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Sol Camille Ernest Jambeau

Soldat de 1ère classe Camille Ernest Jambeau dans son uniforme du 3ème groupe d'aviation - Photo Camille Jambeau transmise par Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Camille Ernest Jambeau est né à Neuviller-sur-Moselle (Meurthe-et-Moselle), le 2 décembre 1890. Il est le fils de Nicolas Célestin Jambeau et de Rose Camille Villaume.

Service militaire au 69ème régiment d'infanterie :

Appartenant à la classe 1910 (date de naissance + 20 ans), c'est le bureau de Toul (Meurthe-et-Moselle) qui a assuré son recrutement sous le matricule n° 651. Il a effectué son service militaire au 69ème régiment d'infanterie, alors caserné à Essey-les-Nancy (Meurthe-et-Moselle), à compter du 9 octobre 1911. Il est nommé Soldat de 1ère classe, le 15 août 1912 et affecté à la 6ème compagnie du même régiment, le 3 mars 1913. Ayant rempli ses obligations militaires, il est rendu à la vie civile et passe dans la réserve, le 8 novembre 1913. A partir de cette date, il va exercer la profession d'employé de commerce.

Lauréats du concours de tir du 69ème régiment d'infanterie d'Essey-les-Nancy, le 3 août 1912 - La fine fleur du tir du régiment rassemblée sur une même photo - Sur la version agrandie, remarquez les insignes avec chainettes, marques des prix de tir remportés - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Camille Jambeau transmise par Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Le Soldat de 1ère classe Camille Jambeau, debout en première place à partir de la droite, participe aux manoeuvres du 69ème régiment d'infanterie, le 6 septembre 1912 - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Camille Jambeau transmise par Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Camp du champ de manoeuvres du bois l'Evêque au sud-est de Toul (Meurthe-et-Moselle) - Photo Camille Jambeau, transmise par Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Photo prise au camp de manoeuvres du bois l'Evêque, au sud-est de Toul, pendant un exercice du 69ème régiment d'infanterie - Camille Jambeau, sous la croix, l'a envoyé le 16 juillet 1913 - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Camille Jambeau, transmise par Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Première et dernière de couverture du fascicule de mobilisation du soldat de 1ère classe Camille Ernest Jambeau - En cas de mobilisation générale, il était affecté au 69ème régiment d'infanterie, caserné à Essey-les-Nancy, où il avait effectué son service militaire du 9 octobre 1911 au 8 novembre 1913 - Photo Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Pages internes du fascicule de mobilisation du soldat de 1ère classe Camille Ernest Jambeau - Il permettait au titulaire d'utiliser gratuitement le chemin de fer pour rejoindre son corps de mobilisation, pour lui, la 6ème compagnie du 69ème régiment d'infanterie, caserné à Essey-les-Nancy - Photo Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Pages internes du fascicule de mobilisation du soldat de 1ère classe Camille Ernest Jambeau - Il permettait au titulaire d'utiliser gratuitement le chemin de fer pour rejoindre son corps de mobilisation, pour lui, la 6ème compagnie du 69ème régiment d'infanterie, caserné à Essey-les-Nancy - Photo Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Mobilisation générale :

Les hostilités étant déclarées avec l'Allemagne, Camille Jambeau est rappelé à l'activité par la mobilisation générale, le 2 août 1914. Ayant fait son service militaire au sein du 69ème RI d'Essey-les-Nancy, c'est au sein de cette unité qu'il est rappelé.

Soldats du 69ème régiment d'infanterie d'Essey-les-Nancy, le 19 octobre 1914 - Camille Jambeau a fait son service militaire dans cette unité du 9 octobre 1911 au 8 novembre 1913 - Rattaché au régiment dans la réserve, il a été rappelé par la mobilisation générale, le 2 août 1914 - Il se trouve à l'extrême droite, sous le petit "V" - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Camille Jambeau, transmise par Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Blessé au genou gauche :

Il est affecté au 269ème régiment d'infanterie, le 13 novembre 1914. Victime d'un déboitage du genou droit à Carency, le 24 décembre 1914, il est hospitalisé du 24 décembre 1914 au 7 février 1915. Ayant repris sa place au sein de son régiment, il est légèrement blessé par un éclat d'obus à Carency, le 9 février 1915. Son genou droit, récalcitrant, se déboite à nouveau et le contraint à une nouvelle immobilisation, à partir du 14 février 1915. Souffrant d'arthrite au genou gauche, il est classé "Service Auxiliaire" par la commision de réforme de Nevers, le 15 août 1915. Quelques mois plus tard, la même commission estime que son arthrite est devenue moins génante et le classe en "Service armé", le 18 novembre 1915. Il est de nouveau hospitalisé pour maladie du 26 février au 23 avril 1916. La commission de Nevers le reclasse en "Service Auxiliaire", le 25 mai 1916. Après avoir quitté l'hôpital, il est affecté à la 28ème compagnie, le 19 juillet 1916 puis au 3ème bataillon du 64ème régiment d'infanterie territorial, le 22 août 1916. Profitant d'une permutation, il est affecté au 58ème régiment d'infanterie territorial, le 26 septembre 1916.

Recto d'une carte de correspondance réglementaire des armées de la République - Cette carte est restée vierge et n'a pas été envoyée - Camille Jambeau a dessiné une élégante à la plume à son verso en octobre 1916 - Photos Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Verso d'une carte de correspondance réglementaire des armées de la République - Camille Jambeau a dessiné cette élégante à la plume en octobre 1916 - Photos Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Passage dans l'aéronautique militaire :

Maintenant classé "service auxiliaire" et ne pouvant plus servir dans l'infanterie, il est détaché dans l'aéronautique militaire. Pour cela, il passe au 2ème groupe d'aviation de Lyon-Bron, le 23 janvier 1917. En prévision d'une mutation hors de France, il est affecté au 3ème groupe d'aviation, le 6 mars 1917. Six jours plus tard, il est affecté à la 1ère compagnie du 3ème groupe d'aviation en vue d'une affectation à la mission française en Russie.

Désormais classé "Service Auxiliaire", Camille Jambeau est affecté à l'aéronautique militaire - Il passe au 2ème groupe d'aviation de Lyon-Bron, le 23 janvier 1917 - Le 12 mars 1917, il obtient le permis de conduire militaire pour les tracteurs d'aviation (camions), le 12 mars 1917 - Il a obtenu la note de 15/20 pour la partie théorique et 17/20 pour la partie pratique (conduite) - Photos Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Affecté à la mission française à Pétrograd :

Comme conducteur de tracteur d'aviation, il est affecté comme renfort à l'armée russe et dirigé sur Brest, le 16 mars 1917. Il sera affecté à la mission française de Pétrograd du 22 mai au 31 décembre 1917. Il quitte Brest (Finistère), à bord du "Pendarves", un cargo anglais qui emmène du matériel sur Arkhangelsk, le 25 avril 1917. Le navire arrive dans le port de Romanov, le 11 mai 1917. Il quitte Romanov par la mer, le 19 mai et arrive à Arkhangelsk, le 22 mai 1917.

Carte postale envoyée d'Arklangelsk par Camille Jambeau, le 31 mai 1917 - Photo Camille Jambeau, transmise par Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Il repart d'Arklangelsk, le 17 janvier 1918 et arrive à Pétrograd, le 21 janvier. Il quitte Pétrograd, le 27 février 1918 et arrive à Pétrozavodsk le lendemain.

Il quitte Pétrozavodsk, le 6 mars 1918 pour rejoindre Mourmansk, le 10 mars 1918. Après avoir embarqué à bord du "Porto", il quitte Mourmansk, le 1er avril 1918. Le navire arrive dans le port de Newcastle, le 8 avril 1918. Il quitte Newcastle par le train le même jour et arrivé à Southampton, le lendemain. Après avoir embarqué à bord du "Londonderry", il quitte Southampton, le 25 avril 1918. Après une traversée sans encombre, il débarque au Havre, le 10 avril 1918. Il rejoint le dépôt du 3ème groupe d'aviation, le 19 septembre 1918.

Fin de la guerre et retour à la vie civile :

Démobilisé à une date qui reste à préciser, il est proposé pour la réforme temporaire n° 1 avec gratification par la commission de réforme de Bordeaux (Gironde), le 6 février 1919. Il est réformé définitivement et proposé pour une pension permanente inférieure à 30 % par la commission de réforme de la Seine, le 20 juillet 1920. Sa réforme définitive avec pension d'invalidité de 25 % est confirmée par la commission de réforme de la Seine, le 8 septembre 1923. Une proposition pour une pension d'invalité de 40 % est déposée auprès de la commission de réforme de Casablanca, le 17 mai 1929. Il n'est pas stipulé son obtention dans ses papiers militaires.

A gauche, Camille Jambeau après un vol sur biplan Stampe à Casablanca, en mars 1962 - Photo Camille Jambeau, transmise par Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Validation de la licence française de pilote privé n° TE 10.486, obtenue le 3 juillet 1962, pour le royaume du Maroc - Elle permettait à Camille Jambeau de pilotes des avions immatriculés au Maroc (immatriculation "CN") - La présente validation a été accordée du 22 juin au 16 décembre 1964 - A cette époque, il habitait au 7, rue du Roussillon à Casablanca (Maroc) - Photo Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Au Maroc, Camille Jambeau était propriétaire d'un Beechcraft A-23 Musketeer - Photo datée de 1965 - Photo Camille Jambeau, transmise par Claude Jambeau, son fils, que je remercie pour son aide.

Camille Jambeau est décédé à Grasse (Alpes-maritimes), le 18 octobre 1983.

Sources :

Etat signalétique et des services - Fascicule de mobilisation - Fiche matricule du département de la Meurthe-et-Moselle (sans information à titre militaire).

Dernière mise à jour :

Le 10 avril 2018.

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Récit de son voyage en Russie
en 1917-1918

25 avril 1917 :

Après un séjour assez long à Brest où je m’attends à partir d’un jour à l’autre je m’embarque enfin le 25 avril à bord du "Pendarves" cargo anglais qui emmène du matériel à Arkhangelsk.
Les amis que nous laissons à Brest pour convoyer d’autres bateaux nous accompagnent jusqu’au "Pendarves" et il est 15h30 quand ils nous font leurs derniers adieux. C’est drôle il me semble que nous ne partirons pas aujourd’hui, car nous avons tellement de fois l’ordre de partir, que je suppose que nous resterons encore à Brest : mais non !
A 16h45, le commandant arrive avec un pilote du port et nous prenons le large à 18h et nous voici bientôt en pleine mer.
Ah ! j’ai oublié avant tout de dire que tout l’équipage du bateau est anglais et que pas un homme ne parle français heureusement que j’ai trois camarades à bord qui comme moi rejoignent la mission d’aviation du commandant Berger. Je vais les nommer pour le cas où j’aurais à parler d’eux plus loin.

- Caporal Aucher Pierre, cher compatriote lorrain avec qui je partage joies et peines et garçon énergique, qui d’ailleurs a fait ses preuves dans l’infanterie (94ème régiment) avant d’entrer dans l’aviation car il a la poitrine ornée de la médaille militaire, de la croix de guerre avec deux palmes et de la médaille de St Georges de 2ème classe en or. Il a de plus été blessé plusieurs fois et comme moi est du service auxiliaire, mais malgré tout volontaire pour affronter de nouveaux dangers.
- Geoffroy Paul, de Cherbourg.
- Cardiot Louis, de Chateaubriand.

Nous passons donc dans le goulet et je vais avec mon ami Aucher demander quelques tuyaux au pilote qui nous accompagne, il ne comprend rien à notre départ, car, dit il, le convoi est parti 2 heures plus tôt et aucun navire de guerre ne nous sert d’escorte. Je crois que cela a été fait avec intention, de façon à tromper la vigilance des sous-marins boches.

19 heures – premier repas à bord du bateau : viande froide, pommes sautées, viande avec confiture, comme boisson du thé, cela me change un peu avec le pinard !
20 heures – la terre se fait toujours plus petite et bientôt n’est plus qu’une ligne imperceptible à l’horizon. Au revoir chère terre de France et parents bien aimés.

Le point au départ : 46° 23 Nord 4°29 Ouest

Un homme d’équipage vient de placer le compteur de milles (Ile de Sein).
22 heures – c’est la nuit, un mince quartier de lune éclaire un peu la mer et ce n’est plus que de l’eau, de l’eau partout, nous mettons nos montres à l’heure de la navigation soit (21h) et préparons nos couchettes.
Le pilote a fait demi-tour il y a environ une heure, j’avais oublié de le noter et il nous souhaite bon voyage. Encore un regard à l’horizon mais rien, plus rien, nous ne sommes convoyés par personne et le commandant a l’air satisfait. D’ailleurs notre vieux "Pendarves" est armé et nous pouvons répondre aux sous-marins. Nous redescendons dans nos cabines où nous allons essayer de dormir mais l’hélice fait beaucoup de bruit et je crois que je ne dormirai pas beaucoup.
Je me sens bien quand même et la mer ne m’a encore fait d’effet

26 Avril 1917

J’ai dormi tout de même un peu et nous nous levons à 5h1/2. La mer est plus agitée et le roulis commence à se faire sentir. Je monte sur le pont et comme la veille au soir rien à l’horizon, nous marchons franchement vers l’Ouest.
6 heures – nous prenons une tasse de café avec un biscuit beurré et je me sens tout dispo. Je me propose de passer une grande partie de la journée sur le pont car il fait beau temps, pas de nuage mais par contre le vent est grand.
8 heures – petit déjeuner. Je mange avec appétit, la cuisine anglaise me plait, peut être mieux que la notre.

Point à 12 heures 47°28 Nord 7°50 Ouest

L’ami Geoffroy a le mal de mer.
Le poste de TSF nous annonce qu’à minuit il a reçu la nouvelle d’une victoire anglaise (3000 prisonniers dont 50 officiers et 50 canons) un destroyer allemand aurait été coulé en vue des côtes d’Angleterre.
12 heures – déjeuner, décidément nous ne mourrons pas de faim, très bon repas qui se termine par un pudding qui ne laisse rien à désirer. Je me sens toujours bien et n’ai pas encore le mal de mer quoiqu’elle soit très agitée.
14 heures – nous apercevons un steamer qui coupe notre route par derrière, très probablement un bateau anglais se rendant en Amérique. Le "Pendarves" se dirige maintenant vers le Nord Ouest.
Depuis hier soir 8 heures il a parcouru 145 milles.

La mer devient plus houleuse et le bateau commence à chahuter fortement, je vais faire une petite sieste sur le pont et fumer une vielle cigarette en attendant le repas du soir.
17 heures – je mange toujours avec appétit et ne pense nullement avoir le mal de mer.
Nous remontons sur le pont et y restons jusqu’à la nuit cherchant toujours vers l’horizon si nous apercevons quelque chose, mais rien.
Il est 21heures quand nous nous couchons et j’espère dormir un peu mieux que la nuit précédente.

Vendredi 27 avril 1917

J’ai bien dormi et me lève vers 6h pour prendre un café. Je ne parlerai plus des repas puisqu’ils sont toujours servis à la même heure.
Un brin de toilette et je monte sur le pont. Il fait toujours beau temps quoique le ciel soit légèrement parsemé de nuages qui disparaîtront certainement dans la journée. La mer est très houleuse et le roulis se fait sentir sérieusement. Notre camarade Geoffroy ainsi qu’un homme de l’équipage ont le mal de mer, moi je suis toujours d’aplomb et je ne me sens nullement disposé à donner à manger aux poissons.
7 heures - Nous allons voir le télégraphiste qui donne le communiqué français de la nuit. Nous apprenons que 22 avions boches sont abattus et que pour sa part Dorne  a descendu son vingtième. Il nous est réconfortant de recevoir de si loin des nouvelles de cette chère terre de France, car actuellement le compteur marque 290 milles, nous sommes en plein océan et complètement isolés, rien ne se montre à l’horizon.
Nous essayons de converser un peu avec le commandant et nous comprenons que la veille un cargo a été torpillé à environ 80 km de notre bateau qui par ce fait a changé de route, nous nous écartons des pirates.
9h15 - enfin nous apercevons piquant droit sur nous un cargo, il est 10h15 quand il croise sur notre gauche à environ 1 mile, le canonnier qui est à coté de nous, nous dit que c’est un anglais, mais j’ai beau me creuser les yeux je ne distingue rien sur le pont, cela ne fait rien, nous sommes contents de constater que nous ne sommes pas tout à fait seuls voguant à travers un grand océan.

Point à 12 h 48° 08 Nord 12° 39 Ouest

Direction du bateau depuis hier soir Ouest Nord Ouest.
Il est 11h quand nous perdons de vue le cargo qui vient de nous croiser, quelques mouettes tournoient autour du bateau et semblent nous accompagner. Nous apercevons de temps en temps à la surface des débris de bateaux coulés (planches, sacs, fonds de tonneaux etc.)
Le temps est tout à fait beau et l’après midi s’annonce vraiment superbe. Le roulis est toujours très fort et malgré cela je me porte à merveille.
Rien de particulier à noter pendant la soirée, le temps reste beau et nous passons une grande partie de l’après midi sur le pont. Direction du bateau Nord Ouest. Le compteur marque 380 milles.Nous nous couchons à 21h sans rien apercevoir d’autre.

Samedi 28 avril 1917

Le temps est couvert ce matin et le pont est encore humide de la rosée de la nuit. Je reste un peu sur le pont pour humer de cet air frais qui vous remet en place car il ne fait pas bon dans les cabine qui sont constamment fermées cette odeur de renfermé vous retourne le cœur et il faut réellement l’avoir bien placé pour ne pas avoir le mal de mer.
8 heures - Direction du bateau Nord Nord Ouest. Le compteur marque 475 milles.
Le télégraphiste nous remet le communiqué de la nuit. Calme relatif sur tout le front. 9 avions boches ont été abattus par les français. Very well ! ! !
10 heures - le soleil a l’air de percer un peu et je vais remonter sur le pont pour prendre l’air et fumer une cigarette. Rien à l’horizon, nous sommes seuls, seuls dans ce vaste océan. Je résiste toujours bien au roulis qui se fait sentir de plus en plus et je me porte bien malgré tout. Je souhaite que cela continue.
11 heures – Nous apercevons un steamer mais de très loin, il a l’air de se diriger vers l’Angleterre.

Point à 12 heures : 49°23 Nord 10°38 Ouest

Nous le perdons de vue vers 12 heures et à ce moment nous distinguons à la jumelle deux grands voiliers, une sur notre gauche se dirigeant de notre coté, l’autre sur notre droite, ce dernier ne reste pas longtemps en vue car moins d’une demi-heure après il a complètement disparu. Quant à l’autre il nous croise à une distance d’environ 4 ou 5 milles et il disparaît vers 18 heures se dirigeant vers l’Angleterre. Le temps reste beau toute la soirée et nous nous couchons à 21 heures.

Sunday twenty nine April

Ce matin ciel complètement couvert . Il fait froid sur le pont et je n’y reste pas longtemps, le temps de prendre la position du bateau et de lire le communiqué de la nuit : rien de bien intéressant à noter sur ce dernier. Direction du bateau Nord-Nord-Est (8 heures) le compteur marque 680 milles.

Point à 12 heures 52°27 Nord 16°59 ouest par 5400 m de fond.

Il ferait pas bon boire un coup dans un aussi joli bouillon ! Nous apprenons par le second que deux steamers ont été coulés hier à environ 80 milles sur notre gauche, cela vous paraît assez bizarre car pour notre compte nous voguons à au moins 250 milles des côtes d’Irlande et la présence de sous-marins dans ces parages ne peut être assurée que par leur ravitaillement sur ces côtes, enfin jusqu’ici nous sommes passés au travers et espérons qu’il en sera de même pour le restant de la traversée. Je me porte bien jusqu’ici et supporte assez facilement les mouvements de bateau. Cadiot a le mal de mer. Rien à noter jusqu’au soir, aujourd’hui nous n’avons pas aperçu de bateau. Le ciel est couvert et j’ai bien peur aussi pour demain.

Lundi 30 avril 1917

J’ai mal dormi cette nuit, le bateau roule et tangue fortement, le vent grandit et gare au mal de mer.
8 heures - direction du bateau Nord-Nord-Est-Nord, le compteur indique 865 milles. Nous apprenons que dans la nuit vers 23 heures un bateau a failli nous éventrer ; il a croisé à moins de 10 m du "Pendarves" et c’est grâce à une habile manœuvre du pilote que la catastrophe fut évitée. Il faisait une nuit excessivement noire et naturellement nous marchons tous feux éteints.
J’ai donc espoir que nous nous en tirons dans de bonnes conditions après une émotion comme celle-là et surtout en pensant à notre départ de Brest qui fut un peu aventurier et exécuté dans des conditions plutôt périlleuses.
12 heures - Il a plu un peu dans la matinée et le vent grandit, la mer devient mouvante, nous faisons des bonds de 8 à 10 m à l’arrière du bateau, l’hélice sort parfois de l’eau. Au repas, des petits casiers sont disposés sur la table pour que les assiettes ne glissent pas. Je me mets à table sans appétit mais je mange bien quand même. Aussitôt le repas terminé je monte vivement sur le pont pour respirer un peu d’air frais et fumer une cigarette ce qui facilite beaucoup la digestion.
Je n’ai toujours pas le mal de mer ainsi que mon ami Aucher et nous nous demandons lequel résistera le plus longtemps.

Le point à 12 heures 55°24 Nord 16°27 Ouest

20 heures - pas aperçu de bateau aujourd’hui, le vent est resté grand pendant toute la journée et le bateau chahute de plus en plus, j’ai bien peur pour cette nuit.

Mardi 1er mai 1917

Je me réveille avec un mal de tête terrible et me lève tout de même à 7 heures, le bateau fait des bonds extraordinaires et je monte sur le pont pour me rendre compte du temps. Cette fois ça y est, c’est la tempête, il faut que je me cramponne à des cordages pour ne pas être emporté par le vent qui est violent, je m’explique maintenant mon mal de tête, le bateau est parfois couché complètement sur le côté, mon ami Aucher qui se risque un peu sur le pont est arrosé par une vague qui balaye le pont, ce n’est vraiment pas le moment de rester dehors et je vais me recoucher, je prends un cachet et vers 11 heures mon mal de tête a disparu.

12 heures le point 58° 28 Nord 16°05 Ouest distance parcourue 1070 milles

Repas - je mange toujours avec appétit et je n’ai toujours pas le mal de mer ainsi que mon ami Aucher ; le commandant et l’équipage en sont stupéfaits.
15 heures - Nous marchons à une très grande vitesse depuis ce matin, le bateau étant aidé par un grand courant N.E. et par le vent et nous devons pas être très loin de l’Islande. Le vent se calme un peu dans la soirée et aurons nous peut être une nuit plus calme.

Mercredi 2 mai 1917

Le vent souffle de nouveau et la mer reste mauvaise toute la matinée.

12 heures le point 61° 12 Nord / 12°30 Ouest par 1800m de fond et 1260 milles parcourus.

Nous voguons entre l’Islande (190 milles) et les îles Far-Oler (140 milles)

15 heures – Nous apercevons des bandes de canards se dirigeant vers l’Islande. Le vent reste grand et le roulis promet pour cette nuit, je n’ai malgré cela toujours pas le mal de mer et ne l’aurais probablement pas pendant le reste de la traversée, car la mer ne peut pas être beaucoup plus mauvaise.

Jeudi 3 mai 1917

Comme je m’y attendais j’ai passé une très mauvaise nuit, je n’ai presque pas fermé l’œil, le roulis étant trop fort et me menaçant à chaque instant de me projeter hors de ma couchette. Je ne m’en porte pas plus mal pour cela et espère me rattraper la nuit prochaine car le vent a l’air de se calmer un peu quoique l’air soit très vif et semble se rafraîchir lentement, il est vrai que j’oubliais que nous sommes au moins à 500 km au nord de l’Ecosse et cela n’a rien de surprenant, supposant même avant le départ qu’il ferait beaucoup plus froid dans ces parages.

12 heures le point 43°46 Nord / 9°18 Ouest 1450 milles parcourus

Nous sommes à 101 milles des côtes d’Islande et allons maintenant nous en éloigner. Toujours rien rencontré depuis 5 jours, nous commençons réellement à trouver le temps long de ne pas apercevoir la silhouette d’un bateau ou l’ombre d’une terre, par contre beaucoup d’oiseaux nous accompagnent et tournent autour du "Pendarves" (mouettes, goélands et beaucoup d’autres dont nous ne connaissons pas le nom). Cela nous fait passer le temps et nous restons quelquefois des heures sur le pont à les contempler.

Le commandant dit avoir aperçu de loin une baleine (il croyait même un instant que c’était un sous-marin). Il est vraiment regrettable que cela ne soit vrai car ça nous changerait un petit peu et nous donnerait de l’occupation, pour mon compte je saute au canon et ferai mon possible pour le faire fonctionner utilement mais nous n’aurons pas cette occasion maintenant nous sommes déjà trop loin.
Rien aperçu pendant toute la soirée, il fait froid sur le pont et je redescends dans la salle à manger où nous allons faire un bridge.

Vendredi 4 mai 1917

Ce matin depuis 5 heures la mer est en furie, le bateau fait des bonds terribles et à un moment donné nous perdons presque confiance en sa résistance car un violent coup de mer nous arrive et fait tout valser dans les cabines, mon ami Aucher qui se trouve à ce moment dans la salle à manger est projeté avec force contre l’une des parois et perdant l’équilibre, il est renvoyé à plat ventre dans notre cabine avec la rapidité d’un bolide, nous ne pouvons malgré la gravité du moment nous empêcher de rire, mais d’un rire qui me rend presque malade. Enfin il n’y a pas trop de mal, tout a été balayé dans notre cabine et heureusement que la table n’était pas mise à ce moment, mon ami Aucher en est quitte pour quelques éraflures, assez sérieuses aux deux bras et moi un peu plus tard perdant l’équilibre je veux me raccrocher au fourneau qui est très chaud et me brûle la main droite, décidément nous nous souviendrons d’aujourd’hui.

Nous approchons du pôle car le second qui était de service nous dit qu’il n’y a pas eu de nuit, le temps étant même très clair et les étoiles restèrent invisibles en raison de la trop grande clarté, nous allons donc bientôt pouvoir contempler le soleil de minuit et les aurores boréales. La mer reste mauvaise toute la matinée, le pont est constamment lavé par les vagues que nous entendons depuis notre cabine, des balles de liège qui étaient pourtant solidement arrimées sont tombées à la mer pendant la tourmente, pourvu que nos avions qui sont également sur le pont résistent jusqu’au bout. Il est vrai qu’ils sont solidement maintenus mais on entend parfois les caisses qui se disloquent.

12 heures le point 65°42 Nord / 5°25 Ouest distance parcourue 1600 milles

Nous avançons péniblement avec la tempête et un vent presque debout.
14 heures – Je risque un œil sur le pont et constate qu’il neige et le froid très vif, impossible de rester longtemps dans cette position et je redescends à la salle à manger, où je propose à mon ami Aucher de faire un piquet.
21 heures – La mer est toujours très houleuse et le bateau n’avance qu’avec beaucoup de peine il a fait 25 milles en huit heures, nous ne sommes donc pas encore arrivés si cela dure.

Lundi 5 mai 1917

Mer toujours pareille, vent très grand et froid excessivement vif, impossible de rester sur le pont qui est constamment balayé par les vagues. Cela devient très fatiguant et je m’étonne de ne pas avoir encore le mal de mer. J’ai cependant la tête un peu lourde ce matin. Le bateau avance toujours avec peine et il ne cesse de rouler et de tanguer à tel point qu’il est impossible de se maintenir debout sans s’accrocher à quelque endroit.

12 heures le point : 66°32 Nord / 4°44 Ouest distance parcourue : 1660 milles

Nous n’avons donc fait que 60 milles en 24 heures ce qui représente à peine du 5 km/h, triste moyenne qui espérons ne se maintiendra pas.
16 heures – le vent a tourné légèrement et nous l’avons maintenant par côté, de cette façon le bateau avance un peu mieux mais par contre le roulis est bien plus fort, les vagues venant se plaquer contre le flanc gauche du bateau.
22 heures – nous avons joué aux cartes depuis 18 h, ne songeant nullement à nous coucher car il fait encore grand jour. Il faut tout de même s’y résigner quoique je n’ai guère envie de dormir en raison de la danse involontaire que nous fait faire le bateau.

Dimanche 6 mai 1917

Enfin la mer a l’air de vouloir un peu se calmer. Je me sens beaucoup mieux ayant pu dormir un peu. Le vent est un peu moins grand qu’hier mais le froid est plus vif, il y a de la glace sur le pont. Je profite néanmoins de cette accalmie pour prendre un peu d’air car j’en éprouvais un grand besoin. Toujours pas de mal de mer ainsi que mon ami Aucher quand un grand nombre de hommes de l’équipage l’ont eu. Espérons que nous irons jusqu’au bout sans l‘avoir car nous approchons, encore 4 ou 5 jours pour arriver à Romanoff

12 heures le point : 68°11 Nord / 0°17 Ouest distance parcourue 1810 milles

Repas et ensuite je fais un vieux piquet avec Aucher et à 15 heures nous cassons une petite croûte c’est-à-dire un vieux saucisson de Lorraine arrosé d’une bouteille de Xérès, le premier nous rappelle notre joli pays mais il nous donne une de ces soifs ! ! et malheureusement il nous manque un bon tonneau de Champigneulles ou de Vézelise. Rien à noter pour le restant de la soirée.

Lundi 7 mai 1917

La mer se calme peu à peu et j’ai bien dormi, aussi suis je plus gai ce matin. Il neige un peu et le vent qui est moins grand rend la température un peu plus supportable et notre vieux "Pendarves" a repris sa vitesse moyenne. Nous longeons les côtes de Norvège depuis deux jours mais à une certaine distance (300 à 350 km)et nous approchons du cap Nord où nous y serons très probablement après demain.

12 heures le point : 69°47 Nord / 5°30 Est distance parcourue 1970 milles

Rien à noter le restant de la soirée qui se passe sans incident.

Mardi 8 mai 1917

La mer devient de plus en plus calme mais le froid se fait sentir de plus en plus et nous sommes forcés de nous habiller un peu plus chaudement, notre canadienne n’est réellement pas de trop pour le cas.

12 heures le point : 71°06 Nord / 11°51 Est distance parcourue 2120 milles

Notre vieux "Pendarves" reprend à peu près sa vitesse normale

Mercredi 9 mai 1917

Temps splendide ce matin, mer tout à fait calme et nous en profitons pour grimper sur le pont malgré un froid vif. Nous apprenons qu’à 5 heures du matin un steamer nous a croisé et se dirigeant probablement vers la France. A 7h ½ nous montons sur la dunette et j’aperçois très loin une masse blanche qui semble danser sur les flots, je préviens le second qui est à côté de nous qui nous dit que ce sont les glaces polaires qui s’en vont à la dérive, une heure plus tard nous les examinons de plus près et il y a même d’assez gros glaçons qui passent tout contre notre bateau, tout cela est vraiment beau et je me promets de rester longtemps sur le pont malgré le froid.
Vers 9 heures ce n’est plus qu’une ligne continue de glace en face de nous et le comandant fait faire un grand virage au bateau pour éviter la collision avec quelques icebergs qui, les plus gros, sont à moins de 5 milles et plusieurs fois gros comme le "Pendarves"
Au moment où nous y attendons le moins, le canonnier envoie un obus sur un gros glaçon qui passait à environ 3 milles. Le coup porte un peu en avant mais il a du être touché à sa base car quelques minutes après on peut le voir se séparant en plusieurs morceaux. Tout cela nous intéresse énormément et nous restons sur le pont jusqu’à l’heure du repas auquel j’ai fait grand honneur car le froid m’avait creusé l’estomac. Le temps est très clair et nous pourrons probablement voir le soleil de minuit.

12 heures le point ; 72°18 Nord 19° Est distance : 2285 milles

Nous voguons entre le Spitzberg et le Cap Nord, nous approchons du but. Dans la soirée nous apercevons quelquefois tout contre le bateau d’énormes poissons, c’est paraît il une sorte de baleine mais plus petite que la véritable, nous en voyons cependant qui atteignent de 12 à 15 m, ce sont de jolis morceaux avec lesquels il ne ferait pas bon être aux prises.

Point extrême Nord à 16 heures 72° Nord 20°32 Est

En somme très bonne journée qui nous apporte un peu d’imprévu et nous nous couchons contents de nos découvertes.

Jeudi 10 mai 1917

Beau temps ce matin mais temps couvert depuis hier soir jusqu’à 3 heures du matin ce qui nous empêche de voir le fameux soleil de minuit mais que nous verrons quand même demain ou après. Nous montons sur le pont de bonne heure et voyons encore quantité de poissons comme hier mais ce matin c’est par centaines que nous les apercevons de tous côtés pour ne plus en voir à partir de 9 heures, heure où les glaciers recommencent à se dessiner au loin. Vers 11 heures c’est une ligne continue de glace qui barre l’horizon à gauche, en face et à droite. Cette fois c’est la banquise et le bateau fait demi-tour pour contourner un grand bloc de glace. Quelques icebergs détachés atteignent certainement 15 à 20 km de long, c’est vraiment merveilleux à voir et je ne donnerais ma place pour je ne sais quoi. Un glaçon qui passe à une vingtaine de mètres de nous porte un phoque qui ne bronche pas à notre vue et semble tout heureux de faire ce voyage gratuit sur son bateau improvisé.

12 heures – repas auquel je fais toujours grand honneur distance 2455 milles.

Nous arriverons probablement à Romanoff dans la journée de samedi .

Le point 72°14 Nord 30°50 Est

Dans l’après midi, nous sommes forcés de pénétrer dans des bancs de glaçons qui certains atteignent 40 à 50m2 et 3 à 4m d’épaisseur. Le bateau en les poussant provoque d’énormes grondements produits par ces glaçons qui montent les uns sur les autres et s’effondrent. Vers 15heures le bateau est en plein dans les glaces et je me demande si nous pourrons en sortir car il avance à peine. Il ne faudrait certes pas que l’hiver reprenne.

Vers 9 heures nous sortons complètement des glaces et nous voici enfin dans la mer libre.
11 mai. Il neige un peu ce matin et le vent n’est pas très chaud. A 7h30 j’aperçois quelques masses sombres à l’horizon mais ne puis distinguer ce que c’est, un heure de plus nous découvrons les côtes de Russie. La voilà enfin cette terre que nous n’avons pas vue depuis notre départ de Brest !
Mais que dis-je cette terre ? car ce n’est pas de la terre, ce sont d’énormes montagnes recouvertes de neige et de glace et à l’heure où j’écris ces lignes le bateau n’en est plus très loin car nous allons les côtoyer pendant un certain temps et nous en distinguons très bien les détails à l’aide de la jumelle.

11 heures – nous longeons la côte de très prés et nous apercevons quelques stations de TSF et quelques rares maisons perdues dans la neige.
12 heures - le point 69°33 Nord 33°29 Est distance 2625 milles

Le "Pendarves" arbore son pavillon et ses signaux et vers 13 heures un patrouilleur venant à notre rencontre nous montre le chemin. A 14h30 heures il nous fait signe de stopper et une vedette qui porte le consul anglais accoste le bateau, 2 hommes montent à bord et repartent ½ heure après, probablement après avoir demandé des renseignements. Le "Pendarves" reprend sa marche vers le port où nous arriverons dans une heure ou deux. Il fait bon sur le pont malgré un petit froid piquant et y restons pour admirer la côte qui est fort accidentée en cet endroit. Le bateau stoppe enfin à 5h10 et nous sommes arrivés, l’ancre est jetée et la machinerie cesse de fonctionner. Nous sommes dans le port de Romanoff ou plutôt de Mourmansk qui est la nouvelle appellation depuis la révolution et où stationnent de nombreux bateaux en instance de départ pour Arkhangelsk qui est encore actuellement bloqué par les glaces. Le pays paraît complètement désert ici et la neige recouvre encore le sol. Nous coucherons encore sur le "Pendarves" ce soir mais il est fort probable que nous débarquerons demain.

Samedi 12 mai 1917

Rein de particulier dans la matinée mais vers 14 heures une vedette vient nous chercher et nous chargeons tous nos bagages. Un dernier adieu au "Pendarves" et à tout son personnel et nous partons.. Nous accostons enfin et plaçons nos bagages sur le quai. Des soldats russes qui assistent à notre débarquement nous aident à les porter et ils ne veulent même pas que nous soyons chargés du moindre paquet, ils sont enchantés de voir des français et s’offrent à nous rendre le moindre service.

Nous sommes conduits à la maison où se tenait l’ancien poste de police et où déjeune actuellement la milice et où siège journellement un Comité Révolutionnaire. Tous portent le ruban rouge et tiennent des propos menaçant envers le Tsar qui voulait les trahir. Nous parvenons tant bien que mal à nous comprendre car quelques uns parlent un peu anglais ou français. Nous prenons notre premier repas sur la terre de Russie dans un petit café qui se trouve à côté de notre home car j’ai oublié de dire qu’il existe en cet endroit, pourtant réputé très désert, pas mal de maisons, toutes construites en bois, et calfeutrées avec du chanvre pour éviter la pénétration du froid. En somme nous ne serons pas trop mal en attendant notre départ pour Kiev qui doit s’effectuer mardi ou mercredi. Quant au repas je suis étonné de voir sur la table du pain d’une extrême blancheur et que l’on ne trouverait certainement pas actuellement en France, potage au riz excellent et thé de même. Il est 10 heures du soir quand nous songeons à nous coucher mais nous sommes assaillis par des soldats de la milice qui nous emmènent de force au cinéma car il y en a un à Mourmansk et nous nous y laissons entraîner de bon cœur. Nous en sortons enfin à minuit avec bonne envie de dormir car les films qui défilaient sous nos yeux étaient tellement intéressants que je m’efforçais de ne pas dormir pendant la séance.

En somme très bon accueil par tous ces soldats qui ne savent quoi faire pour nous procurer quelque plaisir. Quant à la description de ce que l’on appelle un port ici, il n’en existe réellement pas. Quelques quais en bois qui ne peuvent être accostés par aucun gros bateau et où aboutit tout de même la ligne de chemin de fer. Aucune grue ou un autre mode de déchargement ce qui explique que tous les bateaux qui sont là doivent rejoindre le port d’Arkhangelsk . Comme je l’ai dit, quelques maisons en bois forment la cité mais aucune rue , ni route, les voitures ou traîneaux passent n’importe où et ce n’est que boue partout où ils passent car le dégel a commencé quoiqu’il y ait en certains endroits 1 à 2 mètres de glace ou neige d’épaisseur.

Dimanche 13 mai 1917

Nous nous levons vers 9 heures et après avoir bien dormi, n’ayant plus les mouvements du bateau pour troubler notre sommeil. Nous songeons à déjeuner et il nous est servi un café excellent accompagné de gâteaux, nous sommes réellement étonnés de trouver tout cela ici, qui nous avait été renommé comme complètement dépourvu de tout. Par contre il n’y a ni poste ni banque et pas moyen de changer notre argent, il est vrai que les frais que nous avons à faire ici seront couverts par un officier de la mission française qui est à bord d’un bateau. Donc nous partirons pour Kiev probablement pardi, Geffroy et moi, quant à mon ami Aucher il restera à bord du "Pendarves" pour l’accompagner jusqu’à Arkhangelsk et n’aura pas comme nous le plaisir de passer par Petrograd et nous attendons des ordres dans la soirée. Rien de nouveau dans la soirée et aviserons demain.

Lundi 14 mai 1917

Mal dormi cette nuit, nous nous sommes couchés à 11 heures hier soir mais avons été assaillis par des soldats russes qui nous cramponnent jusqu’à une heure du matin après avoir eu un mal infini à nous en débarrasser. Il est vrai qu’ils sont presque continuellement debout ne se couchant que tous les 2 ou 3 jours, car il ne fait jamais nuit ici (c’est-à-dire en cette saison) et ils vont et viennent constamment. Dans la soirée nous allons voir le lieutenant Alsot représentant de la Mission Française ici et qui décide que je rejoindrai Arkhangelsk avec mon ami Aucher. Nos deux camarades partiront demain pour Kiev par chemin de fer. Je suis enchanté de cette décision qui me permet de rester avec mon seul ami sur cette terre de Russie.
A 9 heures du soir Mr Alost nous fait appeler par téléphone et nous nous empressons de nous rendre à son bateau. C’est pour nous apprendre l’arrivée de 400 français qui débarquent le lendemain et pour l’aider à transformer quelques longs télégrammes. Nous restons donc à travailler jusqu’à minuit, heure à laquelle nous partons en vedette pour aller saluer nos compatriotes qui sont enchantés de nous rencontrer.
Il est 3 heures du matin quand nous rentrons, aussi nous empressons nous de prendre un repos bien gagné. Egalement appris pendant cette soirée tout ce que portait notre "Pendarves" et en sommes très étonnés. Je ne puis donner ici de détails dans ce chapitre au cas où ce livre serait perdu mais je l’aurais gravé dans ma mémoire. Appris quantité d’autres choses et renseignements de grande importance que je ne puis non plus relater ici.

Mardi 15 mai 1917

Nous nous rendons au port pour offrir nos services au Lt Alsot et il est décidé que nous l’aiderons dans sa tâche en attendant notre départ pour Arkhangelsk. Le débarquement des artilleurs s’opère assez vite et leur train partira probablement dans la nuit, nos deux camarades partiront avec eux et auront ainsi une joyeuse compagnie pour égayer leur voyage qui sera encore long. Il y a deux groupes d’artillerie lourde qui se rendent également vers Kiev ou dans les environs de cette ville. Bonne journée, temps relativement doux et le dégel continue. Les nuits sont passablement fraîches aussi faisons nous un peu de feu avant de nous coucher et prenons une bonne tasse de thé.

Mercredi 16 mai 1917

Nous nous levons tard n’ayant pas dormi la nuit dernière. Le train qui emmène les artilleurs et nos deux camarades n’est pas encore parti. Un wagon ayant culbuté, heureusement qu’il n’était chargé que de caisses, ce qui n’est qu’un petit accident matériel. Nous organisons notre petite chambre puisque nous ne sommes plus que deux, car nous resterons encore quelques jours avant notre départ pour Arkhangelsk et nous partirons par mer. Vers midi le train est prêt et le signal de départ est donné, espérons que nos compatriotes arrivent à destination sans trop de dommage ce qui n’est pas certain car la ligne de chemin de fer est en très mauvais état.

Jeudi 17 mai 1917

La neige tombe pendant toute la matinée aussi restons nous enfermés. Dans l’après midi nous nous rendons auprès du Lt Alsot et faisons quelques copies. Nous y rencontrons le capitaine de la Gatinerie qui était soigné sur un bateau anglais pour une maladie du foie et va reprendre son service, étant à peu près rétabli. Il compte partir pour Arkhangelsk dans 5 ou 6 jours et fera son possible pour nous emmener avec lui sur le brise-glace Dvinsk ce qui nous changerait un peu du "Pendarves".

Vendredi 18 mai 1917

La neige continue à tomber et la température est bien rafraîchie. Nous nous rendons au port et vers 10h nous y rencontrons le capitaine du "Pendarves" qui est content de nous revoir. Nous causons un peu avec lui et le quittons vers 11h pour rentrer. Nous passons notre après midi avec les officiers de bord du St Pierre et absorbons de nombreux thés.

Samedi 19 mai 1917

Tempête de neige pendant toute la nuit et pas moyen de mettre le nez dehors. La tempête redouble dans la journée et en sommes réduits à nous enfermer en faisant un bon feux dans notre chambre.
Vers 4h du soir sommes étonnés de voir arriver le capitaine de la Gatinerie et le lieutenant Alsot qui viennent nous prévenir de transporter tous nos bagages au port car nous embarquons le soir même. Nous nous empressons donc d’exécuter ce travail, de prendre un repas et nous nous rendons au port pour 7h1/2 après avoir rendu une dernière visite à l’équipage du "St-Pierre" qui va bientôt repartir en France avec deux lettres aux bons soins d’un camarade qui se chargera de la faire parvenir dans les meilleures conditions possibles. Un remorqueur vient nous prendre ainsi que tous nos bagages (sauf ceux laissés sur le "Pendarves") et à 10H30 nous accostons le Dvinsk qui doit nous emmener à Arkhangelsk. Nous prenons donc place sur le bateau et descendons à notre cabine où nous sommes logés tous deux, mon ami Ancher et moi ; Nous nous couchons de suite et vers minuit entendons le bruit de l’hélice. Cette fois nous partons et espérons que ce nouveau voyage en se passera dans de bonnes conditions.

Dimanche 20 mai 1917

Je me lève vers 8 heures et monte sur le pont mais pas moyen d’y rester, la tempête de neige continue et me voit forcé de redescendre dans la cabine. J’aperçois tout de même par les hublots 5 vapeurs et 7 ou 8 patrouilleurs qui nous escortent ainsi que deux sous-marins. Avec autant de gardiens rien à craindre des boches et allons bientôt rencontrer les glaces, la meilleure arme contre les sous-marins ; Dans l’après midi faisons connaissance de deux russes qui nous offrent du Whisky, nous nous rendons dans leur cabine et en sortons vers 6 ou 7 h du soir, je ne me rappelle pas bien et après avoir sifflé une bouteille de whisky et une demie de Brandy nous en sortons mon ami et moi complètement rétamés. Aussi nous empressons nous de nous coucher et c’est avec assez de mal que je parviens à grimper dans ma couchette.

Lundi 21 mai 1917

Je me rappellerai longtemps de ma soirée d’hier car ce matin j’ai un mal de tête terrible. Je prends deux cachets d’aspirine qui je l’espère vont me remettre d’aplomb mais l’appétit manque totalement et je me sens nullement l’envie de manger. Je vais respirer un peu d’air frais sur le pont car aujourd’hui il y fait assez bon quoiqu’il fasse très froid. Nous sommes dans les glaces depuis une heure du matin et le bateau n’avance pas vite. Je mange tout de même un peu vers une heure de l’après midi et me sentant beaucoup mieux je me promets de rester un bon moment sur le pont. Temps superbe, soleil mais grand vent qui cingle la figure. Je reste longtemps à l’avant du bateau qui coupe avec assez d’aisance tous les glaçons qui se présentent devant, ce qui est très amusant. La glace a en moyenne 2 à 3 mètres d’épaisseur ce qui produit d’énormes craquements quand de grands glaçons sont fendus. Nous voyageons ainsi toute la journée et ne sommes pas encore arrivés si nous trouvons autant de glace sur le restant de notre route. Nous n’apercevons plus les bateaux qui étaient hier à nos côtés, car étant moins forts que le Dvinsk ils sont resté un peu en arrière. Nous nous couchons de bonne heure mais impossible de nous endormir, le bateau étant fortement secoué chaque fois qu’il coupe un gros glaçon. Nous sortons enfin des glaces vers une heure de matin et prenons un peu de sommeil.

Mardi 22 mai 1917

Le bateau va bien ce matin et nous arriverons bientôt. Très beau temps et il ne fait trop froid aussi restons nous sur le pont pour admirer la côte qui défile devant nous. Arrivons au bateau-feu à 11h du matin et le Dvinsk jette l’ancre en attendant l’ordre d’aller plus loin mais restera là probablement quelques jours, aussi le capitaine de la Gatinerie demande t-il qu’un remorqueur vienne nous chercher dans la soirée. Le remorqueur demandé vient accoster vers 5h du soir et nous chargeons nos bagages et y prenons place, en route pour Arkhangelsk où nous arrivons à 10h1/2 du soir après une belle promenade tout le long de la côte et vers la Dvina. Le lieutenant se met à la recherche de quelques isvotchèques et nous voilà partis en quête d’une chambre pour passer la nuit mais aucune place dans les hôtels et nous nous rendons à la Mission Française où l’on nous offre de passer la nuit dans les bureaux en attendant que nous soyons installés. Nous allons souper au Cercle des officiers de marine où nous grignotons un morceau de veau froid et quelques tranches de saumon pour la modique somme de15 roubles.

Mercredi 23 mai 1917

Nous nous levons vers 9h après avoir bien dormi et dégustons un excellent café crème et quelques tartines de beurre qui nous sont servies par la propriétaire de la maison et sortons en ville pour nous trouver un logis ce que nous ne faisons pas sans trotter partout et ce n’est que dans la soirée que nous avons fait affaire pour une chambre à deux lits et au prix de 60 roubles par mois. Tout est vraiment pas bon marché ici et je me demande comment nous pouvons y vivre, les repas nous reviennent pour la journée et pour nous deux à environ 10 à 12 roubles et il faudra que nous trouvions une autre combinaison pour y arriver après avoir un peu étudié sur place. Il est entendu avec le capitaine que nous resterons ici jusqu’à l’arrivée du "Pendarves" et que nous convoierons jusqu’à Kiev le matériel destiné à la mission Berger. En attendant nous travaillons au bureau de la mission française et travail pas très fatigant qui commence à 9h1/2 jusqu’à 13h et de 15h à 18h. Dans la soirée nous nous installons dans notre chambre où nous serons très bien et où il nous sera servi le samovar matin et soir.

Jeudi 24 mai 1917

Avons passé une très bonne nuit et nous nous rendons au bureau. Pas grand travail, nous faisons quelques courses et apprenons ainsi à connaître la ville qui est assez grande. Des maisons très jolies mais construites en bois et où il y a des intérieurs très chics. Beaucoup d’églises et un monastère que nous visiterons par la suite. Par contre il y a beaucoup de neige et de boue dans les rues, heureusement qu’il y a des trottoirs en bois où l’on peut circuler au propre. Nous prenons nos repas au café de . . . . . . et nous nous en sortons avec 8 roubles par jour en mangeant assez bien mais sans aucun extra. Nous rentrons vers 9h du soir et faisons 2 bonnes tasses de thé à l’aide du samovar qui nous est servi. Faisons un peu de russe et nous nous couchons vers minuit car c’est l’heure normale où l’on se couche ici ce qui correspond à 9h en France.

Vendredi 27 mai 1917

Beau temps ce matin mais il fait froid, le thermomètre 4° en dessous de zéro mais le soleil va se faire sentir et il fera meilleur vers midi. Dans la journée faisons un tour sur le marché et achetons quelques produits : du beurre (3 roubles la livre) du saucisson (2 roubles) et du fromage au même prix.. nous pourrons avec cela le soir faire un repas dans notre chambre et nous dispenser d’aller à l’hôtel une fois sur deux et réaliser ainsi quelques économies. Rien de particulier dans la soirée et rentrons tranquillement à la maison vers 8 heures du soir et en profiterons pour faire quelques écritures.

Samedi 26 mai 1917

J’écris à Neuviller aujourd’hui. Nous continuerons tous les soirs notre petite popote qui nous réussit très bien.

Dimanche 27 mai 1917

Très beau temps aujourd’hui, il fait même chaud dans la journée. Nous assistons à la disparition de la neige à Arkhangelsk. Dans l’après midi promenade sur la Tpoinkin et rencontrons déjà des toilettes. Nous ne nous croyons réellement pas en Russie.

Lundi 28 mai 1917

Le "Pendarves" est annoncé pour demain, suis bien content de retrouver mes anciens compagnons de route. Nous nous faisons photographier pour l’établissement du passeport et pas bon marché : 3 roubles pour 2 malheureuses petites photos.

Mardi 29 mai 1917

La température devient toujours plus chaude et nous devons quitter nos capotes. L’été vient paraît il tout d’un coup dans ce pays. Dans l’après midi visite au "Pendarves" qui vient d’arriver et qui est mouillé en rivière. Il ira se mettre à quai dans la nuit à Bakaritza . Beaucoup de formalités de la part de la douane pour en sortir un colis qui ne contient pourtant pas grand chose. Très bon repas ce soir dans notre chambre : pattes de homard, beurre, saucisson, fromage et de nombreux thés de notre fabrication. Comme souvenir adresse de notre Doma : . . . . . .

Mercredi 30 mai 1917

Rien de bien intéressant à noter aujourd’hui. Temps toujours très beau et travail habituel à notre bureau.

Jeudi 31 mai 1917

J’envoie une lettre recommandée à Neuviller affranchie avec 3 timbres grands formats et où j’ai joint 2 cartes avec vues d’Arkhangelsk espérant qu’elle arrivera dans de bonnes conditions. Renseignements sur les causes de la révolution russe qui paraît il aurait pu être évitée. Il a plu beaucoup dans l’après midi, aussi restons nous enfermés.

Vendredi 1er juin 1917

Je vais à Bakaritza pour assister au débarquement de notre matériel qui se fait très vite, car tout ce qui nous concerne sera déchargé pour demain. Nous nous attendons donc à quitter Arkhangelsk dans une huitaine.

Samedi 2 juin 1917

Départ du commandant Gruber qui était ici en inspection et qui nous invite à dîner ainsi que tous le officiers de la mission française et de plus avec un fils Vilgrain de Nancy qui fait partie ici de la commission de ravitaillement et qui est très heureux de rencontrer des compatriotes. Excellent repas qui nous est servi au restaurant bar dans un cabinet particulier.

Dimanche 3 juin 1917

Fête de la Pentecôte en Russie. Tous les magasins sont fermés pour deux jours même les maisons d’alimentations et les restaurants donc pas moyen de manger dehors. Nous en sommes réduits à manger au petit bonheur dans notre chambre, heureusement que nous avons des provisions. Nous nous promenons dans l’après midi au jardin public et y rencontrons de jolies toilettes portées par d’aussi jolies demoiselles, aussi faisons nous grande sensation avec notre uniforme français et obtenons le sourire de toutes ces dames. Je crois que si cela continue quelques jours nous serons pris d’assaut, quel succès ! !

Lundi 4 juin 1917

Même journée qu’hier, pas grand travail au bureau aussi en profitons nous pour nous promener . Il fait très chaud aujourd’hui, au moins 22 degrés, quel changement depuis 15 jours, il y avait de la neige partout.

Mardi 5 juin 1917

On nous annonce pour le 13 ou 14 juin l’arrivée d’un bateau venant de France et amenant probablement du matériel pour la mission ainsi que quatre de nos camarades laissés à Brest et qui seront bien contents de nous trouver ici pour les piloter dans Arkhangelsk, car nous allons bientôt devenir de vieux russes. Nous parlons déjà suffisamment pour nous débrouiller partout. Hier soir est arrivé venant de Petrograd le lieutenant Achot qui est heureux de nous annoncer ce matin que nous resterons encore quelques temps à Arkhangelsk avec la mission française, ce qui nous fait grand plaisir, car nous n’y sommes pas trop mal, je souhaite même y rester tout le temps.

Mercredi 6 juin 1917

Allons à Bakaritza pour assister au chargement du matériel de la mission Berger, travail qui est exécuté assez rapidement par des soldats russes. Rencontrons dans la soirée un belge qui est maître-queue à bord du "Belgrano" et faisons un brin de promenade avec lui, il nous quitte après nous avoir fait promettre de lui faire payer un dîner un jour ou l’autre.

Jeudi 7 juin 1917

Toujours le beau temps, il fait même trop chaud dans la journée, le thermomètre marque 30° aujourd’hui. Est arrivé cet après midi, venant de Moscou un conducteur d’automitrailleuse qui retourne en France, car ayant eu une pneumonie il est déclaré inapte à continuer son service en Russie, aussi je vais profiter de l’occasion pour lui remettre une lettre qui de cette façon arrivera un peu plus vite.

Vendredi 8 juin 1917

Beaucoup de courses à faire en ville aujourd’hui, dans la soirée je dois conduire le camarade arrivé hier de Bakaritza et l’embarquer sur le "Dvinsk" qui va partir dans quelques jours pour la France.

Samedi 9 juin 1917

Le matériel Berger est prêt à partir et il est décidé qu’Aucher le convoiera seul, quant à moi je reste à Arkhangelsk à la disposition de la mission française, probablement pendant toute la saison d’été, décision qui me fait grand plaisir et qui tombe absolument dans mes goûts.

Dimanche 10 juin 1917

Le matériel de la mission est parti aujourd’hui et Aucher partira demain par le train de voyageurs. A partir de maintenant je ne noterai plus que les jours où j’aurais quelque chose d’à peu près intéressant.

Lundi 11 juin 1917

Je conduis Aucher à la gare dans l’après midi et l’installe dans son wagon. Son train démarre à 6 heures du soir et je rentre tranquillement à Arkhangelsk.

Mardi 12 juin 1917

Le capitaine de Lagatinerie envoie un télégramme au commandant Berger demandant à ce que reste momentanément à la mission française. J’attend la réponse avec impatience car je préfère certes rester ici le plus longtemps possible ayant une situation beaucoup plus intéressante.

Expédié aujourd’hui un télégramme à Neuvillers pour faire adresser mon courrier ici et donner de mes nouvelles sur mon état de santé qui est on ne peut plus satisfaisant pour le moment.

16 janvier 1918

Après six mois de silence dans ce carnet de route où je n’ai pu continuer d’écrire en raison du trop grand travail cet été et de ma maladie par la suite, je vais recommencer mes récits car j’ai manqué de noter un tas de choses intéressantes surtout au moment des révolutions de juillet et d’octobre.

Je suis donc toujours à Arkhangelsk où nous venons de traverser une grand vague de froid (-39°) et où je pensais passer le restant de l’hiver mais je viens d’être secoué par une sale diphtérie et cette fois c’est la complication qui suit. Le docteur est venu ce soir et a déclaré qu’une opération était indispensable, aussi est il décidé que je partirai le lendemain même pour Petrograd et serai dirigé vers l’hôpital français où je pense être bien soigné.

17 janvier 1918

Tous mes préparatifs de départ sont faits et à 7 heures je m’installe ou plutôt on m’installe (car j’ai du mal à me traîner) dans un coupé de 1 ère classe de wagon-lit que j’avais pris soin de faire réserver dans la journée. Le départ s’effectue déjà dans de très mauvaises conditions car nous quittons Arkhangelsk avec 2 heures et demi de retard.

21 janvier 1918

Maintenant c’est de l’hôpital que j’écris ces lignes et où je goûte un bon repos après ce voyage fatigant et long. Nous sommes arrivés à Petrograd avec 38 heures de retard ayant été arrêtés en cours de route par une violente tempête de neige. C’est à une heure du matin que nous arrivons enfin à la gare Nicolas où je trouve une isvotchique qui me conduit à l’hôpital français et où j’arrive à 2 heures du matin. Tout l’hôpital était complètement endormi. Le portier vient enfin m’ouvrir et plus loin c’est une bonne sœur qui me reçoit et me fait vivement coucher dans un lit bien chaud après m’être restauré un peu. Ai été visité par le docteur Cresson qui déclare que pour l’instant l’opération n’est pas nécessaire et qu’il attendra pour se prononcer.

23 janvier 1918

Etat de santé à peu près stationnaire. Le docteur recommande la suralimentation car j’ai été très abattu par la diphtérie et prescrit une série de piqûres de cacodylate qui devra commencer aujourd’hui. J’ai aujourd’hui entre les mains quelques journaux qui relatent les troubles du 18 janvier et l’assassinat dans un hôpital de deux notables russes qui avaient été transférés de la forteresse Pierre et Paul pour raison de santé. La terreur règne donc toujours dans ce Petrograd où l’on peut à peine se montrer et prononcer un mot dans la rue. Nous apprenons aujourd’hui la fin des navires "Goeben" et du "Breslau" qui se rendaient en méditerranée pour continuer leurs exploits. Beau résultat qui a été vite bâclé. En cette occasion je pousse un retentissant Bravo pour la marine et ses alliés.

25 janvier 1918

Je reçois deux lettres d’Arkhangelsk et renvoie un télégramme et une longue lettre en réponse.

Samedi 26 janvier 1918

Le matin visite minutieuse du docteur Cresson qui déclare que je devrai être opéré mais seulement dans quelques jours après que j’aurais repris des forces. J’ai pourtant hâte que cela soit fait pour être enfin débarrassé et pouvoir bientôt retourner en France où j’espère jouir d’une assez longue convalescence. Aujourd’hui j’expédie une lettre à Neuviller pour annoncer mon prochain retour mais sans parler de mon état de santé.

Lundi 28 janvier 1918

Nouveau changement de décor après la visite du docteur qui dit qu’il attendra encore quelques temps pour se prononcer définitivement pour une intervention chirurgicale. Je reçois un télégramme d’Arkhangelsk m’annonçant le départ des bateaux. Ai eu hier la visite du commandant du Castel qui m’engage à rentrer en France dès que je serai sur pied car, dit-il, le pays commence à devenir malsain pour nous. J’envoie donc un télégramme à Neuviller pour annoncer ma prochaine arrivée ainsi qu’une lettre au lieutenant Vandelle à Arkhangelsk pour lui demander de me faire parvenir mes bagages ici car il a été décidé avec le commandant du Castel que je ne retournerai pas à Arkangel et que je rentrerai en France par la Suède, la Norvège et l’Angleterre ce qui me permettra de visiter encore un peu de pays lors de mon retour. Depuis mon arrivée, Petrograd reste à peu près calme mais on a beaucoup de mal à avoir des journaux car la plupart sont interdits depuis le coup de chien du 5/18 janvier. Les vivres manquent toujours de plus en plus et certainement cette question capitale renouvellera encore de sérieux troubles un jour ou l’autre. Le bruit court que l’Ukraine aurait signé un traité de paix avec l’Allemagne. Est ce bien vrai ?

Mardi 29 janvier 1918

Recevons de mauvaises nouvelles au sujet de la Roumanie : l’ambassadeur a quitté Petrograd cette nuit, les relations entre Roumanie et Russie étant rompues. Ou va donc la Russie ? dans quel gouffre se précipite-t-elle ? La suite des évènements nous le fera connaître bientôt car de grosses surprises nous sont encore réservées sous peu. Qui vivra, verra ! ! ! . . . .

Jeudi 31 janvier 1918

Les nouvelles deviennent toujours plus mauvaises. Si la guerre n’existe plus sur le front russo-allemand, c’est sur le front russo-russe qu’elle continue et avec plus d’acharnement. En Finlande les troubles sont assez sérieux. Il y a de sanglants combats de rue à Helsingfors et à Wiberg et l’on annonce de nombreux morts et blessés. Les communications par voie ferrée sont interrompues avec la Finlande, les lignes étant coupées en certains endroits. Du côté de Kiev, c’est la même chose, et là-bas les bolcheviques seraient battus par les troupes ukrainiennes. Plus au sud, c’est entre roumains et russes que la lutte continue aussi très chaude. Un détachement roumain aurait été cerné vers Urngeui-Kichinev mais des renforts étaient arrivés à temps pour dégager les roumains déjà prisonniers et auraient battus sérieusement les russes qui continuent de battre en retraite. Voilà ce que le gouvernement bolchevique appelle la fraternité des peuples, quand dans tous les pays, pères, fils, frères s’entretuent. Ah ! que j’ai hâte de rentrer vite en France, car ce pays me fait mal à voir et le jour même où je foulerai un autre sol, il me semble que j’aurais déjà un poids de moins sur le cœur.

Samedi 2 février 1918

Hier la garde rouge est venue pour inventorier les vivres en réserve à l’hôpital et a absolument tout visité. A une réflexion d’un commissaire qui disait et qui notait en même temps que l’hôpital avait une trop grande réserve de savon, la sœur supérieure lui a répondu et d’un ton énergique qu’il ferait bien mieux de noter tous le vivres manquant au lieu de ce qu’il pouvait y avoir en trop, et ce à quoi il a préféré ne pas répondre. Les évènements ont l’air de vouloir se calmer en Finlande mais nous sommes presque sans nouvelle du sud. Que se passe-t-il là-bas ? J’ai oublié de noter depuis quelques jours un fait assez rare à Petrograd et en cette saison, car la température est très douce, le thermomètre est même remonté à 6 et 8° au dessus de zéro ce qui ne s’est jamais vu en janvier qui est le mois le plus froid en Russie.

Lundi 4 février 1918

Hier visite du commandant du Castel et du commandant Hézard qui m’apportent de la lecture et je cause un moment avec eux. Cette fois le docteur Cresson s’est prononcé et je serai opéré dans le courant de la semaine. Vivement que ce jour arrive et que je sois enfin débarrassé. Au sujet des évènements , rien de particulier à signaler.

Vendredi 8 février 1918

Nouvelle sensationnelle ce matin, le Cdt du Castel a été (hier soir à 11 heures) attaqué en pleine rue de Petrograd par une bande de soldats. Il est paraît il assez sérieusement blessé à la main gauche par un coup de sabre. Je n’ai pas d’autres détails sur cet attentat des russes sur un officier français en tenue et non armé, mais irai cet après-midi rendre une visite au Cdt du Castel qui me donnera les détails. Décidément nous ne sommes plus en sécurité dans ce pays ! ! . . Quant à la question des vivres, la situation continue d’être de plus en plus critique. Hier soir au dîner (pourtant nous sommes dans un hôpital) nous avions en guise de pain deux pommes de terre et ce matin rien avec le petit déjeuner. De quoi nous plaignons nous ? tout va donc pour le mieux ! ! ! . . .
J’ai envoyé le 5 février une lettre à Neuviller par intermédiaire du lieutenant aviateur Chabot qui rentre en France. Aujourd’hui j’envoie une lettre recommandée par poste, j’ai grand peur que Neuviller manque de mes nouvelles car de mon côté je n’ai rien reçu depuis le mois de novembre. Quelques détachements de bandits continuent leurs exploits de pillage et c’est ainsi que l’on apprend que tous les deux ou trois jours, à la suite du pillage d’une cave quelconque (car ce sont surtout les caves qui sont recherchées) qu’il y a cent et quelques tués et le double de blessés. Hier il y a eu quelque chose dans ce genre et il est resté sur le carreau environ cent vingt morts et trois ou quatre cents blessés. Ceci se passait dans la Ladovaia. Quel bel avenir de fraternité pour la Russie ! ! ! . .

Samedi 9 février 1918

Cette fois c’est décidé je serai opéré lundi prochain. Le docteur Cresson vient de m’examiner à nouveau et déclare que l’opération est indispensable, je n’ai donc plus qu’à me préparer.

Lundi 11 février 1918

Le docteur est arrivé et a commencé les opérations (car il y en a trois aujourd’hui) et j’attends impatiemment mon tour qui ne tardera plus car je viens d’apprendre que la première est terminée.

Lundi 18 février 1918

C’est après une semaine de souffrances atroces que je puis enfin reprendre la plume, l’opération s’est passée dans les meilleures conditions possibles à part un hématome qui a percé aujourd’hui au moment où on enlevait la dernière agrafe et c’est ce qui m’a soulagé complètement, m’enlevant les 9/10 de la douleur que je supportais surtout depuis deus jours. Un pansement a été fait le deuxième jour où on a enlevé les tampons et un deuxième pansement le cinquième jour où les fils profonds ont été enlevés. Pendant ces deux pansements je puis dire que j’ai enduré les pires souffrances qui puissent exister. Enfin heureusement cela n’avait qu’un temps et aujourd’hui je me sens mieux après le troisième pansement où les agrafes ont été enlevées et où cet épanchement de sang est venu bien à point pour me soulager. J’ose donc espérer que je vais aller de mieux en mieux maintenant et que je serai vite sur pied afin de pouvoir rentrer bien vite en France.

Mardi 19 février 1918

Aujourd’hui remises de décorations à l’hôpital français . Le docteur Cresson, trois sœurs qui ont été prisonnières des boches et un médecin militaire russe reçoivent la croix de guerre. Après la cérémonie qui a lieu dans une salle du Lazaret, je reçois la visite de monsieur Noulens, ambassadeur de France, du général Niessel chef de la mission militaire, du général Lavergne et du commandant Hézart qui me souhaitent un prompt rétablissement. Nous apprenons que les allemands viennent d’occuper Dvinsk, vont-ils venir jusqu’à Petrograd ? ? Les évènements vont bientôt nous l’apprendre mais pour mon compte personnel je suppose qu’ils seront ici avant peu et qu’il serait temps pour nous de déguerpir, donc il faut que je guérisse bien vite.

Jeudi 21 février 1918

Aujourd’hui les évènements se précipitent d’heure en heure et je crois bien et qu’il va falloir déguerpir plus tôt que nous le pensions car les boches avancent et prennent la direction de Petrograd. Hier ils ont occupé Minsk, Novopolotzk, Luts’k , Doubno et Rovno et ils arrivent sur Pskov donc dans une dizaine de jours ils seront ici, car il faut dire que personne ne leur barre la route au contraire ils cueillent dans toutes les villes des dépôts d’armes et de munitions qui ne demandent pourtant qu’à être utilisés par leurs propriétaires, mais pas de commandement nulle part et surtout d’esprit de patrie. C’est un désastre effroyable pour la Russie car maintenant elle est perdue pour longtemps. C’est son peuple qui l’a voulu .. . il a été question aujourd’hui de faire partir tous les français de Petrograd et un premier détachement partira ce soir même pour Mourmansk où je pense des bateaux pourront nous rendre enfin à notre Mère Patrie. Nous sommes une dizaine de militaire en traitement à l’hôpital dont un colonel qui ne peut marcher et moi qui ne pourrai être sur pied que dans quelques jours, les autres sont à peu près valides. Le docteur Cresson va décider de notre sort mais je compte que nous partirons dans trois ou quatre jours, peut être en compagnie des bonnes sœurs qui demandent à ne pas être abandonnées au milieu des boches et des russes. J’espère que j’aurai le temps de me rétablir convenablement avant l’embarquement sur un bateau et que je supporterai assez facilement ce nouveau voyage en mer. A la grâce de Dieu ! ! . . . Touché aujourd’hui de la Mission Militaire la somme de 295 roubles pour le remboursement de mes frais de médecine à Arkhangelsk.

Vendredi 22 février 1918

Les boches avancent toujours et ils ont encore occupé quelques petites villes. C’est la panique qui commence à Petrograd et les trains qui quittent la ville sont surtout bondés de fuyards qui ont peur d’être mobilisés pour la défense de la ville qui je crois sera tout de même occupée sans effort par les boches. Les missions militaires déménagent et le plus gros des militaires français est déjà parti. Ceux qui étaient soignés à l’hôpital et qui étaient valides sont partis ce matin. Nous restons à trois dont le colonel et pensons être évacués sous peu. Le gouvernement est sur des épines car après la prise de Dvinsk, Lénine et Trotsky avaient envoyé un télégramme à Berlin acceptant les précédentes conditions de paix, mais ils ont reçu un radio réclamant en plus l’évacuation de Petrograd et de la Finlande. A cette réponse, les deux pantins ci-dessus, paraissent devenir fous (on ne sait réellement pas s’ils sont sincères ou si c’est de la comédie) et ils lancent des proclamations continuant toujours à prêcher leur guerre de partis, demandant à ce que l’on forme à la hâte une armée pour la défense de la capitale, disant qu’ils se battront jusqu’à la dernière cartouche et jusqu’à la dernière goutte de sang ? ! ! ! ! . . . C’est ce que nous verrons. En attendant ces pauvres écervelés s’imaginent que l’on peut former une armée du jour au lendemain comme cela et soit-disant et ordonnent à toutes les troupes de retarder le plus possible la marche des boches sur Petrograd. Pauvres fous ! . . c’est après avoir pourri toute l’armée russe qu’ils vont demander à ces machines humaines que sont presque toutes leurs soldats, un acte de courage nouveau quand ils n’ont cessé jusqu’à présent de leur répéter qu’il ne fallait plus se battre ? .. Allons, la Russie est perdue, bien perdue pour les quelques russes qui avaient autre chose qu’une pierre sous le sein gauche et ceux-là seuls sont à plaindre car les autres ne subiront que le sort qu’ils sont allés chercher. Quant à mon état de santé, il va en s’améliorant tous les jours et je me suis levé aujourd’hui pour la première fois, mais je ne suis pas bien solide sur mes jambes et je ne puis pas faire un pas sans être soutenu. Ce n’est heureusement que passager comme après toutes ces opérations sérieuses et ce n’est plus qu’une affaire de trois ou quatre jours pour être à peu près sur pieds.

Lundi 25 février 1918

Les nouvelles sont de plus en plus mauvaises et nous venons d’apprendre la prise de la ville de Pskov. Les boches répondent aux offres de paix des bolcheviks par la continuation de l’offensive pour laquelle ils n’ont besoin d’aucune force importante, les soldats russes abandonnant tout à l’annonce de l’arrivée prochaine des boches. Nous apprenons de source très sûre qu’ils n’avancent que par petits paquets et qu’ils ont pris certaines villes avec une vingtaine d’hommes commandés par un officier. Rejitsa qui pourtant est une ville assez importante a été prise par cent motocyclistes. Que peut on faire devant une telle débâcle qui mène la Russie à l’abîme. Pourtant le prétendu gouvernement est sur les dents et a déclaré la guerre à outrance. C’est une panique folle en ville aujourd’hui : ce matin toutes les églises sonnaient le tocsin et les usines faisaient retentir leurs sirènes pour appeler toute la population aux armes. Tous les hommes paraissant valides et rencontrés dans la rue par la garde rouge sont arrêtés et enrôlés d’office. (dans l’après midi le bruit court que Lénine serait renversé. On ne nous communique ce renseignement que sous toute réserve) Mon état s’améliore assez vite et je commence à marcher plus librement. Il est vrai qu’il faut que je me dépêche car nous allons être forcés de quitter Petrograd bientôt.
10 heures du soir les évènements se précipitent encore avec plus de rapidité que ce que l’on avait imaginé. Les boches avancent à une vitesse vertigineuse et nous apprenons dans la soirée la prise de Louga qui se trouve à 80 verstes de Petrograd, aussi recevons nous l’ordre de nous tenir prêts à partir dès demain. C’est maintenant la panique folle dans Petrograd, les bolcheviks menacent d’égorger toute la bourgeoisie si les boches prennent la ville et promettent de renouveler une nuit de la Saint Barthélemy. Il va certainement se passer ici quelque chose d’atroce dans deux ou trois jours et il me tarde de quitter ce pays de sauvages. Les boches avaient pris la ville de Louga avec deux trains blindés et un effectif d’environ deux cents hommes. Ces trains auraient dépassés cette dernière ville et pourraient être aux abords de Petrograd demain dans la journée. Il faut ajouter que ce qui permet une expédition si rapide c’est que tout est systématiquement abandonné par les troupes, les employés de chemin de fer empêchent de couper les voies et les boches sont reçus partout avec des fleurs ! ! ! . . . .

Mardi 26 février 1918

12 heures - La panique continue en ville et les cloches et les sirènes se sont encore faites entendre longuement ce matin de bonne heure. Il y a eu des fusillades dans les rues pendant presque toute la nuit mais nous ne savons pas encore à quel sujet. Aucune nouvelle de la marche des boches depuis hier soir mais ils ne doivent pas être bien loin. Il est décidé que nous partirons ce soir vers minuit aussi faisons nous les derniers préparatifs de départ. Le docteur Cresson partira probablement avec nous ainsi que deux infirmières françaises. Les bonnes sœurs doivent rester momentanément ici et seront rapatriées plus tard car il est impossible d’évacuer tout le monde et les militaires partent d’abord, il est vrai que le dernier départ s’effectue ce soir mais il est fort probable que l’on ne pourra plus quitter la ville à partir de demain.

Mercredi 27 février 1918

Cette fois nous sommes dans le train et nous roulons vers Petrozavodsk comme première destination. Le départ s’est effectué pour commencer dans des conditions plutôt difficiles et la route se continue dans une situation presque impensable, surtout pour moi qui suis encore loin d’être rétabli, car je suis installé dans un wagon non chauffé et où nous sommes entassés presque sans distinction. Nous sommes 54 dans un wagon-lit de 18 places et on a tout de même pris la précaution de me placer sur une couchette supérieure où je puis tout de même resté étendu. J’ai quitté l’hôpital hier soir vers 9 heures et nous sommes arrivés à la gare Nicolas à 9h1/2 où nous avons attendu jusqu’à 3 heures du matin pour prendre place dans le train qui a eu beaucoup de mal à se former. Nous quittons enfin Petrograd à 6h15 du matin mais n’ai pu dormir une seule minute car il n’y a pas moyen de se réchauffer malgré les couvertures qui ne manquent tout de même pas. Ce n’est que dans l’après-midi que je parviens tout de même à me reposer un peu. Nous regrettons assurément notre hôpital où nous étions si bien soignés et où nous laissons les bonnes sœurs qui se sont résignées à attendre les boches puisque leur départ est impossible. D’après les dernières nouvelles, les boches occuperaient Gatchina qui est environ à 40 verstes de Petrograd donc il est grand temps de déguerpir.

Jeudi 28 février 1918

Sommes arrivés ce matin à 2h1/2 à Petrozavodsk. Nous restons dans notre wagon jusqu’à 14 heures et on nous installe dans de nouveaux wagons qui sont spécialement organisés pour recevoir les étrangers de passage et où nous sommes pas trop mal installés, mais c’est la question nourriture qui va devenir critique, car nous sommes partis de Petrograd avec environ 3 jours de vivre, et de plus il est fortement question de nous faire attendre ici une quinzaine de jours. Très jolie perspective surtout pour des impotents qui ont besoin des plus petits soins. Enfin prenons patience et attendons les événements.

Vendredi 1er mars 1918

Toujours installés dans notre wagon qui nous sert d’hôtel (non restaurant). Nous réussissons tant bien que mal à faire un peu de toilette avec de l’eau que l’on distribue à la gare et qui doit servir à faire le thé, mais tant pis, puisqu’il est impossible de s’en procurer autrement car nous n’avons pu faire la moindre toilette depuis mardi, c’est-à-dire depuis notre départ de Petrograd. Le docteur qui nous accompagne a refait mon pansement hier, et naturellement la plaie qui était presque complètement fermée s’est rouverte par la fatigue supportée depuis le départ. Heureusement que j’avais pris mes précautions, de me munir d’un petit nécessaire de pharmacie qui va m’être d’une grande utilité, et j’espère malgré tout arriver à me guérir tant bien que mal pendant la route. Nous sommes sans nouvelle de toute la Russie et complètement isolé de tout. Espérons que demain un train arrivera avec de nouveaux militaires à rapatrier et que nous apprendrons quelques nouveautés qui naturellement ne feront que nous confirmer quelque nouveau désastre. Attendons donc avec patience.

Samedi 2 mars 1918

Rien de nouveau aujourd’hui, aucun voyageur n’est arrivé de Petrograd et nous sommes toujours sans nouvelle. Nous parvenons tant bien que mal à nous faire ravitailler et l’on nous trouve tout de même un peu de beurre au prix de douze roubles la livre russe (400g) et quelques bougies pour l’éclairage à deux roubles pièce. Doux pays où la vie est réellement agréable et peu coûteuse. Une assiette que j’avais faite acheter à Petrograd ne coûte que 2,75 roubles et le couvert 2 roubles, quand le tout m’aurait coûté en France O,50 franc au maximum. Je dois même noter ici pour mémoire que la voiture qui a conduit le colonel de Courcy et moi de l’hôpital français à la gare Nicolas de Petrograd a du être payée 80 roubles pour environ ¾ d’heure de marche ce qui est réellement pour rien.

Dimanche 3 mars 1918

Rien de bien particulier aujourd’hui. Il est arrivé ce soir une quinzaine de militaires par le train de Petrograd et qui ne donnent que très peu de renseignements. L’ambassade a quitté Petrograd deux jours après nous pour se rendre à Helsingborg en Finlande et les officiers de la mission auraient rejoint Pologda ainsi que le docteur Cresson qui va à la recherche de ses missions sanitaires.

Lundi 4 mars 1918

Un médecin refait mon pansement aujourd’hui et comme je m’y attendais la plaie qui n’était pas complètement fermée, se rouvre davantage, ce qui m’inquiète beaucoup avec ce grand voyage en perspective. Il fait un temps superbe et pas de vent et un soleil très chaud, aussi j’en profite pour aller prendre l’air un peu et l’on m’installe tant bien que mal sur une chaise et bien exposé au soleil. C’est là que le colonel Mangin vient m’apprendre que nous partons ce soir pour Mourmansk car, paraît il le vapeur Porto doit y arriver aujourd’hui. Espérons que nous arriverons donc sans encombre et que nous prendrons place de suite sur le bateau où je pourrais me soigner plus facilement et surtout me substanter dans de meilleures conditions qu’ici.
6 heures du soir : notre départ est définitivement fixé pour ce soir et nous devons partir dans la nuit avec le wagon dans lequel nous sommes installés, ce qui évitera un transbordement toujours difficile à effecteur pour des invalides.

Mardi 5 mars 1918

Changement de décor ! ! . . le train ne partira qu’aujourd’hui dans l’après midi , aussi avons nous passé une nuit encore à peu près tranquille. Un train est arrivé de Petrograd cette nuit et c’est avec impatience que nous attendons des nouvelles de la capitale au sujet des évènements car paraît les bolcheviks n’acceptent pas les conditions de paix de l’Allemagne et prêchent la guerre sainte. Les évènements qui vont suivre nous fixeront avant peu mais je doute fort que la Russie soit actuellement capable du moindre effort.
9 heures du soir : Le train n’est pas encore parti mais actuellement il est tout à fait prêt et ne tardera plus beaucoup pour démarrer.

Dans la matinée nous avons eu la visite du général Niessel qui est arrivé la nuit dernière avec tout son Etat-Major pour régler toutes les questions en suspens, aussi j’en profite pour me faire régler tout l’arriéré de ma solde, ce qui d’ailleurs ne s’effectue pas sans mal. Nous apprenons que la situation devient de plus en plus critique pour la Russie, Petrograd n’est pas encore occupé mais est sérieusement menacé. Kiev a été occupé samedi dernier et les boches continuent leur marche en avant en remontant vers le nord essayant d’isoler complètement Petrograd et en se dirigeant sur Gvanka et de là sur Petrozavodsk, endroit où nous sommes actuellement, donc il va être grand temps de partir.

Mercredi 6 mars 1918

Le train est enfin en route et nous avons quitté Petrozavodsk ce matin à 0h20 et à l’instant où j’écris nous sommes à mi chemin de Kem. Certes il n’est pas agréable pour des malades d’être secoués dans un wagon où nous sommes assez bien installés quand même en raison des difficultés actuelles, mais l’espoir de revoir bientôt la France nous donne du courage et c’est avec, je dirai presque grande joie, que nous nous laissons emporter vers le nord. Le paysage parcouru n’est pas très intéressant car c’est partout de la neige et des sapins et ce sera toujours de même jusqu’à Mourmansk. Remarqué seulement en cours de route de nombreuse tombes de prisonniers boches et autrichiens qui étaient probablement employés à réparer et entretenir cette nouvelle ligne de chemin de fer qui n’existe que depuis la guerre. Impossible de se ravitailler en route aussi en sommes nous réduits à nous nourrir qu’avec quelques boites de singe, des sardines et des biscuits que nous avons pu nous procurer à Petrozavodsk où la mission avait pris la précaution de faire un petit dépôt de vivres.

Jeudi 7 mars 1918

Sommes actuellement arrêtés à Kouziena, station qui se trouve à environ 60 verstes au nord de Kem. Nous avons brûlé cette dernière ville sans nous en apercevoir entre 5 et 6 heures du matin, heure à laquelle tout le train était plongé dans le plus profond sommeil. Nous allons donc maintenant nous diriger vers Kandalakcha station à mi chemin de Mourmansk mais le train a bien du mal à s’ébranler car nous sommes ici depuis trois heures sans savoir pourquoi nous avons un arrêt aussi long et ignorant totalement quand nous pourrons repartir. A titre de mémoire je vais nommer les voyageurs occupant le même wagon que moi, d’abord dans mon coupé se trouve le colonel de Courcy, qui comme moi était à l’hôpital et qui est presque invalide à la suite d’un accident de chemin de fer. Ensuite dans les autres coupés le lieutenant-colonel Mangin de Nancy, le médecin major Choinisse qui nous accompagne comme docteur, Monsieur de Preville, la famille Pillorget et quelques autres personnes dont le nom m’est inconnu.
8 heures du soir : nous avons encore parcouru une cinquantaine de verstes et nous voilà de nouveau en panne mais cette fois ci c’est du sérieux car notre locomotive vient de dérailler en allant faire de l’eau, donc nous pouvons encore rester bien longtemps ici, si une autre locomotive ne vient à notre secours, ce qui demandera pas mal de temps en raison des grandes difficultés actuelles de communication.

Vendredi 8 mars 1918

Nous avons passé une nuit bien tranquille car le train n’a pas bougé et ce n’est qu’à 8 heures du matin que nous reprenons notre marche en avant avec une nouvelle locomotive qui vient d’arriver. Nous passons à Nourapucuikpyre (cercle polaire) à 1h ½ et nous continuons notre route vers Kandalakcha où nous pensons arriver dans la soirée. Depuis notre départ de Petrozavodsk nous sommes absolument sans nouvelle de Petrograd et de tous les évènements de Russie, quelques renseignements. Rien de bien particulier à signaler sur le paysage parcouru. Toujours des sapins et de la neige et quelques lacs qui sont partout couverts de glace. Aperçu pendant quelques secondes la mer Blanche et pas assez de temps pour bien distinguer et préciser quoi que ce soit car la vue nous a aussitôt été bouchée par les sapins qui sont très épais. Il est vrai que nous aurons peut être une nouvelle occasion de la voir car nous la côtoyons de Kem à Kandalakcha et il nous reste encore 4 heures à rouler avant la nuit. Nous sommes arrêtés depuis un bon moment à une station et toute la population du village est venue pour contempler le train et les voyageurs et restent ébahis en voyant les wagon-lits qui passent pour la première fois dans la localité car jusqu’ici ces wagons n’avaient pas encore été employés sur cette ligne. Ce sont de véritables types lapons qui ressemblent beaucoup aux chinois mais de taille un peu plus petite et naturellement dans le plus grand état de . . . saleté, ce qui est très normal pour eux car ils méconnaissent absolument toute toilette.

Samedi 9 mars 1918

Nous avons côtoyé hier soir de 3 à 6 heures le golfe de Kandalakcha et cette vue nous change un peu de la monotonie des sapins et des terrains plats. Nous sommes arrivés à Kandalakcha à 11 heures du soir et en sommes repartis à minuit. Nous avons revu là pas mal de français qui avaient quitté Petrograd bien avant nous et qui sont navrés de se voir dépassés mais pas de beaucoup car eux mêmes comptent partir demain. Le train continue maintenant à rouler assez vite et s’il continue ainsi nous pourrons être à Mourmansk ce soir vers 10 ou 11 heures. Nous sommes actuellement arrêté à Imaudra station qui est située sur le lac du même nom et que nous avons côtoyé pendant un certain temps car il est pas mal grand. Depuis ce matin le paysage parcouru est très intéressant et rappelle un peu les Vosges : lacs, montagnes assez élevées, rochers, sapins, etc . . enfin paysage agréable à contempler mais certainement pas à habiter, car il y fait très froid mais depuis notre wagon-lit assez bien chauffé il n’est pas désagréable de visiter ces régions Rencontré en cours de route pas mal de wagons culbutés et même un train entier avant la station de Kandalakcha. Tout ce matériel est naturellement destiné à pourrir sur place car le russes considèrent que le travail est trop pénible pour relever tous ces wagons. Nous quittons Imaudra à 11h30 du matin et filons maintenant sur Mourmansk à la vitesse vertigineuse de 12 à 18 km/h.
6 heures du soir : Nous sommes de nouveau en panne et arrêté en pleine brousse après une avarie sérieuse à la locomotive qui a une bielle faussée et qui ne peut absolument pas continuer sa route. Donc nous sommes probablement condamnés à passer la nuit sur place.

Dimanche 10 mars 1918

Après bien des péripéties de toutes sortes nous arrivons enfin à Mourmansk à 7h30 du matin. Une nouvelle locomotive est venue à notre secours et nous a enfin tiré d’affaire. Nous apercevons de nombreux bateaux dans le port et l’on remarque principalement 5 navires de guerre, 2 anglais et 3 russes. Le "Porto" qui doit nous conduire à destination est là et lui aussi est arrivé hier avec 1600 soldats russes qui débarqueront probablement aujourd’hui. Vers 10 heures nous voyons le capitaine de Lagatinerie qui nous donne quelques tuyaux intéressants. Il nous annonce que les alliées viennent définitivement de prendre la direction du port et de toute la ligne de Mourmansk. Une compagnie anglaise a débarqué il y a deux jours en arme et hier et hier sont arrivés 200 artilleurs qui vont servir à l’occupation militaire de tous les services. Les matelots russes sont licenciés et renvoyés vers l’intérieur de la Russie, quant aux chefs des différents comités ou soviets russes ils adhèrent assez docilement à ce mouvement et quelques uns même sont ravis de cette décision, qui malheureusement est prise un peu tard. Nous apprenons également qu’un autre bateau doit arriver dans le courant de la semaine et que c’est probablement celui-là qui nous conduira à destination car il partira le premier. Nous allons donc continuer à loger dans notre wagon en attendant l’embarquement ce qui est très ennuyeux surtout au point de vue nourriture car ici, comme partout où nous sommes passés, on ne trouve absolument rien et c’est le régime du singe et des sardines qui va continuer. Je retrouve naturellement Mourmansk bien changé depuis l’an dernier. Beaucoup de maisons ont été construites et les quais ont été agrandis, malheureusement je ne puis sortir du wagon et ne puis voir que très peu de choses.

Lundi 11 mars 1918

Je viens de passer une assez mauvaise nuit car il a fait froid dans notre wagon qui est mal chauffé, il est vrai que la température s’est sérieusement abaissée depuis notre arrivée et la gelée se fait fortement sentir ce matin, il y a au moins -30° en dessous de zéro, la neige tombe abondamment dans la matinée mais le soleil se décide tout de même à percer dans l’après midi. Revu le capitaine de Lagatinerie va faire le nécessaire pour expédier nos bagages restés à Arkhangelsk. Il nous apprend qu’un train qui a quitté Mourmansk hier soir avec des russes débarqués du "Porto" a déraillé au delà de Kola et qu’il y a de nombreux morts et blessés. Il était donc temps que nous passions pour ne pas être mêlés à cette catastrophe. J’ai eu hier soir la visite de la bonne qui était employée à la Mission d’Arkhangelsk et qui a fait la cuisine pour la Mission et elle est actuellement ici. En apprenant mon arrivée et me sachant malade, elle s’est empressée de faire quelques gâteaux et de me les apporter ainsi que quelques boites de lait concentré me promettant de m’approvisionner du mieux qu’elle pourrait en attendant mon embarquement. La conversation a été assez pénible car elle ne parle que russe, mais mon répertoire a largement suffi pour nous expliquer clairement.

Mardi 12 mars 1918

Aujourd’hui est l’anniversaire de la révolution russe. En cette occasion il y a naturellement grande manifestation et tout russe qui se respecte ne travaille pas. Les navires russes saluent cette journée par les 21 salves réglementaires et hissent le drapeau rouge. Dans la journée grand nombre de réunions en plein air malgré le froid et l’on entend à chaque instant des coups de fusils ou revolvers que quelques égarés tirent en l’honneur de cet anniversaire. La soirée se termine enfin sans incident fâcheux et tout rentre dans le calme. Un train est arrivé hier soir en venant de Petrograd avec un certain nombre de voyageurs à rapatrier. D’après les dernières nouvelles les boches seraient arrêtés et les pourparlers de paix sont de nouveau repris. Les boches ont lancé quelques bombes sur Petrograd et la population est exaspérée. Cela finira-t-il par leur ouvrir les yeux ? J’en doute encore.

Mercredi 13 mars 1918

Avons aperçu hier soir à partir de 9 heures une aurore boréale superbe qui a duré une grande partie de la nuit. C’est la première fois que j’aperçois ce phénomène très curieux et suis bien content d’en avoir profité avant mon départ de Russie. Le deuxième bateau le "Hentsend" qui doit arriver incessamment et nous prendre n’est pas encore là et il me tarde pourtant de partir ou tout au moins de changer d’installation car nous sommes toujours dans notre wagon et cela commence à devenir fatigant surtout pour des malades, car le régime que je suis actuellement n’est pas du tout fait pour améliorer mon état. Comme nourriture toujours du singe, des sardines et du pain noir, aussi si nous devons continuer encore longtemps ce genre d’alimentation, gare aux épidémies qui sont si fréquentes en Russie et en pareille saison. C’est donc avec la plus grande satisfaction que nous apprenons l’arrivée de ce bateau tant désiré et qui ne tardera probablement pas. Le temps reste toujours très froid et je ne peux même essayer de sortir ce qui me fait paraître le temps bien plus long. J’aperçois de mon wagon quelques attelages de rennes qui me donnent envie de faire une promenade en traîneau, ce qui me changerait un peu mais tout cela n’est qu’un rêve et pour l’instant je dois me contenter de rester couché.

Jeudi 14 mars 1918

Le temps reste mauvais et le vent devient très grand , aussi la mer doit être très grosse ce qui ne me sourit nullement car nous allons danser sérieusement sur le bateau. Rien de particulier à noter. Notre vie devient ici monotone et nous trouvons le temps bien long en attendant notre bateau qui n’arrive toujours pas. Nous apprenons dans la soirée par un provodnik du train que le wagon dans lequel nous sommes installés est celui qui a conduit la famille Impériale à Tobolsk lors de son transfert de Tsarkoie-Solo à cette ville. Nous en sommes très flattés mais nous préfèrerions certes avoir un wagon moins confortable et une nourriture plus abondante et surtout plus variée.

Vendredi 15 mars 1918

Un train est arrivé cette nuit avec de nombreux français, entre autres une partie de la Mission d’aviation et quelques isolés. D’autres trains sont annoncés pour aujourd’hui et je me demande, si cela continue quelque peu, dans quelles conditions nous allons pouvoir vivre, car nous sommes déjà bien serrés pour l’instant. Il est grand temps que nous quittions ce triste pays. Ai revu dans la soirée quelques anciens camarades de Brest : Bertaux, Ancher, Leroux ainsi que d’autres dont les noms m’échappent et que j’aurais l’occasion de revoir sur le bateau qui n’arrive toujours pas.

Samedi 16 mars 1918

Le vent souffle avec rage et la tempête doit être terrible en mer, ce qui empêche probablement le bateau d’arriver et duquel nous sommes absolument sans nouvelle ce qui commence à nous inquiéter sérieusement. Cette nuit le vent était tellement violent qu’il refoulait à l’intérieur du wagon toute la fumée de la chaudière et nous avons failli être asphyxiés Dans l’après midi nouvelle catastrophe : un malade du wagon est déclaré atteint de la variole noire et il est évacué d’urgence sur le lazaret de l’endroit. On parle de nous revacciner et d’isoler notre wagon pour un certain nombre de jours. Dure perspective avec cette calamité ajoutée à toutes les privations endurées jusqu’à ce jour. Si cette situation doit se prolonger quelques temps, je souhaite vivement de retourner à Petrograd où je pourrais recevoir au moins quelques soins car mon état, au lieu de s’améliorer ou même de rester stationnaire, va en s’aggravant et ne puis absolument pas rester bien longtemps dans cette situation difficile. Dans la soirée le wagon est isolé et nous nous trouvons maintenant à l’autre bout de la gare où nous sommes absolument seuls ce qui est loin d’être gai.

Dimanche 17 mars 1918

Le vent se calme un peu mais il fait toujours très froid. Le bateau n’est pas encore arrivé et l’on commence à être très inquiets sur son sort car il est inadmissible qu’il puisse avoir un retard de quatre jours sans avoir été arrêté en cours de route. Toujours le même régime de nourriture et pas de soin, aussi la situation ne peut tout de même plus se prolonger bien longtemps dans de pareilles conditions. Le général Talouis et tout son Etat-Major d’officiers sont arrivé hier venant de Kiev. Qu’allons nous devenir s’il arrive toujours du personnel tant que l’évacuation par mer est impossible en raison du manque de bateau. Décidément le gouvernement français est bien coupable de laisser autant de monde dans une telle situation et les réclamations ne vont certes pas manquer à l’arrivée car tout le monde est très monté et surexcité devant une négligence aussi grande car le retour de la Mission française par la ligne de Mourmansk est prévue depuis plus d’un mois. Aujourd’hui vaccination de tout le personnel du wagon en raison de l’épidémie de variole qui sévit actuellement. Donc quelques piqûres à ajouter aux centaines déjà reçues depuis le début de la guerre.

Lundi 18 mars 1918

Journée insignifiante toujours même vie triste et monotone. Un train est arrivé dans l’après midi venant d’Odessa avec une partie de la Mission du général Berthelot qui était en Roumanie. Le bruit court que les gardes rouges finlandais occuperaient la ligne à Kandalakcha nous coupant ainsi toute communication avec l’intérieur de la Russie. Nous n’acceptons que sous les plus extrêmes réserves ces renseignements qui paraissent peu vraisemblables. Aucun bateau n’est encore arrivé.

Mardi 19 mars 1918

Voilà trois semaines que nous avons quitté Petrograd et toujours dans notre triste wagon que nous voudrions quitter pourtant bien vite pour arriver en France encore bien plus vite mais aucun indice ne laisse espérer un départ prochain puisque nous sommes toujours sans nouvelle du "Hendsend" qui devait arriver la semaine dernière, aussi devenons nous très inquiets sur notre sort car nous ne pouvons plus attendre bien longtemps dans de pareilles conditions. Il y a ici quatre à cinq mille passagers qui attendent le départ et des trains arrivent chaque jour amenant du nouveau personnel qui arrive sans vivre et qu’il faut nourrir sur place. Donc il est matériellement impossible que cette situation puisse se prolonger, même une semaine, sans que nous soyons réduits à manger du lichen et les racines des arbres, car les approvisionnements de l’endroit n’ont jamais été prévus pour autant de monde.
5 heures du soir : Le "Hendsend" arrive enfin et c’est avec grande joie que nous apprenons cette heureuse nouvelle qui mettra fin à nos privations qui menaçaient de devenir plus grandes. Est arrivé également ce matin le croiseur français "Amiral Aube" qui va stationner ici et qui dispose d’une compagnie de débarquement pour le maintient de l’ordre en cas de besoin. Donc vivement le départ tant attendu.

Mercredi 20 mars 1918

Allons, il y a bon ! ! . . Nous sommes prévenus d’avoir à nous tenir prêts pour l’embarquement qui doit se faire demain matin pour nous. Je serai installé à l’hôpital du bord où je pourrais recevoir enfin les quelques soins dont j’ai tant besoin et prendre une meilleure nourriture en attendant notre heureuse arrivée en France. Le régime du singe qui dure depuis 23 jours va tout de même avoir une fin et décidément ce n’est pas dommage. Le vent s’est un peu calmé depuis deux jours, espérons donc qu’il se maintiendra ainsi quelques temps et que nous n’aurons pas une traversée trop mouvementée.

Jeudi 21 mars 1918

Journée mémorable qui marquera dans mes annales car je ne puis partir sur le «"Hendsend" pour diverses raisons. Il avait été décidé que je serais logé à l’hôpital du bord mais grande désillusion quand je me présente sur le bateau. Tout d’abord j’ai dû chercher pendant un temps infini et après bien des supplications, à me faire conduire à l’hôpital du bord lorsque le médecin qui est chargé du service sanitaire m’annonce froidement qu’il n’y a pas de place pour moi et qu’il n’a reçu aucun avis me concernant. Je me présente alors au Lieutenant-Colonel Perchenet qui me reçoit comme un chien dans un jeu de quilles et qui déclare furieux et très inconvenant que je devrai partir avec toutes les troupes embarquées, c’est-à-dire à fond de cale, couché sur un hamac et où sont entassés déjà 1800 soldats qui ne peuvent même pas arriver à se coucher tous et où la moitié des hommes qui étaient bien portant sont déjà malades tellement c’est infecte comme logement et nourriture. Je deviens alors fou furieux moi-même et vais protester au médecin chef de bord qui est le docteur Christiani, insistant pour obtenir une couchette en cabine lui déclarant que si je n’obtiens pas satisfaction je débarquerai sur le champ pour aller m’adresser à la Mission et au commandant de place. C’est alors qu’il me donne l’ordre d’occuper sa couchette me disant que de toute façon il ne l’occupera pas lui-même et qu’il va faire un rapport à ce sujet. Je me rends alors compte que je n’ai affaire sur ce bateau qu’à des gens butés et je prends alors le parti de" débarquer puisque je n’obtiendrai rien avec ces affolés et devenus inhumains devant la panique qui règne ici. C’est en allant reprendre mes bagages que j’ai l’honneur de rencontrer monsieur de Morgery qui est chargé du contrôle des passeports et qui devant mon cas s’empresse de me conduire auprès des autorités anglaises qui me donnent un ordre d’embarquement en 1ére classe sur le "Porto" en attendant son départ et qu’ensuite, pendant le trajet, je prendrai seulement place en seconde classe. Ce n’est qu’à une heure du matin que je parviens enfin à bord de ce bateau où je prends possession d’une bonne cabine et où je vais enfin pouvoir reposer, car je ne me suis pas déshabillé depuis 23 jours et ici j’ai un bon lit avec des draps bien blanc et où je me promets de rattraper tout mon sommeil perdu.

Jeudi 22 mars 1918

C’est avec un bon mal de tête que je me lève ce matin car j’ai à peine dormi tellement j’étais énervé après toutes les discussions d’hier. Je puis enfin faire un peu de toilette et à 8h1/2 je vais déjeuner avec grand appétit car je n’ai pas mangé depuis hier matin à 11 heures. Ensuite repas à midi1/2, thé à 3h1/2 et dîner à 6h1/2. Je vais donc pouvoir me restaurer un peu et me remonter, car il était temps que le régime de singe prenne fin ce qui aurait fini par me jouer un vilain tour. Le général Niessel est arrivé cette nuit avec tout son Etat-Major n’ayant pu rentrer en France par Bergen comme il en avait l’intention. Les derniers préparatifs de départ du "Hendsend" sont terminés à 4 heures de l’après midi et à 4h30 les amarres sont larguées et il prend la direction du large. Il est bien regrettable que je n’ai pu partir sur ce bateau, car dans dix jours je serais en France quand le "Porto" ne partira que dans 15 jours pour cause de réparations à la machinerie. J’ai confié à monsieur Pillorget qui est à bord du "Hendsend" un petit mot pour Neuvillers annonçant ma prochaine arrivée en France probablement vers le 15 avril. Toute la journée se passe très bien et c’est avec délice que je m’enfonce dans les draps à 9 heures après avoir eu une longue conversation avec un général russe au sujet des évènements intérieurs de Russie. Il me prend pour un lieutenant et je le laisse dans cette douce illusion jusqu’au moment que je jugerai propice pour lui déclarer froidement que je ne suis qu’un simple soldat de 1ére classe (s.v.p.) ! et il en restera baba, car il ne cesse de vanter mes qualités et mes visées militaires déclarant que si j’étais un officier russe et que l’armée existe encore il m’aurait pris pour son chef d’Etat-Major , rien que ça ! ! . . Après cela étonnez vous donc de ce que l’armée russe soit ce qu’elle est actuellement.

Samedi 23 mars 1918

Ai passé une assez bonne nuit et maintenant je me sens bien reposé. La journée se passe sans incident et ma foi je ne suis presque pas fâché d’avoir manqué l’autre bateau car je ne suis pas trop mal en attendant mon départ.

Dimanche 24 mars 1918

Il a gelé très fort ce matin (moins 40°) et toute la baie est recouverte d’une glace assez épaisse que les petits remorqueurs s’amusent à casser craignant que le froid ne se maintienne ainsi quelques temps et que la glace n’atteigne une certaine épaisseur empêchant tout mouvement aux gros navires. La neige tombe pendant toute la matinée et notre seul plaisir est de faire un peu de lecture ou de causette bien au chaud en pensant qu’il fait si froid dehors. Rien de particulier dans la soirée.

Mardi 26 mars 1918

Je suis convoqué auprès du capitaine qui est chargé des embarquements et qui décide que je serai placé à l’hôpital du bord pendant la traversée. Je viens de me rendre compte de l’emplacement du dit hôpital sur le bateau et j’ai constaté que je ne serais pas trop mal installé car il est situé sur le pont arrière et assez bien tenu. Il y a huit couchettes dans une salle assez spacieuse et ce sera tout de même plus gai d’être là qu’à fond de cale, couché sur un hamac où de nombreux officiers devront prendre place en raison du nombre très restreint de cabines qui seront presque toutes occupées par des dames. A bord on active les réparations et les préparatifs de départ car d’après certains bruits l’embarquement commencerait dès demain et le départ s’effectuerait vendredi ou samedi. Le temps se maintient toujours très froid avec chute de neige presque constante aussi il me tardera d’arriver en France pour y jouir des bons rayons du soleil de printemps. Nous venons de prendre connaissance des communiqués français et anglais qui annoncent une grande activité sur notre front. Nous formons des vœux pour la réussite de nos armées et l’écrasement complet du boche maudit que le russe vient de rendre plus fort par son horrible trahison.

Jeudi 28 mars 1918

Allons, tout est démoli encore une fois de plus et je reçois du capitaine Nicolaï chargé de l’embarquement, l’ordre de débarquer me déclarant que je serai rembarqué avec toute la troupe et que je ne serai pas logé à l’hôpital du bord. Je proteste donc avec la dernière énergie et au cours de cette discussion le capitaine Nicolaï ne trouve rien de mieux à me dire que je cherche à faire un voyage d’agrément et qu’après tout je ne suis qu’un embusqué ! ! . . Devant l’attitude d’une telle brute je me résigne à ne pas insister et lui déclare que je vais en rendre compte au général Niessel, ce que je fais aussitôt en lui envoyant un rapport écrit. Dans la soirée, après bien des recherches je finis tout de même par trouver où me loger dans un wagon abandonné et où il ne fait pas très chaud. De plus je n’ai rien mangé depuis ce matin .

Vendredi 29 mars 1918

Pour un vendredi saint je ne pouvais pas mieux réussir que de me trouver ici car je n’ai mangé aujourd’hui que deux biscuits trempés dans une tasse de thé et qu’ainsi j’aurais fait ma part de jeûne et d’abstinence. Mon rapport d’hier a fait effet car dans la matinée un médecin militaire envoyé par le général Niessel vient pour me visiter et décide que je devrais être logé à l’hôpital du bord pendant toute la traversée. Le capitaine qui m’avait insulté hier change de ton et presque mielleux vient m’annoncer que j’embarquerai dans l’après midi. Il a du recevoir sur les doigts car son air arrogant d’hier a complètement disparu mais je me garde bien de lui répondre pour éviter à mon tour de lui dire des sottises. A quatre heures un "margis" d’artillerie vient me chercher et je prends place de nouveau sur le "Porto" mais cette fois à l’hôpital qui est situé sur le pont arrière et où nous sommes assez bien installés. Je dis nous, car il y avait déjà un malade installé et deux qui arrivent en même temps que moi. Tous les militaires embarquent aujourd’hui et il y a déjà beaucoup de monde à bord y compris au moins cent vingt femmes qui protestent et s’indignent de la façon dont elles sont installées et nourries ce qui en réalité est infecte quand il y a des officiers qui s’installent royalement et pavanent en première classe ; Les nouvelles qui me parviennent de France sont très mauvaises et nous n’osons croire que cela soit vrai car on nous annonce la prise de Péronne, Bapaume, Albert et Beauvais par les boches. Ce serait le contre coup de la trahison de la Russie qui permet à l’Allemagne de nous ajouter 200 divisions de plus sur notre front. Nous espérons tout de même que nous pourrons tenir le coup et finir la guerre victorieusement.

Samedi 30 mars 1918

Le bateau devait partir aujourd’hui mais de nouveaux trains venant de Roumanie étant annoncés nous devons les attendre car il reste encore environ 500 places libres à bord. A deux heures revue de toute la troupe par le général Niessel qui nous souhaite bon voyage et nous dit qu’il rentrera lui-même bientôt en France avec le solde des missions de Roumanie et de Russie.

Dimanche 31 mars 1918

C’est Pâques aujourd’hui et l’on ne s’en douterait pas si l’on ne suivait pas bien les jours sur le calendrier car rien à bord ne laisse supposer que c’est le jour d’une aussi grande fête. Ce ne sont de tous les côtés que des réclamations de toutes sortes pour les défauts d’installation ou le manque de nourriture ce qui en réalité est exact. Les malheureuses femmes qui sont en troisième classe sont traitées d’une façon infecte sous tous les rapports. D’ailleurs actuellement tout le bateau est dans un état de saleté repoussante et si nous tardons encore à partir gare aux épidémies. Le général Berthelot est arrivé aujourd’hui venant de Roumanie avec deux trains complets. Nous espérons donc qu’après l’embarquement de tout ce monde le bateau pourra partir, ce que nous attendons avec la plus grande impatience.

Lundi 1er avril 1918

L’embarquement continue ce matin et il est fort question de partir ce soir. A 2 heures le général Berthelot passe en revue toute la troupe et prononce quelques paroles d’encouragement pour les luttes futures. Il redescend à terre ainsi que tout son Etat-Major et cette fois je crois tout de même que le bateau va partir car tout l’équipage est sur pieds et prépare le départ.
A 5 heures les amarres sont larguées et à 5h1/2 nous prenons le large. Derniers adieux à tout le personnel restant sur le quai et surtout dernier adieu à ce trou de Mourmansk que j’espère bien ne jamais revoir. Nous sommes salués au départ par les navires de guerre présents, c’est-à-dire le français "Amiral Aube", les anglais "Glory" et "Cocqueraine", les russes "Askold" et "Tchesma". Nous passons Alexandrov vers huit heures et nous entrons dans la pleine mer pour la nuit. Mer très calme pendant toute la soirée.

Mardi 2 avril 1918

Ai passé une assez bonne nuit quoique la mer soit plus agitée ce matin. Quantité de passagers malades qui viennent faire de fréquentes visites au bastingage, aussi je me garde bien d’aller sur le pont car le mal de mer est très contagieux et jusqu’ici je me tiens assez bien.
Vers 10 heures du matin essais de tir avec les canons du bord. Celui d’arrière étant très près de notre cabine toutes les vitres sont brisées au premier coup aussi sommes nous maintenant en plein courant d’air. Le malheur est vite réparé et tout redevient normal après un court moment de panique. Dans l’après midi la mer devient plus mauvaise et ceux qui ne sont pas atteints du mal de mer sont très rares. A l’hôpital je suis le seul exempt jusqu’à présent et ne suis pas encore très vaillant car je suis bien affaibli par mes dernières maladies. néanmoins je pense arriver à destination sans avoir été tiraillé par ce terrible mal si la mer ne devient pas plus mauvaise qu’aujourd’hui.

Mercredi 3 avril 1918

Mer un peu plus calme ce matin et temps très beau. Vers 7 heures nous apercevons un vapeur qui croise à notre droite, probablement le "Hendsend" qui revient prendre un chargement. Moins de monde sur le pont ce matin car les malades sont tous couchés aussi j’en profite pour aller respirer un peu d’air frais qui vous remets tout à fait d’aplomb. Le bateau marche à assez bonne allure (environ 14 nœuds) et s’il continue ainsi nous arriverons samedi dans la soirée ou dimanche au port de débarquement probablement un port d’Ecosse que nous ne connaissons pas encore. Dans l’après midi je me risque dans les cales où sont installés les hamacs mais impossible d’y résister tellement l’odeur qui s’y dégage est insupportable et je remonte aussitôt car je deviendrais vite malade. Soirée calme et sans incident.

Jeudi 4 avril 1918

Mer toujours calme et très bonne journée. Nous commençons à voguer dans la zone dangereuse à partir de la tombée de la nuit. Pour cette raison l’électricité est supprimée toute la nuit et l’on nous annonce pour demain la rencontre de destroyers anglais qui viennent à notre rencontre pour nous convoyer. Port probable de débarquement New-Castle.

Vendredi 5 avril 1918

Temps très beau avec grand vent, aussi la mer devient elle un peu plus méchante. De plus nous entrons dans la mer du Nord qui est généralement très mauvaise. Rien de nouveau pendant la soirée. Les convoyeurs ne sont pas arrivés.

Samedi 6 avril 1918

J’ai passé une très mauvaise nuit car le bateau est fortement secoué, la mer étant très mauvaise. L’hélice sort à chaque instant de l’eau et secoue violemment le bateau en tournant dans le vide. Malgré tout je me tiens toujours assez bien sans avoir jusqu’ici souffert du mal de mer quand presque tous les passagers ont été malades. A neuf heures du matin les deux destroyers apparaissent à l’horizon et s’approchent en faisant des signaux. A son tour le "Porto" arbore son pavillon et fait des signaux. Dès lors ces destroyers se placent un à droite et l’autre à gauche et vont ainsi nous accompagner jusqu’à destination. Le mer continue à rester mauvaise pendant toute la journée et nos convoyeurs qui sont beaucoup plus petits font des bonds terribles et sont parfois complètement recouverts d’eau par les vagues qui passent par dessus. Vers sept heures du soir nous apercevons la terre mais ce n’est qu’une île qui disparaît aussitôt. Le bateau avance avec peine pendant toute la journée en raison du grand vent et la vitesse du bateau est réduite de plus de la moitié donc nous n’arriverons pas, si ce temps continue, avant dimanche soir ou lundi matin.

Dimanche 7 avril 1918

Mer un peu plus calme ce matin, aussi j’ai pu me reposer cette nuit malgré le roulis qui se fait légèrement sentir. Nos deux convoyeurs sont toujours à nos côtés et l’allure normale est à peu près reprise. Temps très beau mais vent toujours très grand. Je me porte assez bien quoique je commence à être sérieusement fatigué aussi il me tarde de retrouver le plancher des vaches car une telle cure un peu prolongée ne pourrait que m’être funeste, la nourriture étant infecte à bord. Mer très calme pendant toute la soirée. Le bateau voyage maintenant en zigzags probablement pour éviter les torpilles qui pourraient être lancées par surprise. Arrivée probable de très bon matin dans la nuit.

Lundi 8 avril 1918

Nous arrivons à l’entrée du port de New-Castel à 3 heures du matin et nous marchons très lentement pendant environ 4 heures tout le long d’un chenal avant l’arrêt complet. Débarquement très rapide vers 9 heures par des remorqueurs qui nous conduisent au hall de la douane où les bagages des civils sont visités. Activité très grande dans tout ce port où l’on remarque beaucoup de navires en construction ou en réparation. Accueil plutôt froid de la part des anglais qui procèdent d’une méthode très sévère pour l’ordre à observer au débarquement. A dix heures un sandwich nous est servi ainsi qu’une tasse de thé et cela nous change déjà un peu de la détestable nourriture du bateau. Départ ce soir à 17h50 pour Southampton où nous devrons embarquer pour Le Havre. Le plus fatigant et le plus dangereux du voyage est donc terminé. Nous allons plus maintenant qu’à nous laisser emporter très vite vers notre chère terre de France que nous reverrons probablement après demain. Nous quittons la gare maritime vers cinq heures et nous nous rendons à la gare du chemin de fer où le train nous attend déjà et après un défilé d’une demie heure dans les rues de New-Castel, juste le temps de jeter un rapide coup d’œil sur l’ensemble de la ville et le train démarre à 6h15. Après la sortie de la gare, jolie perspective sur la cité qui est éclairée par le soleil couchant et maintenant nous filons vers le sud. De passage à York à 9 heures du soir et arrêt très court qui me permets tout de même de déguster un verre de vin, cette douce liqueur tant désirée et dont nous étions privés en Russie.

Mardi 9 avril 1918

Arrivée à Southampton à cinq heure du matin. Débarquement immédiat du train pour déguster une bonne tasse de café accompagnée de quelques gâteaux. Nous nous trouvons sur les quais du port où nous remarquons à la descente du train le fameux transat "Olympic" (le plus grand du monde). Il vient d’arriver d’Amérique avec quinze mille soldats et donne l’impression d’une grande ville flottante avec ses quatre grosses cheminées et ses six étages. Embarquement probable pour Le Havre dans la soirée. Triste journée passée à Southampton pendant laquelle nous sommes parqués comme de véritables bestiaux, toute sortie en ville étant impossible et forcés de rester dans le hall jusqu’au soir ne sachant quoi faire pour tuer le temps. Nous sommes tout de même rassemblés vers cinq heures du soir pour l’embarquement et nous prenons place à bord du "Londonderry" qui doit nous conduire au Havre. Départ de Southampton à huit heures, la nuit étant déjà tombée, donc impossible de distinguer quoi que ce soit. Pas le moindre vent. La mer sera probablement très calme pour la traversée de la Manche contrairement à l’habitude. Nous sommes placés à même le pont sur ce bateau et nous devrions faire la traversée ainsi quoi que la température ne soit pas très chaude et par un brouillard qui s’annonce très épais.

Mercredi 10 avril 1918

Jour mémorable où nous mettons enfin le pied sur notre chère terre de France. Nous arrivons au Havre à trois heures du matin et nous débarquons à sept pour être dirigés sur une caserne de la ville où nous attendons notre départ pour Paris qui doit s’effectuer demain soir. Nous disposons du reste de la journée pour mettre un peu au clair toutes nos affaires et nous prenons enfin de bons repas dont nous étions privés depuis si longtemps.

 

Remerciements à :

- M. Claude Jambeau pour l'envoi des archives de Camille Jambeau, son père.

Bibliographie :

- Les escadrilles de l'aéronautique militaire française - Symbolique et histoire - 1912-1920 - Ouvrage collectif publié par le SHAA de Vincennes en 2003.
- The French Air Service War Chronology 1914-1918 par Frank W.Bailey et Christophe Cony publié par les éditions Grub Street en 2001.
- Le Journal Officiel de la République Française mis en ligne sur le site "Gallica" de la Grande Bibliothèque de France.
- Carnets de Comptabilité en Campagne des escadrilles mis en ligne par le Site "Mémoire des Hommes."
- Les "As" français de la Grande Guerre en deux tomes par Daniel Porret publié par le SHAA en 1983.
- Les Armées françaises dans la Grande Guerre publié à partir de 1922 par le Ministère de la Guerre.
- Site Internet "Mémoires des Hommes" du Ministère de la Défense - Voir le lien
- Site Internet " Pages 14-18 "
de Joël Huret.

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Sgt Albert Gauchet Maurice Lanoix

 

 

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