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Ltt Henry de Ponton d'Amécourt

Au premier plan, le Ltt Henry De Ponton d’Amécourt et Ltt Paul Weiller, observateurs de l’escadrille V 21 en octobre 1915 - Photo Louis Dubuis transmis par sa famille que je remercie pour son aide.

Son père :

Lcl Marie Joseph Maurice Comte de Ponton d'Amécourt - Né le 31 mai 1859 à Mitau (Russie) - Fils de Paul Marie de Ponton d'Amécourt (Ingénieur au Corps impérial des Ponts et Chaussées attaché à la grande société des chemins de fer russes - Inspecteur général de 2ème classe des Ponts et Chaussées) et de Marie Joséphine Mathilde de Bengy - Classe 1879 - Recrutement inconnu peut-être d'un bureau de la Seine - Marié avec Blanche Marie Lyautey à la Chapelle du Noyer (Eure-et-Loir), le 7 octobre 1899 - Chevalier de la Légion d'Honneur, en date du 30 décembre 1902 - Affecté au 1er régiment de chasseurs à cheval - Nommé Chef d'escadron en 1913 - Nommé Lieutenant-colonel - Chef de corps du 1er régiment de chasseurs à cheval - Grièvement blessé en couvrant avec ses escadrons la retraite de la division à Spincourt, le 23 août 1914 - Décédé des suites de ses blessures à l'hôpital militaire "Miribel" de Verdun (Meuse), le 27 août 1914 - Citation à l'ordre de l'armée, à titre posthume, en date du 6 mars 1920 - Sources : MpF - Dernière mise à jour : 5 octobre 2017.

* Citation à l'ordre de l'armée, à titre posthume du Lcl Marie Joseph Maurice de Ponton d'Amécourt, en date du 6 mars 1920 : "Vaillant officier, d'une haute valeur morale. Blessé grièvement à Spincourt le 23 août 1914, en couvrant avec ses escadrons la retraite de sa division. Mort des suites de ses blessures le 27 août 1914."

Sa mère :

* La comtesse Blanche Marie de Ponton d'Amécourt, née Lyautey, infirmière-major SBM de l'hôpital auxiliaire 16 au Mans, a été décorée de la médaille d'honneur des épidémies, en date du 23 avril 1920.

* La comtesse Blanche-Marie de Ponton d'Amecourt, à Châteaudun, infirmière-major de la SSBM, a été décorée de la médaille d'argent de la reconnaissance française, le 29 mai 1921 : "Veuve du chef d'escadron Ponton d'Amécourt, tué à l'ennemi, infirmière-major de la SSBM, n'a cessé comme directrice de l'hôpital n° 16, à Chateaudun, d'pporter depuis le début de la guerre par son action quotidienne le concours le plus efficace à toutes les oeuvres de guerre; femme de haute autorité morale, a donné aux blessés les soins les plus éclairés."

Ltt Henry de Ponton d'Amécourt :

Ltt Henry de Ponton d’Amécourt - Né le 27 janvier 1893 à Alençon (Orne) - Fils de Marie Joseph Maurice de Ponton d'Amécourt et de Blanche Marie Lyautey - Domicilié à La Chapelle du Noyer (Eure-et-Loir) - Classe 1913 - Recrutement de Chartres (Eure-et-Loir) sous le matricule n° 781 - Reçu à l'école Polytechnique, à compter du 13 septembre 1911 - Entré à l'école, le 7 octobre 1911 - Sorti de l'école Polytechnique en 1913, 73ème sur 187 élèves - Engagé volontaire pour quatre ans au titre du 87ème régiment d'artillerie, le 18 mars 1913 - Affecté au 6ème régiment de Génie pour effectuer sa 3ème année de service militaire, à compter du 1er octobre 1913 - Nommé Sous-lieutenant, le 1er octobre 1913 - Nommé Caporal, le 7 mars 1914 - Affecté au service des projecteurs du 1er régiment de Génie, le 31 août 1914 - Passé à l'aéronautique militaire comme observateur en aéroplane au port d'attache de Versailles-St-Cyr - Observateur de l'escadrille V 21 / C 21 du 3 septembre 1914 au 24 octobre 1916 - Observateur à l'état-major de la 4ème armée à compter octobre 1914 - Citation n° 60 à l'ordre de la 4ème armée, en date du 7 janvier 1915 - Détaché à l'escadrille MF 22 du 17ème corps d'armée en février 1915 - Nommé Lieutenant, le 5 mai 1915 - A participé au bombardement de Stenay en juin 1915 - Citation n° 293 à l'ordre de la 4ème armée, en date du 24 juin 1915 - A participé au bombardement de Karlsruhe en juillet 1915 - Nommé Chef des observateurs du 32ème corps d'armée en août 1915 - Citation n° 384 à l'ordre de la 4ème armée, en date du 7 octobre 1915 - Citation n° 406 à l'ordre de la 4ème armée de l'escadrille V 21, en date du 7 octobre 1915 - Chevalier de la Légion d'Honneur et citation à l'ordre de l'armée, en date du 28 octobre 1915 - Brevet de pilote militaire n° 1856 obtenu le 24 octobre 1915 - Pilote de l'escadrille V 21 du 24 octobre 1915 au 18 janvier 1916 - A effectué un stage sur l'artillerie lourde à l'école de l'artillerie de Fontainebleau du 1er au 31 décembre 1915 - Croix de Guerre avec palme à la même date - Commandant de l'escadrille F 211 du 18 janvier au 26 septembre 1916 - Détaché au 1er corps colonial de la 6ème armée dans la Somme en juillet 1916 - Observateur d'artillerie lourde au 7ème corps d'armée en août 1916 - Citation n° 138 à l'ordre de la 7ème armée, en date du 7 septembre 1916 - Rattaché avec son escadrille au 5ème corps d'armée, le 15 septembre 1916 - Citation n° 44 à l'ordre de l'artillerie lourde du 7ème corps d'armée, en date du 17 septembre 1916 - Tué au cours d'un combat aérien contre trois avions allemands, à bord d'un Farman F 46, qui s'est écrasé dans le bois de St-Pierre-Waast, près de Rancourt, le 26 septembre 1916 - Il faisait équipage avec le Slt Georges Martinot, observateur, qui a également perdu la vie - Citation n° 407 à l'ordre de l'armée, à titre posthume, en date du 28 octobre 1916 - Sources : Fiche Matricule du département d'Eure-et-Loir - CCC de l'escadrille V 21 / C 21 - LO - Fiche matricule n° 867 de l'Ecole Polytechnique - MpF - Dernière mise à jour : 5 octobre 2017.

* Citation n° 160 à l'ordre de la 4ème armée du Slt Henry du Ponton d'Amécourt, observateur à l'escadrille C 21, en date du 7 janvier 1915 : "Observateur en aéroplane chargé du secteur de l’Argonne; a pris part à de nombreuses reconnaissances, rapportant des renseignements précis et exacts même par des temps particulièrement défavorables, sur une région boisée, d'observation difficile et malgré le feu de l'artillerie ennemie."

* Citation n° 293 à l'ordre de la 4ème armée du Slt Henry du Ponton d'Amécourt, observateur (du service aéronautique), en date du 24 juin 1915 :"Officier de grande valeur a rendu, depuis le mois de septembre, les plus grands services cornme observateur ; a pris part à de nombreuses reconnaissances et, missions de bombardement, en particulier le 3 juin 1915 (Q. G. du Kronprinz) et le 15 juin 1915 (Karlsruhe)."

* Citation n° 384 à l'ordre de la 4ème armée du Slt Henry du Ponton d'Amécourt, observateur de l'escadrille V 21, en date du 7 octobre 1915 : "A huit fois, en vingt jours, au cours de missions diverses, livré des combats aériens acharnés. Le 22 septembre 1915, ayant épuisé les munitions de sa mitrailleuse sur un avion ennemi à deux mitrailleuses, est revenu à la charge avec une simple carabine et a déterminé son adversaire à fuir. A eu son appareil atteint de sept balles, toutes à proximité de lui."

* Chevalier de la Légion d'Honneur et citation n° 1889 à l'ordre de l'armée du Ltt Henry du Ponton d'Amécourt, observateur de l'escadrille V 21, en date du 28 octobre 1915 : "Observateur des plus remarquables, joignant aux plus rares qualités professionnelles un allant, un courage, une énergie, hors de pair. A livré combat très fréquemment à des avions ennemis et leur a toujours imposé sa supériorité; au cours des opérations s’est dépensé jusqu'à l'extrême limite et a apporté à l’artillerie, au prix des plus grands dangers, un concours particulièrement efficace."

* Citation n° 406 à l'ordre de la 4ème armée de l'escadrille V 21, en date du 7 octobre 1915 : "A rendu, pendant les opérations, des services tout à fait exceptionnels, grâce à la compétence et à l'énergique impulsion de son chef, le capitaine Guichard, a courage, à l'ardeur et au dévouement absolu de tout son personnel." 

* Citation n° 138 à l'ordre de la 7ème armée du service aéronautique du 7ème corps d'armée, en date du 7 septembre 1916 : "Sous les ordres de leur chef, le capitaine Pastier, ayant pour adjoint le capitaine Charpentier, les aviateurs et aérostiers du 7ème Corps d'Armée (Escadrille C.43, M.F.72, F.211 et 215, et les 21ème, 29ème, 46ème et 62ème compagnies d'Aérostiers), ne craignant ni le mauvais temps, ni l’ennemi, mettant toute leur ardeur dans la lutte, ont toujours su voir vite et bien, renseigner rapidement, et ont ainsi largement contribué au succès du Corps d’Armée dans la bataille de la Somme."

* Citation n° 44 à l'ordre de l'artillerie lourde du 7ème corps d'armée du Ltt Henry de Ponton d'Amécourt, commandant la 1/2 escadrille 211, en date du 17 septembre 1916 : "Chef de la 1/2 escadrille 211 adjointe à l’Escadrille 215 pour la collaboration avec l’A.L. 7, en août et, septembre 1916, a, par ses qualités d'initiative, de hardiesse et d’endurance, et par sa haute valeur professionnelle, largement contribué à l’efficace rendement, du travail des avions en union avec l’A.L. 7."

* Citation n° 407 à l'ordre de l'armée, à titre posthume, du Ltt Henry De Ponton d'Amécourt, de la section AL F 211, en date du 28 octobre 1916 : "Officier de tout premier ordre, pilote hors ligne, joignant à une grande habileté une valeur professionnelle et une grande bravoure. Commandant l’Escadrille 211, a toujours montré l’exemple en accomplissant lui-même les missions les plus périlleuses. A trouvé, le 26 septembre 1916, une mort glorieuse au cours d’un combat contre trois avions ennemis."

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Son enfance et son éducation
par son frère Paul De Ponton d'Amécourt
écrit en janvier 1919

Henry est, né le 27 janvier 1893, à Alençon, où nos parents étaient en garnison. Il ne me reste de notre séjour à Alençon que des souvenirs assez vagues, car nous en partions en 1897. Henry avait quatre ans, j’en avais cinq. Il avait à ce moment-là de beaux cheveux frisés et était assez coléreux. Après Alençon, nous arrivions à Châteaudun ou nous devions rester plusieurs années. C’est là que, commencent les souvenirs de notre éducation religieuse et intellectuelle. Nous prenions des leçons chez les Frères, avec le Directeur, le Frère César; c'était un remarquable professeur, qui, sans efforts, par les merveilleuses méthodes des Frères, nous avait tellement avancés en arithmétique, pendant, des années, nous vécûmes sur ce qu’il nous avait appris. En 1903, nous faisions ensemble notre première communion à Touchebredier (Propriété de famille de nos grands-parents Lyautey, située près de Châteaudun.)

C’est de ce moment que date la très grande ferveur religieuse d’Henry. Ce fut une très belle fête de famille à laquelle assistaient mes grands-parents d’Amécourt, ma chère tante Saulnier de Fabert, sœur de ma grand'mère Lyautey qui, comme pour mes parents et mes oncles, s'appelait pour nous Tante Béhé, et que je ne désignerai jamais autrement, mon oncle Hubert Lyautey, alors commanclant le 14ème Hussards à Alençon, mon oncle Raoul Lyautey, alors capitaine à Vendôme, et ma tante, mon oncle Roger d’Amécourt, alors capitaine à Verdun et ma tante, ma tante de Nuchèze, sœur de Papa. La cérémonie eut, lieu dans cette chère église de Touchebredier. En l904, nous y faisions notre renouvellement.

Cette année-là devait voir finir notre vie à Chateaudun, notre enfance si gaie, si heureuse. Nous montions beaucoup à cheval sur les nombreux poneys qui se sont succédé à la maison. déjà, à ce moment, nos parents nous laissaient très libres. Nous sortions seuls. Le fait d’être deux, si rapprochés d’âge, permit à nos parents d’élargir plus qu'il n’est, coutume le champ de notre activité extérieure et de nous laisser très tôt la responsabilité de nous-mêmes. Nous avions eu, partagés chaque année par nos cousins Pierre et Marie-Thérèse Lyautey, des étés merveilleusement embellis par des séjours de l’oncle Hubert ; un, notamment, à son retour de Madagascar. Il avait fait faire des réparations à Touchebredier et il y recevait des visites telles que celles du général Galliéni, du colonel Vallières et, de bien d’autres amis qui sont, devenus des hommes politiques. Il est facile de se figurer ce que pouvaient être nos impressions d'enfants en écoutant les conversations de ces officiers, aussi organisateurs que combattants, nous révélant les différents aspects, de la mise au point militaire, économique et politique d'une colonie.

Certainement, le fait d’avoir été initié, aussi intimement, dès son enfance, à la vie d’action créatrice de notre oncle, fit germer inconsciemment chez Henry comme chez nous tous, la curiosité des idées et le désir de marcher sur ses traces en développant au maximum les facultés latentes en nous. Par lui, nous entendions pour la première fois émettre d’autres idées politiques et, sociales que celles de nos parents et de leur entourage {ui, jusque-là, nous paraissaient être l'émanation de l’unique et sûre vérité. C’est, par lui que sont entrés dans nos très jeunes cerveaux les premiers points d’interrogation. Il s’occupait beaucoup de nous, nous emmenant dans ses promenades, causant de nos lectures, de nos études et pour nous c'était un dieu. Mes parents voulaient nous faire apprendre à fond l’allemand et, pour cela, s'étaient décidés à nous envoyer à Feldkirch, collège de Jésuites en Autriche.

Nous y partimes de Crévic (propriété de ma tante Saulnier de Fabert située auprès de Lunéville et brûlée par les Allemands le 22 août 1914) en aoùt 1904 et tante Bébé voulut nous y accompagner ainsi que maman. Nous passâmes par la Suisse, nous arrêtant à Einsiedeln. Feldkirch, pour nous, c'était le nouveau, l’inconnu, et cet internat ne nous effrayait pas trop. Et, cependant, c'était dur. Nous y étions quelque trente Français noyés au milieu de 300 Allemands ou Autrichiens, ces derniers plus sympathiques que les premiers. La discipline y était très sévère : régime jésuite renforcé par la mentalité prussienne. Mais, quelque paradoxal que cela puisse sembler, nous en souffrîmes moins que si nous avions déjà pris les habitudes de chahut, que l’on a dans les collèges de France.

En arrivant à Feldkirch, nous fûmes mis dans une classe spéciale pour y apprendre l’allemand. La vie continuelle au milieu de gens ne parlant pas notre langue nous forçait à apprendre vite et, au bout de trois mois, nous passions un examen pour être placés clans une classe allemande. Henry passait en, troisième alors que moi je ne passais qu’en deuxième (les classes en Allemagne ayant une numérotation inverse de celle de France). Il réussit parfaitement, et, à la fin de l'année, il se classait tout à fait en tête de sa classe, malgré le handicap qu’aurait dû donner le fait d’être étranger. Un Père autrichien, le Père Wolfinger, était particulièrement chargé des Français et aimait beaucoup Henry, A ce moment, la piété d'Henry tendait à devenir scrupuleuse, et je croyais à une future vocation religieuse.

Pendant l’année, mes parents étaient venus nous voir à Pâques. Mais le régime était si sévère qu’ils n’avaient pu nous faire sortir du collège que pendant une journée. Ils en profitèrent pour nous amener à Ragatz. Le régime, à Feldkirch, était, ai-je dit, assez dur, mais du moins on y vivait beaucoup en plein air, clans ce magnifique pays du Vorarlberg. Beaucoup de jeux clans le grand parc, toutes les semaines des Promenades ravissantes, de temps en temps de grandes excursions en montagne. L’hiver était merveilleux avec une organisation de patinage et de traineaux. Il faisait très froid, mais pas de vent, et l’on sortait toujours sans manteau.

On ne peut pas dire gue le travail fût très difficile pour nous, car il y a une telle différence de facilités entre nous et, les Allemands que nous faisions toujours plus vite qu’eux les devoirs et les leçons, mais il fallait travailler soigneusement L'Allemand travaille lentement, mais sérieusement et ce qu’il apprend, il le sait. Ce régime devait nous donner une bonne habitude du travail. Henry était très sage, très bien noté, très pieux. Il devait vite être reçu de la congrégation des Enfants de Marie, dont il devait être, à la rentrée de 1905, un des dignitaires. Au mois de juillet 1905, les vacantes étaient arrivées et nous rentrions en France pour deux mois par cette ravissante route qui va de Feldkirch à Bâle, par Zurich.

A la fin d’août, nous repartions le cœur très gros pour rentrer à Feldkirch. Je me souviens parfaitement du voyage que nous fîmes seuls : en approchant de Feldkirch nous pleurions tous les deux. Nous rentrions dans la même classe, en quatrième, car j'avais pu obtenir de sauter une classe et de rejoindre Henry. Au mois de novembre, nous apprenions la mort de tante Bébé. C'était le premier deuil proche qui nous atteignait et il nous peinait beaucoup, car nous l’aimions infiniment. A Noë1, maman était venue nous voir et, me trouvant en mauvaise santé elle me ramenait avec elle, et laissait Henry seul jusqu'à Pâques moment ou il devait, revenir également.

C’est retour de Feldkirch qu’Henry voyagea par hasard en compagnie d’un abbé et d’un jeune homme, avec lesquels il engagea la conversation. Cet abbé était l’abbé Pératé, et le jeune homme, Jean de Kerraoul, qui joueront tous deux un grand rôle dans sa vie et dans sa formation. Nous ne rentrions plus à Châteaudun, mais à Tours, où Papa venait d'être nommé chef d’escadron. Mes parents s'étaient décidés à nous mettre externes au lycée, au grand scandale de beaucoup de Tourangeaux, et je puis dire qu’Henry leur en a été aussi reconnaissant que moi. Henry me rejoignait donc à Pâques, en troisième, et nous devions faire, au lycée de Tours, notre seconde, notre première et nos mathématiques. Henry passait ses bachots, en 1908, il était reçu aisément a latin-sciences et à latin-langues, en 1909 au baccalauréat de mathématiques et de philosophie. Pendant tout son passage au lycée de Tours, il fut un élève fort brillant, travailleur, réussissant fort bien surtout en sciences. L’arrivée au lycée, après la discipline sévère de Feldkirch, fut un grand changement. Comme nous étions externes, le lycée n’était guère pour nous que l’endroit où nous allions suivre des cours. Il y avait, là des gens de tous les milieux, parmi lesquels nous avions quelques bons camarades, quelques fils d’officiers que nous voyions en dehors et dont beaucoup ont été tués pendant la guerre : Lausun, Préval, Montaudon. Il y avait au lycée d’excellents professeurs, surtout les jeunes qui sortaient, de Normale et qui venaient passer quelque temps dans ce lycée avant d'aller professer à Paris. Ils avaient tous des idées extrêmement libérales, ne nous abrutissant pas par des devoirs et des leçons nombreuses, mais sachant, nous demander un travail personnel, faire appel à notre intelligence et, à notre raison. Le travail nous était infiniment, facilite par le fait que, .de retour à la maison, nous travaillions en commun résolvant les difficultés .ensemble. De plus, nos parents, constatant seulement les résultats, ne surveillaient jamais notre travail.

Aussi, faisions-nous toute espèce de chose en dehors de nos études, au grand étonnement de certains membres de la famille. Chaque jour, en rentrant du lycée, nous trouvions maman à la maison. Nous restions longuement auprès d’elle, prenant le thé, causant avec elle et avec les amis qui venaient, la voir, échangeant véritablement nos idées avec celles des grandes personnes et si celles-ci en étaient parfois un peu ahuries, c'était pour notre plus grand profit. Nous nous développions en harmonie avec notre entourage, à un âge où beaucoup de nos camarades étaient en réaction marquée contre leur genre d'existence et leur milieu. Henry devait réagir, lui aussi, mais d’une façon plus féconde, parce que plus consciente. Ce fut plus tard, à Paris, dans son milieu d’amis, qu’il réfléchit longuement, gardant de ses impressions d’enfance, de ses affections de famille, le meilleur et, le plus fort: ce qui pouvait l’aider à une vie plus intense et plus agissante, rejetant ce qui ne lui aurait servi que dans une existence facile et sans effort.

Nous montions fort souvent à cheval, jouions au tennis, avions de nombreuses réunions, des leçons de danse avec des amis et des amies charmantes. Pour nous, nous avons vécu des années infiniment heureuses à Tours, dans ce pays ravissant ou nous circulions beaucoup. Nous visitâmes toute la Touraine dans l’auto familiale que nous tripotions constamment et qu’à partir de 1908 on nous permettait de conduire. Nous fîmes ainsi plusieurs voyages avec maman, seuls chauffeurs bien jeunes encore ; c'était pour passer une partie de nos vacances tantôt à Crevic avec nos cousins Lyautey, tantôt à Jussy, aux environs de Bourges, chez nos grands-parents d’Amécourt ou la réunion de famille avec nos cousins de Nuchèze et de Bengy était gaie, facile, toute remplie par le plaisir de la chasse.

Henry revoyait aussi à Tours l’abbé Pératé, dont il avait fait par hasard la connaissance en revenant de Feldkirch. L’abbé Pératé était aumônier des Postes. C'était une âme d'apôtre adorant les jeunes, recherchant parmi eux les natures d’élite pour les mettre en contact et ainsi les mettre en mesure de se développer les uns par les autres. Ses parents habitaient Tours et il venait souvent les y voir. Chaque fois, il nous faisait signe et causait longuement avec nous. Il aimait beaucoup Henry, avait su entrevoir sa valeur et voulait connaitre suffisamment pour pouvoir le diriger dans sa formation quand Henry viendrait à Paris. A ce moment-là et jusqu’à son départ de Tours, Henry était un très bon élève, travaillant facilement, appliqué, encore extrêmement jeune de caractère. il était resté assez petit, avec une figure d'enfant et avait passé ses deux bachots à 15 et 16 ans, en culotte, ce qui augmentait son air gosse. Il avait horreur de la lecture, s'intéressant peu à la littérature, à l’histoire, ne lisant jamais les journaux. Et, cependant, nous vivions complètement dans l’ambiance d’idées générales de la vie familiale. Il y avait en Henry un mélange de maturité prouvée par ses succès scolaires et de très grande jeunesse. Pendant les grandes vacances de 1911 et de 1913, il avait été avec l’abbé Pératé à Cauterets, ou il avait fait la connaissance de quelques-uns de ses futurs amis du groupe de jeunes gens que l’abbé Pératé réunissait.

Le moment des décisions de carrière était arrivé. Henry ne voulait pas être officier. Sa facilité en sciences le poussait à se diriger vers Polytechnique et à chercher sa voie après en être sorti. Mes parents étaient décidés à nous faire faire nos études préparatoires aux écoles à Paris. Après quelques hésitations entre la rue des Postes et une école conduisant à un lycée, mes parents se décidaient pour Massillon. Cette école, logée dans un quartier lointain, près de la Bastille, dans un vieil hôtel, était dirigée par le Père Chauvin, un ancien oratorien. Le régime y était fort agréable. Ce n’était pas la prison, car on en sortait tous les jours pour aller au lycée Saint-Louis. Nous y entrions tous les deux en octobre 1909, Henry en mathématiques spéciales préparatoires, dite Hypotaupe, moi en Saint-Cyr, dite Corniche. Pour. La première fois, nos vies commençaient à se séparer. Le milieu de Massillon était un milieu de bons camarades. Henry devait y faire un ami très cher, Ludovic de Dinechin, très belle nature, qui fut tué quelque temps avant lui. Cette vie d’internat, même très mitigé, nous pesait un peu, et nous savions prendre beaucoup de liberté avec elle. Nous avions réussi à obtenir une chambre, qui nous faisait échapper au dortoir commun et ou nous. nous réfugions, le plus souvent possible.

Nous sortions tous les jeudis et tous les dimanches, presque toujours ensemble, chez les nombreux amis que nous, avions à Paris : surtout chez les Cugnac. Leur maison du boulevard la Tour-Mauhourg... fut pour Trous le foyer gai et accueillant par excellence. On y trouvait toujours de la jeunesse : souvent, très souvent, on roulait les tapis, Mme de Cugnac se mettait au piano, et l’on dansait. Mais Henry, sans être sauvage, n’adorait pas ces plaisirs mondains, il suivait, rnais c’est tout. Nous retrouvions très souvent notre cousin Pierre Lyautey, qui commençait à ce moment-là ses sciences politiques et qui habitait un petit appartement rue de vaugirard. Enfin Henry voyait beaucoup l’abbé Pératé et tous les jeunes amis de celui-ci. Les conversations, les idées qu'il y entendait échanger le poussaient à sortir de l’optique un peu étroite de son seul travail scolaire, C’est, à ce moment-là qu’il fît plus complètement la connaissance de ceux qui tiennent, une si grande place dans sa formation:

Richard, Thibaut de Solages, Jean de Kerraoul, Bétin, les Froissart, Daum, Arène, ce qui, d’un mot, formait "le Groupe ". Nous profitions des vacances de Pâques de 1910 un peu prolongées pour aller voir mon oncle Hubert Lyautey, qui commandait alors la division d’Oran. Il nous emmenait faire un magnifique voyage dans le Sud-Oranais, jusqu’à Figuig. Nous fîmes ce voyage avec le général Gouraud qui était à ce moment-là colonel et qui rentrait de Mauritanie. Nous apprîmes aussi à connaître tout le chic entourage du général. En 1910, j'étais reçu à Saint-Cyr. C’est à ce moment-là, après de courtes vacances passées à Touchebredier, que nos deux vies se sont séparées matériellement pour la première fois. Mais nous étions unis par ces liens d'amitié si profonde que crée une formation commune. À la rentrée de 1910, Henry passait en mathématiques spéciales dans la classe de M. Grévy. A ce moment-là, je partais pour Lunéville où je devais faire mon année de service militaire. Pendant toute cette année là je vis très peu Henry. Il fréquentait de plus en plus le groupe qui prenait une grande influence sur sa formation. En 1911, il était reçu à Polytechnique, continuant ainsi la tradition : ses grands-pères Lyautey et d’Amécourt, étaient inspecteurs généraux des Ponts et Chaussées, son arrière-grand-père Lyautey général d'artillerie. Il obtenait de faire son année de service à sa sortie d'école. Pendant ses deux ans de Polytechnique, nous nous voyions fort, souvent, étant moi-même à ce moment-là à Saint-Cyr. Henry prit tout de suite une grande place morale parmi ses camarades. Il allait beaucoup rue d'Assas, où habitait Pierre Lyautey, avec Jean de Kerraoul. Il s’intéressait au patronage des Malmaisons. Après avoir essayé de mener de front la vie mondaine : sorties chez des amis, etc., et la vie de formation : patronages, groupes, qui l’intéressait, il sut se décider et ne jamais sacrifier les choses intéressantes aux choses futiles. Il sut agir de même au point de vue de ses études. Il pouvait, parfaitement, en travaillant beaucoup et, en ne laisant rien d’autre, au risque de s’abrutir, sortir avec un classement suffisant pour avoir une carrière civile. Il préféra au contraire, sous l'influence de ses amis du groupe, compléter sa formation générale par les lectures et par l’action et l’avenir, hélas, trop court, montre à quel résultat il est arrivé. Au moment où Henry quittait Tours, c'était encore un gosse, qui avait bien travaillé, mais que peut de choses, en dehors de ses études, intéressaient. Son activité de guerre montre ce qu'il est devenu.

En 1913, il sortait de Polytechnique pour aller faire son année de service militaire à Angers, dans le génie. Il avait choisi cette arme parce qu’il espérait pouvoir aller faire une partie de son année au Maroc. Il devait y partir le 1er août 1914 ! Pendant cette année d’Angers, je le revis plusieurs fois, soit à Châteaudun, soit à Angers où j’allais le voir, soit à Saumur où il venait me voir. Il menait une vie des plus sérieuse, travaillant beaucoup dans une petite chambre qu’il avait en ville, allant souvent faire de la musique chez les Broissia et les Galembert. Le 9 mai, nous nous trouvions tous réunis au mariage de Marie-Thérèse Lyautey avec Jean de Kerraoul, ami intime de Pierre et d’Henry. Nous devions nous trouver tous réunis à Châteaudun pour la dernière fois, vers le 26 juillet. A ce moment-là, Henry était en permission, ayant reçu son ordre d’affectation au Maroc. Roger venait d’être reçu à Saint-Cyr,, et moi j’arrivais en permission de Dijon. Les nouvelles étaient grosses de menaces, mais on avait déjà si souvent cru à la guerre ! Le dimanche 26 juillet, il y avait une matinée à la Fredonnière, chez les la Barre. On dansait, mais lugubrement. Le lundi 27, j’étais rappelé à Dijon par dépêche. Nous savions que tous nous devions partir si c’était la guerre. Et, sur quatre qui sont partis, deux déjà ne reviendront plus !

D’autres qui ont suivi de plus près la splendide activité de guerre d’Henry on dit pour ses amis et pour ceux qui viendront, mieux que je saurais le, faire, ce qu’elle a été. J’ai revu Henry assez souvent en 1915 en Champagne. En 1916 j’ai passé deux jours au camp Marchand, au moment où Henry commandait la section V.211. Chaque fois, j’étais émerveillé de l’influence qu’il exerçait autour de lui. Je ne saurais mieux définir ce que je ressentais que par l'impression suivante : clans toute notre vie commune, comme j’étais l’aîné, j'avais été un peu celui qui menait. Eh bien ! Je sentais que c’était Henry qui devenait l’ainé, le guide, le conseiller, puisque papa avait déjà fait le sacrifice de sa vie.

Le 25 septembre 1916, cantonné près de Rambervillers, j’apprenais l’horrible nouvelle de sa mort ; il était: tombé, abattu par un avion boche. Cela ne me surprenait Pas, je savais, la bravoure insensée, d’Henry, Je savais que, pour lui, la mort rentrait dans les choses prévues, naturelles. I1 y était toujours prêt, et jamais cette idée-là ne devait peser une once, lorsqu'il s’agissait de remplir la mission qui lui était confiée.

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Sa vie de guerre
par son cousin Jean de Kerraoul
écrit en août 1917

Le but de ces lignes est d’exposer ce qu’a fait Henry pendant la Guerre, dans l’aviation. J’ai essayé cette reconstitution à l’aide de ses notes personnelles, bref résumé de ce qu’il faisait chaque jour, des renseignements que j’ai recueillis auprès de ses chefs, de ses camarades, de ses subordonnés, enfin de ce qu'il m’a raconté directement et de ce que j’ai vu moi-même. Ce travail est forcément très incomplet, Les plus belles pensées ne s’écrivent, ne se disent pas ; elles restent soigneusement cachées au fond des cœurs. Les aviateurs travaillent seuls, ou avec un unique camarade, et Henry n'était pas homme à se vanter de ce qu'il avait fait.

Si je réussis à faire entrevoir comment, pendant la guerre, Henry s’est fait aimer et admirer de tous ceux qui l'ont connu, comment il est devenu un chef, et un chef de premier ordre.

Quels services il a rendus au Pays, comment il se battait et, comment, il est mort, j'aurai atteint, le but que je me suis proposé, Mais pour le bien faire comprendre et pour montrer les ressorts cachés de cette âme d’élite, il faudrait dire son amour de Dieu et sa Foi profonde ou il puisait la force, sa vie chrétienne, toute entière orientée vers Dieu, qui baignait, qui pénétrait tous ses actes, toutes ses pensées, qui les vivifiait et leur donnait leur sens véritable.

Les premiers jours de guerre :

 Au mois de juillet l914, Henry est caporal au 6ème Génie, à Angers, ou il fait son année de service après sa sortie de l'École Polytechnique. Il allait partir pour le Maroc avec une relève, 1er août. Le 2 août, premier jour de la mobilisation, Henry est, de ceux qui doivent rester. Au quartier, ou il est maintenu malgré ses demandes répétées, qu'il apprend les premières nouvelles, bonnes pour la plupart, la prise de Mulhouse entre autres, où son frère Paul est entré le premier. Le 10, il est nommé sous-lieutenant. Dans le quartier vide, à l’activité des premiers jours succède bientôt, l’énervement de l’attente, les longues heures d’oisiveté coupées de périodes d’agitation folle. Henry se sent inutilisé, Pendant que les autres se battent : son père, son frère, ses amis. L'énervement, le gagne, il cherche à lutter contre lui. Par la prière d’abord ; ensuite en allant voir les siens aussi souvent, que possible; le 13, il est à Châteaudun ou il voit son père pour la dernière fois, il va revoir Touchebredier où il laisse tant de souvenirs; le 23, encore à Châteaudun ; le 31, à Paris, rue d’Assas à Paris ; il s'occupe des Alsaciens-Lorrains de son régiment ; enfin il se prépare à partir.

Comme il n'est toujours pas question de lui faire quitter le dépôt, il multiplie les démarches : il se propose comme interprète, comme officier dans une section de projecteurs, il est volontaire pour tout ce qui peut l’envoyer au feu. Une de ses nombreuses demandes aboutit enfin et, le 31 août, il est envoyé à Versailles, au 1er Génie, pour se mettre au courant du service des Projecteurs. Cela ne lui suffit pas; encore une instruction à recevoir, des semaines passées au dépôt, des mois peut-être. Et les nouvelles sont devenues mauvaises : Lunéville est pris, Nancy menacé, la Belgique envahie, les Français sont battus à Charleroi et les Allemands marchent sur Paris. Il veut se battre tout de suite; dans un mois il sera peut-être trop tard.

Débuts dans L’aviation :

 Une chose tente Henry : l'aviation. Il devine tout l'avenir réservé à cette arme. Tous ses efforts vont tendre à y entrer. Dès le lendemain de son arrivée à Versailles, il s'échappe et va à Saint-Cyr prendre contact avec l'aviation. Le jeudi 3 septembre, il apprend dans la rue, à Paris, de la bouche d'un officier de réserve du 1er Chasseurs qu’il ne connaît pas et qu’il arrête pour lui demander des nouvelles du régiment, la mort de son père, Fou de douleur, ignorant ce que sont devenus sa mère et ses frères, il lui faut, au retour à Versailles, trouver son ordre de départ avec le 1er Génie pour Montpellier. Ne pouvant supporter la pensée de s'éloigner de la bataille en un pareil moment, il va s'engager dans l’aviation à Saint-Cyr et, le 5 septembre, il fait son premier vol comme passager, piloté par le lieutenant de Lignac.

Son impression sur ce premier, vol ? Il note simplement sur son, carnet : "ça vaut de l’or". Le 6, dans l'après-midi, il fait sa première reconnaissance. La reconnaissance de la, veille n’est pas revenue; de celle du matin on est sans nouvelles. Une grande bataille est engagée sur l’Ourcq; il faut absolument savoir ce que font les Allemands, où ils dirigent leurs réserves. Henry part donc avec la même mission que les deux autres : "Reconnaître l’itinéraire Meaux - Vallée de l’Ourcq-Villers-Cotterets". Je ne connais pas le résultat de ce premier vol sur l’ennemi; le soir, il écrit : "Que de temps perdu à Saint-Cyr, pour quelques heures d’intérêt ! "

Le lendemain : il recommence. Il exécute une longue reconnaissance sur les lignes ennemies pour l’Armée de Paris : Lagny, Forêt de Cléry, Coulommiers, la Ferté-sous-Jouarre, Villers-Cotterets. Il a recueilli des renseignements de grande importance qu'on lui fait porter au général Sordet. Commandant le Corps de cavalerie. Après la victoire de la Marne, vient pour Henry une période d'oisiveté forcée. L'Armée de Paris est dissociée, son aviation affectée à la Place, n'a plus grand chose à faire; en outre il fait mauvais et les avions sont, cloués au sol. Henry se désole de ne pas être plus actif et fait des demandes multiples pour être affecté à une escadrille du front. Il y réussit le 25 septembre : on l’envoie comme observateur à l’escadrille V.21, à Dammartin-sur-Sèvre. C'est pour lui une grande joie; il écrit : "Enfin, la vraie guerre va commencer."

A l’Escadrille V. 21 :

 C’était bien peu de chose que l’aviation au début de la guerre. Une centaine d’avions peut-être, pas d’observateurs ou très peu : quelques officiers des états-majors d’armées faisant des reconnaissances, les passagers étaient la plupart du temps de simples mécaniciens; les pilotes sont en général des sportifs, habiles et braves, mais sans instruction militaire sérieuse, sans grand esprit de discipline, sauf un petit groupe d’officiers-pilotes de grande valeur, qui a constitué le noyau autour duquel s’est organisée l'aviation. L’armement, rudimentaire : pas de mitrailleuse, ni même de fusil automatique ; un fusil Lebel pour le passager, un revolver d’ordonnance pour le pilote.

L’emploi tactique, en enfance, à part la reconnaissance stratégique sur laquelle a porté presque toute l'instruction du temps de paix; les réglages d’artillerie sont encore à la période des essais, le bombardement consiste à jeter quelques obus un peu au hasard: qui tombent à côté ou qui n’éclatent pas, ou encore des fléchettes qui donnent quelquefois de bons résultat peu de tirs d’artillerie contre avions, peu de combats ; par contre de nombreuses pannes de moteur. Tel était à peu près l'état de l’aviation quand Henry arrive à l’escadrille V. 21.

Cette escadrille composée de 6 avions Voisin, était, comme toutes les autres, affectée à une Armée (la IVème), les escadrilles de Corps d'Armée n’existaient pas encore. Elle faisait un peu de tout : des réglages, par des procédés encore rudimentaires, des reconnaissances, un peu de bombardement, de la chasse à l’occasion. Henry y fait son premier vol le 29 septembre pour régler une batterie de 155 long, située près de Margemoulin. Cette première tentative ne réussit pas, Il atterrit, va voir la batterie, étudie avec le capitaine les causes de l'échec, s'entend pour un nouveau réglage et reprend son vol. Cette fois, il s'acharne et, ne descend que lorsque le résultat est obtenu. Le lendemain, il recommence avec une autre batterie. Il continue les jours suivants, reconnaissances et réglages. Henry s’y applique avec patience et, avec ardeur, cherchant à perfectionner les méthodes de réglage, préparant ses reconnaissances par des études minutieuses, il vole tant qu’il peut, souvent trois fois par jour. Le 1er octobre, il rencontre pour la première fois un avion allemand trop loin pour pouvoir engager le combat ; le même jour, l’artillerie ennemie tire pour la première fois sur son avion. Le 7, la V.21 se déplace et s’installe à Châlons. A Chalons, Henry, qui s'est, déjà fait remarquer par son audace, est chargé de nombreuses missions de bombardement. Porter deux ou trois obus loin clans les lignes allemandes, sur un avion lourd, peu maniable, mal armé, à la merci d’une panne de moteur; livrer combat aux avions allemands qui barrent la route, subir le feu des batteries anti-aériennes qui protègent les points sensibles, quels risques pour un si faible résultat ! Chaque fois il faut vaincre bien des difficultés nouvelles.

C'est le 9 octobre qu’Henry livre son premier combat. Il est en route pour jeter des bombes et des fléchettes sur un parc allemand, près de Bouconville, quand iI rencontre un avion ennemi, un aviatik. Il ne possède qu'un fusil Lebel, l’Allemands est armé d’un fusil automatique, peut-être d’une mitrailleuse (un certain nombre en ont déjà à cette époque) ; l’aviatik est plus rapide et plus souple que le lourd Voisin. Cependant, Henry n'hésite pas ; il l'attaque résolument et, après un combat assez long où il tire 25 cartouches, il met, en fuite l’avion ennemi. Ensuite, il va tranquillement exécuter sa mission. Le 23 dans des conditions semblables il attaque et met en fuite un autre aviatik. Le 2 novembre, par un vent empêche presque l’appareil d’avancer, il regagne les lignes françaises quand il est violemment, pris à partie par l’artillerie ennemie; les obus éclatent très près de l’avion qu'ils atteignent, à plusieurs reprises ; c'est pour eux un but facile que cet appareil presque immobile. Le pilote s'énerve et va perdre la tête, mais Henry le calme, le remet en confiance, lui insuffle sa propre énergie; l’avion avance lentement, lentement, sans tenter un crochet qui le ferait reculer loin dans les lignes allemandes. Peu à peu, ils se dégagent, les voici hors de portée, sortis de ce mauvais pas. Quand on parle des faits d’armes d’Henry, de son courage, il est presque impossible d’employer des termes redondants, des expressions grandioses.

C’est qu'en effet son courage était éminemment simple et naturel. Il ne savait même lui même qu’il était d’une bravoure exceptionnelle. Ce serait, se faire de lui une idée très fausse que de l’imaginer comme un héros recherchant les occasions de se couvrir de gloire et faisant sa nourriture quotidienne des actions d'éclat. Peut-être avait-il eu cette conception quelque temps, elle était si générale dans l’aviation; mais bien vite il s’était repris. Son courage, d’un autre ordre, n'avait besoin ni de témoin, ni de récompense, ni de gloire il avait a source plus haut; Henry avait confiance en Dieu, il était prêt à la mort, ce lui était facile d’être brave ; et puis, aussi, c'était une vieille habitude de famille, "ça allait de soi ", il ne concevait pas qu'il eu pût en être autrement. Il ne recherchait pas les risques, il ne les ignorait pas non plus, mais il les considérait comme des choses nécessaires, qui ne le gênaient pas beaucoup d’ailleurs, et il les affrontait quels qu’ils soient. Ce à quoi il tenait avant tout, c'était à accomplir sa mission; le reste c'était "des incidents", et à l’atterrissage il se préoccupait beaucoup plus du résultat de son réglage ou de sa reconnaissance que de celui des combats qu’il avait, pu livrer en route.

Observateur à l'Etat-major de la IVème Armée :

 Henry n'a pas tardé à se classer comme le premier observateur de son escadrille. Il a été remarqué à l’Armée ; aussi, le 4 novembre, est-il affecté comme observateur à l’E. M. de la IVéme Armée, à Châlons, emploi tenu jusqu’alors par des officiers brevetés. C’est là qu’il fait la connaissance du capitaine Pujo, officier de grande valeur, avec qui il se lie et qui est désormais pour lui un guide et un ami.

Les observateurs de l'Armée sont naturellement chargés de missions particulièrement délicates et importantes : reconnaissances stratégiques loin dans les lignes ennemies, ou encore réglage de pièces de très gros calibres et de trains blindés. Henry est envoyé partout ou l’on a besoin d’un observateur de premier ordre, au 12éme Corps, au 1er Corps colonial. Mais c’est surtout pour le 2éme Corps d'Armée qu’il vole en Argonne, ou la situation est inextricable : les lignes sont, mal définies, on ne sait pas au juste où sont les Allemands et où sont, les Français; les batteries ennemies, très difficiles à repérer, parce qu'elles sont dans les bois, nous font beaucoup de mal. Henry y est envoyé : il rapporte des renseignements précieux, éclaire le commandement sur les positions relatives des nôtres et de l’ennemi, repère avec précision l’emplacement de plusieurs batteries et règle le tir sur elles.

Comme on le demande de tous côtés et qu’il a beaucoup à faire, Henry vole par tous les temps. Le 12 novembre, avec le pilote Reymond, il est assailli par une bourrasque et, ils s’échappent à grand’ peine. "Le plus beau chahut qu'on puisse trouver ", écrit-il, "nous étions aveuglés par la pluie et secoués par le vent comme un bouchon sur une mer agitée. Des sauts de 50 à 100 mètres dans les deux sens...., Chic journée". Le 4 décembre, il vole encore par un temps épouvantable et, le soir, comme un mécanicien hésite à partir en avion à cause de la violence du vent, il prend sa place, quoiqu’il ait déjà fait deux vols clans la journée. Quand il pleut et qu'on ne peut absolument pas voler, il va voir les artilleurs et, préparer le travail du lendemain, ou bien il se rend aux tranchées, visite les fantassins, leur porte les renseignements qu’il a recueillis, s'enquiert de ceux dont ils ont besoin. Chez les Coloniaux qui ne se sont pas fatigués à creuser des tranchées profondes, la moitié de son corps dépasse le parapet, car il est très grand, et les Allemands lui tirent dessus ? Au cours d’une de ses tournées, il s'arrête le 9 décembre, chez le général Gouraud, aux Islettes; il s’y trouve presque en famille : " Chics officiers. Je retrouve l’atmosphère que crée autour de lui l’oncle Hubert. Le général me montre, sa plaque de grand-officier qui est celle d’oncle Hubert et que celui-ci lui a donnée. " A cette époque Henry s’occupe activement des premiers essais de T. S. F. à bord d'avion. Il étudie la question, fait de nombreux essais et, le jour de Noë1, tente et réussit son premier réglage par T. S. F.

L’offensive du 20 décembre et celle du printemps 1915 :

 C’est, le 20 décembre 1914 que les armées françaises ont, essayé, pour la première fois, de rompre le front allemand, depuis la stabilisation qui a suivi les batailles de la Marne er de l’Yser. Les moyens, hélas, dont nous disposions ont été terriblement disproportionnés avec l’effort à faire. La préparation d'artillerie, dérisoire, était faite presque uniquement avec du 75 ! Le 20 au matin, Henry se prépare au combat par la sainte communion. Il fait un temps très mauvais, la pluie tombe sans arrêt. A 11 heures, profitant d’une éclaircie, les avions tentent le départ. Les nuages encore très bas rendent le vol des plus dangereux; Henry s’obstine, il arrive à grand peine sur les lignes; il aperçoit nos troupes, les lignes allemandes. Les nôtres sont à peu près à leur point de départ ou n'ont fait que de petits progrès, le combat diminue d’intensité, la bataille se cristallise. On va tenter une nouvelle attaque, mais voici que les nuages baissent encore, la pluie recommence, il faut rentrer. Que faire ?

Reste encore le ballon. Henry y court, se propose comme observateur. Il y passe une heure fructueuse, signalant les batteries en action, les mouvements de troupes, suivant les dernières phases de l’attaque dont il embrasse tout, l’ensemble ; les Coloniaux ont progressé, le 17éme Corps n'a pu le faire que sur certains points, le 12éme pas du tout. Le lendemain, le 12éme Corps fait une nouvelle tentative et se fait étriller. L'attaque générale est suspendue. Le 22, Henry livre combat; à un aviatik et le met en fuite. La fin de décembre, le mois de janvier et la première moitié de février sont, employés à de nombreux vols, malgré un temps souvent, mauvais. Le 9 janvier, Henry reçoit la nouvelle de sa première citation à l’ordre de l’Armée; le 18, il fait, pour la première fois, des photographies en avion. Le 12 février, il apprend que Ie 17éme Corps va prendre part à une attaque en Champagne. Comme on y a besoin de bons observateurs, on le prête à l'escadrille MF. 22 (capitaine Pegat), qui esr attachée à ce Corps d’Armée.

L'attaque commence le 16, Henry vole toute la journée. Nous faisons, ce jour-là, des progrès sensibles, mais, le 17 le combat devient acharné, l’ennemi réagit fortement, amène des renforts d’artillerie : Henry signale 21 batteries en action. Nous faisons, le 17 et le 18, quelques pénibles progrès. Le 19, la journée commence bien pour Henry. I1 repère et fait contrebattre deux batteries ennemies, puis voit un régiment d’infanterie qui débouche de Tahure il demande un tir sur cet objectif et le disperse. La situation générale ne change pas, les attaques sont suspendues, Le soir, un violent tir de 130 dirigé sur le terrain d ’aviation oblige la M. F. 22 à l’évacuer, non sans difficultés. Le 25 mars, Henry livre encore combat a un avion allemand qui paraît sérieusement touché et atterrit tant bien que mal dans ses lignes.

Opération sur Saint-Mihiel :

On monte une opération sur Saint-Mihiel. Henry en sera naturellement. Il part, le 31 mars, pour Verdun où j’ai la joie de le revoir pour la première fois depuis le début de la guerre. Hélas! J’ai aussi la triste charge de le guider dans son pèlerinage sur la tombe de son père.

Les opérations sur Saint-Mihiel commencent, le 5 avril par un très mauvais temps qui empêche de voler. Henry ne peut sortir que le 6 dans des conditions particulièrement défavorables. Le mauvais temps dure jusqu’au 12, Ce jour-là, il y a quelques éclaircies. Henry qui veut absolument faire des photographies urgentes, sort à quatre reprises, sans y reussir. Le métier le plus dangereux, est celui de photographe, aussi devient-il le photographe attitré de son escadrille. Le 14 il reçoit un éclat d’obus dans le stabilisateur arrière, 16, c’est dans le plan fixe arrière, cela ne l’empêche nullement d’exécuter sa mission, et le soir il note : " Lecompte (c'est le pilote), a été très chic les photos sont bonnes."

Retour à Châlons, été 1915 :

 Bientôt la IVème Armée réclame Henry; les opérations sur Saint-Mihiel ont échoué, il n’y a plus grand’chose à faire à Verdun. Il part, le 20, pour Châlons et est rattaché à la V.21, son escadrille du début. Il est nommé lieutenant, le 9 mai. Pendant l’été 1915, relativement calme, Henry, toujours à l’affût de ce qui peut augmenter le rendement de l’aviation, prend part à de nombreuses expériences, dont quelques-unes ont contribué considérablement, au progrès de l’arme : exercices de tactique d’escadrille (jusqu’alors les avions ne font que des vols isolés), exercices de signalisation par phares à bord d’avions, essais de projectiles incendiaires, essais d’émission simultanée de plusieurs avions T.S. F., etc. En même temps, il réalise un de ses rêves, passer le brevet de pilote; son entrainement commence le 5 juin, il fit, son premier vol seul le 4 juillet, passe son brevet à l'Aéro-Club le 8 août et son brevet supérieur militaire de pilote d’avion le 26 octobre.

Les grands raids de bombardement :

A la même époque, Henry prend part à deux grands raids de bombardement : Stenay et Carlsruhe.. A Stenay, le quartier général du Kronprinz, 8 Voisins, 6 Caudrons, 6 Farmans, au total 20 avions de la IV Armée doivent aller le bombarder ; d’autres avions venant de Sainte-Menehould et de Clermont-en-Argonne s’ajouteront à eux. Le départ se fait, le 3 juin, à 3 heures du matin. On y voit à peine suffisamment pour se diriger. Pour Henry, la mission de bombardement se double d’une mission de reconnaissance; en plus de ses bombes, il emporte un appareil photographique pour photographier la gare et d’importants dépôts ainsi que tous les points intéressants qu'il reconnaitra sur sa route,

La première partie du voyage se fait sans encombre, Henry jette soigneusement, ses bombes et prend posément ses clichés de Stenay sous un tir très violent des batteries de défense aérienne de la ville, mais au retour un peu après avoir repassé les lignes, heureusement, une panne de moteur oblige le pilote à atterrir dans terrain très mauvais ou l’avion casse ses roues et brise une aile sans causer aux passagers d’autre mal qu’une forte commotion. Pour bombarder Carlsruhe, Chalons est un point de départ trop éloigné, il faut faire une étape et, le 7 juillet, les avions désignés partent pour Nancy, point clé rassemblement général. Le départ se fait le 15, à 3 h 15, au lever du jour, Henry n'emporte qu'un obus de 155, mais il est chargé d’une mission de confiance : photographier la ville et les résultats du bombardement ; c’est-à-dire qu’il passera le dernier, alors que toute la défense anti-aérienne de la ville aura été alertée par les premières bombes, que les avions de chasse ennemie seront, peut-être déjà en l’air; il jettera son projectile, puis fera ses photographies pendant que ses camarades aurons déjà fait demi-tour, et il regagnera la France, le dernier de tous, à l'arrière-garde. Après celui du commandant de l’expédition qui est guide, celui d’Henry qui est serre-file est un poste d’honneur.

A Peine parti, un incident : le support de pompe à huile est cassé par les trépidations du moteur. Cela peut devenir grave si l'alimentation se fait mal; tant pis, Henry continue tout de même. Il passe à Woerth, Reichshoffen, douloureux souvenirs de l’autre guerre, toute la plaine d’Alsace, il traverse Rhin. Il contemple Strasbourg, les Vosges, la forêt Noire et, au loin, les Alpes. C’est un spectacle très beau par lequel il trouve le temps de se laisser émouvoir; il m’en a parlé souvent. Carlsruhe enfin ! II doit jeter son projectile sur le palais grand-ducal ; malgré le soin avec lequel il vise, il le voit, avec désespoir mais probablement sans grand étonnement, éclater dans un bosquet du parc, puis il fait posément ses photographies, que j’ai vues et dont plusieurs étaient très belles, revient, et atterrit sans encombre à Malzéville vers 8 heures. Deux avions seulement manquent à l’appel. Le 19 juillet, sitôt arrivé à Châlons, Henry se bat avec un albatros qui, paraissant atteint, fait demi-tour, pique vers le sol et disparaît. Le 26, il est cité pour la seconde fois à l'ordre de l’Armée.

Premier commandement effectif - Chef des Observateurs
Bataille de Champagne :

Jusqu’à ce jour, Henry s'est efforcé de se perfectionner dans son métier, Il est, devenu un observateur de tout premier ordre. Ses camarades le recherchent et l’admirent, Langle de Cary, d’Harcourt, Weyler, La Rochefoucauld, Roques, Brindejonc, Tourtel et surtout Dampierre avec qui il se lie particulièrement. Ses chefs l'apprécient hautement, mieux, se lient d’amitié avec lui : le capitaine Armengaud, le capitaine Guillabert, le capitaine Pujo qui a pour lui une véritable affection, le commandant Roisin dont il est l’observateur favori. Les généraux le voient avec plaisir et intérêt et causent longuement avec lui : Gouraud, Hirschauer, de Langle. Voici maintenant le jour où il va exercer un commandement effectif; il y est prêt depuis longtemps. Au mois d’août, il est chargé de diriger l’observation aérienne dans un secteur, celui du 3éme Corps, je crois. C'est lui qui doit recevoir toutes les missions et même provoquer les ordres, car on sait encore bien mal se servir de l'aviation; il est le conseiller technique du commandement pour l’emploi de l’aviation; ensuite, il prépare ses missions en allant voir les divers exécutants, fantassins, artilleurs ; il en étudie avec eux les détails, puis il répartit le travail entre les observateurs et il en surveille l'exécution. Tout est à organiser et c'est pressé : on monte une grande attaque pour le milieu de septembre et, pour la première fois, l’aviation doit. y jouer un rôle considérable. I1 va falloir photographier tout le front d’attaque, se livrer sur les épreuves à une étude minutieuse, pour fixer l’emplacement exact, des batteries ennemies, le tracé des tranchées, des hoyaux et, des pistes, rechercher les abris, les minenwerfer, les mitrailleuses, les petits postes, les réseaux de fils de fer, tous éléments de première utilité Pour l’établissement du plan d’attaque ; ensuite il va falloir faire des centaines de réglages et de contrôle de tir et, enfin, le jour de l’attaque , survoler nos troupes et indiquer par T. S.F. les points qu'elles auront atteints, signaler les contre-attaques, les batteries en action et les faire contrebattre. Ce travail; considéré maintenant (en août 1917 ) comme nécessaire à toute attaque, était alors presque entièrement nouveau. Il va lui falloir convaincre bien des gens hostiles aux innovations, lutter contre les mauvaises, volontés, l'indifférence, l’ignorance. Pour être chef dans l’aviation, il faut être un peu apôtre. I1 y a tant de gens qui ne savent pas apprendre la guerre autrement que dans des cours et des règlements, qui ne connaissent encore rien à l’aviation et qui, quand une escadrille est placée sous leurs ordres, en sont ravis comme un enfant à qui on a donné un jouet tout neuf, mais la regardent cependant, avec l'attitude d’une poule qui a couvé des canards !

Henry, se multiplie il renonce à une permission à laquelle il a droit ; il vole toute la journée et, emploie une partie de ses nuits à aller en liaison et à préparer le travail du lendemain. Sachant que les fantassins ont, des difficultés à lire les photos verticales, il survole les lignes à très faible altitude pour faire des photos obliques, à fort grossissement, qui leur montreront le terrain sous un aspect analogue à celui sous lequel ils ont coutume de le voir ; son avion est criblé de balles, mais ses photos sont fort appréciées. Ce n'est que 5 mois plus tard, quand on aura construit des avions blindés, que les photos obliques à faible altitude deviendront d’un usage courant. C’est, lui qui fait presque toutes les photos du secteur. Il aime aussi à voler le soir à la tombée de la nuit, quand les batteries ennemies en action font de belles lueurs, bien visibles dans la pénombre, qui permettent de les mieux repérer ça s'appelle "la pêche aux lueurs ". Quant aux batteries contre-avions, il emploie un moyen fort simple : lorsqu'on lui en signale une, il prévient l’artillerie et va la survoler pour qu’elle lui tire dessus; pendant, ce temps, il cherche à saisir les lueurs de départ des coups, fixe avec précision l’emplacement de chaque pièce et règle le tir sur elles. Tout ceci se passe sans incidents.

Le 29 juillet, 4 éclats dans l'appareil dont un dans le moteur qui occasionne une panne. Le 20 août, son pilote, le lieutenant, Weyler, est blessé à l’épaule. Le 6 septembre, un éclat d’obus brise un aileron, ce qui est grave. Le 12 le capitaine Balland, qui le pilote cette fois, est atteint au bras par un éclat d’obus. Les avions ennemis aussi sont devenus plus agressifs. Le vieux Voisin tente les Fokker et leur parait une proie facile. Le plus souvent d’ailleurs, c’est Henry qui attaque le premier. Il se bat presque tous les jours: parfois plusieurs fois dans la même journée, Le 7 septembre, il livre trois combats au cours d'un même vol et, met, les trois Allemands en fuite. Le 8, il attaque deux Allemands à la fois et reste maître du champ de bataille. Le 11, il se bat pendant une demi-heure avec un aviatik secondé par deux acolytes qui se contentent heureusement de le mitrailler de loin : combat particulièrement, acharné, il tire 150 cartouches de mitrailleuse, puis, n'ayant plus de munitions, continue le combat avec son mousqueton et vide encore 7 chargeurs avant que l'Allemand se décide à se sauver, l’avion d’Henry est, touché de plusieurs balles, il continue cependant sa mission, l’achève tranquillement et trouve le moyen de récolter encore 7 éclats d’obus. Le 18, parti pour une mission photographique, il trouve 5 aviatiks qui barrent les lignes ; il passe tout de même, et l’un d’eux l'ayant attaqué, il riposte si heureusement, que celui-ci désemparé est forcé de piquer et atterrit au hasard, sur la Py. Au retour, ses photos faites, nouveau combat, indécis celui-là, jusqu'à l’épuisement de ses cartouches de mitrailleuse ; enfin, au moment de passer les lignes, il attaque un troisième avion avec son mousqueton ; il a tiré au cours de ce vol 256 cartouches et reçu 9 balles dans son appareil.

Le 20, il rencontre encore cinq avions faisant barrage ; il en attaque deux, mais dans de mauvaises conditions ; une balle brise un longeron, ce qui compromet, gravement la solidité de l’avion; la situation est, critique, mais son pilote s’en tire habilement par une glissade sur l'aile. Le lendemain, pour se rattraper, Henry livre deux combats : d’abord en compagnie de deux avions-canons français à un bimoteur allemand de type nouveau puis seul à un aviatik qu'il met en fuite. Quels regrets il éprouve chaque fois d’avoir un avion si lent et de ne pouvoir poursuivre d’avantage, rejoindre et abattre l’ennemi en fuite ! S’il avait monté un avion rapide, il est bien probable que son" tableau de chasse "aurait été bien rempli. Mais, je l’ai déjà dit, ces combats étaient pour lui des incidents, les à-côtés du métier ; toute son attention, tous ses efforts se portaient sur une autre chose, son travail propre de reconnaissance et d’observation, plus humble, mais peut-être aussi plus fécond, l’attaque maintenant est toute proche.

La préparation d’artillerie commence le 22 septembre, au lever du jour. L'artillerie ennemie riposte avec énergie et Henry repère de nombreuses batteries, Trois fois il est"soufflé"par les obus, c'est-à-dire que le vent d’obus de gros calibre destinés à la terre en passant, tout près de lui secoue violemment son appareil. Pour n'en pas perdre l’habitude, il se bat encore avec un aviatik bimoteur armé de deux mitrailleuses ; celui d’Henry n'en a qu’une ; pourtant il soutient le combat jusqu'au moment ou il a tiré toutes ses bandes de mitrailleuses; son avion est criblé de balles, l’hélice atteinte vibre terriblement, un longeron du plan inférieur est brisé, il faut s’en aller ; l’ennemi n’ose pas poursuivre cet, adversaire trop coriace et attaque un autre avion français qui se trouve aux environs ; Henry voit la manœuvre, fait demi-tour, et, avec son avion blessé, attaque encore une fois l’ennemi avec son mousqueton, la seule arme qui lui reste ; il l'oblige enfin à se retirer et, dégage son camarade Weyler. Le 23 et le 24, continuation des tirs d’artillerie. Henry vole sans cesse et fait jusqu’à 12 réglages au cours du même vol. Le 25 est, le jour de l’attaque qui est, déclenchée à 9 heures. Très mauvais temps. Henry vole quand même, mais les nuages et la pluie l’empêchent de rien voir. C’est une journée d’attente et d’énervement pour l’aviation qui ne peut rien faire. Vers 14 heures, on apprend que le 32éme Corps est, arrêté devant les fils de fer de la deuxième position allemande, que le 14éme progresse ainsi que le 6éme. Le 2ème Corps de Cavalerie s’approche jusqu’à la ferme Navarin, prêt à s’engager

Le 26, les nouvelles sont moins bonnes nos réserves sont arrivées trop tard, l’ennerni s’est réorganisé et résiste, la bataille continue avec acharnement. Presque partout nous sommes arrêtés devant la, deuxième position; nos troupes lancées sans cesse Contre ces tranchées intactes ne peuvent les enlever elles perdent beaucoup de monde. Piloté par le capitaine Balland, Henry assiste en l'air à ces assauts impuissants. La bataille est très dure, le terrain est jonché de cadavres et, comme on a cousu clans le dos des Français des carrés de toile blanche pour faciliter le travail de l’avion qui doit jalonner la ligne, on distingue très bien les cadavres allemands, petites taches sombres, des cadavres français qui apparaissent comme de petits points blancs : il y a beaucoup de petits points blancs. Par contre, l’ennemi a amené en hâte des batteries qui s'installent en plein champ sans prendre le temps de se dissimuler. Henry ne perd Pas son temps, il en repère et en fait contrebattre un grand nombre.

Le 27, nouvelle tentative pour forcer la seconde position, Henry va encore survoler l’attaque, mais avant, que celle-ci soit déclenchée un obus dirigé contre l’avion le couvre d'éclats, l’un d’eux cisaille un longeront un autre transperce la carte qu’Henry tient entre les mains passe par dessus son épaule et traverse le réservoir à essence ; celle-ci se met, à couler à flots ; pour éviter l'incendie il faut immédiatement couper l’allumage, arrêter le moteur et atterrir ou l’on peut, en vol plané. Son pilote, Grandseigne, réussit à toucher le sol sans incident, près d’un ballon. Le 28, rien de nouveau, mais le 29 arrive un renseignement, qui remplit tout le monde d’espérance : la deuxième position a été enlevée la veille sur 6oo mnètres de large ; or il n’y a plus de tranchées en arrière, on va. dit-on essayer de faire passer la cavalerie !.... Henry part, en reconnaissance et, ne voit rien ; le champ de bataille a l’air figé, l’artillerie même parait calme. Le soir, il fait une reconnaissance supplémentaire à la place de son ami Weyler blessé à la jambe ; il arrive sur les lignes au bon moment : un régiment allemand se déploie et se prépare à contre-attaquer ; Henry le signale, le fait contrebattre, l'oblige à se disperser: la contre-attaque est étouffée dans l’œuf. Le 30, on apprend que le trou est bouché ! Beaucoup de ceux qui avaient passé, attaqués de trois côtés à la fois, ont été fait prisonniers, il a fallu ramener le reste en arrière. Nous sommes maintenant en présence d’une ligne continue, et le commandement arrête la bataille. il se décide enfin à faire sur la nouvelle ligne allemande, comme sur l’ancienne, une préparation d’artillerie sérieuse qui durera plusieurs jours.

L'attaque de la deuxième position se fait le 6 octobre, Est-ce manque de munitions, fatigue du matériel d’artillerie, réglages insuffisants, le mauvais temps ayant beaucoup gêné les vols ? En tous cas, la préparation est mauvaise, les tranchées mal détruites ; notre infanterie se heurte aux fils de fer intacts, est, fauchée par les mitrailleuses, elle ne peut Progresser Henry, qui survole la bataille, volant, à faible altitude pour mieux voir, est pris à partie par les mitrailleuses de terre et reçoit 6 balles dans l’appareil. Il assiste, à quelques centaines de mètres de hauteur, à l’assaut d’une tranchée, à sa prise, à la fuite des Allemands, puis à la contre-attaque soudaine qui surprend les nôtres, les bouscule et rétablit la situation. Il m'a parlé souvent de cette affaire et de l’affreux sentiment qu’il avait de son impuissance. L’attaque du 6 octobre a échoué. L’offensive de Champagne est terminée. Le 7, Henry a sa troisième citation et, le 25, l’escadrille V.21 est citée toute entière.

Hiver 1915-1916 - Stage dans l’artillerie lourde :

A cette période active succède une période de calme relatif. Henry en profite Pour compléter son entraînement de pilote. Pour avoir le brevet militaire, il faut faire plusieurs vols à l’arrière, dont un circuit de 200 kilomètres, Henry demande et obtient de remplacer ces épreuves par des vols de guerre sur le front. Le 12 octobre, il fait son premier réglage comme pilote, le 22 son second, au cours duquel une balle atteint le robinet d’essence, l’oblige à arrêter le moteur et à atterrir près des premières lignes, dans l’espace vide que laissent 4 tranchées. C'est alors qu’on le croit pendant quelques heures fait prisonnier, et que l’accueil de son escadrille à son retour le toucha si profondément. Le 26, son brevet est homologué. C'est le 2 novembre qu’Henry a la joie d’apprendre qu'il est nommé chevalier de la Légion d’honneur. Le commandant Guillabert lui remet la croix le 5, au terrain d’aviation, devant tous ses camarades qui, pour lui témoigner leur joie d’une distinction si méritée, lui offrent une croix ornée de brillants.

Du 3 au 31 décembre, Henry fait un stage dans un groupement d’'artillerie lourde, à l’ouest d’Auberive, sous les ordres du commandant Botelle, puis du commandant de Peyronnet. Stage très fructueux. Il était venu Pour s’'y instruire, il y rendit des services, ce qui est en .même temps la meilleure manière de s’instruire. I1 fait des réglages de tir, recherche dans les tranchées des observatoires avancés, remplace un officier en permission, et, au moment du changement du commandant de groupe, transmets les consignes et assure la continuité ; puis il est chargé des rapports avec le service géodésique. La nuit de Noël, il assiste à la messe de minuit dans une casemate de 155 long. Le 31 décembre, Henry rejoint son escadrille, et il apprend qu'il est désigné comme professeur au cours d’observateurs en avion du Groupe d’Armées du Nord, mais il ne rejoint pas son nouveau poste car, au moment de son départ, on l’appelle au commandement d’une section d’aviation d’artillerie lourde en formation : la V. 211.

Formation : la V. 211 :

Les sections d’artillerie lourde sont des formations nouvelles : 6 avions, 6 pilotes, 6 observateurs. Pour le choix de leurs chefs, contrairement aux habitudes suivies jusqu’alors, on n’a tenu compte ni de l'ancienneté ni temps passé comme pilote, très peu de l’habileté en pilotage et des connaissances techniques en aviation. La seule connaissance technique exigée est de savoir piloter. On choisit presque uniquement des observateurs, très au courant de leur métier, qui se sont distingués par leur allant et leur intelligence, par leur aptitude au commandement, par leur instruction militaire. Tous sont jeunes, presque tous de simples lieutenants. C'était une innovation hardie et qui réussir pleinement. Elle fournit à de nombreux officiers l’occasion de montrer ce qu’ils pouvaient faire. Tous ceux des commandants de section d’alors qui survivent aujourd’hui - car beaucoup sont tombés - sont, capitaines depuis longtemps et chefs d’escadrille, plusieurs commandent l’Aéronautique d’'un Corps d’Armée.

Henry est désigné pour prendre le commandement de la première section formée au groupe d’armées du Centre I la V. 211 est constituée officiellement le 20 janvier 1916. En fait, à cette date, elle se compose uniquement de son chef. Alors commence pour lui une période de dur travail à laquelle j’ai un peu assisté, étant à Auve à quelques kilomètres de lui. Tout de suite, il faut lutter pour obtenir le personnel et le matériel nécessaire ; tout manque, on a bien créé les sections, mais on n’a pas encore de quoi les réaliser. Le 29, il me confie ses déboires, il n’a encore reçu qu’un observateur, le sous-lieutenant, Crosnier un avion très fatigué pour lui, trois mécaniciens, un camion et, une bicyclette ! Et il ne voit plus rien venir…Pendant un mois, il roule dans tous les sens, tantôt dans son camion, tantôt sur sa bicyclette, pour hâter la constitution de son unité. Ce n’est que vers le 20 février qu’elle commence à prendre forme.

A ce moment la V. 211 est ainsi composée (sauf erreur) :
Pilotes d’Amécourt, commandant la section, sous-lieutenant Gérard, caporal Johansonnis, caporal Sels.
Observateurs : lieutenant, Kahn, sous-lieutenant Crosnier, sous-lieutenant, Morillon , sous-lieutenant Martinot.
Tous, sauf Crosnier sont tout nouveaux dans l’aviation.

II ne suffit pas d’avoir du personnel et, du matériel; il faut en faire un tout, indiquer à chacun sa place, lui enseigner son métier, faire concourir tous les efforts vers un but unique, animer tout ce monde, d’un même esprit, et faire vraiment, une "unité" selon le terme si heureux du règlement. Réaliser cela, c'est, l'essence même clu travail d’un chef. Henry y réussit merveilleusement.

Il y a quatre ans qu'il a commencé d’apprendre à comrnander et il se souvient des difficultés qu’il a rencontrées car c’est un métier qu’on n’apprend pas sans peine. I1 a appris au patronage Saint Hippolyte qu’on ne peut entreprendre d’action individuelle sans établir d’ahord une discipline générale solide ; il y a appris à prévoir, à organiser; il a, appris que pour donner vraiment de l’entrain au jeu, il faut, s’y donner soi-même tout, entier, et le jeu, qu’il veut, enseigner maintenant, il le joue mieux que tout, autre, et avec quelle âme ! Rue d’Assas, il a bien souvent, entendu parler de l’autorité, du commandement; il y a profité de l’expérience de ceux d’entre nous qui avons déjà eu l'occasion de commander ; il a retenu cette formule d’un des nôtres que lui aussi se plait constamment à appliquer et qu’il répète souvent : " Demander à ses subordonnés un peu plus qu’ils ne croient pouvoir faire un peu moins qu'il, ne peuvent faire en réalité". Et puis il a l'exemple de son père, de ses parents, tous chefs, de son oncle Hubert, surtout, merveilleux entraîneur d’hommes. Enfin, il a vraiment l’âme d'un Chef et il est, doué pour le commandement; il n'a pas besoin de se composer une attitude, de feindre un optimisme, un enthousiasme qu’il n'éprouve pas ; nul n'est plus optimiste et plus allant que lui; il n'a qu'à laisser. parler son cœur, à se montrer tel qu’il est, en se défiant toutefois de sa trop grande bonté.

Mais c’est surtout dans l’action individuelle qu’Henry excelle. Il sait trouver le mot qui ranime les énergies, le conseil opportun et surtout le geste nécessaire. Et cela, il le fait, non pas avec une grande habileté, avec une remarquable perspicacité, il n’y met pas tant de malice, mais avec un tact merveilleux, avec un sens aigu de ce qu’il faut faire, avec un grand esprit de finesse, avec toute sa générosité, tout son cœur. Il est là dans son élément; je dirais même qu’il a l’intuition de ce qu'il faut faire et qu’il le fait sans effort, tout naturellement, si je ne craignais pas de faire croire que pour arriver à cela il n’avait jamais eu qu’à laisser faire sa nature. Au contraire, cette aptitude au commandement, cette aisance devant les responsabilités, cette puissance d’affection et de confiance qu’il répand autour de lui, si elles étaient, naturelles chez lui, ont été considérablement développées par l’effort de toute sa jeunesse ; ce n'est que par un travail constant, par une discipline intérieure très dure qu’il a transformé ses tendances naturelles en forces vigoureuses, prêtes pour l'action.

A peine la V. 211 commence-t-elle à être sur pied, à faire figure d’unitér ![ue son existence est, menacée, ou tout au moins son indépendance. Les sections d’artillerie lourde ne sont pas encore de grandes personnes qui peuvent vivre toute seules, Chacune d’elles est accolée à une escadrille-mère qui l’administre, qui lui fait une place dans ses baraques et dans ses tentes, qui la fait vivre, qui lui donne quelques bons conseils et surtout beaucoup de corvées. Un règlement prévoit bien l’indépendance tactique des sections, qui relèvent directement d’un groupement d’artillerie lourde, mais beaucoup d’entre ceux-ci n’existent, pas encore, et la plupart des autres ont été engagés, au fur et à mesure des besoins, loin de leurs sections d’aviation. Et puis, les mères n’aiment pas beaucoup voir leurs petits marcher tout seuls et se passer d’elles, et les escadrilles tiennent leurs sections en tutelle et sont jalouses de leur autorité, La MF. 7 (capitaine Roeckel), très bonne escadrille d’ailleurs, se montre particulièrement dure à la détente. Elle s’obstine à traiter la 211 comme un enfant qu’il faut ménager : elle ne lui donne presque rien à faire : quelques réglages par-ci par-là, un travail rare et décousu.

Henry réclame du tlavail. Il veut, un service indépendant qu’il ait le droit d’organiser comme il l’entend et ou la 211 fasse figure d'unité. Le 1 er mars, il obtient un commencement d’indépendance : il fera désormais les réglages de deux groupes d’artillerie, le groupe Irasque, et le groupe Jacquier. Alors, il se met au travail avec ardeur, il vole tantôt comme pilote, tantôt comme observateur. Il est presque toujours sur les lignes allemandes; aussi, à chaque instant, son avion est atteint par l’artillerie ennemie. Le 5 mars, deux éclats d’obus. Le 6, le caporal Sels qui le pilote reçoit un éclat dans la main, le 13 un éclat dans l'avion, le 15 un autre. Le 31, au cours d’une mission photographique, l’avion est touché 11 fois, un montant de cellule et un longeron sont brisés, un radiateur est crevé ; il note simplement ; "photos bonnes" et hâte tellement la réparation de son appareil que, le lendemain, il est prêt et qu'il peut recommencer à s'en servir. Souvent, il est à la fois pilote et, observateur : il emmène un jeune observateur pour le former, surveille, corrige ses fautes et, le met au courant.

Le 3 avril, la V.211 est, mise à la disposition d’un groupement, d'artillerie lourde, commandé par le colonel Maurin. C’est enfin l’indépendance tactique tant désirée : elle ne devait pas durer longtemps. Le 10, Henry trouve moyen, au, cours de la même journée, de voir sa mêre à Châlons; de faire trois vols et, de récolter deux éclats d’obus dans ses toiles. Le 28, il part, comme pilote avec Crosnier, faire une reconnaissance photographique, loin dans les lignes allemandes. Un avion de la MF. 7 l’accompagne, monté par les lieutenants Léo et Sartory : la mission commence bien, mais, à l’ouest, de Dontrieux, l’avion d’accompagnement est, atteint par un obus de plein fouet et s'écrase en flammes sur le sol. Henry et Crosnier continuent leur mission, tout seuls, rencontrent, un avion allemand qui, après un court combat, se retire sans insister, vont photographier ure pièce de 38o, très gênante, et rentrent au terrain avec leur avion fortement endommagé (Un longeron de queue coupé). Le 15 avril, un avion allemand survolant, nos lignes, jette un pli contenant les croix de Léo et de Sartory et une lettre louant leur courage et indiquant l’emplacement de leurs tomhes. À la suite de cette affaire, Henry fait citer Crosnier à l’ordre de l’Armée, mais il oublie de mentionner qu’il était avec lui… Le travail de la 211 est organisé, en plein rendement. Henry fait en outre des expériences, des essais de téléphonie sans fil, des exercices de liaison avec l’infanterie. La situation de la section parait stable. Soudain, un coup de théâtre,

La 211 perd de nouveau toute indépendance, un ordre de l’Armée la subordonne complètement, à la F. 7 ! C’est une telle déception pour tout son personnel qu’Henry sent la nécessité de remonter le courant. Il fait contre mauvaise fortune bon visage, accepte courageusement la situation et, vole encore plus qu’auparavant. Le 16 mai un obus éclate tout, près de son avion, blesse l’observateur, Crosnier, au côté, met l'avion hors de service, l’hélice est, brisée, un longeron de cellule rompu, une commande coupée. Puisqu’il n’est pas maître d’organiser son service de jour, peut-être pourra-t-il le faire la nuit ? Henry rêve d’essayer les reconnaissances et les réglages de nuit qu’on commence à essayer à cette époque. Le 17, il fait un vol de nuit comme passager à l’école de vols de nuit de la Cheppe ; le 18, il s'entraine en volant, au crépuscule; le 19 il se lance seul en pleine nuit, recommence le 20 et les jours suivants. Ça ne l’empêche Pas d’ailleurs de voler le jour : le 31 mai, il fait quatre vols et, passe 5 h. 30 en l'air.

Au commencement de juin, l’escadrille M.F. 7 est remplacée par la M.F. 33 (capitaine Bordage), qui se montre moins jalouse. Ce mois est une période d’inaction pour la 211. L’attention se porte autre part qu’en Champagne: une grande bataille se prépare sur la Somme. La 211 profite de ce répit pour changer d’appareils : de Voisin elle devient, Farman et reçoit des avions du type F.40. C’est un progrès : ils sont plus rapides, montent mieux, mais sont plus fragiles et aussi mal organisés pour le combat que les Voisins, la position de l’hélice empêchant de combattre par derrière. La V.211 est devenue la F. 211.

Débuts de la bataille de la Somme :

Sur la Somme, où l’on avait accumulé des moyens considérables, on dote chaque Corps d’Armée de trois ou quatre escadrilles et d’autant de ballons groupés sous le nom de " Secteur aéronautique du Corps d’Armée". Cette organisation avait donné d’excellents résultats à Verdun. A la tête de chaque secteur, on mit un officier supérieur ou un capitaine ancien, et on lui adjoint un ou plusieurs officiers très au courant de l’observation aérienne. Henry est désigné, Le 2 juillet, pour remplir les fonctions d’adjoint, dans un secteur de la VIéme Armée. La bataille est commencée depuis la veille, les succès sont considérables. I1 part en toute hâte et arrive le 3 à Boves, Q. G. de l’Armée.

C'est là que j’eus la joie de le rencontrer; je revenais de convalescence et étais envoyé comme lui pour remplir une fonction semblable. Immédiatement nous partons pour le secteur de Demuin ou nous sommes tous deux affectés. Il est commandé par le capitaine Brault, qui a déjà deux adjoints : le capitaine Poli-Marchetti et le lieutenant Rousselet. Quatre adjoints, c’est beaucoup ! Mais nous servons un corps d’élite, le 1 er Corps Colonial, qui est déjà à 1.200 mètres de Péronne, et cette considération nous console un peu. A Demuin, on nous annonce que nous sommes chargés des liaisons avec le Corps d’Armée et de" missions de commandement "consistant, à survoler les attaques et à renseigner directement le général commandant le Corps d’Armée. Pendant douze jours, Henry, Rousselet et moi nous nous relayons pour assurer la permanence au poste de commandement, du général Berdoulat. Métier désagréable pour nous, qui venons d’arriver, que de relier un Etat-major que nous ne connaissons pas avec un secteur d’aviation que nous ignorons !

Pour nous donner une semblable mission, il faut avoir une curieuse idée de la " liaison"; pour la réussir, il faut toute la souplesse d’intelligence, toute la puissance de persuasion d’Henry. Je conserve, un pénible souvenir de ces journées d’inaction, si longues, passées clans une cagna étroite, immobile, inutile, n’ayant rien à faire qu’à recevoir quelques coups de téléphone, à donner quelques vagues explications à des officiers que je ne connaissais pas, et cela, au milieu de gens affairés, surchargés de travail, que notre présence ne pouvait qu’encombrer. C’est moi qui relève Henry et, chaque fois, je constate un progrès; je trouve l’Etat-major plus confiant, mieux disposé à nous utiliser, je me sens moins inutile : Henry est passé par 1à.

Mais c'est, surtout comme" observateur de commandement "qu'il se distingue et, en particulier, le 9, au cours d’une attaque sur la ligne Biaches-Barleux; Ce jour-là, il va loin et très bas dans les lignes allemandes, piloté par Rousselet, à la recherche des réserves, épiant les contre-attaques possibles, signalant les mouvements de l'ennemi : cela sous une fusillade intense. Il fait vraiment, merveille : j’en sais quelque chose, moi qui étais au poste de commandement et qui recevais ses messages. Le lendemain, Rousselet, en surveillant la réparation de son avion, pas mal endommagé par la fusillade et, les éclats d’obus me dit :" C'est une joie de voler avec d’Amécourt, je n'ai jamais vu un observateur pareil !"Il en avait pourtant vu quelques-uns et était lui-même un observateur remarquable; il fut tué le 19 août, en exécutant une mission semblable. Nous partagions la même tente, Henry et moi, il me parlait de son escadrille, de ses difficultés et de l’affection qu’il avait pour elle; il me disait combien il aurait voulu l’avoir sur la Somme pour qu’elle prenne part avec lui à la grande bataille. Inlassablement, il demandait au commandement qu’on la fasse venir.

Bientôt, l’intérêt de la bataille se déplace : le 35éme Corps va essayer d’élargir ver le sud le trou fait par le Corps Colonial; aussi sommes-nous envoyés tous les deux, le 14 juillet, au secteur de ce Corps d’Armée, au terrain de Marcelcave, commandé par le capitaine Cesari. Nous y trouvons un service semblable à celui que nous faisions à Demuin, plus actif, mais encore plus décousu ; nous faisons un peu de tout, tantôt pour le compte d’une escadrille, tantôt pour celui d'une autre, tantôt pour le secteur. Malgré ces conditions particulièrement défavorables, Henry réussit à rendre de grands services. D’abord, pendant la préparation d’artillerie, il fait, de nombreux réglages et contribue à mettre hors de cause un grand nombre de batteries allemandes. C'est un virtuose : il règle deux batteries à la fois, parfois trois, et la précision n’y perd rien. Les commandants de batteries, quand ils téléphonent pour demander des réglages par avion, ont vite pris l’habitude de dire ; "Donnez-nous donc d’Amécourt "

L’attaque est exécutée le 20, De 10 heures à 11h30, Henry survole les lignes avec la mission de signaler les progrès de notre infanterie. Il trouve une situation confuse, la progression semble faible : ça et là des combats à la grenade, partout ailleurs l’immobilité. Il fait savoir exactement, où sont nos troupes ; Henry envoie la fusée-signal qui signifie : "Ou êtes-vous?" À ce signal, l'infanterie doit indiquer sa position par des panneaux, des feux de bengale, des fusées. Cependant elle ne bouge pas, Henry ne voit aucun signal. Il descend bas, très bas, jusqu'à ce qu’il aperçoive des hommes couchés dans des trous d’obus, devant la ligne allemande. Alors il comprend: presque partout l’attaque a échoué; les nôtres, fauchés par le feu des mitrailleuses, se sont abrités tant bien que mal, dans des trous d’obus ct là ils attendent le renfort nécessaire, le tir de notre artillerie qui ouvrira des brèches, ou la nuit qui leur permettra de revenir en arrière. Ils sont, immobiles, aplatis contre le sol, et incapables de faire un geste sous la dense nappe de fer qui passe tout près au-dessus de leur tête.

Pourtant Henry veut absolument remplir sa mission : c'est justement le renseignement qu'il enverra qui permettra de corriger le tir de notre artillerie, de diriger les réserves au bon endroit. Puisque l’infanterie ne peut l’y aider, il l’accomplira tout seul. Un signe à son pilote et ils descendent encore jusqu'à ce qu'ils puissent distinguer le seul indice certain qui lui permettra de jalonner la ligne : la couleur des uniformes, le "bleu horizon" du "feldgrau", Ce sont deux teintes neutres, peu visibles, er il faut aller très près. Puis, sous un tir très violent, il commence son travail. Cela ne dure pas longtemps, l’avion est, criblé de balles, le moteur atteint s'arrête. Grâce à son sang-froid, le pilote réussit à regagner nos lignes en vol plané et à atterrir au milieu des tranchées sans accident de personne. Henry est de toutes les attaques : le 24 juillet, il assiste à l’enlèvement, de l’ilot d’Estrées, le 1er août il survole encore une opération au sud du même village. Dans l’intervalle de ces attaques, il se spécialise dans les tirs de contre-batterie et il réussit si bien qu’on le charge de l’organisation du service de renseignements d’artillerie pour tout le secteur. Comme on lui fait le reproche de faire presque tous ses réglages en volant à l’intérieur des lignes allemandes, et de s’exposer ainsi inutilement alors qu'il pourrait se contenter de survoler nos lignes, il répond :  "C’est que j’étudie en même temps le terrain pour la prochaine attaque. " Il arrive ainsi à connaître merveilleusement, la région et, au milieu du fouillis presque inextricable de tranchées et de hoyaux, son œil exercé distingue de suite la tranchée réparée, le boyau prolongé, tous les travaux nouveaux. Cependant ces vols d’un avion isolé, d’un Farman surtout, à plusieurs kilomètres dans les lignes ennemies, ne se font pas souvent sans incident. Le 1er août notamment, deux avions de chasse l’attaquent et il est dégagé juste à temps par un Nieuport ; il lui rend la politesse en l’aidant à poursuivre les deux adversaires en fuite, puis il reprend et exécute sa mission et repère 18 batteries ennemies.

 La F. 211 sur la Somme :

 C’est le 9 août, que la 211 arrive enfin à Chipilly, secteur aéronautique du 7éme Corps, au nord de la Somme. Le jour même, Henry la rejoint, en reprend le commandement et, l’installe avec sollicitude, préparant son travail avec le capitaine Pastier, commandant le secteur. Août et septembre, ces deux derniers mois de sa vie, furent pour Henry les plus beaux de sa carrière militaire, le plein épanouissement de ses qualités de commandement, à la tête de sa belle unité à laquelle il se donnait tout entier. Et d’abord commence pour la 211 la période de l’indépendance : indépendance administrative, elle s'administre à part, vit à part ; - indépendance matérielle, mieux, accroissement matériel. Les équipages sont portés progressivement de 6 à 10 et on lui promet de la transformer tout à fait en escadrille (ce devait être réalisé quelques jours après la mort, d’Henry) ; indépendance tactique ; la 211 et la 215 (capitaine Molinié), sont, chargées de l’observation aérienne pour l'artillerie lourde du Corps d’Armée, sous les ordres du colonel de Gigord. Chacune a sa tâche bien définie, un groupement précis à desservir. Henry hâte les travaux d’organisation, les liaisons préparatoires, et, le 11 , à midi, la section est prête à travailler. C'est lui qui fait le premier vol, piloté par Sels.

Le 12 août, la 211 assiste à la prise de Maurepas. Le I 3, au cours d’un vol avec Henry Sels est blessé au bras. Henry recoit le 22 un nouvel avion et, part avec Martinot faire donner à l’appareil le baptême du feu. Au deuxième obus allemand il est, touché par 44 éclats! les ailerons, un longeron de queue sont atteints, " C'est un peu trop ", note-t-il, le soir. Trois avions allemands voyant, ce Français désemparé le mitraillent de loin sans oser l’approcher, heureusement. Le 26, pendant qu’il survole ure attaque locale, un éclat d'obus passe tout, près d’Henry et coupe une commande de profondeur. C'est à grand-peine qu'il réussit à regagner le terrain et à atterrir. . Le rendement de la 211 est, devenu considérable; très spécialisée maintenant, elle est employée uniquement, à repérer les batteries ennemies et à régler sur elles le tir de nos batteries de gros calibre. On observe de bout en bout des tirs de 200 à 400 coups. Pendant les attaques, sa mission est, de signaler les batteries en action et de régler le tir sur elles. Cela demande toute une organisation : plan de contre-batterie, plan de neutralisation, etc... Henry y prend part avec le colonel de Gigord qui l’appelle souvent, le consulte et apprécie ses avis, Henry est maintenant une personnalité avec qui il faut compter. Tout ce travail de préparation, tous ces soucis de commandement ne l'empêchent pas d’être le meilleur exécutant de sa section. Il vole plus que tous les autres, deux fois par jour, parfois trois.

Le 2 septembre, les éclats d’obus lui crèvent deux pneus. Le 3, il prend part à la prise de Cléry, par un très mauvais temps : il récolte 14 éclats, mais il est ravi du travail de la 211 : " Gros rendement " écrit-il. Pour son compte il a repéré 24 batteries ennemies. Le 12 est encore un jour d'attaque ; il fait tellement mauvais qu'on hésite à voler. Il part le premier, comme observateur, il assiste au succès de notre opération. Succès tellement complet qu’on décide de le poursuivre et d’attaquer Bouchavesne ; c’est encore Henry qui part comme pilote cette fois, avec Martinot. Il assiste à l’attaque et à la prise de Bouchavesnes"combat inouï ", écrit-il, il y prend une part active en faisant contrebattre de nombreuses batteries qui gênent notre progression. Vers le 15 septembre, le 7éme Corps est relevé la 211 passe au 5éme, mais, avant de partir, le général commandant le Corps d'Armée, tient à remercier l’escadrille 211ème la citant à l’ordre du Corps d’Armée. Cette citation de l’escadrille fait plus de plaisir à Henry que toutes ses citations personnelles. D’ailleurs, lui-même est, cité à l’ordre de l’Artillerie lourde du Corps d’Armée par le colonel de Gigord. Le 20 est, un jour d’alerte. Profitant du flottement, que la relève occasionne chez nous, les Allemands essaient de passer à l’offensive Leur attaque est repoussée. Ce jour-là encore la 211 travaille beaucoup.

Le 21, elle s’installe à Treux, terrain d’aviation tout proche de celui de Chipilly. Le 23, Henry livre combat à plusieurs avions allemands, dont l’un approche à le toucher et manque de l’accrocher ; maître du champ de bataille, il termine son réglage et fait une petite reconnaissance, quand un éclat d’obus coupe un hauban du plan rabattant. C'est grave la " vrille", mortelle en Farman, le menace. Pourtant, encore cette fois, il parvient à regagner le terrain. Le 25 est encore un jour de bataille Henry vole d’abord comme observateur piloté par Gérard; puis comme pilote avec Martinot et se bat, contre trois avions allemands. Quelques jours auparavant, je parlais avec Henry de nos malheureux avions Farman, dont étaient dotées presque toutes les sections d’artillerie lourde et, beaucoup d’escadrilles : avions mal armés, fragiles, peu maniables, lents, très inférieurs aux appareils ennemis de même catégorie. Beaucoup d’entre eux, proie facile, avaient été abattus ces derniers temps, les aviateurs s’irritaient d’être si mal servis, perdaient confiance en leur appareil. Nous déplorions tous les deux le manque d’entente entre les services de l’arrière, le désordre de la fabrication, le manque d’autorité du Ministère sur les constructeurs,

"C'est très vrai me dit Henry, pour conclure, mais à cela nous ne pouvons rien. Nous avons des Farman et, vraisemblablement, nous en aurons pendant longtemps encore. Ce que nous avons à faire, nous, c'est de donner confiance à ceux qui nous entourent dans l’avion qu’ils ont, non pas dans celui qu’ils devraient avoir. Il nous faut demander au Farman tout ce qu'il peut, donner… " Un de ses officiers a écrit qu’il volait " sans souci du canon, sans souci de la ligne allemande ". Il s’est mal exprimé, je crois, Henry se souciait du canon et de la ligne allemande, mais il agissait comme s’il ne s'en souciait pas. En parlant de lui, on dit souvent : " d’Amécourt, était d'une témérité folle". Erreur ; elle n'était pas folle, mais voulue, raisonnée, réfléchie. Témérité ?... Sacrifice plutôt. Il savait fort bien ce qu'il faisait. C'est pour maintenir cette confiance qu’il faisait ces randonnées lointaines dans les lignes ennemies, qu'il allait, comme le 25 septembre, sans avion de protection, survoler Moislains, à 5 kilomètres chez les Allemands. C'est pour maintenir cette confiance qu'il ne refusait jamais le combat à un avion allemand, quel qu’il fût.

Le 26 septembre, Henry partit de bonne heure avec Martinot. Ils allèrent loin dans les lignes allemandes à leur habitude et repérèrent plusieurs batteries, dont Martinot envoya la position par T. S. F, vers 8 heures, ils survolaient Moislains. A 8h. 1/4 ils revenaient vers nos lignes, passant au-dessus du bois de Saint-Pierre-Vaast. Ils étaient à 1600 mètres d’altitude environ. A ce moment on aperçoit, cinq avions allemands qui les survolaient, du type Wallfisch probablement, avions de chasse nouveaux alors et, très redoutables. Soudain l’un d’eux se détache du groupe et pique sur le Farman qu’il attaque par derrière : on entend la mitrailleuse. L’avion français gravement atteint se met en vrille et, tombe. Vers 7 à 800 mètres, on le voit se redresser, il essaye de tenir tête. Cette fois, il est attaqué par plusieurs avions, trois, d’après la plupart des témoins. Le comhat est court; très rapidement, le Farman désempare se met en vrille pour la seconde fois. On le voit encore tenter un suprême effort pour se redresser, puis la chute recommence plus rapide, l’avion n’est plus gouverné : peut être le pilote est-il déjà mort... Tout à coup, une grande flamme, c'est l’appareil qui prend feu, Quelques secondes encore, on le voit tourbillonner, puis il s’écrase sur le sol, à l’est de Rancourt, à quelques centaines de mêtres des lignes françaises.

En deux ans de guerre, Henry avait fait plus de 500 heures de vol, avait, exécuté 15 bombardements, livré 31 combats, abattu ou gravement touché 3 avions ennemis. Son avion avait été atteint de 49 balles et de 147 éclats d’obus, cinq pilotes où observateurs avaient été blessés au cours de vols qu’ils exécutaient avec lui. Ces chiffres disent bien peu de chose. Ils ne peuvent exprimer le principal : les services qu’il a rendus, l’influence qu’il a eue par son exemple, par sa connaissance du métier par son sens tactique et, surtout, la profonde douleur qu’ont ressenti, à l’annonce de sa mort, tous ceux qui le connaissaient et, par conséquent, qui l’aimaient.

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Sa mort - Sa sépulture
par son oncle le colonel Lyautey
écrit en novembre 1916

C’est le 26 septembre, vers huit heures, que Henry et Martinot, sont tombés luttant, contre plusieurs avions allemands (type Roland); la chute a eu lieu à cinq cents mètres environ au sud-est de Rancourt, entre la grande route Péronne-Bapaume et le bois Saint-Pierre-Wast. Ils revenaient d’une reconnaissance au-dessus de Moislains et allaient rentrer dans nos lignes, quand ils furent attaqués par trois ou quatre avions rapides. Henry pilotait son appareil Farman. La chute a été vue à environ deux kilomètres par un aviateur de l’escadrille d’Henri, le lieutenant Kahn, qui dit avoir aperçu un appareil français descendu, à huit cents mètres de hauteur environ par des avions ennemis, l'appareil semblait en flammes en atterrissant, deux corps parurent tomber de l'appareil ou au moins un. Kahn ne savait pas à ce moment que c'étaient Henry et Martinot, qui étaient dans cet, appareil.

Le commandant Gérard, commandant l’aéronautique de la 6ème Armée, voyant à midi qu’Henry n’était pas rentré, était très inquiet. Jean de Keraoul (le gendre du colonel Lyautey) en fut prévenu téléphoniquement, et alla aux renseignements à l’escadrille d’Henry; le commandant, Gérard ne put que lui confirmer ce qu’il savait par M. Kahn, et il semblait ne conserver aucun espoir, étant donnés la hauteur à laquelle s'était produite la chute et aussi sans cloute l’incendie de l’appareil. Je fus prévenu le 26 au soir et partis pour Chateaudun où j'annonçai à ma sœur la terrible nouvelle. Ce 28, Jean allait à Rancourt, en pleine bataille faire son enquête, il put parler aux officiers et hommes de troupe du 151ème qui avaient l’avant-veille pénétré dans Rancourt, et qui occupaient les ruines; Jean a, donné là la plus belle manifestation de son affection pour son cousin, car il s'exposait au plein feu des attaques et contre-attaques, Des soldats du 151ème lui dirent avoir vu tomber un avion et, des aviateurs pas loin d’eux mais en terrain boche, terrain qui, aujourd’hui se trouvait, être entre les lignes françaises et allemandes et par conséquent n’était pas encore accessible.

À la suite de divers renseignements inexacts, j’avais envoyé un médecin de mon régiment à la recherche des tombes d’Henry et de Martinot, au cours de ces recherches il a rencontré M. l’abbé Nouais, aumônier du groupe des brancardiers divisionnaires qui venait d’apprendre par un sergent du 89ème régiment, qui tenait alors les tranchées de Rancourt, qu'on voyait à la lorgnette le corps d’'un aviateur près d’un appareil à l’endroit désigné comme point de chute d’Henry. Renseignement important. M. l’aumônier Nouais, était connu pour ses hautes qualités morales et son énergie, aussi le médecin de l'escadrille 211, le connaissant, l’avait mis au courant des recherches faites et à faire pour retrouver les corps et c'est en grande partie à l’heureuse pensée de ce médecin, qui aimait beaucoup Henry, de s’adresser à l’aumônier Nouais, qu’est, due la découverte des deux corps. Le 28 au soir, Jean me téléphonait :"Les corps des lieutenants d’Amécourt et Martinot, auraient été retrouvés ce matin par des brancardiers divisionnaires."Nouvelle envoyée par le lieutenant de Bonrepos (tué l’année suivante); celui-ci qui avait pris le commandement de l’escadrille 211, à la place d’Henry, téléphonait à Jean que le lendemain matin, à 10 heures, 89ème, relevé des tranchées de Rancourt, se trouverait au village de Suzanne pour êfre embarqué en camions-autos et ramené à l'arrière et, que là serait le lieutenant Audouy, commandant la 5ème compagnie du 89ème qui en creusant un boyau partant de la tranchée Aupérin au sud-est de Rancourt, avait vu une carcasse d’avion et les deux corps des aviateurs dont l’un appartenait au génie et l’autre à l’artillerie et, que leur signalement répondait; à celui donné par l’abbé Nouais.

Ces renseignements si précis étaient donnés, à M. de Bonrepos par une lettre de l’abbé Nouais dont Jean prit copie el, qu'il a envoyé ensuite à sa tante Blanche. C’est donc bien à l'initiative de l’abbé Nouais que nous devons la découverte des corps. Le 3o octobre, Jean me fit prendre par son auto et nous allâmes ensemble à Suzanne ou nous trouvâmes ce lieutenant du 89ème, qui nous confirma tous les détails, nous remit un bouton d'uniforme qu’il avait pris sur chacun des corps et nous dit qu’il les avait encore vus sur place la veille à 15 heures. Nous sommes allés; Jean et moi, déjeuner à l’escadrille 211 ou je fus reçu bien cordialement, et bien affectueusement par tous les anciens camarades d’Henry et de Martinot, et, là il fut décidé que je partirais à 13 h. 30 avec Kahn et sept volontaires de l’escadrille pour aller chercher les corps, et que le lendemain à 7 heures se trouverait au delà de Maurepas, près du P.C. de la division, un camion-auto, accompagné de Jean et de Bonrepos, avec deux cercueils et, que l’enterrement aurait, lieu ce jour même à l5 heures à Cerisy, village à l'abri de tout bombardement, et ou se trouvait un grand cimetière. C'est par un ouragan de pluie et de vent, que nous partîmes Kahn et moi, ainsi que les sept volontaires qui étaient les sergents Peruet et Joannès qui avaient, souvent, volé avec Henry, les soldats Daumarie et, Gislain, mécaniciens D’Henry, Tardy, son ordonnance, Hulot, ordonnance de Martinot et le soldat Metrat.

Arrivé à l5 heures au P. C. de la division, deux kilomètres est, de Maurepas, nous mîmes trois heures pour franchir les trois kilomètres et, demi qui nous séparaient du point ou gisaient les corps, ce trajet se fit pendant une tempête de vent et de pluie qui nous favorisait en empêchant le tir que font chaque jour les Allemands sur les ravitaillements. Sans cette tempête nous ne serions peut-être pas arrivés au but. L’Etat-Major de la division me donna un agent de liaison pour gagner, par la ferme de l’Hôpital, le P. C. de la brigade au ravin de l’Aiguille, et prévint télégraphiquement le colonel du 131ème de mettre brancards et brancardiers à notre disposition. Arrivés vers 17 heures au ravin de l’Aiguille de nouveaux agents de liaison nous conduisirent au poste du colonel du 131ème, contre la grande route de Rancourt-Bouchavesne. Le terrain traversé était un vaste chantier désert composé de fondrières et de trous d’obus dans lesquels on enfonçait jusqu’à mi-jambes, terrain parsemé de débris du champ de bataille et de restes humains. Des abris, des tranchées, des boyaux, on n’en voyait que des tronçons démolis.

Le colonel du l3lème mit gracieusement à notre disposition de nouveaux agents de liaison qui nous conduisirent au poste de secours du médecin situé à la tranchée Aupérin, contre la grande route. Il était 18 heures. De suite Kahn et deux hommes pârtirent à la recherche de l’avion, un quart d’heure après ils revenaient au poste de secours me disant qu'ils avaient trouvé l’avion et le corps d’Henry. Je partis alors avec Kahn et des brancardiers Pour relever ce corps, ce qui fut fait, mais il fallut prendre de grandes précautions pour se dissimuler à cause des fusées éclairantes ennemies, une balle siffla à nos oreilles et, je faisais aplatir les hommes à chaque fusée afin de ne pas faire déclencher un tir de mitrailleuses sur ces groupes. Le corps d’Henry était sur le dos, les jambes et les bras étendus, les vêtements ouverts, il avait été certainement fouillé et déplacé le casque d’aviateur était sur la tête, mais, celle-ci fracassée par la chute, était informe, méconnaissable l’identification cependant était certaine par les vêtements et les chaussures que l’ordonnance Tardy reconnut ; le corps ne semblait pas avoir de brûlures. Cette belle tête d’Henry tenait à peine au corps qui fut mis avec précaution sur le brancard et ramené au poste de secours ; je l’y accompagnais.

Kahn et quelques hommes se mirent alors à la recherche du corps de Martinot qui devait être de l'autre côté du boyau, mais il n y avait plus le point de repère de l’avion, Ils se mirent en fourrageurs sur un front de cent mètres, mais, au bout de vingt minutes, ne pouvant rien distinguer, ils rentrèrent au poste de secours et il fallut remettre les recherches au lendemain au petit jour. Il était 19 h 30 et je me décidai, pour ne pas encombrer ce poste de secours si exigu, a regagner, avec le corps d’Henry, le poste du ravin de l’Aiguille. Le médecin Serrat (un Nancéien) m'accompagna, heureusement, car seul je n’aurais pu trouver ma direction dans l’obscurité, et dans ce terrain innommable il fallut une heure pour faire ces 1.500 mètres, Le médecin-chef du 131ème m’offrit l’hospitalité dans ce poste, moitié puits, moitié abri. Le corps d’Henry fut déposé à couvert et la nuit se passa; le canon tonnait assez fort que la matinée était cependant l’heure la plus propice pour regâgner le ravin de la division et, que ses brancardiers qui faisaient la relève, y allaient.

Nous nous sommes donc décidés à nous remettre en route, les porteurs du corps d’Henry, profitant, d’une accalmie, avaient continué leur chemin, nos deux blessés aux jambes, le sergent Perrel et Hulot furent emmenés sur des brancards. Le corps de Martinot, fut pris par d’autres brancardiers, le sergent Joannès et, Metrat s'en furent à pied. Chacun prit des itinéraires différents pour éviter les groupes. Enfin, à 10 heures, nous nous sommes tous retrouvés au ravin de la division, Les corps furent, mis dans les cercueils apportés par Bonrepos et Jean, beaux cercueils de chêne et plomb. Nos blessés furent évacués, sur l’hôpital de Suzanne et de là sur Cerisy ou nous les avons retrouvés l’après-midi. M. de Bonrepos partit avec l’auto-camion, emmenant les cercueils à l’église de Cerisy.

Je suis retourné avec Jean à l’escadrille 211 ou tous les affectueux et sympathiques amis d’Henry m’ont demandé comment ces pauvres corps, ont été retrouvés et ramenés. Je conserverai toujours le souvenir de l’accueil reçu de ces jeunes et brillants officiers qui tous savaient que le même sort si périlleux les attendait peut-être, et qui tous l’acceptaient avec une si belle et si digne abnégation. A 14 heures nous sommes repartis pour Cerisy. Là j’ai trouvé une cinquantaine d’officiers des différentes escadrilles et autant d’hommes de troupe, tous voulant rendre les derniers devoirs à leurs camarades et chefs si aimés et si respectés. J'ai vu M. le curé de Cerisy qui est le curé évacué de Suzanne, je lui ai recommandé la sépulture d’Henry.

A 15 heures la cérémonie s’est faite, très simple et très touchante, les deux cercueils recouverts du drap tricolore, beaucoup de couronnes envoyées par les escadrilles. M. l’aumônicr Nouais avait bien voulu venir officier et, après le chant des vêpres des morts, il a prononcé l’allocution la plus touchante et la plus élevée, voulant, rapprocher le sacrifice de ceux qui meurent pour la France du sacrifice de celui qui est mort pour sauver toute l’humanité. Au cimetière, le commandant de Vergnette, chef du groupe d’escadrilles dont était la 211 après avoir lu les citations à l’ordre de l’armée d’Henry et, de Martinot, a adressé à ces deux vaillants, les adieux de leurs camarades, il l’a fait en termes émouvants, d’une belle valeur morale et religieuse. Notre cher et bien aimé Henry, ainsi que son compagnon de gloire Martinot, auront eu des funérailles simples et émouvantes, mais aussi bien touchantes, dignes des regrets et des exemples qu’ils laissent.

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Témoignages de ses camarades
et de ses chefs

* Témoignage du Ltt Crosnier de l'escadrille F.211
du 15 décembre 1916

Madame,

C’est avec une profonde émotion que j’ai reçu vos félicitations ; c'est en effet sous la direction merveilleuse de mon chef et ami Henry d’Amécourt que j’ai effectué les vols qui m'ont fait attribuer la Légion d’honneur ; c’est à lui que mon cœur a rendu un pieux hommage quand la bonne nouvelle m'a été apprise. J'ai souvent raconté à mes parents cette vie inoubliable de la V. 211 et vous me permettrez, conformément aux vœux que m’avait exprimé le frère d’Henry d’Amécourt, lors des douloureuses circonstances qui nous ont réunis, de vous retracer cette page de guerre que la modestie de votre fils ne vous a jamais révélée. Sa section fut constituée le 20 janvier 1916 ; à côté des escadrilles existantes on créait, à la demande des artilleurs lourds, des unités d’aviation spécialisées dans leur travail; à leur tête ne furent mis que des jeunes chefs, la plupart lieutenants, qui s’étaient fait remarquer dans le courant de 1915 par leur courage, leur habileté, leur aptitude au commandement. La première de ces unités pour le groupe des armées du Centre fut donnée à votre fils qui venait de faire un stage dans un Groupe d’Artillerie lourde (groupe Bottel, en position en Champagne à l’ouest d’Auberive), stage dont il avait tiré un profit considérable comme nous devions le voir Par la suite lorsqu’il nous dictait les missions d’artillerie. Tout de suite il se mit avantageusement à la formation de sa section. Sa grande activité allant au-devant de tout.

" C’est prévu", avait-il souvent coutume de répondre à notre inquiétude bornée. Des difficultés toutes spéciales l’attendaient. La section d’aviation d’A.L.n’avait pas d’indépendance administrative, elle était placée sous la tutelle d’une escadrille (la M.F.7, capitaine Roeckel au Bivouac Marchand, près de Suippes) ; en plus, le groupement d’Artillerie pour lequel elle était formée ne fut jamais réuni. Néanmoins la V.211, dès le début, eut figure d’unité et, son travail réellement déterminé, elle sut, tout de suite montrer sa présence tactique dans le secteur de Champagne ; ceci pour vous dire les talents d’organisation de celui que notre admiration avait coutume d’appeler"le Chef ". Sa maitrise, toute faite de ses qualités incomparables de coeur, ses grands principes de religion et de morale qui lui dictaient un tact incomparable, inégalable, aplanissant toutes les petites difficultés qui peuvent naître dans les relations des individus placés près de lui, sa témérité était proverbiale, une abnégation réfléchie aboutissant à des fins utiles.

La première fois que je le vis à l’œuvre dans ce domaine, ce fut le 15 mars, au cours d'une attaque locale ayant pour but la prise d’une tranchée importante pour les observations ; le soir, je notais dans mon langage sur mon petit carnet de route"le type le plus merveilleux vu depuis le début de la campagne ". Je le vis voler sans souci du canon, sans souci de la ligne allemande (qui, dans l’air, a l’air tracée pour les avions : passer les lignes est pour nous une expression qui a de la valeur), ayant pour but sublime de déterminer complètement d’une façon précise les batteries allemandes, qui se révélaient pour former un barrage devant notre attaque, l’occasion était belle et fructueuse ; en secteur calme, en effet, l’artillerie se révèle peu. Au retour je fus émerveillé : sa récolte de batteries était en tous points supérieure à la mienne, et, pourtant, il pilotait alors que mon seul travail était l’observation. Dès cette époque mon admiration ne connut, plus de bornes et ne devait que s'affermir par la suite, et tous mes camarades emmenés par lui comme observateurs eurent vite les mêmes sentiments. Il nous prenait les uns après les autres, assurant, ainsi notre solide formation professionnelle d’ou devait résulter un rendement incomparable de sa petite unité. Personnellement, je lui devais plus encore, j'étais arrivé à son escadrille manquant un peu de courage, je lui avais confié mon passage malheureux dans l’escadrille précédente ; bien qu’inaccessible à de telles faiblesses, il avait compris mon âme moins haute et son bel exemple allait me relever pour toute l’année l916, c'est, pourquoi ma croix compte encore au nombre de ses bienfaits, Je continuerai le récit des sorties inoubliables qu’il nous faisait faire !

Le 31 mars au cours d’un vol de trois heures, on comptait, au retour un réglage d’une batterie de 105, 15 clichés pris dans la vallée de la Py, toute cette activité splendidement accompagnée par le canon qui nous mettait 11 éclats dans l’appareil, un mât brisé ; le radiateur perforé. Les batteries contre avions, seules très actives dans ce secteur calme, furent prises à partie les unes après les autres, Henry d’Amécourt s’exposait à leur feu. Jusqu’à ce qu'il les eut parfaitement découvertes (nombres de pièces, emplacement); il obtenait ensuite un tir de démolition de l’artillerie et les jours suivants on avait la satisfaction de constater leur déplacement dans le sens de l’éloignement dans leurs lignes, ce qui augmentait la sécurité des avions français dans les leurs.

Le 28 avril, il faisait une de ces grandes randonnées dont il était coutumier, prenant des clichés photographiques de toute la partie arrière du secteur, nous eûmes à déplorer la perte de l’avion qui accompagnait monté par le sous-lieutenant Léo, médaillé militaire, pilote, et le sous-lieutenant Sartory, chevalier de la Légion d’honneur, observateur; leur appareil reçut un obus en pleine carlingue. Quelques jours après les Allemands nous apprenaient par message d’avion qu’ils étaient enterrés au cimetière de Pont-Faverger. L’avion de votre fils fut lui-même gravement endommagé, il eut un longeron de queue coupé, un de ces deux gros tubes métalliques qui constituent la queue du Voisin. Il me fit alors généreusement donner une citation de l’Armée du général Gouraud, récompense dont je suis fier, puisqu'elle était donnée sur sa demande; et, à ce propos, je vous dirai que, avec mes camarad.es, nous avons souvent agité la question des récompenses pour notre chef, il nous proposait quand il croyait devoir le faire, mais nous, les témoins de ses actes, ses passagers en avion, nous ne pouvions lui rendre la pareille et, pourtant, nous reconnaissions tous qu'il méritait mille fois plus que nous ; je lui en fis un jour la remarque : "Bah ! n'ai-je pas été assez récompensé ", répondait-il avec son sourire révélateur de visions plus élevées. Sa Légion d’honneur, sa croix de Guerre aux quatres petites palmes, je ne me rappelle les avoir vues que deux fois sur sa poitrine; une fois à Châlons où il était invité par le général Gouraud, la seconde, à une visite de sa famille à Amiens.

Le 16 mai, j’avais l’honneur d’être blessé dans son avion par un éclat d'obus ; son appareil fortement atteint, dut être changé (l’hélice cassée, un longeron de cellule, une commande coupés). J’ai fait allusion à deux sorties photographiques ; vous trouverez des exemplaires des clichés pris dans les affaires qui vous ont été remises. Ils portent l’indication M.F.7 (V.211) ; j’ai attiré l’attention de M. de Kerraoul sur ce point, lorsqu’il eut à faire le triste inventaire de sa petite chambre. Je vais donner des indications à mes parents pour qu’ils vous fassent parvenir la partie de longeron traversée par un éclat d'obus, souvenir du 28 avril 1916; on a scié de part et d’autre de la cassure et l’éclat y reste logé. Juin fut une période d’inactivité pour la V.211 ; l’escadrille M.F. 33 avait remplacé près de nous l’escadrille M.F.7 ; Henry d’Amécourt prit enfin une permission de 7 jours ; au retour, le 3 juillet, il nous apprenait qu’il était appelé dans la Somme comme officier de renseignements. Il partait le cœur gros de quitter sa petite unité qu’il avait si bien formée. Tous nous sentions terriblement la tristesse de ce départ ; beaucoup aussi avaient la crainte de ne plus le voir revenir, sa compétence reconnue pouvait l’éloigner à jamais de la 211 et aussi, brave comme il était, nous savions comment il allait comprendre sa, mission d’officier de renseignements, et nous redoutions toujours sa fin glorieuse. Il partit, vite avec la promesse de nous faire venir près de lui dès qu’il Ie pourrait. Ce fut notre seule pensée jusqu'à notre arrivée dans la Somme,. Pendant cet éloignement je m'étais rapproché de Georges Martinot qui, lui aussi, était un brave coeur. Votre fils, qui cependant, ne savait pas montrer de préférence, me paraissait l’estimer de plus en plus.

La V.211 était devenue la F.211, elle arrivait dans un secteur où l’on se battait; elle s’organisait une popote particulière ; tous nous nous sentions heureux de nous retrouver près du "Chef" en de telles circonstances. La Contre-batterie fut menée avec un grand entrain ; Henry d’Amécourt fut merveilleux pour connaitre vite tous les emplacements de pièces, pour saisir rapidement les déplacements des artilleurs boches commandés par notre avance. Il en rendait compte au commandement de l’artillerie ; il savait, en obtenir une ligne de conduite efficace Pour obtenir la plus grande destruction possible ; sa présence se sentait profondément dans un secteur. Entre les attaques, nous détruisions des batteries en observant des tirs de deux à trois cent projectiles lourds par objectif. Pendant les attaques nous signalions Par T. S. F. les batteries en action, nous les faisions immédiatement inquiéter par nos artilleurs. Ainsi, le 3 septembre, le jour de la prise de Cléry, l’avion d’Henry d’Amécourt repérait 24 batteries en action, les faisant contre-battre ; toute sa mission exécutée comme toujours avec le plus splendide mépris du danger et au retour il comptait 14 éclats dans son appareil.

Les mois d’août et, de septembre, si beaux pour la section, devaient être terriblement attristés par la journée du 26 . Henry d’Amécourt trouvait la mort dans les circonstances où il la risquait tous les jours. Il a été attaqué, loin dans les lignes allemandes, par trois avions, volant, comme à son ordinaire pour la recherche précise de la batterie allemancle. L'avion touché à mort a encore tenté, de regagner nos lignes. C'est ma plus mauvaise journée de guerre, où deux camarades incomparables m’ont été râvis. Le deuil fut entier dans l’escadrille. La semaine qui suivit fut lourdement, pénible. On recherchait partout la grande présence du"Chef"; des espoirs fous revenaient aux esprits confondus. Il fallut se rendre à l’évidence.

Vous avez su tout, cet attachement quand on vous a appris l’empressement qui avait été mis à la recherche des corps, et je garderai toujours le souvenir de la cérémonie du cimetière de Cerisy. Finalement la F.211, de section, est devenue escadrille . Elle vit toujours sur le souvenir glorieux de son fondateur qui ne l’a pas vue grande et, indépendante, mais cependant on le sent toujours présent. Il reste vivant parmi nous ; il nous aide à continuer dans la voie qu'il a tracée et avec un tel appui nous ne saurions manquer de suivre le plus beau des exemples. Vous m'excuserez, Madame, de ne pas avoir su être plus bref ; la belle vie de votre Fils prête facilement au développement.

* Témoignage du LCL De Gigord,
commandant l’Artillerie lourde du 7éme C.A
en date du 15 décembre 1916.

Madame,

je n’ai pas encore eu l’honneur de vous être présenté, mais nos familles sont liées et alliées et, j’ai eu, à la disposition de mon artillerie pendant la période que j’ai passée aux attaques de la Somme, l’escadrille que commandait le lieutenant d’Àmécourt, et, à ce titre, je vous demande, Madame, la permission de vous écrire pour vous parler de votre fils.

C’est grâce à lui et avec lui que mon artillerie a fait ce qu’elle a fait de plus beau dans la Somme. Car dès son arrivée d’Amécourt, m’avait proposé une méthode de travail éclairée et, féconde que j’avais de suite adoptée et dont je ne me suis jamais départi depuis. Officier remarquable et s’imposant de suite, votre fils séduisait de suite aussi par ses qualités personnelles profondément attachantes : distinction et simplicité d’allures, esprit réfléchi et admirablement équilibré, cœur chaud, sentiments élevés, homme de devoir jusqu’au sacrifice, courage calme et ignorant du danger. Un peu avant de quitter la Somme j’avais eu le grand plaisir de l’avoir à ma table. Tous nous avions été conquis par cette belle nature d’officier. En quittant cette région où nous avions tant travaillé ensemble, j'avais été heureux de donner à lui et à son escadrille une citation à l’ordre de mon régiment ; je ne me doutais pas que si peu de temps après, Dieu et la patrie lui demanderaient si tragiquement le sacrifice de sa vie. Grand chrétien, s’il a eu une seconde pour voir venir la mort, et Dieu lui en a certainement fait la grâce, il a, surement fait son sacrifice en héros et en martyr.
Veuillez agréer, Madame, avec mes sentiments de si profonde condoléance, l’hommage de mon plus respectueux dévouement.

* Extrait d'une lettre du Ltt Morillon de l’escadrille 211
en date du 21 décembre 1916 :

Permettez-moi, Madame, de profiter de cette occasion pour vous assurer que le nom de notre regretté Chef ne disparaitra jamais de notre mémoire. Il nous aimait, nous étions obligés de l’aimer et par conséquent de le regretter comme un véritable frère. Il était content de nous, nous étions encore plus heureux d’obéir à un chef tel que lui, et de lui faciliter sa tâche. Il avait su nous inculquer par l’exernple la haute conception du devoir qu’il avait et qui en faisait le modèle de l’officier chrétien. J’ai dit chrétien, car pour moi qui l’accompagnais chaque dimanche, il faisait mon édification par ses communions fréquentes.

Extrait d’une lettre du Ltt De Dampierre de l’escadrille V.21, décédé en novembre 1917 :

Mon amitié pour lui était un état d’âme que la générosité de son cœur et sa magnifique bravoure enrichissaient tous les jours de dons nouveaux. Il a, accompli des actes de folle bravoure que je n'apprenais quelquefois que longtemps après, qui m’alarmaient un peu sur le moment, et que j’oubliais ensuite tant je personnifiais en lui tout, ce qui était beau et brave. De telle sorte que maintenant je ne puis bien écrire car je ne puis-rien préciser. L’ensemble de sa vie héroïque représente un caractère que nous avons admiré et aimé ; j'ai perdu dans l’ombre les détails qui l’ont, composée tant ils étaient peu de chose à côté de l'état de perfection auquel il était parvenu. Sa pensée me hante et son absence me pèse. Pourquoi Dieu prend-t-il sur la terre, de préférence aux autres, ses plus belles créatures?

* Discours prononcé par le Cdt de Vergnette, commandant l'Aéronautique de l'armée Fayolle, aux obsèques du Ltt de Ponton d'Amécourt et du Ltt Martinot, le 31 octobre 1916 :

Mon Colonel, mes chers Camarades,

Le 26 septembre dernier, les lieutenants d’Amécourt et Martinot, au cours d’une des missions périlleuses dont ils avaient l’habitude, ont été attaqués par trois avions ennemis : bravement ils ont fait tête, puis, succombant sous le nombre, ils sont glorieusement tombés devant nos tranchées.

Aujourd’hui, grâce à notre progression continue, grâce à l’héroïsme de nos soldats, grâce au dévouement, au courage des officiers, des pilotes, du personnel de l'escadrille 211, une suprême consolation est donnée à leurs familles éplorées et à nous, c'est, celle de les revoir une dernière fois et, de leur donner la sépulture bénie qu’ont si bien méritée leur héroïsme et leur vaillance.

Le Lieutenant d’Àmécourt, officier d’élite, brave jusqu’à la témérité, pour qui le mot, impossible n’était pas français, pour qui toute mission donnée était une mission accomplie quels qu’en fussent les dangers. Si jeune, presque un enfant, et déjà chevalier de la Légion d’honneur, décoré de la croix de guerre avec plusieurs palmes, son audace, ses qualités de commandement, l’avaient fait désigner malgré sa jeunesse comme chef de l’escadrille 211. Jamais chef ne fut plus adoré, plus respecté de ses camarades et de ses pilotes, jamais une autorité ne fut acceptée par tous avec tant d’entrain, avec tant de joie ; c’est que sa méthode de commandement était l’exemple, c'est que ses pilotes, ses observateurs savaient, que l’orsqu’il leur avait donné une mission, cette mission pouvait être remplie parce qu’il l'avait remplie lui-même bien des fois,

Un tel chef méritait bien des officiers comme le lieutenant Martinot, dévoué, consciencieux, brave, d'un courage calme et souriant et si modeste que ses plus belles prouesses aériennes lui semblaient toutes naturelles et qu’il semblait s’étonner presque de voir sa poitrine s’orner d’une croix de guerre où brillaient plusieurs palmes et plusieurs étoiles. Il les avait cependant bien gagnées. Tels étaient ceux que nous pleurons aujourd’hui.

A leurs familles éplorées, à celle surtout, qu’une rude guerre a déjà si douloureusement éprouvée, nous adressons notre respectueuse sympathie. Pour nous nous conserverons fidèlement, éternellement au cœur le souvenir de ces deux preux, de ces deux braves. Leur exemple rehaussera notre courage, tous brûlant du désir de marcher sur leurs traces et de nous dévouer comme eux, jusqu'à la mort pour notre France bien aimée, pour la gloire de nos armes.

Lieutenant d’Amécourt, lieutenant Martinot, que vos corps reposent en paix dans cette terre bénie sur laquelle nous viendrons nous agenouiller quelquefois. Vos âmes immortelles ont, déjà reçu là-haut la suprême récompense dévolue à ceux qui meurent pour leur Foi, pour leur Patrie. Au nom de l’Aéronautique, au nom de l’Armée tout entière, je vous adresse un dernier et suprême adieu.

 

Remerciements à :

- M. Yves Duprez pour la communication du livre consacré au Ltt Henry De Ponton d'Amécourt.
- La famille De Ponton d'Amécourt
pour la transmission du livre consacré au Ltt Henry De Ponton d'Amécourt.

Bibliographie :

- Le livre consacré au Ltt Henry De Ponton d'Amécourt
écrit par les membres de sa famille.
- Les escadrilles de l'aéronautique militaire française - Symbolique et histoire - 1912-1920
- Ouvrage collectif publié par le SHAA de Vincennes en 2003.
- The French Air Service War Chronology 1914-1918 par Frank W.Bailey et Christophe Cony publié par les éditions Grub Street en 2001.
- Le Journal Officiel de la République Française mis en ligne sur le site"Gallica"de la Grande Bibliothèque de France.
- Carnets de Comptabilité en Campagne des escadrilles mis en ligne par le Site"Mémoire des Hommes."
- Les"As"français de la Grande Guerre en deux tomes par Daniel Porret publié par le SHAA en 1983.
- Les Armées françaises dans la Grande Guerre publié à partir de 1922 par le Ministère de la Guerre.
- Base de données"Personnels de l'aéronautique militaire"du site "Mémoire des Hommes".
- Base de données"Mort pour la France"du site "Mémoire des Hommes".

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Fernand Massol René Pélissier

 

 

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