Appellations successives
Périodes de stationnement
Lieux de stationnements
Zone opérationnelle
Rattachements
Carte des différents stationnements
Détail du positionnement du CAM de Venise et du terrain de l'escadrille N 92i
de l'aéronautique militaire - Dessin Albin Denis sur fond Google Map.
Historique du CAM de Venise
Après de longues tractations, la France et l’Angleterre parviennent à faire entrer l’Italie en guerre à leurs côtés en mai 1915. La déclaration de guerre italienne ne concerne que l’Empire Austro-hongrois, vieil ennemi héréditaire qui tient encore sous son joug des terres "irrédentes" peuplés d’Italiens. Sa frontière naturelle avec l’Italie est constituée des sommets des Alpes… ainsi que de la mer Adriatique, une longue mer fermée en forme de cul de sac sur laquelle la navigation est vitale pour les deux nations, et particulièrement pour l’Autriche qui n’a que ce moyen pour relier son port commercial principal, Trieste, à sa puissante base navale de Cattaro près du Monténégro mais dont l’accès par voie terrestre est malaisé. C’est un théâtre d’opération idéal pour l’aviation navale : la houle y est limitée et favorise les décollages, la clarté de l’eau permet d’y distinguer facilement des sous-marins, et la largueur de la mer est adaptée au rayon d’action des appareils de l’époque. L’aviation italienne en général souffre d’un grand retard face à son homologue autrichienne, qui s’est considérablement développée et aguerrie par plusieurs mois de conflit contre la Serbie et la Russie. Le gouvernement italien demande une aide matérielle alliée en ce domaine : la France met alors à disposition une escadrille d’hydravions pour surveiller la haute Adriatique. C’est dans ce contexte qu’est crée le Centre Aéromaritime (CAM) de Venise.
L’acte de naissance du CAM date officiellement du 25 mai 1915, soit à peine quatre jours après la déclaration de guerre italienne, témoignant de l’accord préalable établi entre les deux marines. Plus exactement il s’agit au début d’un détachement du centre aéro-maritime de Fréjus qui ne deviendra CAM à part entière qu’en 1916. Le matériel qui arrive au complet le 2 juin suivant est composé de six hydravions FBA 100 ch. Concernant les pilotes, la marine française a sélectionné deux officiers mariniers, les seconds maîtres Paul Poggi et Perron, ainsi que deux officiers, l’enseigne de vaisseau de 1ere classe Jean Roulier et le lieutenant de vaisseau Jean-Louis Conneau. Ce dernier est un très célèbre pionnier de l’aviation, y compris en Italie : sous le pseudonyme d’André Beaumont, il a participé à de nombreux meetings d’avant guerre, remportant sur Blériot un tour d’Angleterre face à Jules Védrines, ainsi le Paris-Rome de 1911, soufflant la première place à Roland Garros. C’est aussi le chef-pilote de la firme Donnet Levèque, dont les FBA sont dérivés. Il a instruit à ce titre une bonne partie des pilotes d’hydravions qui sont encore un cercle restreint en ce début de guerre. Leur nombre en France reste d’ailleurs assez limité, et la marine doit compléter son effectif avec deux pilotes détachés de l’aéronautique militaire ayant appris avant-guerre le pilotage d’hydravions. C’est ainsi que sont affectés le sergent (bientôt promu adjudant) Ernest Morin, un ingénieur naval, et le caporal (bientôt sergent) Pierre Divetain, ancien pilote de raid qui a d’ailleurs côtoyé Conneau au rallye d’hydravion Paris-Deauville de 1913. S’ajoutent aux pilotes une trentaine d’hommes de troupe ainsi que le commandant du détachement, le lieutenant de vaisseau Antoine Reynaud, qui à l’exception d’un vol de reconnaissance en observateur n’effectuera pas de vols de guerre.
Bien qu’étant de fait un officier administratif, le travail ne manque pas à Reynaud qui doit faire face à tous les problèmes rencontrés lors de l’installation du centre au mois de juin 1915. Les hydravions sont logés dans un hangar de l’Ile de San Andréa, située à l’Est de Venise et disposant d’un canal d’envol orienté nord-sud. A part des hangars, il n’y a aucune habitation sur l’île et Reynaud doit installer ses hommes dans un premier temps dans Venise. Si on devine bien que cette situation est loin d’avoir déplu aux intéressés, elle ne satisfait pas Reynaud car elle limite la valeur opérationnelle du centre. Il doit aussi faire face à un problème disciplinaire et renvoyer son fourrier qui est un peu trop porté sur la boisson… Les hydravions sont tous remontés et chaque pilote reçoit un appareil attitré (le 2 pour Conneau, le 3 pour Morin, le 6 pour Divetain, le 10 pour Roulier, le 11 pour Poggi et le 12 pour Perron).
Premiers vols.
Du point de vue du commandement, Reynaud s’étonne de recevoir des ordres du préfet maritime italien alors qu’on lui aurait dit à son départ que sa tâche serait de défendre Venise. Il lui est alors confirmé par télégramme qu’il doit se mettre à la disposition du commandement italien en accomplissant les missions qu’il demandera, dans la limite de ses moyens techniques. L’officier, qui se faisait une haute idée de sa mission initiale, en gardera une certaine amertume. A cette époque, les Italiens n’ont à Venise que deux pilotes et quelques hydravions Albatros à flotteurs, qui exécutent des reconnaissances quotidiennes sur Pola. Les hydravions français doivent les épauler, ce qui inquiète quelque peu Reynaud car ces vols les mettent à la limite de leur rayon d’action. Ce problème est rapidement résolu par l’ouverture d’un poste avancé à Porto Lignano, un petit port à l’Est de Venise, beaucoup plus proche de la zone de combat. Profitant de cette base avancée, les premières patrouilles aériennes sont menées sur le golfe de Trieste. Dès le 14 juin, un hydravion autrichien est rencontré en l’air. Quatre jours plus tard, revenant d’une reconnaissance sur Pola, un FBA lâche deux bombes sur le phare de Punta Salvore. Le 22 juin, un contre-torpilleur autrichien est bombardé…
Ces premiers vols démontrent rapidement des problèmes avec les moteurs Gnome équipant les FBA, à tel point que le 25 juin un télégramme demande l’envoi d’urgence d’un technicien de la maison Gnome et Rhône pour y effectuer les réglages nécessaires. L’usine lyonnaise se manifeste rapidement par l’envoi d’un technicien accompagné du directeur de la société, Monsieur Laurent Seguin lui-même, inventeur du moteur rotatif. Il a emmené dans ses bagages un appareil photo Vérascope Richard, avec lequel il prend de magnifiques photographies en relief que l’on peut observer sur le site Past3d.free.fr
Le 1er juillet 1915 donnera lieu à un exploit qui apportera la célébrité à l’escadrille. L’enseigne de vaisseau Roulier, pilotant le FBA 10 emmenant le matelot Giorzo effectue une reconnaissance jusqu’à la baie de Trieste. Les deux hommes aperçoivent un sous-marin sortant de Pirano, qui s’avère être le U 11 et qui commence immédiatement à plonger. Roulier descend à 15 mètres de hauteur et fait lancer deux bombes qui éclatent à 3 mètres par le travers du kiosque, alors que le sous-marin disparaît sous les flots. Roulier et Giorzo observent quelques bulles d’air à la surface et perdent la trace de son sillage. Le FBA se pose alors à Porto Lignano pour une courte escale et rentre à Venise, où la nouvelle de ce combat se répand comme une traînée de poudre. Le préfet maritime de Venise accourt féliciter Roulier en déclarant " Vive la France ! ". Tous les journaux italiens annoncent l’exploit dans leurs manchettes de première page. C’est la célébrité… bien que le sous-marin en question ait en fait survécu à l’attaque. Robert Vaucher, le correspondant à Venise du journal français " L’illustration " rapporte : " C'était place Saint-Marc, où la musique municipale donnait un concert. Tout à coup, dans le ciel bleu, un ronflement de moteur se fait entendre. Puis, débouchant derrière les coupoles de Saint-Marc, un hydravion aux couleurs françaises passa lentement, frôlant le Campanile.... La musique interrompit instantanément le morceau qu'elle exécutait et entonna la Marseillaise. En même temps, ce fut dans la foule un grand cri : " Evviva la Francia ! " et l'on se précipita vers la Plazzetta pour voir évoluer au-dessus des lagunes l'appareil français, élégant et rapide. "
Tentés par la chasse.
Mais les autrichiens ont aussi des forces aériennes qui ne tardent pas à faire parler d’elles par des raids aériens sur Venise. Un premier raid a déjà eu lieu le 24 mai (deux hydravions), peu après la déclaration de guerre, alors que les appareils français étaient en route vers l’Italie. Deux autres ont suivi les 27 mai 1915 (deux hydravions font deux morts parmi la population) et 8 juin (un hydravion solitaire, de nuit) : les pilotes et mécaniciens français logeaient encore en ville et n’ont pu décoller. En juillet, Reynaud a réussi à installer tout le monde sur l’île de San Andréa et un réseau de guet improvisé est mis au point. Si bien qu’à l’aube du 4 juillet, l’alerte retentit et l’adjudant Morin s’élance sur son FBA " 3 " emmenant en observateur le matelot Gaugler armé d’un fusil-mitrailleur. Ils prennent en chasse un Lohner survolant Venise, " qui prend la fuite sans lâcher ses bombes ". Une course-poursuite s’engage et tourne court, faute d’écart de vitesse significatif entre les deux appareils. Une autre alerte a également lieu au matin du 8 juillet, mais " l’hydravion autrichien profitant des nuages a pu lancer ses bombes " (qui font un tué au sol) et peut s’enfuir sans dommages. Un autre raid semblable a lieu le 13 juillet… L’opinion publique est scandalisée par les bombardements de la perle de l’Adriatique et le Pape enjoint les autrichiens d’y mettre fin, sans succès. La propagande présente les autrichiens comme des barbares, mais il faut souligner à leur décharge que Venise n’a pas été déclarée ville ouverte car abritant un important port de guerre. Quoiqu’il en soit, flairant un bon geste politique, la France envoie une petite escadrille de quatre chasseurs Nieuport pour protéger la ville. Reynaud est furieux dès qu’il apprend la nouvelle : dans un rapport reçu à Paris le 2 août, il décrit en détail tous les efforts qu’il a entrepris pour mettre en place son système d’alerte, et, bien que reconnaissant à demi-mot les limites de ses hydravions FBA, propose que ses pilotes réalisent eux-mêmes la protection de la ville sur des avions terrestres Nieuport ou Morane.
Cette proposition est rejetée et l’escadrille de Nieuport, nommée N 92/I, s’installe à Mestre le 15 août 1915. Hasard ou pas, les autrichiens lancent un bombardement ce même jour (qui fait un tué), offrant à Reynaud une petite revanche puisque ses hydravions réussissent une interception. Un hydravion ennemi est signalé sur la Piave et 3 FBA français décollent moins de 5 minutes après l’alerte. Seul celui piloté par Roulier avec Conneau en observateur s’obstine dans la poursuite après 45 minutes de vol. Parti quand l’hydravion ennemi arrivait sur Venise, Roulier le croise à l’altitude de 1 000 mètres alors que l’Autrichien était à 2 500 mètres et à 2 kilomètres de distance. Une poursuite s’engage sur l’Adriatique contre le Lohner L 49 du Linienschiffleutnant Heinrich Fontaine von Felsenbrunn (observateur linienschiffleutnant Walter Hell) et ce n’est qu’en arrivant en vue de Pola, après 45 longues minutes de vol, que Roulier arrive à sa hauteur à 800 mètres derrière. Conneau lui tire 125 balles avec le FM Chauchat qui pour une fois fonctionne, mais sans le toucher.
Reynaud découvre que l’escadrille de Nieuport est très bien dotée en matériel et en armement (Nieuport 10 biplaces), alors qu’il doit se débattre avec des problèmes mécaniques et que ses pilotes n’ont que des armes individuelles et un unique fusil-mitrailleur Chauchat pour affronter l’ennemi. Comble de l’humiliation, la solde de son homologue terrestre, le capitaine de Chalonge, est sans commune mesure avec la sienne car il bénéficie de frais de représentation compte tenu de son rôle diplomatique ! Reynaud s’en plaint vivement dans un rapport et obtient satisfaction sur ce point, la solde des marins étant alignée sur celle de leurs camarades. S’il n’obtient pas le matériel demandé, le capitaine de Chalonge se montre assez souple et lui " prête " des mitrailleuses et ses officiers observateurs qui participent à plusieurs vols sur Trieste.
Les relations entre les deux chefs d’escadrille semblent rapidement s’être pacifiées, cependant les marins feront toujours décoller leurs FBA en cas d’alerte sur Venise. Il faut dire que les Nieuport, éloignés de Venise sur leur aérodrome de Mestre, arrivent souvent après la bataille… Le 5 septembre, deux hydravions ennemis bombardent la ville dans l’après-midi sans être inquiétés. Au début de la nuit du 24 octobre, 4 hydravions ennemis lancent un premier raid visant la gare de Venise (avec pour dommage collatéral la destruction du toit de l’église de Scalzi), et remettent ça à l’aube. Mais les deux FBA présents à Venise (le " 2 " piloté par l’adjudant Morin avec le matelot Gangler et le " 6 " du sergent Divetain avec le quartier maître le Men) décollent en compagnie d’un hydravion italien. 3 Lohner autrichiens ont déjà lâchés leurs bombes sur la ville et retournent à leur base, mais un quatrième d’entre eux est encore en approche et sa route est coupée par les appareils alliés ; il rebrousse alors chemin sans bombarder Venise. Ce n’est qu’au raid suivant, le 18 novembre 1915, que les Nieuport de la N 92/I interviendront avec efficacité contre 5 Lohners qui attaquent la ville. L’un d’eux, le L 59, revient criblé de plombs par le tir du sous-lieutenant Lachmann. Comprenant que le survol de Venise n’est désormais plus une chose aisée, les Autrichiens arrêteront leurs raids et ne les reprendront que de nuit à compter du mois de mai 1916.
Combats sur le golfe de Trieste.
Pendant que se déroulaient ces combats de chasse sur Venise, l’essentiel de l’activité de l’escadrille d’hydravions a eu lieu sous forme de patrouilles maritimes et bombardements sur le golfe de Trieste, à partir du poste avancé de Porto Lignano. Le 7 août 1915 a eu lieu une mission spéciale : les FBA " 10 " de l’enseigne Roulier et le " 12 " du second maître Perron escortent deux Albatros italiens pilotés par le tenente di vascello Giuseppe Miraglia (chef de l’aviation militaire italienne) et Luigi Bologna. Ils partent lâcher des tracts sur Trieste, destinés à la population italienne qui y réside. L’observateur de Miraglia, chargé de lâcher les tracts, est un peu particulier puisqu’il s’agit du poète Gabriele d’Annunzio, qui en est l’auteur. Au dessus de la ville, deux hydravions Lohner décollent et interceptent les Albatros, avant d’en être empêchés par les FBA français. Parmi les pilotes autrichiens, le Linienschiffleutnant Gottfried Banfield, jeune commandant de la Seeflugstation de Trieste, qui rencontre là pour la première fois les hydravions français.
Ce ne sera pas la dernière car un combat épique a lieu le 1 er septembre 1915 entre les deux protagonistes. Le CAM de Venise a désormais délaissé son poste avancé de Porto Lignano contre un nouvel emplacement à Grado, un port tout proche de la ligne de front et sur lequel a été installé un hangar utilisé conjointement avec les aviateurs navals italiens. On signale l’épave d’un sous-marin à 4 milles au Sud de la pointe Sdobba. Le CAM Venise reçoit l’ordre de reconnaître la nationalité du champ de mines qui l'a coulé. Décollent alors de Grado le FBA " 2 " à 14h30 piloté par le lieutenant de vaisseau Conneau, emmenant comme observateur le tenente di vascello Giambernardini, commandant adjoint de la station de Grado, accompagné du FBA " 10 " piloté par l’enseigne Roulier emmenant comme observateur le lieutenant Romeyer, " prêté " au CAM de Venise par la N 92 / I, et qui manie une mitrailleuse Lewis prélevée sur un chasseur Nieuport que l’on a fixée sur un affût mobile bricolé. Roulier pose sur l’eau son FBA à la pointe Primero, prêt à prendre en chasse tout ennemi éventuel. Pendant ce temps, le FBA " 2 " survole pendant une heure et demi l'objectif, repérant des mines puis se posant sur l’eau pour les examiner et inspecter l’épave du sous-marin. Alors qu’il décolle pour rentrer à Grado, un MAS (que commande le tenente di vasello Luigi Rizzo, qui s’illustrera en coulant deux navires de ligne autrichiens) lui signale des avions ennemis : il voit en effet " un avion terrestre à 3 000 mètres et un hydravion qui lâche une bombe sur l'épave du sous-marin avant de s'en prendre à la vedette ". L’hydravion est le Lohner L 46 piloté par Banfield. Conneau survole alors le FBA " 10 " de Roulier pour le prévenir. Il décolle et prend de l'altitude, mais Banfield le voit et lui tombe dessus. Romeyer tire deux chargeurs mais le débattement de sa mitrailleuse Lewis ne lui permet pas de tirer suffisamment vers le haut. En revanche le mitrailleur de Banfield nommé Strobl fait mouche et le touche de 6 balles explosives qui ne font que des dégâts sans gravité. Banfield, croyant avoir réglé son compte à Roulier, fonce sur Conneau mais celui-ci se dirige sur la lagune de Grado à l'abri de la DCA italienne qui canarde le Lohner, le forçant à s’éloigner. Mais Giambernardini, qui n'en est qu’a son deuxième vol, supporte mal ce ballet aérien et semble atteint du mal de l’air, donnant " quelques signes de faiblesse "… Conneau se pose dans le port, fait le plein de carburant et demande un nouveau mitrailleur. Les volontaires ne se pressent pas parmi les marins français, mais le matelot Rouanet n’a pas froid aux yeux, saisit le fusil mitrailleur et embarque dans l’hydravion. Il décolle aussitôt et retrouve Banfield qui lui fonce dessus avant qu'il n'ait atteint sa hauteur. Le FBA " 2 " le croise à 300 m de distance et 200 m plus bas, puis Conneau se place dans l'angle mort de la mitrailleuse. Ne pouvant tirer en raison de la distance, il retourne sur la lagune de Grado pour prendre de l'altitude jusqu'à 1700 m en étant protégé par sa DCA, puis il revient une troisième fois contre Banfield, qui rompt le combat en piquant vers Trieste, accompagné par une rafale de Chauchat que tire Rouanet de trop loin pour le toucher. Descendu à 900 m, le pilote français le voit se poser près de 2 patrouilleurs autrichiens. Il rentre de son côté à Grado au terme d'un combat de plus d'une heure ! Roulier repart ensuite en chasse à 16h40 sur le FBA " 10 " mais ne trouve plus personne.
Banfield indiquera dans son rapport avoir affronté pas moins de quatre hydravions ennemis, dont l’un à deux reprises. Il a sans pris les attaques de l’acharné Conneau pour celles venant de plusieurs appareils. Ironie de l’histoire, c’est la deuxième fois que les deux hommes se rencontrent. La première ayant eu lieu à Argenteuil en 1913, où Conneau, chef-pilote chez Donnet Levèque, apprit à piloter un hydravion au jeune enseigne autrichien !
Conneau n’aura pas l’occasion de rencontrer de nouveau son ancien élève puisqu’il est rappelé en France à la fin du mois de septembre 1915. En remplacement arrive l’enseigne de vaisseau Ducuing, dont l’entraînement n’est pas parfait et qui doit se perfectionner au pilotage avant d’accomplir des missions de guerre : il cassera d’ailleurs le FBA " 3 " dans un amerrissage brutal. Poggi ayant connu pareille mésaventure au mois d’août sur son appareil, de nouveaux FBA sont livrés à l’escadrille sur lesquels on fixe une mitrailleuse et dont on blinde le réservoir. Plusieurs missions de bombardement sont réalisées sur Trieste, le château de Miramar et le petit port de Muggia, quelquefois sous l’escorte des Nieuport de la N 92/I qui détache quelques-uns de ses appareils sur un aérodrome avancé près de Grado.
Durant toute cette année 1915, l’essentiel des vols de guerre sont effectués par le CAM de Venise, les Italiens n’ayant qu’une aviation maritime peu développée. Leur chef, le tenente di Vascello Miraglia, trouve d’ailleurs la mort avec son mécanicien Fracassini dans un accident aux commandes d’un hydravion fin décembre 1915. La garde du corps a lieu par des matelots français et italiens, lors des funérailles le 20 décembre le FBA de l’enseigne de vaisseau Roulier survole le cortège en lançant des fleurs.
Contre l’aigle de Trieste
Durant l’année 1916, le CAM Venise allait à son tour connaître la perte de pilotes. Pendant les quatre premiers mois, alors que Morin, Divertain puis Perron sont repartis en France, les FBA qui connaissent de nouveaux problèmes de moteur voient leur disponibilité s’effondrer du fait d’accidents et sans doute de leur usure générale. Ainsi, le 19 janvier 1916, l’enseigne de vaisseau Ducuing effectue une reconnaissance sur le golfe de Trieste pour surveiller les navires ennemis. Alors qu’il est à 250 mètres d’altitude, deux cylindres du moteur sont brusquement arrachés. Sa coque est traversée par l’hélice, entraînant avec elle la plaque de tôle de protection servant d’appui pour le passage du moteur, ce qui coince les commandes et fait piquer l’hydravion presque à la verticale ! L’observateur, le quartier-maître Coste, ne perd pas son sang-froid et essaie de désamorcer les bombes que porte l’appareil tandis que Ducuing s’arc-boute désespérément sur les commandes. Il parvient à redresser in extremis et amerrir en sécurité au large de Grado où il est secouru par des marins italiens menés le tenente di vascello Giambernardini. Fort de cette mésaventure, Reynaud demande du matériel neuf et obtient la livraison de deux premiers Donnet-Dennaut 155 ch (numérotés 15 et 16) équipés d’une TSF. Il n’y gagne pas au change si on en croit son rapport " Les Donnet Denhaut à moteur 155 ch Canton-Unné sont de mauvais instruments de combat à tous les points de vue, je ne les enverrai jamais à Grado mais les garderai à Venise pour des reconnaissances et des patrouilles anti sous-marines ". Un pilote de remplacement, l’enseigne de vaisseau Vaugeois, est affecté le 17 avril 1916 (ce qui porte l’effectif à seulement quatre) mais il se blesse peu après dans un accident en servant d’observateur sur un bombardier italien Caproni. La malchance poursuit le CAM le 4 mai dans l’incendie d’un hangar qui fait partir en fumée le Donnet Dennaut " 15 " ainsi que beaucoup d’outillage et pièces de rechange. Les vols deviennent désormais très rares…
C’est alors qu’entre de nouveau en scène le linienschiffleutnant Gottfried Banfield, qui pilote désormais un hydravion de chasse immatriculé " L16 ". Le 23 juin 1916, l’enseigne de vaisseau Vaugeois, tout juste rétabli de sa blessure, effectue sur un FBA C codé " 12 " une mission de reconnaissance sur Pirano, emmenant avec lui un observateur italien originaire d’Autriche-Hongrie nommé Grammaticopoulo. Ils croisent la route du L 16 de Banfield dont les premières rafales tuent net l’observateur italien. Le FBA est également touché et Vaugeois doit se poser sur l’eau. Banfield tourne autour du FBA tandis qu’une vedette rapide autrichienne se rapproche pour le capturer. Vaugeois redémarre alors son moteur et tente de glisser vers Grado. Banfield tire de nouveau et détruit le moteur, mais Vaugeois ne s'avoue pas vaincu et lui tire dessus avec la mitrailleuse de l’observateur ! Banfield réplique par plusieurs rafales d’intimidation pour le contraindre à se rendre, Vaugeois est finalement capturé avec son hydravion. Après avoir reçu des soins pour ses blessures, il est invité par Banfield à la table de la Seeflugstation Trieste où l’on porte un toast à sa bravoure. Interrogé par son vainqueur sur les raisons de son comportement héroïque, il répond simplement " pour mon drapeau ". Banfield fait lâcher par un de ses hydravions un message à Venise informant les Français du résultat du combat, précisant la résistance héroïque du pilote. Il a d’ailleurs laissé passer deux hydravions français qui ont décollé de Grado pour rechercher leur camarade et ont pu clairement deviner ce qui lui est arrivé.
L’hydravion L 16 commence à être connu comme le loup blanc au point que l’état-major italien tente de lui tendre un piège le 26 juin avec les Nieuport français, sans succès. Reynaud demande de son côté que lui soient livrés des hydravions de chasse Sopwith baby, qu’il n’obtiendra pas. En revanche lui sont livrés pendant l’été deux premiers FBA150 ch, ce qui permet au CAM de reprendre quelques vols opérationnels. Un autre pilote, le second maître Duclos, fait son arrivée tandis qu’un homme du rang, le quartier maître Giorzo, a été instruit pilote. La relève semble assurée mais le destin en décide autrement. Roulier écrit le 9 août 1916 à son frère une lettre prémonitoire : " Les autrichiens obtiennent des résultats épatants avec leur hydravion de chasse. L’un d’eux, nommé Banfield, en est à son troisième avion abattu (…)Nous avons en ce moment 2 Hispano pour 6 pilotes (…), c’est un nombre ridicule, en réalité notre escadrille de six pilotes devrait comprendre au minimum douze machines. Nos Hispano sont fins prêts cette semaine. Ils vont vite mais montent lentement et sont très lourds et lents à virer. Enfin, la chasse paraître très problématique avec cet outil-là. En face d’un monoplace léger, manoeuvrant et montant comme un merle, que fera t-il ? Je me le demande avec anxiété. "
Le 15 août 1916, les italiens qui ont maintenant considérablement développé leur aviation navale lancent un raid de bombardement important sur les installations portuaires de Trieste et de ses environs. 5 Macchi L1, copies italiennes du Lohner autrichien, décollent de Grado sous la protection de quatre chasseurs Nieuport français. Le CAM de Venise se joint à l’expédition avec ses deux nouveaux FBA 150 ch – les seuls qu’il peut envoyer au combat. Alors que la plupart des hydravions larguent leurs bombes sur les objectifs, le Lohner L 16 de Gottfried Banfield décolle sans croiser la route des Nieuport de chasse. Il raconte : " À 2 200 mètres d’altitude je croisai un premier bombardier, qui avait déjà largué ses bombes, et ouvris le feu à environ 150 mètres. Gravement endommagé, il tomba dans le golfe de Trieste où il fut récupéré de torpilleurs italiens. " Il vient de descendre le FBA 150 ch n°310 piloté par le second maître Duclos avec le quartier maître Le Men comme observateur. L’équipage est indemne et l’hydravion est remorqué à Grado où il sera réparé, et ironiquement baptisé par un mécanicien " Chichourlette revient quand même ! ". Mais Banfield poursuit son vol : " Je virai et, à 200 mètres, je passai vite à l’attaque de son équipier, qui fut contraint de jeter ses bombes à la mer pour chercher à m'échapper. Après une poursuite je réussis à l'abattre également, en le faisant tomber dans le port, devant le môle 5. Son épave fut récupérée par notre corvette "Linz". Il s'agissait de l’hydravion français le plus moderne alors en service. " Il vient d’abattre le FBA 150 ch n°308 piloté par l’enseigne de vaisseau Roulier avec pour observateur le quartier maître Auguste Costerousse. Des marins italiens témoins du combats racontent avoir vu le FBA de Roulier mitraillé de derrière à une distance d’à peine 50 mètres par le chasseur autrichien qui le surprit totalement. Le FBA partit en vrille et Roulier fut éjecté à 30 mètres au dessus des flots. Un patrouilleur italien s’approche du combat malgré le tir des batteries côtières et parvient à récupérer le corps du valeureux pilote, mais ne trouve pas celui du mécanicien disparu dans l’Adriatique. Ramené à Venise, Roulier reçoit des obsèques grandioses avec tous les honneurs militaires où Gabrièle d’Annunzio lit son éloge funèbre.
Le moral des pilotes français, qui connaissent là leur premier tué au combat, s’en ressent durement. Par le hasard du calendrier c’est le lendemain qu’est affecté un nouvel officier pilote au CAM, l’enseigne de Vaisseau André Woltz, qui découvre une escadrille sans appareils… Le 13 septembre 1916, alors que Venise a subi un violent bombardement nocturne, l’aviation italienne organise un raid de représailles sur le port de Parenzo en Istrie. Escortés par 4 Nieuport français, 11 Macchi L 1 décollent en deux groupes venant de Grado et Venise, d’Annunzio ayant pris place dans l’un d’eux. Le CAM de Venise ne peut mettre en l’air que son unique FBA 150 ch n°310 " Chichourlette " que pilote le second maître Duclos avec Woltz en observateur.
Le déclin
Un coup du destin allait le propulser aux commandes de l’escadrille navale. Sont enfin livrés fin septembre plusieurs FBA 150 ch qui remettent l’escadrille à flot du point de vue des appareils. Mais les épreuves du CAM ne sont pas terminées… Le 31 octobre 1916, une bombe se détache du FBA 150 ch n°321 que l’on préparait pour une mission sur la jetée. 18 marins, français comme italiens, sont tués sur le coup et 17 sont sérieusement blessés. Le lieutenant de vaisseau Reynaud est parmi les victimes, ainsi que l’enseigne de vaisseau Hariat, un observateur. Woltz est désormais le seul officier du centre et en prend le commandement. Il n’a que quatre autres pilotes à sa disposition (SM Poggi, SM Duclos, QM Giorzo, SM Le Guennec, un nouveau venu), et guère plus d’appareils mais ceux-ci sont tous des FBA 150 ch qui constituent désormais la dotation standard du centre ; les Donnet-Denhaut et FBA 100 ch survivants ayant été renvoyés en France. Ils sont tous décorés de trois cocardes sur les côtés et le dessous de la coque, et reçoivent un numéro d’identification précédé de la lettre "H" qui identifie le centre.
Sur ce nouveau matériel Woltz, va conduire l’escadrille navale qui retrouve un taux de disponibilité lui permettant d’effectuer des missions opérationnelles. Ainsi le 7 novembre 1916, Woltz, Poggi et Le Guennec bombardent Parenzo. Le 30 novembre, deux FBA s’aventurent sur la grande base navale de Pola où Le Guennec lâche ses bombes sur un cuirassé au mouillage, et se fait intercepter par 5 hydravions ennemis à qui il réussit à fausser compagnie après plusieurs tirs échangés. L’année 1917 débute avec seulement 3 appareils disponibles qui permettent d’effectuer deux raids notables à deux FBA sur Pola les 12 janvier (un torpilleur bombardé) et 11 février 1917, où un hydravion autrichien abat un appareil italien. Une grosse livraison venue de France porte le nombre d’appareils disponibles à 9. Les pilotes sont toujours aussi rares… Un nouveau raid sur Pola est conclu par 3 FBA le 18 mars 1917, ils rencontrent un hydravion de chasse Hansa Brandenburg CC ainsi qu’un antique Fokker Eindecker dont ils réchappent sans mal.
Disparitions dans la brume
Le CAM va être une dernière fois frappé par le destin le 17 avril 1917, par une journée orageuse. En fin de matinée, cinq hydravions autrichiens sont aperçus en approche sur Venise et l’escadrille de chasse Nieuport (renommée N 561) décolle, et, aidée de deux FBA italiens, parvient à abattre un hydravion ennemi immatriculé K 192 qui est forcé de se poser sur l’eau, au large de la côte. Les Nieuport français, mission accomplie, reviennent à leur base tandis que les deux FBA italiens restent à tourner autour de l’épave. Le premier d’entre eux retourne vers Venise mais se pose en mer près d’un navire italien. Le second FBA italien revient directement à sa base.
C’est alors qu’interviennent les FBA du CAM. Le H5 piloté par le SM Jules Duclos découvre le premier FBA italien amarré près du navire. Il se pose à proximité, échange son observateur avec celui de l’italien, et part sur le lieu du naufrage. Il tente de se poser pour secourir des autrichiens mais la mer est mauvaise et il casse un de ses flotteurs latéraux dans l’entreprise. Mettant les gaz à fond, il parvient à redécoller par miracle et regagne Venise, laissant l’équipage ennemi à son sort… Les italiens perdront un de leurs FBA qui se brise en tentant à son tour d’amerrir près des deux hommes. Un Macchi L.3 parviendra finalement à se poser intact à proximité du double naufrage, mais, surchargé de quatre hommes supplémentaires, ne pourra être réduit qu’à attendre les secours.
Ceux-ci sont en route… Mais les plus proches sont autrichiens, puisque deux navires sont repérés. C’est le branle-bas de combat à Venise et le CAM fait décoller plusieurs de ses appareils en concert avec ceux des italiens. Les naufragés seront finalement recueillis par le Tb 75, un navire autrichien, qui sera repéré en vol par le FBA « H4 » piloté par l’EV André Woltz et le quartier maître Maurice Coste. Woltz fait un passage et lâche ses bombes, manquant de peu le navire dont les vitres sont brisées par le souffle. Mais les marins autrichiens ripostent de leur DCA et touchent le FBA français qui s’abat en mer, entraînant la perte de l’équipage qui disparaît dans les flots.
Woltz était le dernier officier du centre et son commandement revient au plus ancien dans le grade le plus élevé, qui est le second maître fourrier Cadio. Ce dernier va faire preuve d’une énergie surprenante à maintenir le centre en vie et à faire réaliser des missions opérationnelles. Mais ce n’est qu’une survie : l’aviation italienne est maintenant considérablement développée, ses nouveaux hydravions Macchi M 3 étant même supérieurs aux FBA français que les équipages italiens surnomment " Fatte Bene Attenzione " ! La décision est prise à Paris, après consultation des italiens, de supprimer le centre, qui continue cependant ses missions. Le dernier baroud d’honneur a lieu dans la nuit du 3 au 4 juin, où, en représailles d’un raid nocturne autrichien, le commandement italien envoie 5 hydravions bombarder les chantiers navals de Muggia près de Trieste. Trois de ces appareils sont fournis par le CAM de Venise, pilotés par Duclos (observateur matelot Jaouen), le Guennec (observateur quartier maître Lescut) et Giorzo (observateur quartier maître Barat). Après un vol de nuit de près de trois heures, les trois pilotes bombardent l’objectif malgré une intense DCA, Le Guennec descendant même à 50 mètres de hauteur pour permettre à son observateur de tirer à la mitrailleuse sur deux projecteurs qui s’éteignent immédiatement, facilitant leur retour vers la base. Tous les équipages reçoivent une décoration italienne et le capitaine de Chalonge, commandant la N 561, prend l’initiative de les proposer pour une décoration française.
Départ sans fanfare
Le départ du CAM s’effectue sans fanfare d’Italie. Les officiers de la marine italienne, pour qui la marine française a toujours été une rivale, ont assez mal supporté la présence des pilotes de l’aviation maritime qui d’ailleurs ont fait assez pale figure dès 1916 en manquant tantôt de pilotes tantôt d’appareils.
Le 22 juin 1917 arrive à Venise le commissaire de 1ere classe Louis Marin, qui est chargé de procéder à la liquidation du centre. Les huit FBA restants sont proposés à la marine italienne. Celle-ci remercie les autorités française de l'offre, mais la décline, car les FBA en service dans la marine italienne utilisent un autre type de moteur. Les hydravions français sont alors mis en caisse et embarqués à la gare. Le vice-amiral Cito de Filomarina, préfet maritime, adresse un ordre du jour élogieux à l’escadrille navale qui laisse au cimetière San Michèle 18 de ses hommes dont son commandant, plus trois d’entre eux disparus dans l’Adriatique. Seuls le capitaine de Chalonge et ses hommes ainsi que quelques officiers anglais vont saluer les marins français pour leur départ à la gare le 27 juin, aucun officier italien ne s’étant déplacé sur les lieux. Le commissaire Marin s’en étonne et le préfet maritime italien lui répond d’une boutade : " La France, plus vieille que l’Italie, est un peu sa belle-mère et vous avez que dans les familles on s’efforce de séparer les belles-mères des belles-filles ! " Il faut rendre justice aux officiers supérieurs de la marine italienne dans cette affaire. Par contre, ce sont les officiers subalternes de San Andréa qui n'aimaient pas trop les français et ont ostensiblement snobé leur départ. Les simples matelots n’ont que faire de ces querelles nationalistes d’officiers. Quand les matelots français quittent en barque l’île de San Andréa, les matelots italiens sont regroupés par leurs officiers pour un appel. Un matelot français leur crie " Vive l’Italie ! "… Un cœur de tous les matelots italiens lui répondra " Vive la France ! "