au début, les compagnies d’aérostiers étaient réparties entre les armées qui les utilisaient au mieux de leurs besoins. Rattachées pour l’emploi à la grande unité sur le territoire desquelles elles se trouvaient, elles n’avaient pas d’affectation organique.
Rattachement aux corps d'armées :
C’est seulement au commencement de 1916 que, par analogie avec une mesure prise pour l’Aviation, chaque Corps d’Armée fut doté organiquement d’une compagnie d’aérostiers. En 1917, les Corps d’Armée à quatre divisions reçurent une seconde compagnie organique. Les autres compagnies dites "de renforcement" étaient utilisées pour renforcer convenablement les secteurs actifs.
Ce système mixte, qui présente quelques inconvénients, permettait par contre, de pratiquer le principe de l’économie des forces. Il fut conservé jusqu’à la fin de la guerre.
Constitution des compagnies :
Le travail d’organisation nécessité par la constitution des compagnies d’aérostiers fut en grande partie l’oeuvre des officiers aérostiers du GQG. Ce fut d’abord le Cdt Jaillet qui, d’août 1914 à juin 1915, organisa les 26 premières compagnies d’aérostiers, assura leur encadrement et leur fit fournir le matériel de complément nécessaire.
Son successeur au GQG, le Cdt Patart, assura l’encadrement et la mise sur pied des 10 compagnies automobiles d’aérostiers et arrêta la constitution en personnel et en matériel, le mode de formation et l’encadrement des 39 dernières compagnies qui furent constituées de juillet 1915 à juin 1916. Après lui, les Cdts Delassus et Boret complétèrent et perfectionnèrent l’organisation de l’Aérostation. En particulier, ils résolurent dans les meilleures conditions, le problème délicat du recrutement des observateurs en ballon.
Enfin, il convient de souligner le rôle capital joué par l’Etablissement central du matériel de l’Aérostation militaire de Chalais-Meudon, dans la constitution du matériel roulant et technique des nouvelles unités d’Aérostation, ainsi que dans le ravitaillement en ballons et en hydrogène.
A ce titre, les noms des Cdt Caquot et Lenoir, des Cne Le tourneur et Bricard, etc... et, par ailleurs, des Cdt Bois (Chargé de l'aérostation à la 2ème réserve de ravitaillement puis inspecteur du matériel de l’aérostation aux armées) et Hennequin resteront attachés à l’histoire de l’organisation de l’Aérostation pendant la campagne.
Ajoutons que tout ce travail d’organisation fut grandement facilité et hâté par la bonne harmonie et l’esprit de franche collaboration qui ne cessa de régner entre les officiers aérostiers du GQG et des armées, ceux du Ministère : Lcl Guéry et Cdt Delassus, les directeurs de Chalais-Meudon : Lcl Richard et Cdt Perrin, et tous leurs collaborateurs.
Les débuts - d'août 1914 à avril 1915 :
La 5ème compagnie d'aérostiers :
Il convient d'abord de retracer la courte histoire de la compagnie d’aérostiers de Maubeuge. La 5ème compagnie d’aérostiers du temps de paix (Ltt Davet), en garnison à Maubeuge, ne mobilisait pas de sections d’aérostiers de Place. Elle était uniquement destinée à la manoeuvre des dirigeables : le "Dupuy de Lôme" et le "Montgolfier".
Le 17 août, le "Montgolfier", qui avait déjà effectué plusieurs missions de reconnaissance au-dessus de l’ennemi, fut abattu, criblé de balles, à quelques kilomètres de Maubeuge. Le 24 août, devant la menace d’investissement de la Place, le "Dupuy de Lôme", réparé et regonflé à la hâte, regagna par ordre le port d’attache de Reims, emmenant avec lui ses pilotes et mécaniciens, ainsi qu’une partie du personnel dont la présence à Maubeuge n’était plus indispensable. En arrivant au-dessus des forts de Reims, le dirigeable eût à subir un bombardement intensif, et le Ltt Jourdan, pilote en second, fut tué à son poste.
La menace d’invasion allemande par la Belgique et le nord de la France se faisant plus précise, le GQG donna l’ordre à la compagnie d’aérostiers de Maubeuge de faire de l’observation en ballon captif en utilisant, à cet effet, le parc d’aérostiers de campagne dont elle disposait. La première ascension eut lieu le 28 août 1914. Le 29 août, le ballon observa le bombardement du fort de Boussois et repéra des batteries ennemies dans le ravin de la Trouille. A partir de 22 heures, le ballon fut soumis à un violent bombardement par obus de 105 et 280. Un obus pénétra dans le hangar, détruisit deux ballons de rechange de 500 m3 et le ballon-gazomètre de 1300 m3. L’intensité du bombardement était telle qu’elle empêcha toute manoeuvre et obligea à déchirer le ballon captif servant aux ascensions. La compagnie, privée de ses moyens d’observation, s’efforça de remettre en état les ballons hors service.
Mais les événements se précipitèrent. Devant l’imminence de la reddition de la Place, les aérostiers détruisirent tout le matériel et cachèrent les archives du port d’attache. Le 7 septembre 1914, la Place de Maubeuge devait se rendre à l’ennemi, et les aérostiers de la 5ème compagnie prenaient le dur chemin de la captivité. Mais, ayant fait tout leur devoir, ils purent partir la tête haute. D’ailleurs, ils conservaient un moral intact, et beaucoup parmi eux réussirent, souvent après plusieurs tentatives manquées, à s’échapper des camps allemands et à regagner la France, puis l’aérostation française.
Les compagnies d'aérostiers de Lorraine :
Nous avons vu qu’à la fin du mois d’août et au début de septembre 1914, un certain nombre de ballons avaient abandonné leur port d’attache et rejoint les armées sur leurs positions de combat.
Ce fut d’abord la section d’Epinal, qui, sous les ordres du capitaine Saconney, s’évada loin de son port d’attache, dès le 28 août 1914, vers les lignes établies à une quarantaine de kilomètres en avant d’Epinal, sur la Mortagne. Elle y apparût en même temps que les premiers canons lourds (deux pièces de 155, deux batteries de 120 long), dont ait disposé l’armée Dubail. Ces deux éléments : artillerie lourde et aérostation captive, dont l’aptitude à la guerre de campagne avait été si discutée, voire même condamnée, allaient donc se rencontrer et travailler ensemble. C’était la mise au point de la théorie par la pratique.
Une série de rapports quotidiens décrit, du 29 août au 13 septembre, les marches et opérations de cette section d’aérostiers, la première qui, dans l’armée française, ait vraiment tenu la campagne. Dès les premières ascensions, le général commandant le 8ème Corps d’Armée demande que le ballon reste longtemps en l’air, car sa présence réconforte le troupier, et l’on constate que la canonnade allemande décroît quand il s’élève, redouble quand il revient au sol. Grâce à son câble léger, il monte aussitôt jusqu’à 1.200 et 1.400 mètres, au lieu de 300 ou de 500. Grâce aux voitures automobiles, la section circule, rapide, d’Essey-la-Côte à Hallainville et de Moyemont à Giriviller, souvent par des chemins défoncés, parcourt en ces quatorze jours 300 kilomètres, restaure ainsi la confiance que le ballon peut répondre vite à un appel. Surtout, les aérostiers sont entrés en liaison avec les artilleurs; par deux ou trois fois, à leur prière, des commandants de batterie sont montés eux-mêmes en nacelle pour de premiers essais. Bien mieux, le ballon a été relié téléphoniquement aux batteries. Aérostiers et artilleurs travaillent ainsi de concert durant ces quatorze jours contre la position allemande Domptail-Moyen, découvrent des fortifications de campagne, repèrent et prennent à partie, à Domptail, au bois du Haut de Zaumont, au bois de la Paxe, au bois du Charbonnier, neuf batteries d’obusiers, sans compter les batteries d’artillerie de campagne.
Combats des 2 et 3 septembre 1914 :
Voici une page de ces rapports, celle qui relate la première entreprise d’un ballon français contre une batterie allemande. Le 2 septembre au matin, le ballon ayant été mis au treuil un peu en avant de la route d’Hallainville, à Fauconcourt, à la cote 350, l’observateur, Cne Saconney, avait signalé une batterie allemande au sud-ouest de Domptail, derrière la cote 307, et demandé la concentration des feux des deux batteries lourdes du 8ème et du 13ème Corps d’Armée sur cet emplacement pour quatorze heures. L’opération se déroula comme il suit : 2 septembre 1914, de 13 heures à 18 heures, Le 13ème et le 8ème Corps d’Armée exécutent la concentration de leurs feux sur l’objectif ci-dessus, avec le concours du 155. L’emplacement est parfaitement atteint; mais aucun mouvement de personnel ne se produit. L’observateur le signale aussitôt, afin d’arrêter le tir. A ce moment, une batterie, située à la corne ouest du bois du Charbonnier, entre la route de Domptail à Fontenoy et le Pourri-Fossé, se démasque subitement par ses lueurs. L’observateur repère rigoureusement l’emplacement et l’indique au commandement de l'artillerie du 13ème et du 8ème Corps d’Armée, et enfin, aux batteries de 155 et de 120. Il établit avec le 155 une convention à son de trompe pour le réglage des tirs. Le tir du 155 est parfaitement réglé au bout de quelques salves. Un obus tombé sur la gauche de la batterie, provoque des mouvements du personnel. Le tir du 155 oblige la batterie de mortiers à se démasquer, et on distingue nettement les lueurs de ses pièces. C’est elle seule qui a tiré dans la journée sur Clézentaine et sur la roule de Clézentaine à Hallainville avec portée maxima. C’est elle aussi qui a tiré sur Saint-Maurice.
Le 3 septembre, on se relie directement par téléphone à la batterie de 155, et on règle le tir sur la batterie du bois du Charbonnier. Trois obus atteignent le but (gauche de la batterie). La batterie ennemie éteint son feu et ne le reprendra que le soir, avec trois pièces seulement.
Déploiements des sections :
Quelques jours après, l’avance victorieuse de nos troupes permettait aux aérostiers de visiter jusqu’à la Meurthe les emplacements abandonnés par l’ennemi. Ils ont la joie de retrouver, ils peuvent photographier les abris démolis des pièces allemandes, et tout autour, les points de chute de nos obus. A Epinal, l’exemple du Cne Saconney est bientôt suivi. Dès le 5 septembre 1914, deux sections de la 22ème compagnie de Place (Cne Devaulx et Delassus), sont à l’oeuvre sur le front de Rambervilliers à Saint-Dié.
A Toul, une section de la 21ème compagnie de Place (Ltt Laudet) prend part, du 4 au 22 septembre, à la bataille du Grand-Couronné, puis ascensionne dans la région de Pont-à-Mousson. Une autre section (Ltt de Kergariou) opère, quelques jours seulement, vers Rozières, puis rentre à Toul pour être affectée peu après à une DI de la défense mobile de la Place. La 3ème section de la 21ème compagnie (Ltt Brisard) est envoyée vers le Nord-est, en même temps que les troupes de la Place, lors du mouvement ennemi sur Saint-Mihiel.
A Verdun, les trois sections de la 24ème compagnie (Cne Bénézit) s’éloignent jusqu’à 15 kilomètres, au moment où les Allemands approchent de la Place, et travaillent avec l’artillerie des secteurs de défense. Elles fournissent au commandement de précieux renseignements, notamment sur les mouvements des colonnes ennemies en Argonne.
A Belfort, le 3 septembre 1914, la 23ème compagnie de Place (Cne Arbelot) reçoit un matériel de section de cerfs-volants et constitue une section mixte de ballons et cerfs- volants analogue à celle du capitaine Saconney, à Epinal. Le 9 septembre, cette section (Ltt Chollet, puis Ltt Weyl), est en position à Félon. Les trois, sections de la 23ème compagnie sont également poussées assez loin en dehors de la Place.
Mais, après la bataille de la Marne, le front de Lorraine, dégarni par les deux adversaires, est retombé dans le calme. Le front, qui s’est stabilisé des Vosges jusqu’à l’Oise, remonte maintenant jusqu’à la mer du Nord. C’est la course à la mer puis la bataille d’Ypres qui clôturent pour longtemps la période de mouvement du début de la guerre et inaugurent la guerre de tranchées sur tout le front.
La 30ème compagnie :
La course à la mer symbolise également la glorieuse randonnée que fit effectivement, sous les ordres du Cne Saconney, la 30ème compagnie d’aérostiers. Réorganisée à Saint-Cyr, du 23 au 26 septembre, et affectée à la VIème armée, elle la rejoignit dès le 28 septembre à Coeuvres, où elle rencontra, à peine sorti du Creusot, le premier groupe de pièces de 105 qu’ait possédé notre Armée. C’est avec cette artillerie (Cdt Blumer), qu’elle opéra d’abord, à partir du 4 octobre, successivement à Vic-sur-Aisne, à Boulogne-la-Grasse, à Caix. Puis, elle monte à Bray-sur-Somme, redescend sur le-Quesnel, remonte en deux jours, du 30 octobre au 2 novembre, du Quesnel à Pûmes, pour redescendre le 7 décembre vers Arras.
Et pendant tout ce temps, la 30ème compagnie ne cesse de faire de la propagande, une propagande appuyée sur des faits. Elle proclame son utilité et elle le prouve par des observations de tir réussies, des réglages, des contrôles, des destructions.
Il faut se reporter également à cette randonnée de la 30e compagnie pour bien apprécier le matériel des compagnies automobiles. C’est, en effet, en décembre 1914 que fut décidée la création de 10 nouvelles compagnies automobiles, et que fut adopté leur matériel spécial. C’était la consécration de l’expérience du capitaine Saconney.
Naissance de l'aérostation d'observation :
Pendant cette même période (octobre 1914), dix compagnies d’aérostiers sont constituées dans les ports d’attache et envoyées aux armées. Puis, en janvier 1915, dix sections d’aérostiers de Place sont transformées en compagnies d’aérostiers et mises aussi à la disposition des armées.
L’aérostation d’observation est donc créée. Mais elle est encore dans l’enfance et de grands efforts seront nécessaires pour perfectionner son matériel, ses méthodes et son organisation en même temps que s’accroîtra considérablement le nombre de ses unités.
Le premier obstacle sera dans le fonctionnement même et l’emploi de ces compagnies d’aérostiers fraîchement constituées. Certes, nos aérostiers savent gonfler un ballon, l’arrimer, le transporter, le manoeuvrer. Depuis longtemps, ils sont rompus à cette tâche. Mais ont-ils été préparés aux différentes missions qui devaient normalement incomber au ballon dans une guerre de mouvement ou sur un front stabilisé ? Où sont nos méthodes d’observation ? Où sont nos Observateurs spécialisés et entraînés au rude travail qui va leur être imposé ?
Avant la guerre, nous avions bien exercé un certain nombre d'observateurs d'artillerie qui étaient venus faire des stages de trois mois dans l’aérostation à Versailles. Mais c’étaient des artilleurs et non des aérostiers. Ils ont quitté leur place forte avec leur formation d’artillerie ou bien ils ont été dispersés au hasard des grands besoins de leur arme, et on ne les retrouvera plus.
Ce seront donc tout d’abord des aérostiers qui devront (et ce sera peut-être le plus rude effort), vaincre l’indifférence ou le scepticisme de ceux qui, parmi les artilleurs, ne croient pas au ballon comme observatoire aérien, et ceux-là sont nombreux. Les aérostiers se mettent résolument à l’oeuvre, fermement convaincus qu’ils iront au bout de toutes les difficultés et briseront tous les obstacles. Ils se dépensent sans compter, multiplient les ascensions, offrent sans cesse leurs services aux artilleurs voisins, ne se rebutent pas devant les insuccès, et jamais ne désespèrent.
Une telle activité force l’attention. Les plus sceptiques eux-mêmes reconnaissent vite que les ballons peuvent leur rendre des services. C’est toujours la grande mise au point de la guerre qui continue. Les théories inexactes s’évanouissent vite au contact des réalités.
Devant les résultats indéniables qui sont obtenus, les artilleurs vont solliciter de plus en plus la collaboration de l’observateur en ballon captif. La résistance, l’indifférence du début diminuent peu à peu. Le ballon se fait connaître, s’impose, acquiert peu à peu la bienveillance du commandement et la confiance des artilleurs.
La cause est gagnée. L’aérostation va maintenant se développer et s’organiser et des unités de plus en plus nombreuses seront bientôt en mesure d’accomplir la tâche qui leur incombe dans la rude lutte qui commence.
Pendant cette période d’efforts, de propagande, et comme fruits même de ces efforts, les méthodes d’observation et d’emploi du ballon, inexistantes jusqu’alors, se découvrent, se précisent, se réglementent peu à peu. Là encore, le Cne Saconney se montre un novateur. Dès les premières ascensions, il met en lumière les différentes missions que l’on pourra confier aux ballons : repérage de batteries ennemies, réglage et contrôle des tirs de l’artillerie amie, surveillance générale du secteur.
De même, les leçons de l’expérience le conduisent à formuler les principales règles d’emploi tactique du ballon : distance du point d’ascension aux lignes ennemies; altitude d’observation; permanence de l’observation de façon à profiter de toutes les occasions favorables et augmenter le rendement du ballon; choix d’un point de campement bien abrité, soigneusement dissimulé et relativement éloigné d’où le treuil gagne le point d’ascension par un itinéraire d’approche; installation des liaisons téléphoniques, etc...
Bien entendu, l’insuffisance de notre matériel aérostatique avait été immédiatement démontrée et nous avons déjà vu quels efforts avaient été faits pour le perfectionner.
Le choix des observateurs :
Enfin, on reconnut que chaque compagnie devait disposer d’officiers ou de sous-officiers spécialisés dans l’observation en ballon, et possédant les aptitudes physiques, l’instruction générale, les qualités morales et intellectuelles indispensables. D’abord on eut recours à des marins, presque tous officiers de la marine marchande et dont le plus célèbre fut l’enseigne de vaisseau Regnard. Mais on reconnut plus pratique de recruter les observateurs parmi des volontaires de toutes armes : aérostiers, artilleurs, fantassins,... présentant les aptitudes voulues. Beaucoup d’entre eux et des meilleurs, étaient d’anciens élèves des Beaux-Arts et notamment des architectes. L’artillerie fournit également un grand nombre d’observateurs de valeur.
Vers la fin du mois de décembre 1914, trois compagnies d’aérostiers se trouvèrent réunies dans les environs de Saint-Pol et furent placées sous le commandement du chef de bataillon Saconney. C’étaient la 30ème compagnie (Cne Mandin), la 32ème compagnie (Cne Dubayle), la 39ème compagnie (Cne Chollet, puis Cne Fauré). Le service de ces trois unités fut organisé par le Cdt Saconney, suivant les idées qu’il s’était formées et qu’il s’efforçait de propager.
Malgré la mauvaise saison, le rendement de ces ballons fut des plus appréciables. C’est ainsi que, du 27 septembre au 10 février 1915, la 30ème compagnie réalisa 172 heures d’ascension (dont 124 avec ballons sphériques et 48 avec cerfs-volants), effectuant pendant ce temps 80 repérages de batteries, 67 réglages, et de nombreuses observations de troupes et de convois ennemis. Le ballon ascensionnait généralement à 5 ou 6 kilomètres des lignes et fut souvent bombardé. Les liaisons avec les batteries étaient très difficiles à réaliser. Il arriva même (17 et 18 octobre 1914), que le ballon se mit à proximité des pièces de 105 qu’il devait régler, et que la liaison se fit à la voix.
Cependant, les services rendus par le Cdt Saconney lui avaient valu d’être chargé de l’inspection des compagnies sur la moitié du front. L’Inspection de l’autre moitié avait été confiée au Cdt Richard qui fut ensuite nommé directeur de l’Etablissement central du matériel de l’aérostation militaire de Chalais-Meudon.
En outre, la 39ème compagnie (Cne Fauré), en dehors de son service de guerre, fut utilisée comme ballon-école. Ce fut l’école de Saint-Pol. C’était à Saint-Pol que se trouvait le QG de la Xème Armée. Le PC du Cdt Saconney était installé au château de Ranchicourt.
Dès les premiers mois de 1915, la plupart des officiers aérostiers y furent envoyés en stage et purent ainsi s’initier aux règles posées par le commandant Saconney pour l’emploi tactique du ballon.
D’ailleurs, et quelque grand qu’ait été le mérite du Cdt Saconney, il convient de reconnaître qu’en dehors de lui, d’autres aérostiers avaient réussi à obtenir de bons résultats de l’observation en ballon et étaient arrivés à des conclusions analogues, bien que moins absolues, en ce qui concerne son emploi tactique.
La 33ème compagnie d'aérostiers :
Pour ne donner qu’un seul exemple, voici quelques dates marquantes de l’histoire de la 33ème compagnie (Cne Arbelot).
La 33ème compagnie arrive à Fismes le 3 octobre 1914. Le 4 octobre, elle est en position à Glennes. Le premier essai de liaison téléphonique directe avec les batteries est du 6 octobre. Cette liaison, est reconnue immédiatement indispensable. Le 7 octobre, le premier contrôle de tir de la compagnie est observé. Du 9 au 12 octobre, au cours d’une action locale contre Berry-au-Bac, des repérages de batteries ennemies sont effectués. Le 20 octobre, le lieutenant Weyl, de la 33ème compagnie, exécute un panorama photographique sur un secteur de 170° d’ouverture, permettant de corriger le plan directeur et d’établir la carte des zones défilées.
Du 20 au 25 octobre, ont lieu plusieurs ascensions à Luthernay, le ballon étant campé à la ferme de l’Orme. L'indépendance des points d'ascension et de campement, le transport à un point d'observation rapproché (4,8 km des lignes) sont en germe dans ces opérations. Le 20 décembre seulement, a lieu le premier réglage de tir de la compagnie. Mais, par suite de relations intimes et directes établies avec les batteries, ces réglages se multiplient, notamment avec des batteries de 120 L. et 155 L.
Enfin, des leçons et exercices pour les observateurs et les officiers des batteries sont commencés à partir des 24 et 25 janvier 1915.
Peu nombreux, d’ailleurs, furent les aérostiers qui, comme le Cne Arbelot, surent tirer de leur propre expérience les règles d’emploi de l’observation en ballon.
Au contraire, ce fut du Cdt Saconney que la grande majorité des compagnies reçut l’impulsion nécessaire et les règles d’emploi, soit, directement, soit par les instructions, qui, à la suite de ses rapports, furent notifiées par le GQG (Instruction du 6 octobre 1914, puis du 1er décembre 1914).
Cependant, à cette même époque, d’autres aérostiers faisaient preuve d’une initiative heureuse et souvent couronnée de succès.
La 37ème compagnie d'aérostiers :
Installée dans la région de Dunkerque, sous le commandement du Cne Boret, la 37ème compagnie s’exerçait depuis avril 1915, au cours d’ascensions de nuit, au repérage des batteries ennemies. Elle put obtenir des indications précieuses, en utilisant des sitogoniomètres, des repères lumineux et un réseau téléphonique spécial. Les résultats obtenus étaient transmis à l’escadrille du Cne Lalanne et permettaient aux observateurs en avion de limiter leurs recherches et de dépister les pièces isolées de gros calibre.
A cette époque, où le service des canevas de tir commençait à peine à s’organiser, où les SROS n’existaient pas, les procédés employés par la 37ème compagnie rendirent de grands services aux artilleurs. A cette occasion, il convient de signaler que c’est le sergent observateur Magnan, de la 37ème compagnie, qui signala, le 30 avril 1915, la pièce de 380 tirant sur la ville de Dunkerque.
L’observateur ne put donner que des alignements, mais l’enregistrement des heures d’apparition des lueurs énormes de cette pièce, vues de la nacelle, et du nombre de lueurs observées, correspondaient avec les heures d’arrivée et le nombre d’obus reçus à Dunkerque ce jour-là. Aussi, le lendemain, le général Bourgeois, du Service Géographique, adressait ses remerciements au commandant de la 37ème compagnie pour les renseignements de tout premier ordre qui avaient été fournis par l’unité.
C’est également la 37ème compagnie qui contrôla les tirs effectués par les monitors de l’armée navale anglaise, embossés au large de Coxyde, lorsque ceux-ci prirent à partie les ouvrages et batteries allemandes situées entre Ostende et Nieuport, en août et septembre 1915. A défaut de TSF, les renseignements du ballon étaient transmis par téléphone, de la nacelle au poste de terre et par projecteur, du poste de terre aux navires anglais.
Les ballons en Artois en mai 1915 :
Aux 30ème, 32ème et 39ème compagnies, se joignent, en février 1915, la 41ème compagnie (Cne Renié), puis, en avril 1915, la 29ème compagnie (Cne Nivet) et la 43ème compagnie (Cne Bienvenue). Des faubourgs d’Arras à Souchez et à Notre-Dame de Lorette, et principalement du 7 mai au 26 juin 1915, ces six compagnies travaillent à plein rendement, sous le commandement du chef de bataillon Saconney.
Une des caractéristiques de l’emploi du ballon pendant cette période fut la permanence de l’observation rendue possible, à cette époque, par l’extrême rareté des attaques des ballons par les avions et le canon ennemis. Remarquons, par contre, que les ballons d’alors, Drachens ou sphériques à ralingue, n’offraient pas à beaucoup près, le confortable relatif des ballons M ou R. Au cours de cette période, les observateurs déployèrent une endurance magnifique, restant en moyenne huit heures par jour en nacelle, et cela pendant plus de cinquante jours. Les journaux de marche des compagnies indiquent fréquemment des ascensions journalières de 12, 14 et même 16 heures. Le 15 juin 1915, l’enseigne de vaisseau Regnard, observateur de premier ordre, qui devait trouver une mort héroïque le 1er mai 1917, reste en l’air 16 heures 20 minutes. En 42 jours, ce même observateur réalise 449 heures d’observation en 38 ascensions, soit près de 12 heures par ascension.
Et pendant ces longues heures de faction aérienne, toute la brillante phalange des premiers observateurs spécialisés : Adj Arondel, Mathieu; Sgt Tourtay, Brillaud de Laujardière, Forest, Delplanque; Cal Calderón... etc..., devenus officiers peu après, travaille sans relâche, multipliant les missions d’artillerie tout en assurant la surveillance générale du champ de bataille.
La 39ème compagnie formée le 1er décembre 1914 est citée le 13 avril 1915, à l’ordre du 21ème Corps d’Armée avec ce motif : "Donne un exemple constant de courage et d’heureuse initiative. N’a pas hésité, à deux reprises différentes, pour mieux voir et mieux régler le tir de nos batteries, à se porter avec son ballon et ses cerfs-volants à très courte distance des lignes allemandes. Y a stationné longuement, concourant à des réglages sous le tir convergent de 3 batteries allemandes."
Le 11 mai à 15 h. 55, le Sgt Tourtay signale deux régiments ennemis se dirigeant, sur Givenchy, renseignement qu’il précise par les cordonnées de la tête et de la queue de la colonne d’infanterie allemande. Le 16 juin, un convoi ravitaillant une batterie ennemie est pris sous notre feu, grâce encore aux renseignements fournis par l’observateur Tournay, qui vient d’ailleurs d’être promu sous-lieutenant. Le 19 juin, de 12 heures à 17 h. 30, l’Adj Arondel exécute 25 réglages comportant 323 coups tirés. Le 2 juillet 1915, c’est encore l’Adj Arondel qui, de 19 h. 10 à 20 h. 20, signale le débarquement d’un Corps d’Armée allemand amené à pied d’oeuvre par trains et convois automobiles, et permet ainsi de prévenir et d’enrayer une puissante contre-attaque de l’ennemi.
On peut dire de la bataille d’Artois qu’elle fut la première grande expérience de l’emploi de l’Aérostation. Elle mit définitivement en lumière et consacra l’utilité du ballon dans la bataille. Grâce à l’esprit d’organisation et à l’énergie de leur chef, à l’endurance, au courage déployés par tous les observateurs et aérostiers de l’Artois, ce résultat fut atteint d’emblée, sans restrictions.
L'offensive de Champagne de septembre 1915 :
La bataille d’Artois avait mis en évidence l’importance de l’observation en ballon. En même temps, sur tous les points du front, les compagnies d’aérostiers, profitant des enseignements reçus et de l’expérience acquise, avaient notablement amélioré leurs procédés d’emploi du ballon. Leur rendement s’était considérablement accru et certains chefs, qui au début s’étaient montrés sceptiques au sujet du ballon, étaient maintenant convaincus de son utilité.
C’est d’ailleurs à la suite de tout cet ensemble de faits qu’en juin 1915, le général commandant en chef décida de porter à 75 le nombre des compagnies d’aérostiers.
En juillet 1915, le haut commandement français regroupe ses forces et prépare une seconde offensive, qui sera tentée le 25 septembre, simultanément en Artois et en Champagne. En Champagne, le plan d’attaque prévoyait une offensive des IIème et IVème armées, de Moronvillers à l’Argonne, avec une action ultérieure éventuelle d’une partie de la Vème armée, entre Craonne et l’Aisne.
La préparation de l’aérostation pour cette grande offensive avait été confiée dans chaque armée à un officier aérostier, adjoint aérostier au commandant de l’Aéronautique de l’Armée. C’était, à la IVème armée, le Cdt Saconney; à la IIème armée, le Cne Muiron; à la Vème armée, le Cne Arbelot.
Les moyens engagés :
Pour cette grande bataille, qu’on espérait décisive, 19 ballons furent concentrés en Champagne et répartis ainsi qu’il suit entre les IIème, IVème et Vème armées :
- IIème armée : 20ème compagnie (Cne Perrin), section de la 20ème compagnie (Ltt Laroque), 35ème compagnie (Cne Nivet), section de la 35ème compagnie (Ltt Blanchet), 43ème compagnie (Cne Bienvenue), section de la 43ème compagnie (Ltt Caulier), 51ème compagnie (Cne Bois).
- IVème armée : 24ème compagnie (Ltt Vénard), section de la 24ème compagnie (Ltt Girard), 34ème compagnie (Cne Repoux), section de la 34ème compagnie (Ltt Sénille), 48ème compagnie (Ltt Ghesquière), 46ème compagnie (Cne Fauré), 45ème compagnie (Cne de Segonzac), section de la 45ème compagnie (Ltt Samson).
- Vème armée : 42ème compagnie (Cne Néant), 49ème compagnie (Cne Devaulx), 38ème compagnie (Ltt Weyl), section de la 38ème compagnie (Cne Bazille).
Mais toutes ces unités ne furent pas également engagées dans la bataille, qui porta principalement sur le front tenu par les IIème et IVème armées.
L’aérostation arrive en Champagne avec une doctrine déjà établie, un personnel de manoeuvre instruit, de bons observateurs. Elle est commandée par des officiers aérostiers expérimentés et énergiques. Elle va travailler avec des Etats-Majors et des troupes qui ont confiance en elle.
Malheureusement, le matériel ne possède pas encore l’homogénéité qu’il trouvera plus tard, et, à côté de compagnies automobiles dotées du treuil 1915, on voit des unités manoeuvrant encore le ballon sphérique avec des treuils à vapeur de campagne. On se rappelle, en effet, que pour renforcer l’aérostation des IIème et IVème armées dans toute la mesure du possible, 8 sections d’aérostiers avaient été créées ou, pour ainsi dire, improvisées en utilisant les treuils à vapeur des anciennes compagnies d’aérostiers de campagne.
A partir du 15 août 1915, tout en continuant à ascensionner et à remplir leurs missions propres, les compagnies déjà en secteur préparent l’arrivée des unités qui viendront renforcer l’aérostation du front d’attaque prévu. A cet effet, elles construisent des baraquements, aménagent des points de campement et d’ascension, construisent des centraux et réseaux téléphoniques, établissent les documents des nouvelles unités, étudient des itinéraires d’avance, etc...
L’organisation du réseau téléphonique de l’Aérostation fut l’objet des plus grands soins dans chaque armée, et reçut un développement inaccoutumé.
En particulier, à la IVème armée, on construisit un réseau d’aéronautique, faisant communiquer dans chaque Corps d’Armée les ballons et les escadrilles entre eux, et les reliant avec le commandement et l’artillerie. A la Ve armée, une ligne téléphonique spéciale, dite "ligne des ballons", reliait entre eux, directement, tous les ballons de l’armée.
Avant le déclenchement de l’attaque, les ballons, favorisés d’ailleurs, par un temps splendide, prennent une large part à la préparation d’artillerie.
Du 21 au 26 septembre, la 24ème compagnie règle ou contrôle 112 tirs et repère 76 batteries ennemies (dont 28 réglages exécutés et 23 batteries repérées dans la seule journée du 23 septembre). Du 1er au 30 septembre, la 34ème compagnie exécute pour le compte de l’AD 41 et de l’AD 42, 103 réglages ou contrôles de tirs et repère 94 batteries ennemies en action.
Les principales observations de la bataille :
Des nombreuses observations dues aux ballons pendant la bataille de Champagne, nous nous bornerons à signaler les suivantes :
Le 9 août 1915 à 17 h. 05, un observateur de la section de la 24ème compagnie (MdL Mallet), signale un régiment ennemi à la sortie ouest du village de Rouvroy. Plusieurs batteries ouvrent sur cet objectif un feu réglé par l’observateur lui-même. Le régiment est dispersé et l’ennemi fuit de tous côtés. Le 25 septembre, le Slt observateur Staehlé, de la section de la 45ème compagnie, repère un groupement d’artillerie de campagne ennemi mal abrité. Il règle le tir sur ce groupement et voit les caissons sauter dans l’ordre même où ils sont rangés, un à un, jusqu’au 18ème et dernier. Malheureusement, le 25 septembre, jour de l’attaque, les circonstances atmosphériques contrarièrent, l’action des ballons et ceux-ci ne purent suivre la progression de notre infanterie. Nos troupes conquirent la première position ennemie sur un front de plus de 20 kilomètres, enlevant 25.000 prisonniers et 150 canons. Mais leur effort se brisa sur la seconde position.
Les aérostiers, après un bond en avant de quelques kilomètres, reprirent leur travail d’observation avec une énergie renouvelée par ces premiers succès de nos armes.
Les grands principes d’emploi de l’aérostation élaborés dans la période des débuts, puis mis au point en Artois, furent appliqués en Champagne. En outre, un certain nombre d’idées nouvelles datent de cette époque. La liaison de l’aérostation avec les grandes unités devint plus intime. Les ballons furent mis à la disposition des CA. Chaque corps d'armée engagé dans la bataille disposant d’un ballon. Cette mesure préludait à l’affectation organique d’une compagnie d’aérostiers à chaque corps d'armée, organisation qui fut réalisée dans le courant de 1916.
Ballons d'armée et nouvelle organisation :
Une autre particularité de l’emploi des ballons en Champagne fut la désignation de ballons dits "ballons d’armée". Ils étaient souvent appelés aussi "ballons de commandement". A la IIème Armée, ce fut la section de la 35ème compagnie qui fut utilisée comme "ballon d’armée".. Ces ballons, placés sensiblement au centre de la ligne de bataille, étaient reliés directement au P.C. de l’armée et avaient pour mission de renseigner l’Etat-major sur la progression de notre infanterie. Sans nous attarder à cette conception du ballon d’armée, qui a évolué par la suite, il est intéressant de constater en passant cette preuve nouvelle de la confiance que le commandement accordait à l’observation en ballon.
Nous avons déjà signalé ci-dessus la désignation dans chaque armée d’un officier aérostier, adjoint au commandant de l’Aéronautique de l’Armée. Cette organisation s’étendra progressivement à toutes les armées.
Enfin, l’expérience de la bataille de Champagne conduisit à prévoir l’organisation d’une Aéronautique de Corps d’Armée, opérant en liaison étroite avec le commandement et l’artillerie du Corps d’Armée. C’est cette même idée qui fut reprise quelques mois plus tard à Verdun, à l’occasion de la création des secteurs aéronautiques.
Jusqu’en septembre 1915, l’ennemi avait attaqué nos ballons uniquement au moyen de tirs fusants sur le ballon, et surtout de tirs percutants sur le treuil. A cet effet, l’installation des ballons en Champagne comportait généralement la création, d’un abri de treuil au point d’ascension. En outre, des déplacements rapides, des manoeuvres appropriées permettaient généralement de soustraire le ballon et le treuil à l’effet de ces tirs.
Attaques des ballons par l'aviation :
C’est en octobre 1915 qu’eurent lieu les premières attaques de nos ballons par les avions ennemis. Le 9 octobre, le ballon de la 20ème compagnie (IIème armée) est attaqué par un avion ennemi. L’observateur, MdL Schmitt, ne répond plus aux appels téléphonés. Le ballon est bientôt la proie des flammes. Son mouvement de descente s’accélère d’abord, puis se ralentit. Les godets d’orientation ont formé parachute et amortissent la descente. Le ballon s’abat sur le sol et achève de se consumer. Le MdL Schmitt, est grièvement brûlé au visage et aux mains, et a une cuisse fracturée. Transporté au village de Somme-Suippes, il est immédiatement décoré de la médaille militaire.
Quelques jours après, le 14 octobre, le ballon de la 34ème compagnie (IVème armée) est en ascension près de Jonchery. Un avion allemand s’en approche à la faveur d’un nuage et l’incendie au moyen de fusées lancées sur le ballon de très près, avec un pistolet signaleur. L’observateur, MdL Roze, trouve une mort glorieuse dans la chute.
Le 15 octobre, le ballon de la section de la 34ème compagnie (IVème armée) est également attaqué par un avion. L’observateur, Ltt Peyronnard, se défend à la carabine. L’avion retourne dans ses lignes, sans avoir réussi à incendier le ballon.
A la suite de ces attaques, le GQG provoque immédiatement la construction de parachutes individuels et dote chaque compagnie de 2 mitrailleuses d’autoprotection. Les parachutes individuels furent confectionnés à Chalais-Meudon et distribués très rapidement aux compagnies dans les conditions rappelées ci-dessus. Le parachute de nacelle ne devait faire son apparition qu’au début de 1918. Par contre, il convient de noter que les aérostiers allemands n’avaient pas encore de parachutes au printemps de 1916 à Verdun, ce qui permit à l’aviation française de réussir une attaque d’ensemble de l’aérostation ennemie, au cours de laquelle cinq drachens furent incendiés au moyen de fusées Le Prieur.
Combats des aérostiers :
D’ailleurs, les attaques de nos ballons par le canon et l’aviation ennemis, n’affaiblirent pas le moral de nos observateurs. On peut s'en convaincre par les deux exemples suivants :
Le soldat Dupuis, observateur à la 45ème compagnie, repère une batterie allemande alors que son ballon, traversé d’éclats d’obus de 130 mm, tombe d’une altitude de 700 mètres, faisant ainsi preuve d’un sang-froid et d’un courage remarquables.
Le Slt Guillotin, de la section de la 45ème compagnie, témoin de la destruction d’un ballon voisin, refuse de se laisser ramener près du sol, puis attaqué lui-même par un autre avion, l’oblige à coups de carabine de s’éloigner, et continue son observation. Il fera l'objet d'une citation à l’ordre de la IVème Armée, en date du 27 octobre 1915.
Bataille de Verdun en février 1916 :
Le 21 février 1916, devant Verdun, à la suite d’une brève et brutale préparation d’artillerie, l'infanterie allemande se lance à l’assaut de nos lignes, qu’elle emporte et dépasse sur un front de 10 kilomètres, marchant ensuite librement sur notre place forte, jusqu’au moment où de nouvelles forces françaises, appelées en toute hâte, viennent héroïquement lui barrer la route.
Dans cette région fortifiée de Verdun, où brusquement la bataille faisait rage, quatre ballons seulement ascensionnaient (28ème, 31ème, 52ème et 59ème compagnies). Ils étaient placés sous le commandement du Cne Renaux, désigné depuis peu au commandement de l’aérostation de la RFV (région fortifiée de Verdun).
Au début de l’attaque, et pendant plusieurs jours consécutifs, chacun de ces ballons fut pris à partie par un canon tirant alternativement un coup fusant sur le ballon et un coup percutant sur le treuil.
Dès la deuxième heure de l’attaque, les circuits téléphoniques furent coupés, anéantis, en dépit du courage et de la conduite souvent héroïque de nos téléphonistes, dont témoigne notamment cette citation à l’ordre de la IIè armée, obtenue par le sous-lieutenant Poussot, alors soldat téléphoniste à la 52è compagnie : "Le 21 février 1916, toutes les lignes téléphoniques reliant le ballon à l’artillerie lourde étant coupées, s’est présenté volontairement pour porter un pli urgent au commandant de l’artillerie dans un village soumis à un violent bombardement. Dans la nuit du 21 au 22, ayant, reçu l’ordre de réparer toutes les lignes, s’est donné comme mission de réparer la plus exposée. Dans la journée du 22, toutes les lignes étant de nouvelles coupées, s’est encore exposé pour réparer la plus importante. A été gravement blessé par un éclat d’obus.."
Cependant, les ballons parvinrent à se relier directement avec certains groupes d’artillerie et réussirent quelques observations de contre-batterie.
Le 22 février, les 47ème et 48ème compagnies automobiles, qui se trouvaient au Centre d’instruction d’aérostation d’Aubigny, arrivent à Verdun, par ordre du GQG, pour y renforcer l’Aérostation de l’Armée.
Comme nous l’avons dit, cette aérostation était commandée par le Cne Rénaux, qui, avec le plus grand sang-froid, assurait le repli de ses compagnies, tout en s’efforçant d’assurer l’observation. Cette mission fut remplie d’une façon remarquable par les 47ème et 48ème compagnies d’aérostiers. Le 24 février 1916, la 47ème compagnie (commandant de compagnie : Cne Mandin; observateur : Slt Tourtay), ascensionne à 2 kilomètres au nord du fort Saint-Michel et à 7 kilomètres des lignes ennemies.
Le même jour, la 48ème compagnie (commandant de compagnie : Ltt Ghesquière ; observateur : Slt Guillotin), est en ascension au fort de Marre, également à 7 kilomètres environ des Allemands. Ce jour-là, l’ennemi poursuit son avance en direction de Verdun. Dès 13 heures, de nombreux convois et échelons d’artillerie passent à proximité des ballons 47 et 48, refluant sur Verdun. En dépit de cette situation vraiment critique, les Slt Tourtay et Guillotin continuent leur mission avec calme et, de 9 heures à 16 heures, signalent au commandement l’avance progressive des Allemands et renseignent l’artillerie dont ils observent les tirs de barrage. Ils ne quittent la nacelle que lorsque la visibilité ne permet plus le travail d’observation.
A quelqu’un qui le prévenait de l’avance ennemie, le Cne Mandin répondit : "Je le sais ; l’observateur du ballon les voit et règle des tirs pour les arrêter."
Ce beau sang-froid et la vue des ballons demeurant sur leur position sans rétrograder, sont d’un effet moral excellent et contribuent grandement à raffermir des confiances parfois ébranlées. A 19 heures, les ballons 47 et 48 ne sont plus qu’à 3 kilomètres des lignes allemandes. Alors seulement, ces deux belles unités organisent leur repli, par échelon, pendant la nuit. Dès le 24 février, le Cne Rénaux était secondé avec le plus grand dévouement par le Cne Muiron, détaché de la Ière armée par le GQG, et qui partagea avec lui le mérite d’avoir tiré le meilleur parti de cette situation difficile.
Au début de mars, en raison de l’ampleur prise par la lutte devant Verdun, le lieutenant-colonel Barès, commandant de l’Aéronautique au GQG, prend le commandement de l’Aéronautique de l’Armée de Verdun. Il désigna le Cdt Saconney pour prendre le commandement de l’aérostation et lui adjoignit le Cne Delassus, qui fut détaché à cet effet de la Xeme armée. Cette organisation exceptionnelle dura jusqu’en avril. Le Cne Muiron prit alors le commandement de l’aérostation de la IIème armée. Dont il avait déjà commandé l’aérostation au cours de l’offensive de Champagne. Affecté à l’aérostation du GQG en juin 1916, le Cne Muiron fut remplacé devant Verdun par le Cne Rénaux.. Puis, au début de juillet, le Cne Rénaux reprit le commandement de l’Aérostation de l’Armée de Verdun, qu’il devait continuer à exercer, avec une véritable maîtrise, jusqu’à la fin de la campagne.
Cependant, nos troupes se sont ressaisies. De part et d’autre, c’est maintenant une lutte d’artillerie sans merci, un pilonnage terrible, un écrasement formidable des positions adverses. Et pendant tout le temps que dura ce duel homérique, qui fut la gloire de l’armée française, les aérostiers se dépensèrent sans compter et furent pour l’artillerie des auxiliaires d’autant plus précieux que les circonstances du combat ne permettaient guère l’observation terrestre. Les réglages de tirs, les repérages de batteries, quelquefois même des déclenchements de tir de barrage se succédèrent presque sans interruption, malgré les attaques ennemies et des conditions atmosphériques souvent très défavorables. Le signal de déclenchement du tir était donné, le jour au moyen d’une flamme rouge larguée sous la nacelle, la nuit à l’aide d’un projecteur en action près du treuil.
C’est ainsi, pour ne donner qu’un exemple, que du 15 mars au 20 avril, le ballon 34 signala 259 batteries ennemies en action et effectua 260 réglages ou contrôles de tirs. De même, le commandement fit très souvent appel aux ballons pour obtenir des renseignements sur la marche et les incidents de la bataille, et ces missions furent souvent remplies d’une façon remarquable. C’est au cours de la bataille de Verdun que, pour la première fois, des observateurs en ballon purent apercevoir les fantassins en première ligne, soit en mouvement, soit immobiles dans les tranchées ou trous d’obus.
Exemples d'observations :
Quoique les observations de cette nature exigent un temps clair, un terrain dégagé de fumées et, de la part de l’observateur, une grande acuité visuelle, les journaux de marche des compagnies engagées à Verdun en donnent de nombreux exemples. En voici quelques-uns :
Le 21 mars 1916, le Slt Tourtay, de la 30ème compagnie, aperçoit les fantassins allemands attaquant nos positions, entre le fort de Vaux et le ravin de la Caillette. Il téléphone : "15 h. 30 : Les Allemands allongent le tir de leur artillerie entre Vaux et la Caillette. 15 h. 40 : Les Allemands, sortis de leurs tranchées, marchent sur la parallèle la plus voisine du fort."
Quelques temps après, le 2 avril, le même observateur voit les allemands descendre les pentes de Hardaumont : "16 h. 10 : L’artillerie allemande allonge son tir au sud du ravin de la Caillette. L’infanterie attaque entre, le ravin de la Caillette et le ravin de la Fausse-Côte. Elle avance sur le ravin du Bazil. 16 h. 35 : L’infanterie allemande a pris pied sur la voie du chemin de fer de Vaux à Fleury, au sud du ravin de la Caillette."
Ce jour-là, la situation devant Verdun est critique. Faudra-t-il, d’après le renseignement fourni par le ballon, déclencher un tir de barrage sur la ligne signalée, au risque de massacrer nos troupes ? Cruelle alternative.
Le Slt Tourtay jure sur son honneur qu’il a bien vu. Notre feu se déclenche. Des prisonniers ramenés le lendemain à la suite d’une contre-attaque française, déclarent que notre tir de barrage a jonché la voie ferrée de cadavres allemands. Et c’est ainsi que, par l’oeuvre d’un aérostier, la route de Fleury fut barrée. Le 22 mai 1916, le ballon 47 fut chargé de suivre la progression de notre infanterie au cours de l’attaque du fort de Douaumont. L’observateur, sous-lieutenant Tourtay, transmit les renseignements suivants : "11 h. 10 : Des renforts ennemis débouchent des tranchées S. de Blanzée et du sud de Moranville. 11 h. 40 : L’ennemi tire violemment dans les ravins de la Caillette et du Bazil, il ne tire pas à l’ouest et au sud du fort de,Douaumont. 11 h. 50 : Les fantassins des 36ème, 129ème et 74ème régiments sont sortis sans difficulté des tranchées, ils progressent, tir de barrage peu violent. 11 h. 55 : Le 36e régiment occupe la tranchée de Morchée. 12h. 00 : Nos fantassins occupent les points 323, 324, 325 et progressent vers 25.10. Bombardement violent avec gros calibre sur nos tranchées de 1ère ligne. 12 h. 20 : Le tir allemand augmente à l’ouest du ravin de la Caillette. 12 h. 26 : Nos fantassins sont à l’entrée du fort de Douaumont et pénètrent dans le fort. 12 h. 40 : Nous occupons le fossé oue.st du fort de Douaumont. 13h. 05 : Situation : grandes lignes de l’avance, points 220, 221, 323 et fort de Douaumont."
Dès l’arrivée de la IIème armée, le front de Verdun avait été divisé en secteurs, chaque secteur correspondant généralement à un Corps d’Armée. En principe, chaque corps d'armée fut doté d’un ballon par division d'infanterie, plus un ballon pour son artillerie lourde.
|
Secteur aéronautique d'armée :
Les ballons d’un même secteur furent placés sous le commandement d’un officier aérostier, adjoint au commandant de l’aéronautique du secteur. Ainsi, se réalisa pour la première fois, l’idée du secteur aéronautique de corps d'armée, qui avait pris naissance en septembre 1915, au cours de la bataille de Champagne.
Cette organisation, réalisée dès la préparation de la bataille de la Somme, fut conservée jusqu’à la fin des hostilités et donna de très bons résultats, en établissant, notamment, une liaison plus intime entre aviateurs et aérostiers et en permettant une répartition rationnelle du travail entre avions et ballons.
En outre des ballons affectés aux Corps d’Armée, deux ballons furent employés comme ballons d’armée, l’un sur la rive droite et l’autre sur la rive gauche de la Meuse. N’étant pas astreints à l’exécution des missions habituelles d’artillerie et de liaisons, ces ballons étaient spécialement chargés de l’observation de la zone arrière du champ de bataille et de la circulation dans la zone ennemie sur routes et voies ferrées. Cette mission fut remplie parfois de la manière la plus fructueuse.
Observations des ballons d'armée :
C’est ainsi que, le 19 juin 1916, de 6 heures à midi, le ballon 52, signala 56 trains en circulation sur les voies ferrées de Longuyon-Conflans, Dommary-Baroncourt, Audun-le-Roman. Ce renseignement permit de prévoir l’attaque qui se déclencha le lendemain 20 juin, sur la rive droite de la Meuse, et de prendre les dispositions voulues pour la faire échouer.
A Verdun, en Argonne, partout où les aérostiers furent à l’oeuvre, de février à juin 1916, observateurs, personnel de manoeuvre, téléphonistes, mécaniciens..., rivalisèrent d’entrain, d’énergie, de courage.
Le Slt Levassor d'Yerville :
Le 16 mars 1916, le câble du ballon 68 est coupé par un avion. Le ballon part à la dérive vers les lignes allemandes. L’observateur, Slt Levassor d’Yerville, détruit les papiers de bord, puis, préférant le risque de la chute à la captivité, saute en parachute d’une hauteur de 3.200 mètres. Notons que, depuis la distribution des parachutes aux compagnies d’aérostiers, c’était la première utilisation qui en était faite par un observateur aux armées. Le sous-lieutenant d’Yerville réussit à prendre pied près du passage à niveau de Charny, à 300 mètres des premières lignes. Le soir venu, il rend compte à ses chefs des observations qu’il a effectuées pendant sa longue descente en parachute.
Le Slt Ternynck :
Et voici l’admirable citation qui récompensa la conduite du Slt Ternynck, le 20 mars 1916. Ce jour-là, alors qu’il était en observation dans son ballon, le Slt Ternynck fut pris par un vent violent soufflant en rafales, qui endommagea l’appareil, renversa à terre la voiture treuil et enraya le câble, dont la rupture devint imminente. Alors qu’il se trouvait ainsi dans la situation la plus critique, il s’aperçut que le groupe de manoeuvre qui essayait de ramener le ballon était pris à partie par une batterie ennemie; il découvrit cette batterie et, au cours de sa périlleuse descente, régla par téléphone un tir de contre-batterie qui permit de l’annihiler.
En mai 1916, le ballon 77 est attaqué par canon. Des obus de gros calibre éclatent à moins de 20 mètres du treuil. Celui-ci, par suite d’une panne de moteur, ne peut se déplacer. Le Sgt mécanicien Favier, méprisant tout danger, assure avec le plus grand sang-froid, la réparation du moteur et réussit à sortir le ballon de la zone dangereuse.
Le 23 juin 1916, le Slt Bonnier, de la 40ème compagnie, observe pendant 16 heures consécutives, par un temps particulièrement pénible et malgré un commencement d’insolation, donnant ainsi un bel exemple d’endurance et d’énergie.
Voici encore, d’après une citation à l’ordre de l’armée, un autre bel exemple d’énergie. Le 19 mars, alors que la corderie de son ballon se rompait sous la violence du vent, le Slt Armand Legube se jette en parachute et subit à l’atterrissage un traînage de 1200 mètres. Trois jours après, le 22 mars, son ballon étant incendié par la foudre, Legube se jette à nouveau en parachute et se blesse à la main droite et à la face. Malgré ces deux accidents, le Slt Legube n’en continue pas moins son service d’observateur.
Terminons cette trop rapide et incomplète énumération de brillants faits d’armes en rendant hommage à la mémoire de l’un des plus vaillants observateurs en ballon, le Ltt Tourtay, de la 30ème compagnie. Observateur dès le début de la guerre, le lieutenant Tourtay rendit d’exceptionnels services sur le front de Verdun par l’efficacité de ses réglages et surtout par la précision de ses renseignements sur les fluctuations de la ligne de bataille, la préparation et l’exécution des attaques de l’ennemi. Nous avons vu ci-dessus, l’extrême importance qu’acquirent certaines de ces observations, en raison de leur nature, de leur précision, des déductions qu’on en pouvait tirer et de la confiance méritée qu’il avait su inspirer au commandement.
Décoré de la médaille militaire en 1915, chevalier de la Légion d’honneur en 1916, titulaire de cinq citations à l’ordre de l’armée, le lieutenant Tourtay, après avoir totalisé plus de 1200 heures d’ascension en ballon captif, passa dans l’aviation où il trouva une mort glorieuse au retour d’une reconnaissance dans les lignes ennemies.
L'orage du 5 mai 1916 :
Le 5 mai 1916, de nombreux ballons français se trouvaient en observation, quand, dans l’après midi, un grain orageux d’une violence inouïe balaya le front depuis l’Aisne jusqu’aux Vosges. L’arrivée de ce grain, qui se déplaçait du Sud au Nord avec une vitesse d’environ 60 km/h, ne put malheureusement être signalée à temps aux compagnies d’aérostiers. Cependant, quelques observateurs, s’étant rendu compte de l’aspect inquiétant du ciel, demandèrent à être ramenés. Tel fut le cas du Slt Tourtay. Mais la plupart des ballons furent surpris par l’ouragan.
Quelques-uns pourtant purent être ramenés, soit par le treuil, soit au moyen des tiraudes. Mais vingt-quatre d’entre-eux furent emportés par le vent, parmi lesquels vingt et un franchirent les lignes ennemies. Malgré la surprise, malgré le danger, tous nos observateurs jetèrent leurs documents par dessus bord à l’intérieur de nos lignes. Ce fut là leur premier geste, et ce geste révèle une conscience du devoir et un sang-froid dignes des plus grands éloges.
Vingt-huit observateurs furent emportés par la tempête (quatre ballons portant chacun deux observateurs).
Vingt-quatre ballons emportés :
Sur ces vingt-huit observateurs, sept franchirent les lignes avant d’avoir pu sauter en parachute. Un ballon fut déchiré mais tomba assez lentement pour permettre à l’observateur d’atterrir sain et sauf. Dix-huit observateurs sautèrent en parachute, onze atterrirent normalement dans nos lignes, deux atterrirent chez l’ennemi. Il s'agit des Ltt François Couderc de Saint-Chamant (36ème compagnie) et de Champeaux de la Boulaye (56ème compagnie). Le Ltt Couderc de Saint-Chamand observait avec le Ltt Geudelin. Ce dernier sauta en parachute et atterrit dans nos lignes avec de fortes contusions. Le Ltt Couderc de Saint-Chamant sauta à son tour mais fut happé par la queue d’orientation et entraîné dans les airs. Il parvint à se rétablir et à s’asseoir dans un godet. Il exécuta ainsi une ascension libre impressionnante jusqu’en Belgique où il atterrit en se brisant la clavicule. Dans des conditions analogues, le Ltt de Champeaux de la Boulaye fut emporté dans les lignes ennemies et se blessa à l’atterrissage. Deux furent gravement blessés, notamment le Sgt Thibaut de la 57ème compagnie. Ce sous-officier fut décoré de la médaille militaire sur son lit de l'hôpital de Mourmelon, par le général Gouraud, le lendemain 6 mai. et finalement, deux autres, le Slt Calderon et le Sgt Spiess, furent tués à l’atterrissage après un effroyable traînage sur un sol chaotique et semé d’obstacles ; en outre, le MdL Salats, fit une chute mortelle de 1000 mètres, la corde de son parachute ayant été sectionnée par les fils téléphoniques.
Enfin, l’extrême violence de la bourrasque projeta un observateur dans le vide (Adj Contentin) et provoqua la rupture d’une suspension de nacelle et la mort de l’observateur (Ltt Bassetti). Si, grâce au sang-froid de nos observateurs, aucun document ne tomba entre les mains de l’ennemi, l’ouragan du 5 mai 1916 nous causa cependant de lourdes pertes : 24 ballons détruits, cinq morts (Ltt Bassetti, Slt Calderon, Adj Contentin, Sgt Spiess, MdL Salats), deux blessés, neuf observateurs prisonniers.
La bataille de la Somme de juillet à novembre 1916 :
A la date du 1er juillet, plus des deux tiers de l’armée française ont combattu pour sauver Verdun et le commandement français ne dispose plus pour l’offensive de la Somme que de moyens réduits. Aussi le Groupe d’armées du Nord ne peut-il attaquer tout d’abord qu’avec la 6ème armée forte de 12 divisions sur la rive nord de la Somme en jonction au Nord avec les Anglais qui lancent 26 divisions sur un front de 25 kilomètres.
Mais, peu à peu, par suite de l’arrêt des attaques allemandes sur la Meuse, l’effort français va s’amplifier. La 10è armée entière entre en action au sud de la Somme et, lorsque les Alliés, faute d’avoir obtenu la rupture, suspendront leurs opérations, à la fin de novembre, 44 divisions, la moitié presque de l’Armée française, auront participé à la bataille. Ces 44 divisions ont fait près de 50.000 prisonniers, pris 200 canons. Anglais et Français se sont emparés d’un terrain de 240 kilomètres carrés, supérieur de 100 kilomètres à la zone maximum que les Allemands ont conquise sous Verdun. Mais surtout, ils ont brisé la volonté de l’ennemi et l’ont usé dans une mesure telle qu’il va, moins de quatre mois plus tard, refuser la lutte sur tout le front qui s’étend de l’Ancre au cours de l’Oise.
L’offensive de la Somme fut en réalité une succession d’offensives à objectifs limités, chacune de ces offensives étant précédée d’une très forte préparation d’artillerie qui durait généralement plusieurs jours.
Ordre de bataille du 30 juillet 1916 :
L’ordre de bataille à la date du 30 juillet 1916 comportait la répartition suivante des troupes d’aérostation :
- 6ème armée : Commandant de l’aérostation : Cne Bénézit.
Cinq secteurs de Corps d’Armée auxquels sont affectées les : 68ème, 39ème, 50ème, 62ème 76ème, 24ème, 59ème, 69ème, 75ème, 80ème, 86ème, 51ème, 55ème, 88ème compagnies d’aérostiers, soit 14 compagnies.
- 10ème armée : Commandant de l’Aérostation : Cne Delassus.
Quatre compagnies d’aérostiers, les 84ème, 91ème, 49ème et 63ème compagnies, réunies en un seul secteur de Corps d’Armée.
Le 20 août 1916, les limites des 6ème et 10ème armées furent modifiées, ce qui amena un remaniement corrélatif de l’organisation aéronautique. Dix ballons furent alors affectés à la 6ème armée, vingt à la 10ème armée.
A la 6ème armée, faute d’un personnel suffisamment nombreux, les commandants d’aérostation de Corps d’Armée furent choisis parmi les commandants de compagnie. Ils conservèrent le commandement direct de leur unité et se consacrèrent, en outre, à la surveillance des autres compagnies de leur secteur.
Par contre, à la 10ème armée, le commandant de l’aérostation du Corps d’Armée n’avait pas le commandement d’une compagnie, et vivait au secteur aéronautique de Corps d’Armée.
Comme à Verdun, les compagnies d’aérostiers furent réparties à raison d’un ballon par division engagée et de un ou deux ballons pour l’artillerie lourde du Corps d’Armée, suivant l’importance du secteur et la répartition de l’artillerie lourde sur le terrain.
Au moment des attaques, chaque ballon divisionnaire devenait "ballon de commandement" et les ballons d’artillerie lourde assuraient le service de contre-batterie.
A la 6ème armée, les deux ballons désignés au début de l’offensive comme ballons d’armée (39ème et 55ème compagnies) furent remis à la disposition de leur Corps d’Armée. Par la suite, chaque ballon eut pour mission de recueillir dans sa zone d’observation tous les renseignements susceptibles d'éclairer le commandement. Dans ce pays de plaines, aux zones défilées peu nombreuses, les ballons travaillèrent d’une manière très efficace pour l’artillerie, accumulant réglages sur réglages, participant sans cesse à la contre-batterie, déployant toujours une inlassable activité.
Le 1er juillet 1916, jour d’attaque, la 20ème compagnie effectue 26 réglages, dont certains sur des emplacements de mitrailleuses. Du 31 août au 5 septembre, le ballon 41 exécute journellement 25, 30 et même, le 2 septembre, 35 réglages. Le Sltt Le Mare, de la 50ème compagnie, ayant vu se garer à Maurepas un train de munitions, alerta une pièce de 16 de marine, dont le tir parfaitement réglé, incendia le train entier.
Batteries desservies par les ballons du 20ème corps d'armée :
Voici, à titre d’indication, le nombre de batteries desservies par les ballons du 20ème Corps d’Armée (6ème armée) :
- 50ème compagnie (ballon d’A. L.) : 20 batteries de contre-batterie dont 2 de 75. Quatre batteries d’ALGP à 2 pièces.
- 68ème compagnie (ballon divisionnaire) : 5 groupes de 75, 2 groupes de 155 C, 2 groupes et 1 batterie de 220, un groupe de 280.
- 39ème compagnie (ballon divisionnaire) : 6 groupes de 75, 2 groupes de 155 C, 2 groupes de 220, 1 batterie de 280.
Malgré la prédominance des missions d’artillerie, les missions de liaison et de surveillance générale furent remplies très efficacement et les ballons transmirent de nombreux renseignements sur le jalonnement de notre 1ère ligne, la physionomie générale du champ de bataille, la circulation des trains, des convois, le repérage des drachens ennemis au campement.
C’est ainsi que le 19 septembre, le ballon 39 (commandant de compagnie, Ltt Combrond, observateur, Slt Arondel) signala le passage de 35 trains sur les voies ferrées au nord de Péronne. Ce renseignement fut unique, mais il permit de prévoir l’attaque que les Allemands dirigèrent le lendemain sur Bouchavesnes et qui fut leur plus grosse réaction pendant toute la bataille de la Somme.
Destruction de cinq Drachens :
Et c’est encore la 39ème compagnie (observateur : Slt Brillaud de Laujardière) qui, pendant la bataille de la Somme, repéra au campement cinq Drachens ennemis et régla sur eux un tir de 16 de marine à une distance de 15 à 17 kilomètres, les incendiant successivement après un nombre de coups variant de 6 à 13 pour chaque opération. Ces 5 drachens furent incendiés : le 1er septembre 19166 à 16 h. 40, avec 7 coups tirés - le 22 septembre 1916 à 18 h. 25, avec 13 coups tirés - le 28 septembre 1916 à 13 heures, avec 8 coups tirés - le 16 octobre 1916 à 13 heures, avec 6 coups tirés - le 23 novembre 1916 à 13 heures, avec 8 coups tirés.
La bataille de Verdun avait d’ailleurs démontré et la bataille de la Somme confirma qu’un bon observateur en ballon pouvait rendre les plus grands services au commandement par ses renseignements tactiques et par la possibilité de situer la position de l’infanterie au cours de la bataille. Sauf au début de l’offensive où le temps, exceptionnellement brumeux, ne permit pas une observation efficace, la liaison d’infanterie fonctionna remarquablement, en particulier au cours de nos attaques du mois d’août.
Dans presque toutes les compagnies et grâce au rapprochement des points d’ascension, les observateurs purent suivre à la jumelle les mouvements de l’infanterie, recevoir des messages envoyés des premières lignes par projecteurs et transmettre rapidement ces divers renseignements.
Observations du Slt Brillaud de Laujardière :
Voici l’observation, par le Slt Brillaud de Laujardière (39ème compagnie) de la progression de nos troupes vers Maurepas, le 12 août 1916 : "17 h. 17 : Notre infanterie sort des tranchées au croisement des chemins, à l’est de la Lipa (cote 92), se déploie en tirailleurs et avance. 17 h. 19 : Les deux premières vagues sont sorties au nord de la Lipa (en 64-34), elles avancent en tirailleurs. 17 h. 20 : La première vague a dépassé le point 66-35. 17 h. 22 : La troisième vague est sortie à la cote 92, elle se déploie et avance. 17 h. 24 : La deuxième vague aborde le chemin n° 2, à l’ouest des Cloportes et l’occupe. 17 h. 29 : L’infanterie pénètre au sud-ouest de Maurepas. 17 h. 30 : Nous tenons toute la lisière de Maurepas, du point 335 jusqu’à la lisière sud du village. On voit nettement nos troupes occupant toute la ligne des tranchées des Moustiques, Araignées, Cloportes inclus, et poussant en avant des reconnaissances dans les trous d’obus."
Répartition et fonctionnement technique des compagnies :
Au point de vue de la répartition et du fonctionnement technique des compagnies d’aérostiers, deux faits essentiels sont à retenir.
. Le premier fut l’extraordinaire densité de ballons réalisée. A la 6ème armée, 14 ballons étaient répartis sur un développement linéaire de 24 kilomètres, compté suivant le front (de forme convexe très accentuée à cet endroit) et de 10 kilomètres seulement, compté suivant la ligne des points d’ascension, soit une moyenne d'un ballon tous les 700 ou 800 mètres.
Dans son rapport, sur la bataille de la Somme, le général allemand F. von Below, signale que les ballons français se suspendaient sur les lignes comme des grappes de raisin et que leur vue causait un effet très déprimant sur les troupes allemandes. Cette impression était encore fortifiée par le fait qu’en raison de la supériorité de notre aviation et du succès de notre offensive, les ballons ennemis se tenaient éloignés et à une faible altitude, tandis que nos ballons étaient très rapprochés et à une bonne altitude d’observation. D’ailleurs, il apparut que la densité de ballons obtenue constituait un maximum qu’il était inutile et peut-être dangereux de dépasser. C’est ainsi que, le 30 août 1916, le ballon 79 s’étant trop rapproché du ballon 20, les godets d’orientation des 2 ballons s’enroulèrent mutuellement, autour des câbles. Le ballon 79, fortement endommagé, ne put être dégagé qu’après deux heures d’efforts. Pendant cette longue et dangereuse opération, l’observateur, Ltt Doncieux, fit d’ailleurs preuve d’un beau courage en continuant l’observation et en repérant 16 batteries ennemies.
. La deuxième remarque qui s’impose fut la situation extrêmement avancée des points d’ascension. A la 6ème armée, la distance des points d’ascension aux lignes était comprise entre 4,5 à 5 kilomètres. Le point d’ascension le plus rapproché (50ème compagnie) fut distant des lignes de 4,4 km, le plus éloigné (51ème compagnie), de 5,1 km. A la 10ème armée, la distance moyenne d’observation fut de 5 à 6 kilomètres. Les points d’ascension ne comportaient aucun aménagement spécial. Cette hardiesse put réussir grâce, d’une part, à la suprématie incontestable de notre aviation pendant les premières phases de la bataille et, d’autre part, grâce au caractère offensif de nos opérations qui absorbait la plus grande partie de l’artillerie ennemie dans des missions de barrage et de contre-batterie.
Elle n’en fait pas moins le plus grand honneur, à l’audace, à l’esprit d’initiative et à l’énergie du Cne Benezit, d’abord, et du Cne Delassus, ensuite, ainsi qu’au courage et au dévouement de nos observateurs en ballon et de nos aérostiers. Si, en effet, les attaques par avions furent relativement peu fréquentes, les attaques par canon furent, sinon au début, du moins par la suite, très nombreuses et très efficaces. Il fallut donc à notre aérostation beaucoup d’énergie pour se maintenir sur les positions extrêmement avancées qu’elle occupait.
Les attaques de ballons :
Pendant, la bataille de la Somme, les attaques de ballon par avions ennemis furent assez rares. Seul, le ballon 55 fut incendié le 9 juillet. L’observateur, l'Adj Marcel Mallet, fit une chute mortelle.
Par contre, nos ballons furent fréquemment l’objet de tirs très efficaces de l’artillerie ennemie et malgré l’exécution de manoeuvres appropriées, malgré une contre-batterie vigilante et bien organisée, un certain nombre d’entre eux (20ème, 24ème, 69ème, 75ème compagnies) furent avariés et obligés d’atterrir.
Le 3 septembre 1916, le câble du ballon 59 fut même coupé par un éclat d’obus, et l’aérostat, libéré, fut emporté dans les lignes ennemies. Un peu plus tard, le 16 octobre, le ballon 49 eut son câble également coupé par un éclat d’obus. L’observateur, Slt Azais descendit en parachute. Le ballon traversa les lignes allemandes, puis vint atterrir dans l’Aisne, dans les lignes françaises.
Le 29 août 1916, les ballons 24 et 46 furent incendiés par la foudre. Le Sgt Breuil (24ème compagnie), grièvement blessé à l’atterrissage en parachute, ne songea, dès qu’il fut revenu d’un évanouissement, qu’à donner des renseignements sur les batteries qu’il avait repérées quelques instants avant l’accident. Il fut à cette occasion, décoré de la médaille militaire.
Au cours de la bataille de la Somme, les compagnies d’aérostiers établirent des réseaux téléphoniques très étendus, comprenant parfois jusqu’à 100 kilomètres de fil pour une seule compagnie. Ces réseaux comportaient principalement des lignes de jonction avec les centraux d’armée et des lignes directes avec les groupements d’artillerie voisins. Les résultats furent excellents. C’est ainsi que le 10 septembre 1916, le ballon 49 réussit à contrebattre et à réduire au silence dix batteries ennemies dans les 5 ou 10 minutes qui suivirent l’indication "vue en action".
En outre, dans chaque Corps d’Armée, on établit un central aérostier bien aménagé où deux secrétaires téléphonistes assuraient en permanence les communications téléphoniques des ballons. Ces centraux aérostiers, qui étaient suivant le cas, convenablement dissimulés ou installés sous des abris, pouvaient servir de poste de commandement au commandant de l’aérostation, notamment les jours d’attaque.
Pour la première fois, la TSF fut employée pour la transmission des renseignements fournis par le ballon. Le 29 juillet 1916, vers 16 heures, la 24ème compagnie apercevant deux batteries en action et ne disposant à ce moment d’aucun moyen de communication téléphonique pour avertir l’artillerie, envoya par TSF, le message suivant : "X.Q. de B.24 — B. T. A... (et cordonnées)". Cinq minutes après, les objectifs signalés étaient contrebattus. Il convient enfin de noter qu’une section de ravitaillement en hydrogène et en matériel aérostatique fut constituée au parc aéronautique des 6ème et 10ème armées, au moyen de camions automobiles et de personnel prélevés sur les compagnies d’aérostiers de campagne. On peut voir dans cette organisation, l’origine des dépôts de tubes qui furent plus tard régulièrement constitués, avec le matériel entreposé à cet effet, dans les éléments d’aérostation des parcs aéronautiques d’armée. Comme en Artois, comme à Verdun, les aérostiers pendant toute la bataille de la Somme, se distinguèrent par leur endurance, leur énergie, leur courage.
Exemples d'actes de bravouves :
Ne pouvant ici rappeler tous les actes de bravoure accomplis au cours de cette période, nous nous bornerons encore à en signaler quelques-uns.
Le 19 juillet, au cours d’une ascension, le câble du ballon de la 88ème compagnie est coupé par un éclat d’obus. Le Slt Maura lance à terre les papiers de bord, provoque et exécute l’atterrissage avant d’avoir atteint les lignes ennemies, puis dégonfle et replie le ballon sous le feu de l’artillerie allemande, donnant ainsi un très bel exemple de présence d’esprit, de courage et de sang-froid.
Le 15 septembre 1910, le ballon 24 est pris à partie par l’artillerie ennemie. Des éclats d’obus endommagent le panier et coupent deux des cordages de la suspension de nacelle. L’observateur, Adj Gabasse, sans se soucier de cette situation particulièrement dangereuse, continue et termine le réglage qu’il avait entrepris.
Le lendemain, 16 septembre, le Slt Dumazedier de la 46ème compagnie est, lui aussi, encadré par un tir fusant ennemi. Le ballon est criblé de trous, la nacelle traversée de part en part par les éclats d’obus. Le Slt Dumazedier n’en repère pas moins la batterie qui a ouvert le feu sur lui. Il la fait contrebattre et réduire au silence, puis tranquillement, il continue son travail d’observation.
Mais, en dehors des observateurs, les aérostiers surent, en maintes circonstances, accomplir brillamment leur devoir. Le 30 juillet 1916, le parc de la 39ème compagnie est bombardé par une escadrille ennemie. Une bombe d’avion incendie un camion et fait exploser les tubes d’hydrogène qu’il contient. Le Cal Sartorio et le MO Champot sont blessés grièvement aux jambes, aux bras et au ventre. Un autre camion a son radiateur crevé en plusieurs endroits et son capot perforé. Son conducteur, le Sol Gaillard, quoique blessé de deux éclats à la cuisse, monte sur le siège, et, malgré ses blessures, conduit sa voiture hors du danger. Et c’est seulement après avoir mis son camion en sûreté qu’il se laisse panser.
La bataille de la Somme fut pour l’Aérostation une des périodes les plus brillantes de toute la campagne. En raison de l’intelligence, de l’entrain et de l’énergie de ses chefs, en raison de la valeur et du courage des observateurs dont plusieurs étaient de tout premier ordre, ainsi que du zèle et du dévouement de tous les aérostiers, en raison, également de notre supériorité matérielle et morale, aérienne et terrestre, en raison enfin de la nature des terrains de la Somme, tout à fait propices à l’observation par ballon, les résultats obtenus par l’aérostation furent considérables et justement appréciés.
Pour terminer, rappelons les termes d’une citation de la 80ème compagnie à l’ordre du 35ème Corps d’Armée : "Par une liaison intime avec le commandement de l’infanterie et de l’artillerie, par une observation continue, malgré le feu de l’artillerie ennemie, par le nombre et l’exactitude de ses réglages, elle prit une part des plus brillantes au succès des attaques de juillet à septembre 1916." Cette citation peut, d’une manière générale, caractériser le rôle des compagnies d’aérostiers qui prirent part à la bataille de la Somme.
Le repli Allemand de mars 1917 :
Depuis la bataille de la Somme, le commandement français avait conservé l’initiative des opérations et pensait poursuivre en 1917 les offensives commencées en 1916. En janvier 1917, trois attaques se préparent, du Nord au Sud : une attaque anglaise en Artois, une attaque française sur le front Roye-Lassigny, une attaque française dans le Soissonnais. Cette dernière attaque visait à rompre le front ennemi entre Reims et le canal de l’Oise à l’Aisne, et à élargir la brèche par une exploitation latérale immédiate.
L’exécution de ces attaques avait été prévue tout d’abord à partir du 1er février, pour les deux premières, et à partir du 15 février, pour la dernière. Mais, en raison de l’importance des travaux à exécuter pour l’équipement du front offensif, on en vint à reculer jusqu’en avril la date des premières attaques. Or, le 17 février, l’ennemi exécute, dans la région de l’Ancre, un recul volontaire, que suit, un mois après, le 17 mars, un repli stratégique de grande envergure, qui l’amène à céder, après dévastation systématique, toute la région située à l’ouest de la ligne Anizy-le-Château, La Père, Saint-Quentin, Vermand, Marcoing, Croisilles.
L’aviation d’observation et les ballons avaient reçu mission de surveiller de très près les indices du repli ennemi. II était indispensable, en effet, que notre commandement fût renseigné aussi exactement que possible et suffisamment à temps sur la situation afin de prévenir et d’exploiter au maximum le mouvement de repli prévu par les Allemands.
Attaques des ballons :
Disons dès maintenant que les ballons s’acquittèrent parfaitement de la mission qui leur était confiée. A partir de février 1917, l’ennemi suit anxieusement nos préparatifs d’attaque et cherche fréquemment à gêner l’observation de ses préparatifs de retraite.
Le ballon 36 est attaqué par avions le 4, puis le 16 mars. Ce jour-là, l’observateur, Sgt Bry, se défend à la carabine avec beaucoup de sang-froid.
Du 11 au 17 mars, les 36ème et 79ème compagnies exécutent des ascensions de nuit qui permettent notamment de signaler les villages en feu. A partir du 11 mars, la 79ème compagnie signale un ralentissement progressif de l’artillerie ennemie, une absence presque totale de réaction à nos tirs de destruction, une circulation plus intense sur les voies ferrées et des incendies de très grosse importance dans les villages de Cuny, Coucy-le-Château, Cuts, Pont-Saint-Mard, Trosly-Loire. Le 16 mars, le ballon 76 signale un repli de l’artillerie ennemie. Il apparaît nettement à l’observateur en ballon que l’artillerie de campagne (77 et 105) tire à bout de portée, et que seuls, les canons de gros calibre n’ont pas encore bougé. Ce renseignement est immédiatement exploité par le 1er Corps d’Armée coloniale qui exécute le soir même, des coups de main sur la ferme Abavent, sur le saillant de Beuvraignes et sur divers ouvrages de défense. Au cours de ces coups de main, les barrages ennemis sont exclusivement fournis par des pièces de gros calibres, ce qui confirme le renseignement du ballon. Le lendemain, nos avions signalent l’absence de fantassins allemands dans les premières lignes. La préparation d’artillerie que la 3ème armée allait déclencher pour la grosse attaque prévue est ajournée, puis supprimée.
Repli sur la ligne Hindenburg :
Le 17 mars, l’ennemi exécute son mouvement de repli, suivi par nos troupes qui entament aussitôt la poursuite. Celle-ci les conduira, au bout d’une dizaine de jours, au contact d’une puissante organisation défensive, déjà baptisée Position Hindenburg. Les ballons doivent suivre et se maintenir à distance d’observation des lignes, tout en restant constamment en liaison avec les postes de commandement de division et de l’artillerie. De grosses difficultés se présentent dans la progression, en raison surtout de la destruction systématique par l’ennemi des carrefours et ouvrages d’art.
Et cependant, les ballons suivent, tantôt au treuil, tantôt à bras, avançant par bonds successifs, élargissant, les brèches des réseaux de fils de fer, contournant les entonnoirs, franchissant de nombreuses nappes téléphoniques, améliorant les ponts, piétinant pendant de longues heures derrière les colonnes embouteillées, sous la pluie, la neige même. C’est ainsi, par exemple, que le 2 avril, la 36ème compagnie parvient à Guiscard, le 3, elle est à Ham. Le 6, elle se rend à Saint-Simon où elle relève la 27ème compagnie; le ballon est campé à Artemps puis transporté, le 8, à 400 mètres de Grand Seraucourt. Les troupes françaises se heurtent aux défenses allemandes de Saint-Quentin. Le 13 avril, elles attaquent la Biette et Moulin-sous-Touvent, mais ne peuvent progresser. L’ennemi a atteint sa ligne de repli et oppose une vive résistance. Déjà son artillerie se fait entendre. Un nouveau secteur s’organise. L’aviation allemande redouble d’efforts et attaque fréquemment nos ballons. Le 26 avril, un avion sortant brusquement d’un nuage pique sur le ballon 36 qui, atteint par des balles de mitrailleuses, s’enflamme aussitôt. L’observateur, Sgt Saudet, fait une chute mortelle d’une hauteur de 900 mètres.
Pendant cette trop brève période de mouvement en avant, les ballons furent encore de précieux auxiliaires du commandement. Malgré les difficultés d’un terrain bouleversé, en dépit de la vigilance des avions ennemis, ils parvinrent à suivre pas à pas la progression de nos troupes et ne cessèrent d’assurer dans les meilleures conditions la surveillance du champ de bataille et le réglage des tirs de l'artillerie. Aussi, malgré les difficultés rencontrées par suite de l’importance des destructions effectuées par l’ennemi, on put se rendre compte, à l’occasion du repli allemand de mars 1917, de l’aptitude des ballons à suivre une progression, même rapide, au contact de l’ennemi. Mais il était réservé à l’année 1918 de mettre en évidence les conditions favorables d’emploi des ballons en période de mouvement.
L'offensive d'avril 1917 :
Au début d’avril, l’offensive projetée s’exécuta aux dates prévues. Elle commença le 9 avril par l’offensive britannique, se poursuivit le 12 avril par l’attaque du Groupe d’Armées du Nord, le 16 avril par l’offensive des VIème et Vème armées, entre Laffaux et le nord de Reims, et enfin, le 17 avril, par l’attaque de la IVème armée sur les monts de Champagne. Partout, les Alliés, d’ailleurs défavorisés par les circonstances atmosphériques, se heurtent à un adversaire qui a renforcé l’occupation de sa première position et rapproché ses réserves. Ils remportent cependant des avantages sérieux, mais, nulle part, la rupture escomptée ne peut être obtenue.
L’offensive repart le 5 mai, au nord de l’Aisne, où les VIème et Xème armées achèvent presque la conquête du Chemin-des-Dames. La Xème Armée avait été intercalée entre les VIèmeet Vème Armées, dans la région de Craonne. A partir de ce moment, l’ère des grandes offensives est momentanément close, mais la lutte se poursuit très opiniâtre et très dure pour la conquête des observatoires et des points d’appui.
L'Aérostation de la 5ème armée :
Dans ce qui suit, nous nous occuperons tout spécialement de l’aérostation de la Vème armée. Les conditions d’emploi des ballons furent sensiblement les mêmes aux VIème, IVème et Xème armées.
A la Vème armée, le déploiement d’aérostation fut préparé et réalisé progressivement pendant la période du 17 janvier au 27 mars 1917. Dix-sept ballons, dont deux d’armée (77ème et 47ème compagnies), sous le commandement du Cne Arbelot, furent mis à la disposition de l’armée et répartis en 5 secteurs aéronautiques de Corps d’Armée :
- Secteur d’Hourges (ler CA) : 29ème, 70ème, 33ème compagnies.
- Secteur de Treslon (5ème CA) : 86ème, 69ème, 43ème compagnies.
- Secteur de Rosnay (32ème CA) : 26ème, 34ème, 94ème compagnies.
Secteur de Bouleuse (7ème CA) : 73ème, 62ème, 19ème, 91ème compagnies.
- Secteur de Sermiers (38ème CA) : 90ème et 80ème compagnies.
Des ordres avaient été donnés pour retarder le plus possible l’arrivée des unités d’aérostiers, afin de ne pas révéler leur nombre à l’ennemi. Chaque secteur n’eut donc qu’un ballon gonflé jusqu’au 2 avril, et ce ballon fut chargé de préparer l’installation des autres compagnies du secteur. Les compagnies qui arrivèrent ensuite trouvèrent donc leur campement préparé. Elles aménagèrent leurs points d’ascension, leurs liaisons téléphoniques et leurs itinéraires d’avance. Dans certains secteurs, les travaux d’accès prirent un développement considérable. Des routes ou déviations de routes furent créées de toutes pièces, par certaines compagnies.
A partir du 2 avril, on gonfle deux ballons par secteur, puis, le 6 avril, tous les ballons de l’armée ascensionnent et participent effectivement à la préparation de l’attaque. Les ballons d’AL des Corps d’Armée assurèrent l’observation des tirs de 24 à 28 batteries de contre-batterie, et les ballons d’armée d’environ 12 à 14 batteries de 155 long et de 8 à 10 batteries spéciales d’ALGP. La ligne des campements et celle des points d’ascension furent moins rapprochées que pendant la bataille de la Somme en 1916. La première de ces lignes se tenait à une distance du front de 7 à 11 kilomètres, la seconde à une distance de 5,9 km à 6,5 km. Les dispositions prises pour l’avance escomptée présentaient, en raison de l’état du terrain, quelques particularités intéressantes. En principe, et pour faciliter, l’observation le jour de l’attaque ainsi que le démarrage, pendant la progression, on occupa des campements avancés, le soir même du jour J-1. Ces campements n’entraînaient, d’ailleurs, aucun changement sensible dans la position des ballons en ascension. Les itinéraires d’avance avaient été reconnus et aménagés jusqu’aux tranchées de 1ère ligne. Enfin, un dépôt de tubes fonctionnant comme annexe avancée du parc aéronautique d’armée fut installé à proximité des compagnies, près de la gare de ravitaillement de Breuil et permit d’assurer dans les meilleures conditions, le ravitaillement des unités en matériel aérostatique et en hydrogène.
Le jour de l’attaque, les ballons utilisèrent les itinéraires d’avances reconnus et préparés à cet effet et suivirent la progression d’une façon parfaite. Plusieurs d’entre eux, désireux de se conformer dans toute la mesure du possible à l’horaire prévu pour la progression de nos troupes se rapprochèrent jusqu’à 3 kilomètres des 1ères lignes. Et c’était un spectacle curieux de suivre la marche de nos ballons escaladant les pentes qui, de l’Aisne, montent vers le Chemin-des-Dames. Malgré cette avance, peut-être excessive, nos ballons ne furent guère inquiétés ce jour-là par l’aviation et l’artillerie ennemies. Par contre, malgré les circonstances atmosphériques plus que médiocres, leur travail d’observation fut aussi satisfaisant que possible. Toutes nos unités se firent remarquer par leur entrain et par leur dévouement. Le travail effectué par les ballons, d’avril à juin 1917, fut extrêmement important, particulièrement pendant la préparation des attaques générales du 16 avril et du 5 mai, et au cours même de ces attaques.
Observations d'artillerie par l'aéronautique de la 5ème armée :
Le tableau suivant, résume les observations d’artillerie faites par l’Aéronautique de la Ve armée, du 9 au 20 avril.
Beaucoup de tirs de contre-batterie ont comporté des tirs d'efficacité de 150 à 200 coups observés d’un bout à l’autre par le ballon. Ce tableau montre d’une manière saisissante l’importance prépondérante de l’observation en ballon pendant cette période, en ce qui concerne le repérage des batteries en action et les tirs de destruction.
Observation des tirs de l'AGLP :
Il convient également de signaler le rôle capital tenu par les compagnies d’armée dans l’observation des tirs d’ALGP et d’ALA. C’est ainsi que la 77ème compagnie assura en un mois (10 avril-10 mai) l’observation de plus de 180 tirs d’artillerie lourde. Une citation collective à l’ordre de l’artillerie de la Vème armée récompensa ce résultat remarquable. Pendant l’attaque du 5 mai, il arriva même que des tirs furent déclenchés sur l’initiative du ballon. En effet, un des groupements d’artillerie lourde de l’armée avait réservé à la disposition du ballon 77 plusieurs batteries chargées d’ouvrir le feu sur ses indications. Ce déclenchement automatique de contre-batterie fonctionna parfaitement. En dehors des missions d’artillerie, beaucoup de missions de surveillance générale et de liaison furent exécutées par les observateurs en ballon.
Observations du Slt Tournesac :
En particulier, on trouve dans les journaux de marche des ballons 76, 77, 69, 86, de très nombreuses observations sur la marche de nos chars de combat dans la boucle de la Miette, ainsi que sur le repérage des batteries de 77 qui canonnèrent ces chars à bout portant.
A titre d’exemple, voici quelques-unes des observations effectuées par le Slt observateur Tournesac, de la 76ème compagnie, le 5 mai 1917 : "7 h. 10 : deux tanks, situés à 150 mètres environ à l’Est du Moulin-de-Laffaux, se dirigent vers la route de Maubeuge. Le premier se range le long de la route face à l’Est, le deuxième à 50 mètres au Sud, face à l’Est également. Ils tirent avec leur canon de 75. 7 h. 16 : un des deux tanks a progressé de 200 mètres sur la route. 7 h. 26 : un tank en 91-35, au Nord; du Moulin-de-Laffaux. 7 h. 45 : quatre tanks sont en position derrière la petite tranchée jalonnée par les points 91-34, 91-35, 90-35. 7 h. 55 : les tanks allongent leur tir. 7 h. 59 : le tank, qui était en 90-35, progresse dans la direction du Nord-est et franchit la tranchée. 13 h. 58 : nos vagues d’assaut sortent des tranchées, au Nord-est du Moulin-de-Laffaux. Elles se portent en avant et occupent une ligne passant par les points 91-34 et 91-36. Les éléments les plus avancés atteignent 93-35. L’artillerie allemande paraît ne les inquiéter que faiblement.
Attaques des ballons :
Comme nous l’avons dit, les circonstances atmosphériques furent nettement défavorables avant et pendant l’offensive. C’est ainsi que, le 14 avril, deux ballons du secteur d’Hourges (29ème et 33ème compagnies) furent complètement déchirés par la violence du vent. Quant aux attaques par avions, rares pendant la préparation et l’exécution de l’offensive, elles se multiplièrent par la suite et notamment à l’aile gauche de la Vème armée, où elles étaient favorisées par le tracé du front qui formait une boucle depuis Guyancourt jusqu’à Verzy.
Les premières attaques de ballons eurent lieu le 28 avril (ballons 19 et 59), et ce fut le début d’une série parfois tragique. Dans la journée du 29 avril, six ballons sont attaqués (ballons 77, 80, 19, 59, 62 et 91). Une accalmie se manifeste au début du mois de mai, puis, les attaques recommencent. Le 21 mai, les ballons 59, 53, 77 et 86, le 24 mai, le ballon 25, le 30, encore le ballon 59, sont attaqués par l'aviation allemande. Malheureusement, en huit jours, du 23 au 30 avril, trois de nos observateurs : le Ltt Crémières, de la 49ème compagnie, le Slt Ray, de la 19ème compagnie, et l’Adj Guérin, de la 87ème compagnie, trouvèrent une mort glorieuse à la suite de l’incendie de leur ballon. Signalons par contre que, le 14 avril 1917, dans une autre région, à Montenoy, près de Nancy, les mitrailleurs de la 71ème compagnie (Ltt Degusseau) abattirent un avion allemand albatros type D III qui avait tenté à plusieurs reprises, mais sans succès, d'incendier le ballon de leur unité. A la même époque, le Sgt observateur Giacobbi fut victime d’un tragique accident. Le 25 avril 1917, au début d’une ascension, alors qu’il se trouvait encore à une altitude de 40 mètres environ, le ballon de la 30ème compagnie est rabattu par le vent. La nacelle heurte le sol. Ce parachute, fortement coincé par la nacelle, sort brusquement de sa gaine au moment où le ballon se redresse, et arrache violemment de la nacelle le Sgt observateur Giacobbi qui s’écrase sur le sol. Le sergent Giacobbi était à la 30ème compagnie depuis le début de la guerre. Sa modestie, sa valeur et sa conscience le firent profondément regretter de tous.
Les opérations sur le Chemin-des-Dames se poursuivirent jusqu’en automne. A partir du mois de juin, elles présentèrent pour l’aérostation les mêmes caractères que pour les autres troupes et consistèrent en une série d’opérations locales auxquelles nos aérostiers participèrent avec beaucoup de ténacité et de dévouement, malgré les nombreuses attaques des avions ennemis.
Des actes d'héroïsme :
Citons quelques-uns des actes d’héroïsme qui furent accomplis pendant cette période. Le 28 mars 1917, pendant une descente en parachute, le Ltt Staehlé photographia le ballon incendié qui passait à sa hauteur. Le 16 avril 1917, son ballon ayant été déchiré accidentellement, ce même observateur fit une terrible chute de 500 mètres. Retiré des débris du ballon, il fit preuve du plus beau sang-froid et d’un complet oubli de lui-même en s’efforçant de calmer l’émotion des aérostiers accourus à son secours.
Le Sgt Debas, de la 69ème compagnie, attaqué le 21 mai 1917 par un avion et blessé aux deux jambes, se jette résolument en parachute et, malgré ses blessures, rend compte immédiatement des observations qu’il venait d’effectuer. Voyant pendant la descente le sang couler à flot de ses blessures, le Sgt Debas eut l’énergie d’enlever ses bandes molletières et de s’en ligaturer les cuisses afin de limiter l’hémorragie. Soigné avec un inlassable dévouement dans l’un des premiers hôpitaux de Paris, Debas rejoignit sa compagnie, bien que ses jambes fussent incomplètement guéries, et fut détaché comme agent de liaison au Corps d’Armée. Le 3 avril 1918, il reprit enfin ses fonctions d’observateur en ballon et, dès sa première ascension, fut attaqué par trois avions ennemis et tué d’une balle à l’épaule, qui traversa la cage thoracique. Debas avait demandé comme une faveur de monter en ballon dès son retour, bien que le pays fut infesté d’avions ennemis et qu’un autre observateur fut désigné pour travailler en nacelle ce jour-là.
L’enseigne de vaisseau Regnard, aux termes de l’une de ses citations à l’ordre de l’armée, n’acceptait jamais d’être ramené à terre quand approchaient des avions ennemis; le 3 et le 4 octobre 1916, récidiviste de l’audace, il eut sa nacelle et son ballon traversés par des balles explosives. Il détenait le record du nombre d’heures passées dans les airs, quand, le 1er mai 1917, averti, par les vigies qu’un avion ennemi fondait sur lui, il répondit, comme à son ordinaire, qu’on le laissât, tranquille ; il accepta le combat et mourut dans sa nacelle, le coeur traversé par une balle. Regnard était chevalier de la Légion d’honneur et titulaire de cinq citations à l’ordre de l’armée.
Au point de vue de l’emploi, l’Aérostation continua à acquérir la confiance des artilleurs par le nombre et la précision des observations de tir qu’elle effectua pendant cette période. Chaque Corps d’Armée avait été pourvu d’un commandant de l’aérostation qui, n’étant pas en même temps commandant de compagnie, put se consacrer entièrement à ses fonctions. Les centraux aérostiers de Corps d’Armée furent installés avec un soin particulier et dotés de nombreuses liaisons téléphoniques. Enfin, chaque armée disposait d’un dépôt de tubes, situé à proximité des gares de ravitaillement installées dans la vallée de la Vesle. Les compagnies pouvaient, tout en s’y ravitaillant en hydrogène, y prendre livraison du matériel technique qui leur était destiné et donner toutes précisions utiles au commandant de l’élément d’aérostation du parc, au sujet de leurs demandes de ravitaillement. L’organisation ci-dessus fût généralisée progressivement et conservée jusqu’à la fin de la campagne. Signalons enfin qu’à l’occasion de l’offensive du 16 avril 1917, et en prévision des importantes fluctuations du front que l’on escomptait, le Cdt Saconney fut détaché comme représentant de l’Aérostation à l’Aéronautique du Groupe d’Armées. La mission de cet officier supérieur dura pendant toute la période active des opérations, soit en avril et mai 1917.
La bataille des Flandres de juillet à octobre 1917 :
Le pays compris entre la ligne Poperinghe-Ypres-Staden et la ligne Zoo-Dixmude-Zarreu, présente des caractères qui en font une région vraiment unique sur le front qui s’étend de Belfort à la mer. A perte de vue, le terrain est d’une horizontalité parfaite. De nombreux ruisseaux et canaux sillonnent la plaine et s’épanouissent, à partir de Nordschook-Reninghe. C’est la zone des inondations. Les régions boisées sont rares et peu étendues. Une multitude de lignes d’arbres coupent uniformément le terrain.
C’est dans ce pays, qu’en juin 1917, la 1ère Armée française vint occuper entre l’armée anglaise, au Sud, et l’armée belge, au Nord, un front d’environ 7,5 km. Cette armée participa à trois attaques générales successives : le 31 juillet, le 16 août et le 27 octobre 1917, attaques qui aboutirent notamment à la prise de Bixschoote et élargirent nos positions vers la mer du Nord. Six ballons furent chargés d’observer pour le compte des groupements d’artillerie de l’armée : deux pour l’ALGP, deux pour l’AD, deux pour l’AL. Un ballon fut mis, en outre, à la disposition du commandement pour la surveillance générale du secteur. Il joua le rôle, de ballon d’infanterie, particulièrement au cours de l’attaque du 16 août. Les ballons, campés à 9 kilomètres environ des lignes, ascensionnèrent à une distance de l’ennemi variant de 4 et 7 kilomètres.
Toute cette Aérostation fut placée sous le commandement du Cne Macherat, qui remplit, en fait, le rôle d’un commandant d’aérostation d’armée. Par son énergie, son inlassable activité et son exemple, le Cne Macherat obtint de ses ballons un rendement remarquable. En raison du terrain des Flandres, les conditions d’observation en ballon au cours de cette bataille offrirent certaines particularités, qu’il convient de mentionner.
L'observation dans les Flandres :
A partir de l’altitude de 400 mètres, la plaine qui s’étendait devant le front de la 1ère armée ne présentait aucune zone défilée. Par contre, aucun point remarquable ne s’offrait aux regards de l’observateur en ballon, mais seulement un vaste dessin inextricable aux détails d’égale grandeur haies, clôtures de fermes, rideaux d’arbres en bordure des canaux d’irrigation, semis uniforme de toits rouges... Décevant à première vue, ce fouillis de détails permettait ensuite, après une étude patiente et consciencieuse, d’obtenir une précision dans le repérage, inconnue partout ailleurs. On ne retrouvait généralement sur les cartes et plans directeurs, qu’une partie de ces innombrables détails du terrain. Les préparations d’attaque y apportaient d’ailleurs des modifications fréquentes. Et c’est uniquement par le rapprochement constant des photographies verticales et obliques avec le plan directeur, que les observateurs arrivèrent à mener à bien leur travail. Ce procédé, d’un emploi très général en période de stabilisation, fut, dans les Flandres, la condition indispensable de toute observation.
L’artillerie chargée de préparer et de soutenir l’action de la 1ère armée française comprenait plus de 150 batteries dont 60 seulement d’artillerie de campagne. Ces batteries furent presque uniquement desservies par les ballons, dont chacun avait à observer pour une moyenne de 25 à 30 batteries.
Il en résulta une prédominance très nette des missions d’artillerie sur les missions de commandement. Et les chiffres que nous donnons ci-après mettent en relief la tâche énorme qui incomba aux aérostiers français dans la bataille des Flandres. Ajoutons que cette tâche fut parfaitement remplie au prix d’inlassables efforts et d’une volonté opiniâtre.
2610 observations pendant la bataille :
Deux mille six cent dix observations de tir furent faites par les six ballons des Flandres, du 15 juillet au 31 octobre 1917. Le 21 juillet, la 33ème compagnie (Ltt Deyillers et Jacquart), ascensionna de 7 heures à 21 h. 30 et affecta pendant ce temps 63 réglages.
Au cours de la préparation de la lère attaque, du 15 au 31 juillet le ballon 37 (commandant de compagnie : Cne Brisard), ascensionne 118 heures, effectue 131 réglages, 26 contrôles et repère 86 batteries ennemies. Dès l’attaque terminée, le colonel commandant l’A. D. Nord adresse ses félicitations à la compagnie. La seconde attaque doit se déclencher le 16 août. La 37ème compagnie se remet aussitôt à l’oeuvre et, en moins de 15 jours, bien que le temps soit peu favorable, elle effectue encore, un très grand nombre d’observations : 113 réglages, 34 contrôles, 26 batteries repérées en 89 heures d’ascension. Le commandant de l’A. D. Nord adresse une seconde lettre de félicitations à la 37ème compagnie. Le jour de l’attaque du 27 octobre, les observateurs du ballon 37 (Slt Geffrain, Sgt Léonard), contrôlent la progression d’un barrage roulant, parviennent à rectifier le tir trop court d’une batterie de 155, et jalonnent les positions de l’infanterie en fin d’avance.
Au total, et pendant toute l’offensive des Flandres, c’est-à-dire en trois mois et demi, la 37ème compagnie ascensionna 497 heures, réglant ou contrôlant 483 tirs et repérant 231 batteries. A Forthen, le 22 juillet 1917, le Slt Perrissin-Pirrasset de la 49ème compagnie, au cours d’une ascension de 17 heures, assura la destruction de 16 batteries ennemies, et effectua à lui seul, l’observation et le contrôle de 40 % des tirs de démolition exécutés dans la journée sur tout le front de la 1ère armée.
Tels furent les résultats obtenus par les aérostiers des Flandres. Tels furent les services de premier ordre qu’ils rendirent, grâce au dévouement inlassable de nos observateurs en ballon qui, sous l’impulsion très énergique et très ferme du Cne Macherat, accomplirent de véritables prodiges d’endurance. Dans ce pays des Flandres, le vent était généralement très fort. La plupart des ballons, équipés à 2 nacelles, emmenaient 2 observateurs. Dans ces conditions, le service de nos observateurs fut très dur pendant toute cette période. Néanmoins, leur vaillance et leur entrain ne faiblit à aucun moment.
Aussi, le 9 octobre 1917, toute l’aérostation du front des Flandres comprenant les 33ème, 37ème, 49ème, 72ème, 81ème et 93ème compagnies, fut-elle citée à l’ordre de l’aéronautique de la 1ère armée avec le motif suivant : "A rendu, sous la direction du capitaine Macherat, les plus grands services au cours de l’offensive des Flandres de 1917, en assurant et en effectuant toutes les missions qui lui furent confiées, malgré les attaques par avions et les tirs de l’artillerie ennemie."
Le dégagement de Verdun en août 1917 :
Le 20 août. 1917, une importante opération offensive fut engagée par la IIème armée en vue de dégager Verdun, toujours étroitement encerclé. Cette opération réussit brillamment et permit de rejeter les Allemands vers les positions d’où ils s’étaient rués à l’assaut de nos lignes, le 21 février 1916. Vingt et une compagnies d’aérostiers prirent part à la bataille. Elles étaient placées sous le commandement du Cne Rénaux, commandant de l’Aérostation de la 2ème armée. En février 1916, le Cne Rénaux avait assuré avec méthode et sang-froid le repli de nos ballons sur Verdun, pendant les heures sombres de fin février et de mars 1916. Puis, il avait vécu avec eux les journées glorieuses, mais souvent angoissantes du printemps de cette même année. A présent, les rôles étaient renversés. Avec la 2ème armée qu’il n’avait pas quittée depuis son arrivée à Verdun et où il devait rester jusqu’à la fin de la campagne, le Cne Rénaux allait prendre sur l’ennemi une brillante revanche et écrire une des plus belles pages de l’histoire de l’Aérostation pendant la campagne.
Les 21 compagnies d'aérostiers engagés sur Verdun :
Les 21 compagnies de l’armée de Verdun furent réparties de la façon suivante :
- 13ème Corps d’Armée : ballons divisionnaires, 24ème et 36ème compagnies et ballons d’artillerie lourde, 31ème, 48ème et 94ème compagnies.
- 16ème Corps d’Armée : ballons divisionnaires, 19ème et 78ème compagnies et ballons d’artillerie lourde, 55ème et 83ème compagnies.
- 15ème Corps d’Armée : Ballons divisionnaires, 53ème et 58ème compagnies et ballons d’artillerie lourde, 42ème et 47ème compagnies.
- 32ème Corps d’Armée : Ballons divisionnaires, 34ème et 86ème compagnies et ballons d’artillerie lourde, 25ème et 80ème compagnies et ballons d’artillerie lourde à grande puissance, 59ème et 73ème compagnies.
- 31ème Corps d’Armée (à gauche du front d’attaque) : 38ème compagnie.
- 10ème Corps d’Armée (à droite du front d’attaque) : 63ème compagnie.
Huit jours avant son arrivée en secteur, chaque compagnie détacha un observateur à la IIème armée, pour reconnaître le terrain et préparer le dossier d’observation. Jusqu’au 17 juin, il n’y eut que trois ballons en ascension sur le front d’attaque prévu. Puis, on profita d’une petite opération faite sur la cote 304, les 15, 16 et 17 juillet, pour porter à huit le nombre de ballons en service (deux par Corps d’Armée d’attaque), sans trop éveiller l’attention de l’ennemi. Les autres ballons furent gonflés successivement à partir du 7 août. Ceux qui ne purent être dissimulés sous bois furent camouflés à l’aide de toiles. Les ballons d’AL ascensionnèrent le 14 août, dès le commencement de la lutte d’artillerie; les ballons divisionnaires et d’ALGP, le 16 août. Deux ballons complets, chargés sur camions, ainsi que le gaz nécessaire pour deux gonflements, avaient été mis en réserve dans chaque secteur de Corps d’Armée. Cette disposition permit de remplacer les ballons incendiés en moins de trois heures, et, par suite, de ne pas interrompre sensiblement le service d’observation. Grâce à une organisation parfaite, qui fait le plus grand honneur au capitaine Rénaux, grâce à l’entrain de leurs chefs, au courage et au dévouement de leurs observateurs, les ballons totalisèrent pendant cette période un nombre considérable d’observations. D’ailleurs, la précision de ces observations ne le céda en rien à leur nombre, et de nombreuses photographies d’avion montrant les objectifs avant et après des tirs de destruction observés par ballon, le prouvèrent jusqu’à l’évidence.
L'attaque du 20 août 1917 :
Le jour de l’attaque du 20 août, tous les ballons avancèrent leur point d’ascension de 2 kilomètres environ. Une forte brume empêcha de suivre la progression de l’infanterie au début de l’attaque (4 h.40). Mais, à partir de 7 h. 30, l’atmosphère s’éclaircit et les observations de surveillance générale et de liaison affluèrent. Tous les ballons donnèrent des renseignements sur l’emplacement ou la progression des troupes de première ligne et sur les incidents du combat. Ils provoquèrent également et observèrent trente deux tirs sur objectifs fugitifs (rassemblements et convois ennemis).
A 9 h. 45, le ballon 24 signale des troupes ennemies en 69-45, au lieu dit "Gâteau de miel". Un tir de 145 est dirigé sur ce point. Quelques instants après, un avion de commandement signale que de nombreux Allemands s’enfuient en grand désordre du "Gâteau de miel". A 9 h. 50, l’observateur de la 19è compagnie (Adj Ducarre), voit distinctement dans le boyau de Forges, entre les points 16-40 et 17-45, environ trois cents de nos fantassins. A 10 h. 17, le ballon 80 (observateur, Slt Poutrait), signale qu’une batterie allemande de 4 pièces vient de prendre position en rase campagne. Un tir de destruction est exécuté sur cet objectif avec deux pièces de 155 long. Cent dix-huit coups sont tirés. La batterie ennemie est détruite. A 13 h. 20, c’est la 48ème compagnie (observateur, Slt Guillotin), qui aperçoit 150 fantassins descendant de la ferme de la Grange-au-Bois, par groupes de dix à quinze hommes et se dirigeant vers Eclisfontaine. Un tir de 145, réglé par le ballon sur le carrefour central d’Eclisfontaine, disperse la troupe ennemie et lui cause de lourdes pertes. Entre la Meuse et Bezonveaux, le front formait à cette époque, un saillant particulièrement propice aux attaques des avions ennemis. Ces derniers faisaient généralement irruption par les plaines de la Woëvre, puis rentraient vivement chez eux par la vallée de la Meuse, après avoir suivi la ligne des ballons au nord de Verdun.
Attaques des ballons par les Allemands :
Douze ballons furent attaqués par les avions ennemis, mais seuls, les ballons 25, 48, 59 et 80 furent incendiés. Les observateurs de ces ballons atterrirent normalement en parachute. En outre, presque tous les ballons de la 2ème armée furent bombardés par obus fusants de 150. La 34ème compagnie fut même soumise à un tir fusant de 380. Toutes les batteries ennemies ayant tiré sur nos ballons furent d’ailleurs repérées par les ballons eux-mêmes, et immédiatement contrebattues. C’est ainsi que, le 18 août, le ballon de la 24ème compagnie étant pris à partie par deux pièces de 15 long, le Slt Delplanque découvrit ces pièces et fit diriger sur elles un tir si précis, que deux explosions se produisirent dans la batterie ennemie qui cessa aussitôt son feu. Malgré les essais concluants tentés au cours de la bataille de la Somme (juillet 1916), l’usage de la TSF ne s’était pas généralisé dans les unités d’aérostiers.
Equipements TSF :
A Verdun, sur la demande du Cne Rénaux, toutes les compagnies déjà munies d’un poste émetteur de TSF, reçurent en outre un poste récepteur. Un radiotélégraphiste par compagnie fut spécialement chargé de recevoir les transmissions faites par les avions d’infanterie et de commandement. Grâce à cette innovation, les observations ainsi recueillies furent exploitées immédiatement, et l’attention des observateurs en ballon fut attirée sur les points intéressants du champ de bataille. Aussi, dans son rapport sur l’emploi des ballons de la IIème armée, en août 1917, le commandant de l’Aérostation demanda-t-il que chaque compagnie d’aérostiers de campagne fût définitivement dotée d’une antenne fixe et d’un poste récepteur de TSF, ce qui fut décidé peu de temps après. En raison de l’organisation parfaite de l’Aérostation, du travail fourni par les observateurs et des résultats obtenus, les opérations pour le dégagement de Verdun constituent, pour l’Aérostation, une des plus brillantes périodes de la guerre.
A la date du 10 septembre 1917, le Cne Rénaux était cité à l’ordre de la IIème armée, avec le motif suivant : "A obtenu de l’Aérostation de l’armée un magnifique rendement, contribuant ainsi au succès commun."
L'offensive allemande du 21 mars 1918 :
Pendant les premières semaines du mois de mars, dans le but de masquer ses préparatifs d’attaque, l’ennemi avait inquiété tour à tour plusieurs secteurs du front français. Le 21 mars, à 9 h.10 du matin, après une canonnade de quatre heures et demie, après avoir écrasé les premières lignes anglaises à l’aide de Minenwerfer, les Allemands sortent de leurs tranchées sur un front de 70 kilomètres, entre l’Oise (région de La Père) et la Sensée (région de Croisilles).
500.000 Allemands se ruent en rase campagne vers Bapaume, vers Péronne, vers Nesle, vers Chauny... .
Vainement, dans les journées des 22, 23, 24 mars, des divisions françaises ayant franchi l’Oise en amont de Noyon, tentent de s’accrocher au Canal Crozat, puis aux collines de la Petite-Suisse, entre Chauny et Guiscard ; sur les talons des bataillons anglais en retraite, les divisions de Marvitz et de Hutier atteignent et passent la Somme, entre Péronne et Saint-Simon. Le 25, on voit les restes de l’armée Gough refluer vers le Nord et gagner le Santerre; les Français, débordés sur leur gauche, doivent renoncer à couvrir Noyon ; Chaulnes est pris, Roye abordé ; il semble qu’il y ait le vide dans la direction de Roye-Montdidier.
Cependant, la gravité de la situation est immédiatement mesurée par le commandant en chef français qui, dès le 23, lance les ordres nécessaires pour constituer, entre l’Oise et la Somme, un groupe de deux armées. C’est le groupe d’armées de réserve (GAR) et la IIIème armée, dont les Etats-Majors, respectivement disponibles à Clermont et à Verberie, sont préparés à cette intervention ; puis, la Ière armée, qui est retirée sur l’heure du front de la Woëvre méridionale. Mais, plusieurs jours doivent s’écouler avant qu’un embryon de la Ière armée puisse se former à la gauche de la IIIème armée, qui prend, au plus pressé, la direction des divisions déjà engagées en avant de Noyon. Ces divisions sont celles du détachement Pellé, formé le 22 mars, à 2 h30, et comprenant les 9ème, 10ème et 125ème DI du Vème Corps d’Armée, et la 1ère division de cavalerie à pied.
L'aérostation de groupement :
L’Aérostation de groupement ne comprend au début que les compagnies organiques du 5ème Corps d’Armée (Cmdt de l’Aérostation du Vème Corps d’Armée : Cdt Bienvenue), 43ème et 69ème compagnies.
Malgré la résistance acharnée de nos troupes, le canal Crozat, sur lequel on comptait comme ligne d’arrêt, est dépassé, et l’ennemi avance toujours.
Les ballons 93 et 94 sont mis à ce moment à la disposition du 5ème corps. Les ballons organiques (43 et 69) n’ont pas le temps de prendre position et sont refoulés au sud du ruisseau du Mas. La 94ème compagnie, en position sur la rive gauche de l’Oise est moins bousculée, et réussit à observer pour le compte d’un groupement d’artillerie de 105 avec lequel elle bat en retraite jusqu’à hauteur de la ligne du Mas. Le ballon 92, du 1er corps de cavalerie, situé à la droite du 5ème Corps d’Armée, sur la rive gauche de l’Oise, se trouve en position de flanc par rapport à la progression allemande. Il peut faire de très utiles observations.
Le 23 mars, en particulier, la 92ème compagnie reçoit l’ordre d’observer en direction de Chauny. Le 24, elle règle, dans la même région les tirs d’une batterie de 220. L’offensive ennemie s’infléchit à l’Ouest, vers Noyon, et le ballon 92 renseigne le commandement sur l’avance allemande, spécialement le 25 mars, où des mouvements de troupe et des combats à la grenade sont signalés. Ces dernières observations furent immédiatement communiquées au commandant du 1er corps de cavalerie (Gal Féraud) et à son chef d’Etat-Major (Col Boncherit) qui se trouvaient à ce moment près du ballon, à la sortie de Bléraucourt.
Dans les journées des 26 et 27, l’armée de von Hutier s’épanouit largement autour de Roye, ses avant-gardes entrent dans Lassigny et Montdidier. Le 28, cette armée accentue sa pression vers l’Avre. Mais déjà, entre Montdidier et l’Oise, les Français, en nombre, réagissent et lui interdisent l’accès du massif boisé que ceinturent la Divette et le Matz. Peu à peu, la résistance s’organise sur les fronts des Ière et IIIème armées qui se stabilisent petit à petit, malgré la pression formidable de l’adversaire et ses coups de béliers désespérés.
Dans cette lutte opiniâtre où nos troupes luttent jusqu’à l’extrême limite de leur énergie, il va être beaucoup demandé aux ballons. C’est que, dans les secteurs où tout est à créer, ils doivent profiter de leur aptitude à un emploi immédiat. C’est une des caractéristiques de l’Aérostation. En outre, les régions où l’on se bat : la Picardie, la Somme, avec leurs plateaux aux molles ondulations, sont essentiellement favorables à l’observation en ballon.
Mais si l’Aérostation peut relativement beaucoup, les besoins sont immenses. Aussi, le commandement de l’Aérostation des Ière et IIIème armées doit-il se montrer particulièrement énergique et exigera-t-il des aérostiers tout ce qu’ils peuvent, rendre. (Cdmt de l’aérostation de la Ière Armée : Cdt Macherat / Cdmt de l'aérostation de la IIIème Armée : Cdt Boret puis Cdt Hugoni.)
Désignation d'un officier aérostier qualifié :
Signalons également qu’au cours de cette lutte si grave, on reconnut la nécessité d’avoir à l’Aéronautique du Groupe d’Armées un officier aérostier qualifié. Le Cdt Delassus s’installe à Beauvais, où il restera pendant tout le mois d’avril. Il servira d’intermédiaire entre l’Aérostation des armées du GAR et le GQG, qui a dû évacuer Compiègne. Il traitera sur place toutes les questions urgentes, orientera, s’il y a lieu, les commandants d’aérostation d’armée, répartira entre eux les approvisionnements d’hydrogène.
Procédé de défense des ballons par l'artillerie de campagne :
Ce fut également de cette époque que date l’emploi d’un procédé pour la défense des ballons par l’artillerie de campagne. Il consistait à mettre à la disposition de chaque compagnie une section de deux pièces de 75, placée à angle droit par rapport au ballon à défendre. En cas d’attaque du ballon par un avion ennemi, chaque pièce exécutait un barrage préparé à l’avance et destiné à interdire à l’avion assaillant l’approche du ballon. Préconisé avec une ardeur persuasive par le regretté Cdt Dupont (décédé en juin 1922, des suites de ses blessures de guerre), commandant la Défense contre Aéronefs de la IIIème Armée, et appliqué sous sa direction avec succès, il fut rendu réglementaire par le GQG. Malheureusement, en raison de la faiblesse des disponibilités en artillerie de campagne, ce procédé ne fut guère appliqué en dehors de la IIIème armée.
L'offensive allemande du 27 mai 1918 :
Le 27 mai, à une heure, l’ennemi entame, des abords de Coucy-le-Château à ceux de Reims, une préparation d’artillerie très puissante, avec emploi massif d’obus toxiques. A 3h40, il donne l’assaut sur tout le front compris entre Leuilly et Brimont, qui mesure 60 kilomètres. L’effort principal est prononcé au centre, entre, Berry- au-Bac et la route de Soissons à Laon. Nos divisions de première ligne; tout entières déployées dans la zone des bombardements, sont submergées par un assaillant cinq fois plus nombreux qu’elles ; des fractions de seconde ligne sont culbutées pendant qu’elles se portent de l’Aisne vers la crête du Chemin-des-Dames. En quelques jours, l’ennemi franchit l’Aisne, la Vesle, l’Ourcq, il prend Soissons, atteint les lisières de la forêt de Villers-Cotterêts, et, de nouveau, menace Paris.
Sous le feu de l’ennemi et les bombardements à obus toxiques, les compagnies d’aérostiers de la VIeme armée (Cdmt de l’aérostation Cne Wolff.) organisent leur retraite et l’exécutent en s’efforçant, dans toute la mesure du possible, d’assurer leur service d’observation. Le 27 mai, la 23ème compagnie demeure cinq heures dans une nappe de gaz très dense. Grâce au sang-froid de tout son personnel et à l’habileté manoeuvrière de son chef, le Ltt Lebrun, elle n’en exécute pas moins son mouvement de repli dans un ordre parfait. Dès la première heure, la 29ème compagnie a son ballon incendié au campement par l’artillerie ennemie. Au cours de la retraite, elle doit abandonner un camion et une remorque démolis par les obus. Cependant, des téléphonistes de la compagnie, les soldats Bezy et Maublanc, détachés dans un Central avancé, restent à leur poste pour assurer les communications téléphoniques de la division avec le Corps d’Armée. Toutes les lignes téléphoniques ayant été coupées, ils emportent où détruisent leur matériel et tentent ensuite, sous un tir de barrage d’une extrême violence, de rejoindre leur unité. Ils sont blessés et faits prisonniers au cours de cette tentative.
Le 27 mai également, la 46ème compagnie installée sur les bords de l’Aisne près de Cuiry-les-Chaudardes, commence son mouvement de retraite. Déjà la moitié, du convoi a traversé l’Aisne, quand les fantassins ennemis, qui se sont infiltrés jusqu’à la rivière, ouvrent un feu de mitrailleuses sur le pont. Près de la moitié du convoi doit rester sur la rive nord de l’Aisne. Le personnel qui s’y trouve est tué, blessé ou fait prisonnier. Le ballon 88, déjà incendié le 28 mai, est attaqué à trois reprises le 30 du même mois, et ses observateurs doivent sauter chaque fois en parachute. Pendant ces attaques, le ballon et la nacelle sont atteints par les projectiles et le personnel de manoeuvre est mitraillé à terre. Pourtant, à peine la dernière attaque est-elle terminée, que le Cne Girardin, commandant la compagnie, monte lui-même en nacelle, exaltant ainsi le courage et le dévouement de tout son personnel. Cependant, la résistance s’organise.
Le front de la VIème armée, où s’est creusée l’énorme poche de Château-Thierry, s’est agrandi démesurément. Il est partagé en deux et, la moitié Nord, de Villers-Cotterêts à Compiègne, est passée à la Xème armée qui vient d’être rappelée de la zone anglaise (Cmdt de l’Aérostation Cdt Patart). L'Etat-major de la Xème Armée, rappelé d’Italie après l'offensive allemande du 21 mars 1918, se trouvait en réserve à Beauval (Pas-de-Calais), en arrière de la zone anglaise, en prévision d’une nouvelle offensive allemande dans cette région. Malgré leur fatigue extrême, nos troupes résistent avec acharnement et l’avance de l’ennemi se ralentit puis s’arrête. Dans cette période critique, certaines compagnies d’aérostiers rendirent des services signalés et contribuèrent efficacement à l’organisation de la résistance.
La 33ème compagnie d'aérostiers :
Nous en donnerons comme exemple l’histoire de la 33ème compagnie du ler Corps d’Armée (Cmdt de l’Aérostation Cne Teilhard) pendant cette période. Le 28 mai 1918, la 33ème compagnie est alertée à Bouchevillers, dans l’Eure. Elle se transporte, le jour même à Roquemont, en position d’attente. Le 1er juin, elle gonfle son ballon à Soucy (16 kilomètres sud-ouest de Soissons), où elle ascensionne le ler et le 2, puis se replie 5 kilomètres plus à l’Ouest, dans la région Roy-Saint-Nicolas. Le ballon campe et ascensionne dans le voisinage de Marival. Le 3 juin, nouveau repli sur Taillefontaine. Le ballon 33 reste là jusqu’au 16 juin, fait de nombreuses ascensions, est soumis à de fréquents et violents bombardements et participe, le 15 juin, à une contre-attaque du 20ème Corps français.
Le 30 juillet 1918, la 33ème compagnie est citée à l’ordre du 1er Corps d’Armée, pour le motif suivant : "Engagée dans un secteur où tout était à improviser, a rendu, sous le commandement du lieutenant Delattre, les meilleurs services au commandement et à l’artillerie, en assurant l’observation d’une manière parfaite pendant les journées difficiles du début du mois de juin 1918, en dépit de déplacements fréquents et d’attaques journalières de l’ennemi par avions et par canons."
Le général Dupont, commandant l’artillerie du 1er Corps d’Armée, avait appuyé la proposition de citation de l’appréciation suivante : "C’est le ballon qui, presque seul, a assuré l’observation du tir d’artillerie jusqu’à ces derniers jours, l’aviation n’ayant pu rendre de tels services pour des causes matérielles. Il y a eu un effort considérable et fécond de la 33ème compagnie d’aérostiers, et je serais heureux qu’elle reçût une récompense bien méritée."
La 33ème compagnie était une excellente unité, parfaitement commandée par le Ltt Delattre, et qui possédait d’excellents observateurs, d’un courage et d’un dévouement à toute épreuve : Ltt Jacquart, Slt Gussonneau et Gabard. Parmi ceux-ci, il convient de mentionner particulièrement le Ltt Jacquart. Observateur de premier ordre, il s’efforçait, en outre, sans souci des risques courus, de former en nacelle les jeunes observateurs et les élèves-observateurs à son image. Malheureusement, cet excellent officier fut blessé grièvement à la suite d’une descente en parachute, au cours de laquelle plusieurs cordeaux se rompirent.
Les enseignements de la bataille :
Des faits qui précèdent, il convient de tirer deux enseignements :
- Les événements du 27 mai et l’exemple des 23ème, 29ème et 46ème compagnies, pour ne citer que celles-là, montrent qu’à tout moment, les compagnies d’aérostiers doivent se tenir prêtes à être alertées et que le plan d’alerte doit prévoir la protection des installations de la compagnie et la mise en oeuvre des mitrailleuses d’autoprotection et des armes portatives des aérostiers pour la défense propre de l’unité.
- Par ailleurs, l’exemple de la 33ème compagnie prouve une fois de plus l’aptitude des compagnies d’aérostiers à rendre immédiatement d:es services au moment de la constitution d’un nouveau front et à suppléer l’aviation dans l’exécution des missions d’artillerie pendant la période des déplacements et des installations de terrains d’aviation.
Citation du Sol Bréhaut de la 63ème compagnie :
Nous compléterons l’histoire de l’Aérostation pendant cette période par l’admirable citation à l’ordre de l’armée du soldat Louis Georges Bréhaut, mitrailleur-vigie à la 63ème compagnie : "Etant en permission le 27 mai 1918, au moment de l’avance allemande, et malgré les supplications de sa femme et de ses enfants, évacués avec la population civile, est resté sur place dans le but de participer à la défense de son village. A pris une part très active aux combats des 29 et 30 mai, après s’être mis aux ordres d’un commandant de bataillon d’infanterie, s’offrant pour précéder les groupes qui devaient effectuer les contre-attaques, provoquant par son attitude, l’admiration des troupes au milieu desquelles il combattait. N’a abandonné son rôle de combattant qu’à l’expiration de sa permission, pour rejoindre son unité."
L'offensive allemande du 15 juillet 1918 :
Après l’échec stratégique de ses offensives du 21 mars et du 27 mai, l’ennemi prépare une nouvelle grande offensive. Le groupe d’armée du Kronprinz impérial qui en est chargé doit remplir les missions suivantes :
- D’une part, faire tomber Reims et sa montagne en 48 heures, par deux poussées convergentes, visant respectivement Châlons par Suippes, Epernay par les deux rives de la Marne, en même temps, établir une large tête de pont au sud de la Marne, entre Epernay et Château-Thierry.
- D’autre part, progresser en direction de Révigny, sur la rive ouest de l’Aisne, en vue de boucher Verdun par la réalisation d’un alignement final Châlons-Saint-Mihiel.
Nous connaissons le sort qui lui est réservé. Dans la journée du 15 juillet, à l’est de Reims, elle s’effondre à l’intérieur de la première position française. Sur la face nord de la montagne de Reims, entre la ville et la vallée de l’Ardre, elle est contenue. Par contre, sur la face ouest et, en même temps, au sud de la Marne, elle réalise une avance importante, formant dans l’ensemble une poche orientée vers Epernay et dont la plus grande profondeur mesure 10 kilomètres. La troisième offensive allemande de 1918 s’exerce sur le front des IVème et Vème armées françaises (Cmdt de l’aérostation de la IVème Armée : Cdt Néant / Cmdt de la Vème Armée : Cdt Muiron.)
L'Aérostation de la IVème armée :
Dans ce qui suit, nous retracerons sommairement l’histoire de l’aérostation à la IVème armée. Dès le mois de mai 1918, l’étude des photographies met en lumière l’exécution méthodique d’un programme correspondant à l’équipement offensif du front ennemi. Par la suite, des reconnaissances photographiques sur l’arrière front et sur les premières positions, des reconnaissances à vue de jour et de nuit, des observations faites par les avions et les ballons permettent de confirmer et de compléter les renseignements obtenus. Le commandement français est donc bien prévenu.
A la fin du mois de juin 1918, la IVème année française possédait six ballons, ainsi répartis entre trois Corps d’Armée :
- 4ème CA : ballons 57 et 72.
- 21ème CA : ballons 21 et 28.
- 8ème CA : ballons 55 et 66.
- Dépôt de tubes : Saint-Hilaire-le-Grand (10 km du front).
- Parc aéronautique : Châlons-sur-Marne (25 km du front).
Les indices d’attaque conduisirent le GQG à renforcer les six compagnies de l’armée par cinq autres compagnies. Un service de nuit par ballons fut organisé. On étudia les mesures à adopter pour permettre le repli éventuel des ballons en ascension, et l’on échelonna les ballons de renforcement en profondeur, pour que la continuité de l’observation fût assurée en cas de destruction des ballons en ligne.
Le dispositif mis en place le 10 juillet 1918 :
Le dispositif réalisé le 10 juillet était le suivant :
- Sur la première position :
4ème CA : ballons 50, 57 et 72.
21ème CA : ballons 55. 21 (2) et 28.
8ème CA : ballons 66, 55 (2) et 53.
NB : Le ballon 50 est arrivé le 12 juillet. Avant cette date, le ballon 50 se trouvait à Marson (centre d’arrivée des unités) et les ballons 21 et 55 sont désignés pour ascensionner la nuit.
- Sur la deuxième position (prêts à être gonflés) : ballons 48 et 51.
En réserve d'armée (au sud de la Marne) : ballons 26 et 27 (14ème Corps).
Dépôt de tubes : Vitry-la-Ville (au sud de la Marne).
Parc aéronautique : Sompuis.
Le plan de défense adopté par le général Gouraud, conformément aux instructions du général en chef, comportait notamment l’évacuation de la première position et l’occupation renforcée de la seconde position, d’ailleurs très fortement aménagée. L’exécution de ces prévisions entraînait pour les ballons en ligne un repli de plusieurs kilomètres. Il fallut donc, pour chacun d’eux, préparer un itinéraire de retraite, aménager un point de campement arrière, reconnaître des points d’ascension éventuels et établir un réseau téléphonique sommaire susceptible de maintenir la liaison pendant le repli et de permettre la continuité du travail d’observation.
Dans la nuit du 14 au 15 juillet, l’ennemi déclenche son offensive. Les ballons 21 et 55, alors en ascension, préviennent le commandement du début de l’attaque, signalent que la préparation d’artillerie allemande ne dépasse pas la Main de Massiges, à l’Est, et le village de Prunay, à l’Ouest ; puis observent et transmettent au cours de leur repli les demandes de tir de barrage de notre infanterie. Dans la journée du 15 juillet, tous les ballons de l’armée assurent sans discontinuer la surveillance du front de combat et exécutent toutes les missions qui leur sont confiées.
Les services rendus par les aérostiers :
Les services rendus par les ballons au cours de cette bataille du 15 juillet furent particulièrement appréciés par le commandement, comme en témoignent les avis reproduits ci-après. Le 3 septembre 1918, le général de Bouillon, commandant la 13ème division d’infanterie écrivait en transmettant le compte rendu du ballon 21 : "J’ai été parfaitement renseigné par les observateurs du ballon 21, pendant la nuit du 14 au 15 et la journée du 15 juillet. Les renseignements fournis m’ont permis de suivre la marche en avant des Allemands et de donner des objectifs précis à l’artillerie. J’ai adressé des félicitations à tout le personnel et je suis heureux de les confirmer aujourd’hui."
Et voici le jugement porté par 1e général commandant le 21ème Corps d’Armée, sur le travail effectué par les trois ballons qui lui avaient été affectés : "Les ballons mis à la disposition du Corps d’Armée pour les opérations de juillet 1918 ont rendu les services qu’on attendait d’eux. Avant l’attaque, par des ascensions de jour et de nuit, réglées de façon à ne pas attirer l’attention de l’ennemi, ils ont contribué à suivre de près la préparation ennemie. En ascension, tous, dès que l’adversaire a commencé à passer à l’exécution de ses projets offensifs, ils ont fourni des renseignements précieux sur la physionomie générale du combat et sur les avances successives de l’ennemi."
L’histoire de l’aérostation de la IVème armée pendant l’offensive allemande du 15 juillet donne lieu aux enseignements suivants :
- D’une part, les événements ont mis en lumière l’intérêt des ascensions de nuit pour renseigner le commandement sur le début d’une attaque, les limites du front attaqué, les couloirs, les parties du front non battues, etc...
- D’autre part, l’organisation de l’aérostation de la IVème armée en profondeur, qui a été sommairement décrite ci-dessus et qui était parfaitement adaptée aux circonstances, peut-être donnée comme un excellent exemple du dispositif à adopter en pareil cas.
D’une manière générale, le rôle brillant joué par les ballons pendant l’offensive allemande du 15 juillet 1918 est tout à l’honneur du commandant de l’Aérostation, le Cdt Néant, et de tous les aérostiers de la IVème armée. Ajoutons qu’à la Vème armée (Cmdt de l’Aérostation : Cdt Muiron), sur la partie ouest du front attaqué, les aérostiers firent preuve de la plus grande énergie et rendirent également des services appréciés.
Des belles citations à l'ordre de l'armée :
Nous en donnerons comme exemples les belles citations suivantes :
- Ltt de Dumast, commandant la 54ème compagnie (Ordre de la 38ème brigade en date du 6 août 1918) : "Observateur en ballon, courageux et tenace, a rendu de précieux services au cours des attaques de juillet. En particulier, a effectué le 15 juillet une ascension de quinze heures, au cours de laquelle il a repéré huit batteries et effectué onze réglages. A réglé sur la passerelle du Mont-Saint-Père, signalée comme coupée le 16."
- Ltt Tournesac, commandant la 76ème compagnie (Ordre de la 3ème division d’infanterie coloniale en date du 10 août 1918) : "Excellent officier d’une haute valeur morale, s’est particulièrement distingué le 16 juillet 1918. Son ballon ayant été attaqué par des avions ennemis, l’observateur, qui venait d’effectuer une descente en parachute, n’étant plus en mesure de remonter, n’a pas hésité à prendre aussitôt sa place en nacelle pour terminer la mission inachevée, donnant ainsi à tout son personnel le plus bel exemple de courage et dé mépris du danger."
La contre-offensive française du 18 juillet 1918 :
Les Xème et VIème armées attaquent l’ennemi sur un large front, de Soissons à la Marne, réduisent la poche de Château-Thierry, font 20.000 prisonniers et s’emparent de 400 canons. Les Allemands, aventurés au Sud de la Marne, refluent hâtivement vers la Vesle. Exploitant et poursuivant le succès de nos armes, le maréchal Foch entreprend aussitôt la bataille dernière, celle qui ne portera pas, comme les batailles du passé, le nom d’une bourgade, d’une ville ou d’un fleuve, mais qui, se déployant de la Woëvre aux Flandres, à travers tant de provinces, s’appellera la bataille de France, celle que peut être une humanité plus heureuse, mais non nécessairement plus noble, vénérera à travers les âges comme la bataille libératrice.
Ce sera, dès le 20 juillet, l’offensive de l’armée de Mitry, de Dormans à Mareuil-le-Port; du 20 juillet au 2 août, l’offensive de l’armée Berthelot poussant vers la Vesle; le 8 août, entre la Somme et l’Avre, l’offensive franco-britannique des armées Rawlinson et Debeney; et le 12 août, ce sera l’offensive de l’armée Humbert, de Montdidier jusqu’à l’Oise; et, dans la seconde quinzaine d’août, l’offensive de l’armée Mangin, entre l’Aisne et l’Aillette et le 26 septembre, ce sera l’offensive de l’armée Pershing et de l’armée Gouraud, vers Buzancy et vers Vouziers; et le 27, l’offensive britannique vers Cambrai; et le 29, l’offensive belge vers la forêt d’Houthulst; et aux premiers jours d’octobre, La prise de Saint-Quentin, puis de Roulers, puis de Lille.
Pendant cette période de mouvement constituée par une série d’avances séparées par des arrêts plus ou moins prolongés, rendus nécessaires par la préparation des attaques et la résistance opiniâtre de l’ennemi, les aérostiers vont écrire une nouvelle page glorieuse de leur histoire. D’un bout du front à l’autre, ils prouveront leur aptitude à suivre une avance même rapide au contact dé l’ennemi, tout en assurant leur service d’observation. Comme l’ennemi est obligé de déménager son artillerie à longue portée et ses terrains d’aviation, nos ballons seront moins inquiétés par le canon et l’aviation ennemis. Ils en profiteront pour montrer plus d’audace et rendre plus de services. Les jours d’attaque, les ballons ascensionnent à 5 kilomètres environ des premières lignes et progressent par bonds en s’arrêtant chaque fois pour observer. Après un bond en avant, les ballons s’arrêtent généralement à 4 où 5 kilomètres des lignes et se relient rapidement au poste de commandement de leur division, ainsi qu’aux groupes d’artillerie les plus voisins. Ils voient et signalent des chaînes de tirailleurs, des colonnes, des convois, des signaux. Ils suivent la progression des vagues d’assaut et des chars de combat. Ils font prendre sous notre feu des objectifs fugitifs, observent des tirs, repèrent des batteries.
Pendant cette période, le ballon sera donc l’observatoire normal de la division. De même, comme notre aviation d’observation doit déménager ses terrains, ses hangars et ses installations, qu’elle ne dispose souvent que de liaisons précaires avec l’artillerie, c’est le ballon qui devra souvent la suppléer et assurer, dans bien des cas, la majorité ou même la presque totalité des observations d’artillerie. C’est ce qui a lieu, en particulier, à la VIème armée (Cmdt de l’aérostation de l’armée Cne Wolff) au cours de la progression de la Marne à la Vesle, dans la deuxième quinzaine de juillet.
Voici d’ailleurs la comparaison du travail d’observation effectué par les unités aéronautiques de cette armée, du 15 au 31 juillet 1918.
Pour profiter des services du ballon, il arrive que, dans bien des cas, les groupes d’artillerie se relient d’eux-mêmes aux ballons et viennent apporter leur fil téléphonique au camion-bureau installé près du treuil. Et c’est ainsi que, ballon gonflé, les compagnies d’aérostiers progressent peu à peu vers la frontière. C’est à tous les yeux le symbole visible du succès.
Des exemples d'observations :
Voici quelques-unes des observations dues aux ballons, pendant la période de juillet à octobre 1918 : Le 19 juillet 1918 à 10h07, le Slt Lacombe, de la 59ème compagnie (VIème armée, 2ème Corps d’Armée) (Cmdt de l’aérostation du 2ème CA Cne Girard), aperçoit 300 camions ennemis sur la route d’Oulchy-le-Château à Nanteuil-sur-Ourcq, se dirigeant vers Neuilly-Saint-Front, La 7ème batterie de 17 de marine, aussitôt alertée, prend le convoi sous son feu, en un point de passage obligé (moulin de Beaucourt). Douze coups sont tirés. Les prisonniers allemands, capturés deux jours après par le 2ème Corps d’Armée, déclarent que les camions qui les transportaient sur le front français, le 19 juillet, furent dispersés par notre tir avec de lourdes pertes, aux environs du moulin de Beaucourt, et que, de ce fait, les renforts allemands durent effectuer un trajet à pied de 30 kilomètres, qui retarda de vingt-quatre heures leur entrée en ligne. Le même jour (19 juillet), à 17 h. 45, le Slt Lacombe signale encore un arrêt de la progression de nos troupes, dû vraisemblablement à un nid de mitrailleuses allemandes. Une batterie de 105, réglée par ballon, ouvre le feu sur le point désigné, réduit le noyau de résistance et permet ainsi à l’infanterie de reprendre sa marche en avant. Le 24 juillet 1918, le Slt Le Riche, du ballon 88 (Xème armée), signale à l’AL XI, un convoi ennemi échelonné sur plusieurs kilomètres, marchant de Mareuil- en-Dole vers la Raperie. Alertée, l’AL XI ouvre le feu sur ce convoi, et les observateurs des ballons 45 et 88 (Slt Bourgogne et Le Riche) signalent à partir de 12 h. 55 les excellents résultats du tir. Plusieurs camions, portant sans doute des munitions, sont vus en feu. Pendant toute l’après-midi, des incendies de gargousses, des explosions de petits dépôts de munitions se succèdent continuellement le long de la route comprise entre la Raperie, la maison du Cantonnier et la cote 132. Des coups tombant dans le bois de Saponay et dans la région nord du bois de la Porte-d’Arcy, mettent le feu à d’autres dépôts, et toute la contrée est masquée par la fumée qui se dégage de ces dépôts en flammes. Le 25 juillet, de nombreux incendies et explosions sont encore signalés dans le bois de Saponay, à Grand-Rozoy, dans les environs de Beugneux. Toutes ces explosions et tous ces incendies provoqués par notre artillerie gênent considérablement les Allemands dans leurs mouvements de relève et dans leur ravitaillement en munitions. La réaction de l’artillerie ennemie est très faible, et si cette dernière tire peu sur notre infanterie, c’est en partie grâce à notre Aérostation.
Le bilan des observations :
Du 24 août au 30 septembre 1918, en 158 heures d’ascension, à la Ière armée, les observateurs de la 37ème compagnie (Slt Léonard et Verdier) repèrent 154 batteries et effectuent 174 réglages, accrochages ou contrôles de tir. Ayant eu l’occasion de visiter quelque temps après les emplacements des batteries ennemies qu’ils avaient signalées dans la région Ennemains-Falvy-Douilly-Quivières, les observateurs de la 37ème compagnie, accompagnés d’officiers d’artillerie, constatèrent l’exactitude des renseignements fournis (coordonnées, nombre de pièces, calibre), ainsi que l’efficacité des tirs de contre-batterie qui avaient été réglés par ballon. Le 3 octobre, l’observateur de la 37ème compagnie, Slt Léonard, repère 22 batteries. De 10 heures à 13heures, il suit la progression de notre infanterie, qui franchit le canal et la Somme à Morcourt (Est de Saint-Quentin), pour établir une tête de pont. A 14h50, il signale deux compagnies allemandes défilant sur une piste, de l’Est à l’Ouest, et s’infiltrant dans la tranchée de l’Horloge. Le 14 octobre, de 14h30 à 15h26, et le 16 octobre, de 14h10 à 15h17, la 37ème compagnie signale encore, avec précision, l’avance et l’arrêt de nos troupes, au cours de deux attaques, l’une sur le bois 60-68 Z, l’autre sur la ferme de l’Alouette.
Pendant l’offensive de Champagne du 26 septembre 1918, les 21 ballons de la IVème armée, bien que fortement gênés par le mauvais temps, effectuent environ 500 repérages de batteries ennemies et 400 réglages ou contrôles de tirs, dont un certain nombre sur objectifs fugitifs. Ajoutons enfin, que souvent l’observation par ballon des foyers d’incendie, des explosions, de la circulation des colonnes, trains et convois, contribuera efficacement à orienter le commandement sur les replis successifs de l’ennemi. Au point, de vue de l’emploi, nous avons vu ci-dessus comment, d’un bout du front à l’autre, les aérostiers avaient démontré leur aptitude à suivre une progression, même rapide, au contact de l’ennemi, tout en assurant leur service d'observation. Ajoutons que pendant cette période de mouvement, la TSF fut employée très efficacement par les compagnies d’aérostiers, tant pour la transmission des renseignements qu’il y avait intérêt à divulguer rapidement (batteries en action, objectifs fugitifs...), que pour parer à l’insuffisance des communications téléphoniques
L'emploi de la TSF :
Dans cet ordre d’idée, citons les excellents résultats obtenus en établissant une liaison bilatérale entre une compagnie d’aérostiers et un groupe d’artillerie qui avait été muni, à cet effet, d’un poste émetteur de T. S. F.
Voici l’avis du commandant du Groupe à ce sujet : "Le 1er Groupe de 105 du 138ème RAL a été doté, à titre d’expérience, d’un poste émetteur de TSF; les résultats ont dépassé tout ce que l’on pouvait espérer, la liaison a été de suite parfaite entre l’AL 138 et le ballon. Depuis le 1er octobre, grâce à son poste de TSF, le Groupe peut aller de l’avant, se déplacer, il ne perd jamais la liaison qui, seule, permet de faire oeuvre utile."
Au cours de la période de mouvement qui termina la guerre, les attaques de nos ballons par avions furent relativement peu nombreuses en raison des déplacements imposés par notre avance à l'aviation ennemie. Malheureusement, il n’en fut pas de même sur tous les points du front.
Attaques allemandes contre les ballons :
Le 14 septembre 1918, le ballon 54 est sérieusement endommagé par le canon ennemi, puis attaqué par avion ; l’observateur, Ltt de Dumast, descend en parachute. On gonfle un nouveau ballon qui, dès le lendemain 15 septembre, est attaqué et détruit. Ce jour-là, l’observateur, Adj Gouasdon descend deux fois en parachute à quatre heures d’intervalle. Le 16 septembre, deux avions ennemis incendient le ballon 50. L’observateur, le Cal Leverrier, saute en parachute. Il est mitraillé par un des avions pendant sa descente. Une balle lui traverse le cou, une autre coupe la corde du parachute. Leverrier fût inhumé au cimetière de Somme-Tourbe, le lendemain 17 septembre. Le 26 septembre, la 31ème compagnie eut 2 ballons incendiés. En moins de 15 jours, cette compagnie perdit 5 ballons et subit des pertes sensibles.
Avions allemands abattus :
Par contre, en bien des circonstances, l’action combinée de la défense contre aéronefs, de l’aviation de chasse amie et des mitrailleuses de nos compagnies assurèrent une protection efficace de nos ballons ou réussirent à abattre les avions ennemis assaillants.
C’est ainsi qu’en août 1918, les mitrailleurs du ballon 86 abattent un Albatros. Le 26 août, les mitrailleurs de la 56ème compagnie renouvellent cet exploit, et sont cités pour ce fait à l’ordre de la division. Le 2 septembre, un Albatros D5 qui venait d’incendier le ballon 52 est également abattu par le tir des mitrailleuses de la compagnie.
Bilan de la guerre :
Si, avant de clore l’historique de l’Aérostation pendant la guerre, nous jetons un coup d’oeil d’ensemble sur le rôle de l’Aérostation en 1918, nous constaterons que, dans certaines régions, et par suite des nombreuses attaques par le canon et les avions ennemis, nos ballons furent parfois gênés considérablement dans l’exécution de leurs missions.
Il en résulta des modifications dans les règles d’emploi tactique du ballon. En dehors des périodes d’attaque, les missions de surveillance générale furent parfois assurées dans chaque Corps d’Armée par un seul ballon dit de jour, ce qui entraîna une certaine diminution dans le rendement de l’Aérostation.
Par contre, pendant les périodes actives, les résultats obtenus par nos ballons furent, dans certains cas, entièrement comparables à ceux des plus brillantes périodes de 1916 : bataille de la Somme et dégagement de Verdun. Tel fut le cas de l’Aérostation de la Ière armée (Cmdt de l’aérostation Cdt Macherat), en Picardie, pendant le printemps et l’été de 1918. Par ailleurs, nous avons fait ressortir, le rôle brillant joué par la 33ème compagnie dans la constitution du nouveau front français au sud de Soissons, pendant la période défensive de juin 1918. Puis vint la contre-offensive de juillet 1918 et la période de mouvement et d’avance victorieuse de l’été et de l’automne 1918.
Pendant cette période glorieuse, en tous les points du front, les ballons prouvèrent leur aptitude à la guerre de mouvement et rendirent les plus grands services. Relativement peu inquiété par l’artillerie et l’aviation de l’ennemi en retraite, le ballon devint l’observatoire normal de sa division. Il assura en grande partie l’observation aérienne des tirs de l’artillerie et suppléa souvent l’aviation d’observation dans cette partie de ses missions. Si, enfin, nous nous reportons à l’aérostation d’observation du début de la guerre, à nos quelques sections d’aérostiers de place, le chemin parcouru nous apparaît immense et les résultats obtenus, considérables.
Ces beaux résultats sont dus en grande partie à la vaillante phalange de nos observateurs en ballon sortis de l’Aérostation ou venus en grand nombre des autres armes: artillerie, infanterie, etc..., dont le courage, le sang-froid et l’abnégation franchirent les limites mêmes de l’Aéronautique et lui valurent souvent l’estime et l’admiration du commandement et du reste de l’armée.
Saluons les vivants et saluons aussi les morts : les Calderon, les Tourtay, les Regnard..., en conservant pieusement leur souvenir ému dans nos mémoires.
Ces beaux résultats sont également dus à l’esprit d’organisation et de réalisation et à l’étroite collaboration des chefs de l’Aérostation, des instructeurs et des techniciens ; aux Cdt Saconney, Caquot..., et à tous ceux qui ont participé de près ou de loin à la mise sur pied de l’Aérostation d’observation française pendant la guerre. Ils sont dus aussi à l’énergie et au dévouement de tous les officiers, gradés et soldats aérostiers qui assurèrent le fonctionnement parfait de nos ballons et leur protection, en y apportant toute leur conscience et toute leur abnégation. Grâce à eux tous, l’Aérostation française a pu remplir toute la tâche qui lui incombait et la remplir jusqu’au bout. C’est pourquoi l’on peut dire et répéter que, par leur vaillance, leur ténacité, leur intelligence et leur esprit de solidarité, les aérostiers français ont été dignes de l’Armée française et de la France, pendant la Grande Guerre.
|