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Ltt Paul Resal
pilote des escadrilles N 83 et C 46

Partie 1 - Escadrille N 83 de janvier à mars 1917 :

Villacoublay - 8 janvier 1917

PAUL à SALEM

Me voici pour une dizaine de jours à Villacoublay où se forme mon escadrille (N83). J’arrive enfin au but. Nous allons au nord d’Epernay (région Berry au Bac). Ça me plaît assez. Pour le moment je profite de mes derniers jours d’embusquage en passant une grande partie de mon temps à Paris, car il pleut ou vente et je ne puis voler. Je pense que tu vas toujours bien ; ça n’a pas l’air de trop barder en ce moment où tu es et je pense que vous soufflez un peu.

Commentaires de Paul Resal :

La campagne était blanche de neige ; je jubilais dans « mon » petit Nieuport tout neuf, avec un moteur neuf. Le terrain où nous atterrîmes était à quelques kilomètres au sud-ouest de Reims et le secteur où nous devions faire nos patrouilles s’étendait jusque vers Soissons en passant par Berry au Bac.

Il est difficile de dire le sentiment d’exaltation, fait d’attention, d’angoisse, de solitude, qui vous étreignait pendant les trois heures de patrouille, à quatre ou cinq mille mètres d’altitude, où la terre, toute blanche, si lointaine, apparaissait comme engourdie par le froid et où, le retour au terrain, ce tout petit champ avec quatre points minuscules, les hangars, était conditionné par le résultat du combat attendu. Les patrouilles avaient lieu parfois à deux appareils et je ne me lassais pas du spectacle de cet avion tout pareil au mien, qui volait tout près de moi semblant immobile, si proche et en même temps si inaccessible et qui rendait plus sensible le vide de l’espace qui nous séparait.

Les premiers contacts avec le Boche furent de simples passes très brèves. Deux avions volant chacun à 180 km/h se trouvent très loin l’un de l’autre en quelques secondes et se perdent rapidement de vue. Il faut d’ailleurs une certaine habitude pour apercevoir un avion qui vole au-dessous de soi et qui se confond facilement avec les mille dessins qui sont à la surface de la terre.

Dans la vie d’escadrille, le moment le plus énervant est celui qui précède le temps de la patrouille. Sauf en période d’attaque on ne volait guère qu’une fois par jour, trois heures de vol attentif suffisant à la dépense nerveuse d’une journée. L’ordre des vols était indiqué le soir pour le lendemain ; heureux ceux qui avaient à effectuer leur patrouille le matin : l’exaltation du vol, surtout si on avait eu un combat, durait toute la journée mêlée à ce délicieux sentiment de paix que donnait la certitude de vivre jusqu’à la fin de la journée. Quant au contraire on devait voler en fin d’après-midi, on portait tout le jour le poids d’une impatience un peu inquiète qui empêchait de s’adonner à une occupation quelconque notamment à la lecture. Même impossibilité d’ailleurs, le plus souvent, de lire après le vol dont l’écho se prolongeait en vous toute la journée, surtout s’il avait été quelque peu mouvementé. Aussi les jours de pluie ou de neige étaient-ils bien accueillis après une longue période de beau temps.

Avec l’approche du printemps, le front se ranima, le Boche devint plus mordant et l’on commença à faire des patrouilles à plusieurs avions.

Nous devions ainsi nous retrouver un jour à cinq à 3500 mètres au-dessus de Berry au Bac, quatre Nieuport et un Spad, ce dernier étant un appareil nouveau dont la toile était brune tandis que les Nieuport étaient blancs. Par suite d’un ennui de moteur un camarade et moi partîmes quelques minutes en retard et nous nous dirigeâmes de conserve vers le lieu de rendez-vous. En arrivant sur l’Aisne, j’aperçus en effet trois appareils, deux blancs et un brun, et je montais à leur rencontre, quand je les vis tout à coup piquer sur mon camarade et sur moi et m’aperçus qu’ils portaient des croix noires, signe des avions allemands. Singulière coïncidence ! J’évitai l’attaque de l’un des Boches en effectuant un renversement pour sortir du champ de sa mitrailleuse. Je reprenais de la hauteur après avoir redressé, quand je ne vis plus personne.. J’ai dit plus haut comment cela arrive fréquemment lorsque l’on perd un instant l’adversaire de vue, ce qui est fatal quand on se met les roues en l’air. Je cherchai longtemps mon camarade, tournant en rond, piquant, remontant, mais ne voyant rien, je résolus d’aller à la recherche des trois autres dans notre secteur habituel de Craonne à Reims. Je volai près de trois heures sans apercevoir la queue d’aucun avion français ou boche et allais me décider à rentrer quand je vis un gros avion d’observation allemand qui volait à assez basse altitude sur ses lignes un peu au nord de Reims. Avec l’espoir enivrant de descendre enfin un Boche, j’allai, comme il est de règle, me placer entre lui et le soleil, afin qu’il fut gêné pour me voir, et piquai sur lui aussi fort que je pus, le cœur battant (ce qui n’est pas un vain mot, car à chaque attaque d’avions ennemis je ressentais, comme sans doute tous les pilotes, un choc au cœur suivi d’un battement effréné ) ; j’étais attiré et comme aimanté par ce gros Boche que j’espérais surprendre et peut-être, l’idée m’en éblouissait, abattre. Mais je commis l’erreur irréparable d’ouvrir le feu trop tôt et de trop loin, à deux cents mètres peut-être, et aussitôt je vis mon Boche lever la queue en l’air et piquer dans ses lignes. Je le suivais à plein moteur tirant tant que je pouvais, mais le bougre, plus lourd que moi sans doute, me devançait et, au bout d’un temps qui me parut très long, mais qui avait dû être de vingt à trente secondes, je me vis distancé. Mon altimètre marquait 1000 mètres et j’avais été entraîné assez loin dans les lignes ennemies. Je dus abandonner la partie, bien déçu mais terriblement excité par ce premier tir à la cible sur un avion ennemi et je me flattais de l’avoir peut-être blessé et en tout cas de lui avoir fait bien peur et d’avoir interrompu sa mission.

Je rentrai à petite altitude, me trouvant dans un secteur nouveau, où la poursuite et le vent m’avaient entraîné, éprouvant l’exaltation que donnait la rencontre avec un Boche et goûtant comme toujours l’enchantement de me mouvoir dans l’air. Je me trouvais au déclin du jour survolant nos tranchées à quelque 500 mètres , altitude exceptionnellement basse pour les chasseurs, marchant au ralenti comme pour m’harmoniser avec la paix du soir, bercé par le ronflement assourdi du moteur, reposant tranquillement dans mon fauteuil ailé, je regagnais notre terrain dans un sentiment extraordinaire de paix et dans une communion affectueuse avec la terre que je sentais si proche.

Quand j’arrivai au-dessus de notre terrain, je vis que notre hangar était fermé et m’étonnai qu’on ne m’eut pas attendu. Au bout d’un instant, je vis tout le monde sortir des baraquements, levant les bras, courant, montrant des signes d’allégresse. Quand je fus arrêté, le premier qui fut près de moi était mon capitaine qui ne me cacha pas sa joie de me voir revenir et me demandant ce qui m’était arrivé. Devant mes camarades et les mécanos tous rassemblés, je racontai ma poursuite du Boche avec l’excitation bien connue des pilotes qui descendent d’avion. Quand j’eus fini, le capitaine me dit "On vous croyait descendu dans ce combat que vous avez eu au-dessus de Craonne". Je fus tout étonné, me souvenant à peine du début de la patrouille. Mon camarade, qui venait de s’éclipser, avait raconté qu’il m’avait vu tomber en vrille, que lui-même avait soutenu un combat terrible, qu’il n’avait échappé que par miracle.. Je compris que, dés qu’il avait vu les Fritz me tomber dessus, il avait piqué dare-dare et était rentré sans plus attendre. Il me fit d’amers reproches le soir ; je pense qu’il n’aurait pas été fâché que je ne revienne pas du tout. Ce garçon, qui eut deux ou trois aventures analogues par la suite fut finalement vidé de l’escadrille.

Dans ma carrière de pilote de monoplace qui fut brève puisque je suis resté à l’escadrille N 83 un peu moins de trois mois, en hiver 1917, j’eus en tout une dizaine de combats sérieux. Je rapporterai les deux ou trois qui furent les plus marquants ou qui eurent des suites graves.

Au front – le 7 février 1917

PAUL à SALEM

Me voici arrivé à l’escadrille. J’y suis allé depuis Epernay en auto et j’ai reconnu le paysage que j’avais vu sur tes photos.

Au front – le 10 février 1917

PAUL à JULIE

Rien de neuf par ici. Ces derniers jours il a fait un sale temps. On se couche tôt, on se lève tard, on flâne, on fait arranger des bricoles sur les coucous, régler les mitrailleuses ; on finit l’installation des tentes. J’espère y coucher demain, et ta peau de mouton sera idoine.

Aujourd’hui, vers 2 h, le ciel s’est dégagé. On a sorti les zincs et nous sommes partis, quatre en patrouille. Cela fait plaisir de voler quand on est en cage depuis quelques jours. Temps superbe, nous sommes restés deux heures en l’air, de quoi faire cinq ou six fois le trajet de Craonne à Reims. Il y avait du Boche, ce qui faisait de la distraction. On les devine aux flocons blancs des obus que nos artilleurs tirent dessus, à 5 ou 6 kms. On y courre en vitesse mais souvent, le Boche qui nous a vus venir du haut du ciel, a foutu le camp chez lui. On le poursuit pour lui ôter l’envie de revenir, jusqu’à ce qu’une nouvelle traînée de flocons blancs nous appelle à un autre endroit, à 10 ou 15 kms de là.

A cinq reprises différentes aujourd’hui, nous nous sommes livrés à ce petit jeu mais nous n’avons jamais pu prendre contact avec le Boche trop méfiant. Le principal est qu’ils retournent chez eux et ne salissent pas notre air.

Je viens de voir dans les journaux que Lyautey est démissionnaire. Les députés s’entendent comme larrons en foire pour exploiter les bénéfices du gouvernement. Je m’indigne et m’étonne de voir les quelques millions d’hommes merveilleux qui se battent se laisser conduire et mystifier par cette bande de chenapans. Nous sommes mûrs je crois pour le coup d’Etat ; que Briand et Poincaré fassent leurs malles ! Penser que dans une guerre comme celle-ci, ce sont les gens de l’arrière qui lâchent pied ! Painlevé remplace Lyautey !

Au moment de l’offensive, c’est bien ce qu’il fallait au poilu pour le dégoûter et lui faire jeter son fusil ! Penser, quand nous nous battons, que nous sommes des poires et qu’on fait le jeu des fumistes ! C’est à croire qu’ils veulent rendre l’idée d’un coup d’Etat, populaire. Ils y arrivent. Un colonel, le père d’un de mes camarades, a empêché de partir en permission un de ses officiers qui devait jeter une bombe (ou +) à la Chambre. Il a eu bien tort de le retenir !

Au front – le 16 février 1917 

PAUL à SALEM.

Au début de mon séjour ici, il a fait un temps superbe bien que froid (il fallait mettre l’huile bouillante dans les appareils pour qu’elle ne gèle pas).. J’ai fait plusieurs sorties, en tout une dizaine d’heures. Pas vu un seul Boche et j’ai été peu crapouillé.

Je faisais des vols de "patrouille" en bébé ; cela consiste à s’embusquer assez haut et scruter le ciel dans un secteur déterminé, pour découvrir le Boche qui voudrait passer, et le chasser (ou le descendre si possible). Pour cela on vole très haut, entre 4000 et 5000 m. Je n’ai pas souffert du froid mais au début j’avais assez mal à la tête en descendant et après le vol. Maintenant je suis bien habitué. A ces hauteurs-là, on voit un espace énorme, mais on distingue mal ce qui est au sol ; c’est trop petit et puis il faut toujours ouvrir l’œil, se retourner, faire des virages pour ne pas se laisser sottement surprendre par un appareil de chasse ennemi. D’un œil je voyais Reims, de l’autre Berry au Bac et Creil.

J’ai survolé la vallée de P.( ?) où tu as été longtemps en batterie mais c’est à peine si j’ai reconnu les villages. Je suis enchanté de mon métier et j’attends avec impatience de livrer combat : il me semble très probable d’en descendre quelques uns si je ne le suis pas moi-même. Mais au début il faut s’y aventurer avec prudence et méthode, tant qu’on n’a pas d’expérience, pour ne pas se faire descendre inutilement. J’ai plusieurs camarades qui ont ainsi été victimes de leur excès de cran et qui se sont fait tuer à leur premier combat, en se précipitant tête baissée sur le premier Boche qu’ils ont vu. Cela m’a donné à réfléchir. Enfin, qui vivra verra !

Pour le ceinturon bricole, cela a été lancé par les aviateurs mais ils ne le portent plus. Les autres armes le portent maintenant, plus par chic que par commodité. Ça n’est pas mal à condition d’être de belle qualité, et si on a 60f de rabiot. Je n’en vois pas trop l’utilité. Au front cela peut être très pratique ; j’ai vu un capitaine qui en avait un à deux bretelles, croisées par derrière, droites par devant. On passe la jumelle, l’appareil photo et le revolver dans la ceinture et on peut accrocher d’autres objets, (truc contre les gaz) aux crochets des bretelles. Mais je n’en ai pas vu porter à l’arrière.

L’uniforme noir à bandes rouges est très chic et j’en ai un comme cela. Je ne crois pas que tu pourrais le mettre au front, et pour un artilleur qui n’est pas destiné à rester à l’arrière, je ne pense pas que ça soit une bonne affaire.

Au front - (Rosnay) - 19 février 1917

PAUL à JULIE

Voici le temps qui se gâte ; le vent tourne à l’ouest, et les nuages plafonnent à 900 mètres . J’espère que cela ne va pas durer.

Au moins, j’ai profité des quelques jours de beau temps qui ont suivi mon arrivée ici, pour voler pas mal. J’ai dix heures de vol sur les lignes ; c’est toujours un commencement. L’escadrille a déjà fourni un bon travail. Le commandant de l’aviation de l’armée en a félicité le capitaine, et je crois qu’il nous gardera comme escadrille de chasse.

Il y a peu d’avions boches par ici, pour le moment du moins. Cela me donne le loisir de bien avoir mon appareil en main, et de bien connaître le secteur avant d’engager des combats.

Nous volons, pour protéger des appareils de reconnaissance (photos et réglage) ou faisons des patrouilles, à l’affût du Boche. Pour cela, il faut monter très haut, entre 4000 et 5000m. Au début, j’avais un peu mal à la tête en redescendant, mais maintenant j’y suis habitué. Par contre, on finit par s’ennuyer au bout de deux heures de patrouille, quand il n’y a pas de Boches pour vous occuper ; la terre est si loin, qu’on ne distingue pas grand-chose au sol. D’un œil, on voit Reims et de l’autre, Berry au Bac.

Au front – le 26 février 1917

PAUL à MERIEM

Il vient de faire toute une semaine de vilain temps pendant laquelle je n’ai pas fait grand-chose que de me lever tard et me coucher tôt. J’habite toujours une chambre dans le village, chez une vieille Champenoise, toute décatie, mais à l’esprit alerte et la langue déliée.

Hier il a fait une journée superbe. Grande activité aérienne et trois appareils abattus. En rentrant le soir, elle m’a crié de son lit, quand je suis passé dans la cuisine : " Vous vous êtes battus aujourd’hui ? – Oui, on a profité du beau temps – Il en est tombé trois, qu’on dit ? – Oui - Vous en avez-t-y descendu des Prussiens, vous ? – Non, mais des camarades ! "

Cette vieille passe son temps accroupie sur un vieux fauteuil au coin de son feu, devant une vieille cheminée en pierre qui fait le coin de la cuisine, très pittoresque.. Je lui tire de l’eau de son puits ; elle en semble enchantée et a la meilleure opinion des aviateurs.

Au front - (Rosnay) - 27 février 1917

PAUL à EUGENE

Il fait depuis deux jours un temps superbe, après la semaine de pluie qui nous a condamnés à l’oisiveté. Grande activité aérienne, de part et d’autre. Trois Boches descendus dans le secteur, dont deux par des camarades de l’escadrille qui partage notre terrain, et que commande le capitaine Doumer, le nouvel as.

J’ai eu un combat dans des circonstances difficiles, et dont pourtant les conséquences ne sont pas à mon honneur. J’accompagnais, avec un camarade, un appareil de reconnaissance. Ma mitrailleuse s’est trouvée enrayée ; je ne les ai pourtant pas quittés pour faire nombre, signalant seulement au pilote du Caudron, que ma mitrailleuse ne marchait pas. Sur les lignes, un Boche nous a attaqués, moi d’abord. Je l’ai esquivé quand il a commencé à tirer. Puis il a attaqué mon camarade, qui a fait la même manœuvre. Il a repris de la hauteur, et sans plus se soucier de nous, il a piqué directement sur l’avion d’observation. Je me méfiais du coup, et je lui ai foncé dessus, au moment où il se rapprochait du Caudron. Le Boche a filé, et je me félicitais du succès de ma manœuvre ; mais il avait eu le temps de tirer une courte rafale, et le malheur a voulu que le Capitaine qui pilotait le Caudron, reçoive une balle dans le cœur. L’observateur a pu ramener l’appareil. Le rapport de cet officier, concordant avec les nôtres, dégage notre honneur et notre responsabilité ; mais il n’est pas moins vrai, que l’avion que nous devions protéger, a été descendu, et c’est un début pas fameux pour moi. Mon capitaine a été très chic, et nous a défendu auprès du commandant de l’aviation de l’armée, assez mal disposé (cela se conçoit) contre nous, avant de savoir ce qui s’était passé. Je pense que si le beau temps continue, j’aurai l’occasion de faire oublier cette triste affaire.

Avant-hier, nous avons profité du mauvais temps, pour aller à Reims, vide et triste sous la pluie. Plus de la moitié des magasins sont fermés. J’ai pu prendre un bain chaud, luxe inespéré, et j’ai acheté une paire de sabots.

La ville n’est pas trop abîmée, beaucoup moins qu’Arras, sauf le quartier de la cathédrale. Celle-ci est moins détruite que je le craignais. Extérieurement, elle n’est guère abîmée que dans les détails. Mais c’est déjà trop.

Commentaires de Paul Resal :

A la fin d’une matinée de mars où la brume nous avait empêchés de voler, nous nous mettions tranquillement à table à la popote installée dans le petit village de Rosnay distant de 500 mètres du terrain quand le chauffeur du capitaine vint me dire que j’étais désigné avec un autre pilote pour une importante mission de protection et que nous devions partir immédiatement. L’atmosphère changea brusquement pour moi. J’avalai rapidement, la gorge serrée notre rata, bus un verre de vin et une tasse de café, et la voiture nous monta au terrain. Le capitaine nous dit que nous devions protéger un appareil photographe piloté par l’adjoint du commandant du secteur, le capitaine Couder, chef de la section photographique. Il nous donna l’ordre de ne pas nous éloigner de plus de cent mètres de l’avion à protéger, l’un à droite, l’autre à gauche. Nous partîmes. J’essayai la mitrailleuse en l’air et constatai qu’elle était enrayée, incident malheureusement fréquent à cette époque où l’armement des avions était rudimentaire. Il consistait en effet en une mitrailleuse terrestre fixée sur le plan supérieur de l’avion, la visée s’effectuant par des moyens de fortune, un trou percé dans le mica du pare brise avec, comme point de mire, un axe fixé sur le capot du moteur ! Je m’approchai de l’avion du capitaine, lui fis signe que ma mitrailleuse ne fonctionnait pas et je repris ma place à cent mètres en arrière à gauche.

Nous volions depuis cinq minutes au-dessus de l’objectif à photographier, quand je vis s’approcher à grande allure un avion de chasse boche qui montait en décrivant un grand cercle pour venir se placer derrière nous. Il fut bientôt à notre hauteur, monta encore et, sans tergiverser, fonça sur nous. Je ne le perdais pas des yeux et vis qu’il me prenait pour cible. J’attendis et à la première rafale de mitrailleuse, je fis un renversement pour ne pas me laisser descendre comme un lapin. Je repris aussitôt ma place auprès du Caudron qui, tout occupé à ses photos, semblait n’avoir rien vu. Je revis mon Boche qui, m’ayant raté, recommençait sa manœuvre et venait se replacer derrière nous. Cette fois-ci ce fut mon camarade qu’il choisit. Celui-ci fit la même manœuvre que moi et le Boche fila à droite du Caudron. Il revint une troisième fois, mon camarade ayant repris sa place. Je me demandais si la plaisanterie allait durer longtemps, le Caudron restant impassible, quand le Boche, qui semblait connaître son métier, se dit sans doute qu’il était bien bête de s’occuper de ces avions de protection inoffensifs, et je le vis piquer droit sur le Caudron. J’obliquai aussitôt à droite pour lui couper la route et lui faire peur à défaut de pouvoir le mitrailler. Ma tactique réussit et il avait à peine tiré une très courte rafale qu’il tourna brusquement pour m’éviter et s’enfuit. Je le poursuivis quelques secondes, tout heureux de mon coup, puis, je revins pour reprendre ma place. Je ne trouvai plus personne…Je regardai en dessous. Rien. Je piquai rapidement pour tâcher de revoir le Caudron et l’autre Nieuport se détachant sur le ciel. Je ne vis rien. Je parcourus le secteur pendant un quart d’heure à toutes les altitudes. Toujours personne. Au bout d’une demi-heure je me décidai à rentrer, ne m’expliquant pas comment le Caudron et mon camarade avaient pu disparaître ainsi. En arrivant au terrain je vis mon capitaine consterné, me demandant ce qui s’était passé. Je lui fis mon rapport. Il m’apprit alors que le capitaine Couder avait été tué d’une balle dans le cœur et que son observateur avait pu miraculeusement redresser l’appareil au moment où il arrivait au sol dans nos lignes. Je fus encore plus consterné que mon capitaine. Celui-ci me déclara que le commandant du secteur était exaspéré contre les deux pilotes de protection et qu’il était résolu à nous renvoyer dans nos armes. J’en étais atterré. Heureusement que le rapport de mon camarade était exactement conforme au mien et qu’au surplus on ne trouva la trace d’aucune balle dans le Caudron, ce qui confirmait la véracité de nos rapports. Mon capitaine obtint du commandant qu’il renonça à sa sanction.

La consigne qu’on nous avait donnée de nous tenir à côté de l’avion à protéger était absurde. Un avion de chasse tire par-devant, la mitrailleuse étant fixée sur l’appareil et le pilote visant en dirigeant son avion sur l’objectif. Comme en général l’ennemi, comme on l’a vu, attaque par derrière, l’appareil de protection ne peut agir qu’en prévenant son attaque, c’est à dire en lui courant sus, et, par conséquent, en s’éloignant de l’avion qu’il protège. C’est donc la consigne inconsidérée qui nous avait été donnée qui fut la cause première de cette malheureuse affaire, qui d’ailleurs aurait pu se terminer de la même façon si mon camarade et moi, libres de livrer combat, n’avions pu abattre le Boche ou le détourner de son attaque.

Entre temps, un incident d’un autre genre vint mettre une note comique dans notre existence et appeler encore sur moi d’une façon fâcheuse l’attention de l’aéronautique de l’armée.

Le frère de mon capitaine, qui était lieutenant d’infanterie dans le secteur vint à cheval le voir avec un camarade. Trop heureux de l’occasion de changer un instant de monture, bien que ces chevaux fussent d’affreuses carnes, mon ami Barancy et moi sautâmes sur les canassons et fîmes un temps de galop sur le bord du terrain. Je fus même étonné pendant cette galopade de voir comme deux éclats d’obus me passer de chaque côté de la tête : c’étaient les fers des pattes de devant de mon cheval qui profitaient de cette allure inaccoutumée pour arracher le dernier clou qui les attachaient aux sabots. Je m’appliquai ensuite à faire quelques appuis, rotations sur les hanches, etc.., quand une prémonition curieuse me fit relever la tête et je m’étonnai de voir Barancy filer au petit trot dans le bessonneau (c’est ainsi qu’on appelait les grands hangars d’avions en toile) et toute la troupe des pilotes et mécanos y disparaître à son tour. En même temps j’entends une voix impérative m’interpeller. Je tourne la tête et vois, venant d’une automobile arrêtée sur la route, un officier botté de noir venir vers moi en criant et gesticulant. Je pousse ma bique vers lui, mais la bête n’avançant pas, je saute à terre et arrive aussi correctement que je peux vers cet officier furieux sur le képi duquel je distinguai enfin quatre galons. Je compris la fuite de Barancy. C’était le commandant de l’aviation de l’armée, le terrible Morrisson.. "Et un pilote encore !.. Et un gradé !..Vous aurez huit jours d’arrêts de rigueur.. Quinze jours.. Et puis je vous radie !.". Il balbutiait de colère. Il partit enfin et je restais pantois à la tête de mon cheval, quand il se retourne encore. Je me crus mort. "Et puis, vous êtes peut-être joli dans votre zinc, mais à cheval vous êtes vilain comme un singe ! " J’étais trop interloqué pour éclater de rire, mais le bessonneau ne s’en fit pas faute. Cette dernière parole me sauva ou faillit me coûter la vie.

Voici l’explication de cette tempête : le commandant venait de recevoir à sa table des officiers d’état-major à qui il avait expliqué qu’il ne faut pas aller à cheval sur les terrains d’aviation parce que les fers des chevaux arrachaient l’herbe et que ces mottes, projetées par les roues des avions qui décollent, peuvent casser les hélices (ce pourquoi Barancy et moi galopions sur le bord du terrain) et voilà que la première chose que ces officiers aperçoivent de leur voiture, ce sont des cavaliers galopant sur un terrain d’atterrissage ! Je reconnais qu’il y avait là de quoi donner de l’humeur au commandant et j’étais encore une fois victime des circonstances, sans rien avoir à me reprocher.

Les arrêts de rigueur comportaient l’interdiction de voler ; mon capitaine fit valoir que c’est lui qui était puni par cette interdiction et, en bon avocat, il ajouta « Resal prend à cœur sa punition, mais ce qui le frappe le plus, c’est que, se croyant bon cavalier, vous lui avez dit qu’il se tenait mal à cheval. » Morrisson leva l’interdiction de voler.

Petite cause, grands effets. Si les arrêts de rigueur avaient été maintenus, ma vie, comme on va le voir bientôt, aurait été changée. Mais ne peut-on pas en dire autant des moindres incidents de notre existence. Et tel qui est rentré chez lui pour prendre son parapluie a peut-être évité d’être tué dans le taxi accidenté qu’il n’a pas pris.

La grande attaque qui était fixée au 16 avril 1917 se préparait activement. Le secteur était très nerveux. Les Boches devenaient plus mordants et les patrouilles se multipliaient.

Quelques jours après mon aventure équestre, le 24 mars, je fus commandé de vol avec trois camarades dont un sous-lieutenant récemment arrivé à l’escadrille. Bien que maréchal des logis, je fus désigné comme chef de patrouille. Dans l’arme nouvelle qu’était l’aviation, l’aptitude ne correspondait pas toujours au grade et c’est ainsi qu’un sous-officier ayant déjà une certaine expérience pouvait se trouver avoir sous ses ordres un officier jeune pilote. Nous croisions à haute altitude dans notre secteur habituel, quand j’aperçus au nord de Reims un groupe de trois gros bimoteurs de chez nous qui, très au-dessous de nous, exécutait une reconnaissance ou une mission photographique. En conservant notre altitude, je me rapprochai d’eux, pensant que nous aurions peut-être là l’occasion d’un combat. Notre attente ne fut pas de longue durée : quatre ou cinq avions à croix noire arrivaient à toute vitesse attirés par les éclatements de la DCA allemande, qui canonnait les bimoteurs. Je menai ma patrouille dans le soleil, puis, quand je vis se dessiner l’attaque allemande sur nos camarades d’en bas, je fis le balancement d’ailes convenu pour avertir mes équipiers que j’allais attaquer, et je piquai plein moteur, le cœur battant d’émotion, avec l’espoir d’en descendre un. J’ouvris le feu d’assez près sur celui que j’avais pris pour cible, mais il esquiva mon attaque ; je me retournai contre un autre et, pendant quelques secondes ce fut un tournoiement de Nieuports et de Fokkers jusqu’à ce que, comme à l’ordinaire, nous nous trouvions séparés les uns des autres. Les trois bimoteurs, qui ne se doutaient sans doute pas de ce qui venait de se passer à quelque huit cents mètres au-dessus d’eux, continuaient tranquillement leur ronde. Nous les survolâmes jusqu’à ce qu’ils aient pris le chemin du retour et rentrâmes à notre tour à bout d’essence.

C’était un complément traditionnel d’une patrouille, après l’atterrissage, que « l’expliquage de coup », des pilotes commentant toujours avec la même excitation les phases du combat. Spectacle classique des Nieuports devenus silencieux et immobiles devant le bessonneau et des pilotes encore en combinaison fourrée, le serre-tête et les lunettes à la main et revivant avec force démonstrations les minutes émouvantes qu’ils venaient de connaître. Le lieutenant, garçon froid et distingué, s’approche de moi et me dit "Je crois que je vous ai sauvé la mise. Pendant que vous poursuiviez votre Boche, un autre vous avait pris pour cible. Je l’ai manqué, mais il m’a aperçu à temps pour ne pas insister auprès de vous." Je ne m’étais douté de rien naturellement, il est impossible en effet de viser à la fois un adversaire et regarder en arrière pour voir si personne ne vous poursuit. L’avion de chasse idéal, qui n’est sorti qu’à la fin de la guerre, aurait été un biplace tirant à la fois en chasse avec le pilote et en retraite avec un mitrailleur. Le lieutenant Sénéchal, à qui je dois peut-être la vie, fut tué quelques semaines plus tard dans une circonstance déplorable. Il attaquait de près un avion allemand déjà harcelé par le tir précis de notre DCA ; tout à coup, on ne vit plus son Spad et on n’en a plus jamais entendu parler ! Il est très vraisemblable qu’un obus français l’ait atteint de plein fouet et qu’en éclatant, il a en quelque sorte volatilisé l’appareil.

Je sortais de déjeuner quand je fus averti que j’étais commandé avec un camarade pour effectuer la protection d’une mission photographique de reconnaissance des lignes allemandes. Remontant au terrain, nous vîmes atterrir un Caudron bimoteur, dont je reconnus le pilote, un ancien camarade de l’école de Tours. L’officier observateur descendit à son tour : c’était Robert Schlumberger, fils d’un colonel ami de mon père à Bordeaux et qui préparait l’X pendant que j’étais étudiant en licence. Nous évoquâmes quelques souvenirs, puis il m’indiqua la mission qu’il avait à accomplir au nord de l’Aisne et nous partîmes.

En arrivant aux lignes, le pilote qui faisait équipe avec moi (un employé de magasin dans le civil) fit demi-tour. L’avion Caudron et moi nous enfonçâmes dans les lignes allemandes et je me dis que ce vol ne se terminerait sans doute pas sans quelque rencontre. Schlumberger était connu pour son cran et je savais qu’il accomplirait sa mission coûte que coûte et pour moi le souvenir du capitaine Couder me hantait. Le Caudron avançait toujours ; nous étions déjà loin dans les lignes allemandes et j’éprouvais encore une fois combien il est désagréable de se sentir dépendant d’un autre et de n’avoir pas la liberté de ses mouvements. Je n’étais jamais allé si loin dans ce secteur. J’aperçus vers le Nord la butte de Laon et au Sud l’Aisne apparaissait déjà loin. Le Caudron se mit à tourner et à retourner ; il était sur son objectif.

J’évaluais le temps qu’il fallait pour prendre des photos et scrutais attentivement le ciel et l’horizon dans la crainte, cette fois, et non plus dans l’espoir d’apercevoir des avions ennemis.

La DCA entra en action ; le danger n’était pas grand, mais la fumée noire des obus allemands, plus visibles que les avions, avait l’inconvénient d’appeler l’attention des chasseurs allemands sur les avions français canonnés. Je redoublai d’attention et d’inquiétude. Et en effet, je vis au bout d’un court instant trois monoplaces ennemis, qui s’élevaient rapidement vers nous. Le Caudron tournait toujours en rond. Je me dis qu s’il terminait maintenant ses photos nous aurions peut-être le temps de revenir sur nos lignes avant d’être rejoints par la patrouille allemande, mais Schlumberger continuait tranquillement sa ronde, et déjà les avions allemands se détachaient à notre hauteur au-dessus de l’horizon. Le combat devenait inévitable. Encore un regard sur le Caudron, il tournait toujours.

Je ne me fis pas d’illusion sur notre situation et, avec la terrible angoisse et le pressentiment de ce qui allait arriver, je me décidai à prendre de la hauteur pour pouvoir manœuvrer et laisser peut-être au Caudron plus lent que moi le temps de regagner nos lignes. Je montais rapidement, le cœur serré, éprouvant une crainte que je n’avais encore jamais ressentie. Nous étions à une quinzaine de kilomètres dans les lignes ennemies, les avions allemands étaient plus rapides que moi et le combat à un contre trois était très inégal. Je m’élevais à près de 1000 mètres au-dessus du Caudron, que j’apercevais encore continuant sa ronde. Si, au moins, je l’avais vu rentrer, j’avais peut-être encore le temps de me retrouver en même temps que lui sur nos lignes, mais, semblant ignorer le danger si grave qui le menaçait, il était toujours là !

Les trois avions allemands montaient plus vite que moi ; ils se détachaient maintenant sur le ciel et je les vis s’élancer résolument sur moi. Je compris que j’avais bien peu de chance de salut et attendis leur attaque. Le premier ne tarda pas à me prendre dans le champ de sa mitrailleuse. Je fis le renversement habituel et me redressai rapidement pour faire face aux deux autres. Déjà le second, qui m’attendait, me prit à son tour pour cible. Je l’évitais de la même façon et ainsi pour le troisième. J’espérais avoir à ce moment quelques secondes de répit, pensant qu’ils reprendraient de la hauteur pour recommencer leur attaque. Je voulus en profiter pour voir si le malheureux Caudron était toujours là ; je le cherchai des yeux un instant, mais entendis aussitôt une nouvelle salve de mitrailleuse toute proche. En même temps que je renversais mon appareil, je tournai la tête en arrière et j’eus à peine le temps d’apercevoir tout près le capot rouge de l’avion allemand que je reçus comme un formidable coup de massue sur la tête et fus étonné de ne plus voir clair !

Je me demandais ce que j’avais et ce qui était arrivé ! Hébété, je compris au bout d’un moment que j’avais reçu une balle, mais je ne m’expliquais pas pourquoi je ne voyais plus clair. Je me dis que j’étais tué et me dis aussitôt que non puisque je le pensais. Je tombais en feuille morte ayant instinctivement coupé l’allumage du moteur. Je ne comprenais pas comment je pusse être aveugle. Je me dis que j’avais le cerveau touché et que j’allais mourir. Cette idée, à laquelle j’étais préparé depuis quelques secondes ne me causait pas d’effroi, mais je me représentais avec horreur l’écrasement de mon corps, souvenir d’accidents de camarades, et cette idée m’était insupportable. L’effroi de cette pensée était telle que je regrettais de n’avoir pas sur moi mon revolver pour mettre fin à cette terrible agonie.

La Providence répondit à cette pensée désespérée, j’aperçus une lueur ! Dans un espoir foui je me dis que je pourrais peut-être vivre, atterrir ! Je redressai mon appareil, qui depuis une minute tombait désemparé, mais de nouveau je ne vis plus clair. Je compris enfin que c’était aux yeux que j’avais été touché, et, sans ôter mon gros gant fourré, je portai la main à mon front. J’essayai en vain d’ouvrir l’œil gauche, mais, soulevant ma paupière droite, je vis de nouveau une lueur. Je remis le contact de mon moteur qui se remit à ronfler, puis, je reportai mon gant à mon œil droit et, en maintenant la paupière relevée, je vis encore le jour. Je n’eus plus qu’une idée, rentrer dans nos lignes. .

J’essayai de lire la boussole placée à l’intérieur de la carlingue, mais celle-ci n’était qu’un trou noir. Je distinguai juste le clair du sombre et les mats de mon avion m’apparaissaient en ombre chinoise indécise sur le ciel blanc. Instinctivement, à la façon des pigeons voyageurs qui cherchent leur route, je me mis en rond. Je ne voyais que le ciel, étendue blanche, et la terre, étendue noire. Hébété, je continuai de tourner, quand j’aperçus au loin, sur la terre noire, une ligne blanche, l’Aisne ! Je repris encore espoir et fonçais vers nos lignes. Cette ligne blanche, cet espoir de salut, m’apparaissait bien loin ( je devais être à 1500 mètres d’altitude, ayant fait une chute de 2500 mètres ) Aurais-je le temps, aurais-je la force d’y arriver ? Je croyais avoir le cerveau touché ; je pensai Henri IV, Racine, donc je n’avais pas perdu la mémoire ! Je ne souffrais pas, j’étais égaré, hagard, concentré sur un effort terrible, continuant à me maintenir l’œil ouvert avec mon doigt ganté. Dans l’égarement de mes pensées, je me disais que sans doute, dans quelques jours, mon père recevrait l’abominable visite des gendarmes lui annonçant ma mort, et je pensais avec effroi à la douleur de mes parents. J’essayai de me regarder dans le miroir rétroviseur et je vis ma figure ensanglantée et la grimace de ma bouche grande ouverte.

Ma ligne blanche de l’Aisne se rapprochait et je distinguai la ligne blanche parallèle du canal latéral. Je me dis que, si je pouvais me poser sans me tuer, j’aurais peut-être la croix de guerre. De temps en temps je ne voyais plus clair, puis je voyais de nouveau. Verrai-je clair au moment d’atterrir ? L’Aisne se rapprochait rapidement et je résolus de me poser entre l’Aisne et le canal pour être sûr d’avoir un terrain plat, mais verrai-je clair ? Je me préparai à atterrir. Je coupai l’allumage pour éviter le feu si je m’écrasais au sol. En ôtant la main de mon œil je ne vis plus clair et me rouvris rapidement la paupière. Je piquai raide pour ne pas me mettre en perte de vitesse. Je redressai. J’aperçus à ma droite se profiler sur le ciel les arbres du canal. Je redressai encore, mais de nouveau je ne vis plus rien. Le courant d’air très violent qui passait par le pare brise crevé balayait le sang qui me coulait dans l’œil. Quand je ralentis pour atterrir, je fus de nouveau aveuglé par le sang. C’est sans doute aussi le courant d’air très violent qui m’avait empêché de perdre connaissance.

Je laissai aller mon avion sur son aire, redressant au jugé. Il perdait de sa vitesse, je redressai encore et attendis. Il s’enfonça. Un violent choc se produisit. Ma tête vint cogner contre le bord de la carlingue, car j’eus la mâchoire fracturée. L’avion avait capoté et j’étais suspendu à ma ceinture. Je me décrochai et sortis de dessous la carlingue. Je fis en chancelant le tour de l’avion retourné et tombai par terre comme une masse.

Le silence était merveilleux, je jouissais d’une paix édénique, étendu sur la bienheureuse terre. Les bras écartés, je me répétais sans cesse avec joie « je n’ai plus rien à faire ! je n’ai plus rien à faire ! » L’idée de mourir peut-être bientôt m’était maintenant absolument indifférente, je n’avais plus rien à faire…

Il n’y avait qu’un léger vent, et surtout ce silence, ce merveilleux silence, cette immobilité bénie et n’avoir plus rien à faire. Je ne pense pas que je souffrisse, j’avais la tête comme écrasée par un poids monstrueux, mais ce n’était pas de la douleur. J’étais merveilleusement tranquille. La pensée du Caudron me traversa l’esprit et rompit ma paix. Avait-il eu le temps de rentrer ? Les Allemands l’avaient-ils aperçu si bas au-dessous de moi ? Schlumberger rentra sans encombre. Il dut prendre le chemin du retour au moment où je livrais combat. Il signala dans son rapport "Un des avions de protection a quitté en passant les lignes. L’autre dut avoir des ennuis de moteur, car il disparut à son tour après m’avoir accompagné sur le lieu de la mission. Au moment où je rentrais, je vis une patrouille de quatre avions allemands assez haut au-dessus de moi."

Je perçus des pas. Un homme se pencha sur moi. Parlant très lentement je lui demandai de faire dire à l’aéronautique que j’avais atterri blessé d’une balle à la tête. D’autres hommes arrivaient. Je soulevai ma paupière et en vis deux qui me regardaient figés, leur figure faisant une grimace d’horreur. Ils parlaient à voix basse. Le premier, un officier sans doute, leur enjoignit de se retirer, disant qu’on était vu des Allemands. Je demandai qu’on me couvrît, parce que j’avais froid. J’avais de plus en plus froid et on me couvrit avec d’autres manteaux. Enfin les infirmiers arrivèrent et l’on me mit la tête dans la ouate. Un brancard m’emmena et bientôt je roulai dans une voiture d’ambulance. La deuxième épreuve de la journée commença. Je n’avais certes plus rien à faire, mais ce transport m’accabla. Les cahots de la route me fendaient la tête. Enfin la voiture s’arrêta et l’on me refit mon pansement. On me remit dans la voiture et de nouveau je connus l’enfer du cahotement sur une route défoncée. Je fus descendu une seconde fois. On me refit mon pansement avec des chuchotements à voix basse, puis on me rembarqua une troisième fois. Je fis ainsi en trois étapes les quelque vingt kilomètres qui séparaient Beaurieux, où j’avais atterri, de Jonchery sur Vesle. Les coups que les cahots me donnaient à la tête me causaient un tel énervement que je priai maintes fois l’infirmier qui m’accompagnait de dire au conducteur d’arrêter son tacot et même, pendant les pauses, d’arrêter le moteur. Enfin, au bout d’un temps qui me parut infini, on me débarqua une dernière fois.

Deux voix, des voix de femmes cette fois-ci, chuchotèrent près de moi. Les infirmières m’ôtèrent ma combinaison et ma vareuse et elles se demandaient l’une à l’autre à voix basse comment elles allaient me retirer mon chandail. Impatienté, je leur dis d’un ton bref "Coupez-le". Le reste du déshabillage se fit dans un silence glacé.

On m’emmena peu après dans la salle d’opération et je fus irrité que l’on me mit nu sur le billard pour m’opérer à la tête quand j’avais si froid. Le chirurgien, se préparant, me demanda ce qui m’était arrivé. Je lui racontai toute mon histoire, puis l’on m’approcha du nez les compresses de chloroforme que j’aspirai avec volupté.

Pendant quelques jours je restai avec un pansement sur les deux yeux. Le médecin m’avait dit "J’espère que vous verrez de l’œil gauche.". Je me rendis un peu compte pendant ce temps de ce que c’est que d’être aveugle. Le sens de l’ouïe prend une acuité singulière; je me représentai très bien, quoique d’une façon erronée, la salle et tout le mouvement qui s’y faisait. Très rapidement je situai les lits des autres blessés et reconnaissais ceux-ci à leur voix. Bref, je participais très bien à la vie de la salle et à la mort aussi : on s’était affairé particulièrement auprès d’un blessé qui était mon voisin à gauche. Le lendemain matin, le blessé qui était à ma droite me dit "Le camarade à côté de toi vient de mourir…"

Au bout de deux ou trois jours, le médecin souleva légèrement mon pansement et me demanda si je voyais. Je lui répondis que je voyais l’infirmière, laquelle, au pied du lit, se tenait immobile, statue vivante de l’angoisse et de la compassion.

Je me rendais bien compte qu’il m’était arrivé une histoire assez extraordinaire, mais j’étais confus des marques de sympathie que je reçus, notamment du capitaine Doumer, as aux cinq victoires qui commandait une escadrille basée sur le même terrain que la nôtre et qui vint me voir à plusieurs reprises. Des amis de mon père qui se trouvaient dans le secteur, notamment le général Caloni, qui commandait le Génie de l’Armée, vinrent également me voir et se retrouvèrent avec émotion avec mes parents arrivés quelques jours après ma blessure. Enfin, devant ma mère à la figure à la fois souriante et si douloureuse, le commandant de Marancour, commandant l’aviation de l’armée, vint un jour, accompagné de mon capitaine me remettre la croix de la Légion d’Honneur, de quoi je fus assez fier sans m’inquiéter de ce que ce témoignage était souvent accordé in extremis !

Loin de me croire en danger, je me sentais une vitalité et une gaieté singulière. Je puis dire que je n’étais pas gravement affecté par la perte de mon œil ; par une raison simpliste, je me disais que je devrais être mort et que toute vie quelle qu’elle soit qui m’était laissée était un surcroît dont je devais me féliciter. J’étais d’ailleurs moi-même étonné de la paix intérieure que je ressentais et qui me donnait conscience qu’il y a en nous un élément comme indépendant de notre être proprement humain inaccessible à notre souffrance et à nos ennuis corporels et qui, comme un autre nous-même, participe en spectateur à notre existence et peut se réjouir même des peines que nous éprouvons. Je prenais conscience de la vie de l’âme ; et repensant maintes fois à cette première étape de la conversion du parfait incroyant que j’étais étant jeune, il m’a paru curieux, sans donner plus d’importance à cette coïncidence, que, ayant nom Paul, j’aie été touché du premier éclair de la Vérité après un aveuglement consécutif à une culbute singulière. Ma joie intérieure était telle que lorsqu je vis, avec le plaisir que l’on devine, mes parents à l’ambulance, je leur dis que tout était bien et que je ne voulais pas de figures d’enterrement. Ma mère n’avait pas besoin de cette recommandation, mais je repense encore avec attendrissement aux efforts de mon pauvre père pour arriver auprès de mon lit avec un sourire figé sur les lèvres.

Une huitaine de jours après l’opération, au premier pansement auquel ma mère voulut assister, j’entendis le docteur Brunetière s’exclamer "C’est magnifique ! Voyez, Madame, comme c’est beau ! " Chirurgicalement s’entend ! J’obtins que l’on me fit aussi jouir de ce spectacle admirable et je fus horrifié de l’aspect de mon front tuméfié et noirâtre, de mes sourcils rasés, de mon œil droit poché, sans parler des paupières closes de mon œil gauche.

J’avais été tellement affaibli par la perte de mon sang que je ne pus mettre le pied par terre qu’au bout d’un mois. Ayant été évacué sur le Val de Grâce, j’allais, accompagné de ma mère, comme lorsque j’étais petit garçon, me promener à petits pas dans le jardin de l’Observatoire. Trois ans avant, je descendais l’avenue tous les matins en courant pour me rendre à l’école des Sciences Politiques.

Je me remis très rapidement. Le fameux chirurgien Morestin, spécialiste de la greffe et sculpteur en têtes vivantes, me fit deux petites opérations. Son service ressemblait à la Cour des Miracles : les blessés avaient en moins, qui le nez, qui le menton, qui la joue ou l’oreille. On voyait se promener dans le jardin un groupe de trois hommes qui n’avait qu’un œil pour eux trois. Chacun était logé à la même enseigne et on ne faisait plus attention à ces blessures atroces. On en riait même à l’occasion : un blessé avait un trou béant au milieu du visage allant du bord inférieur des yeux jusqu’à la lèvre supérieure, on lui avait fabriqué un nez en fibre qui cachait à peu près cette sinistre cavité. Le grand amusement était d’aller le voir déjeuner : il relevait son nez grâce à une charnière fixée entre les deux yeux et se versait son bouillon dans ce trou informe, puis, rabattant son nez-couvercle, il se glissait entre les lèvres la cigarette qu’on lui apportait et l’on riait de voir la fumée ressortir tout autour de son nez de carton-pâte.

Morestin, comme tous les grands as de la chirurgie était, dans son service, l’objet d’une crainte et d’une vénération dévotes ; il parcourait solennellement les salles, suivi, à trois pas par son assistant, à cinq pas par l’infirmière-major, et, à distance respectueuse par la troupe des internes etc. ..Je passai à mon tour sur le billard. La petite greffe de chair que pratiqua Morestin était peu de chose : on m’insensibilisa seulement à la cocaïne. Pendant l’opération, le maître dissertait d’art et de théâtre et je l’entendis proférer d’un ton péremptoire que l’art dramatique était en somme un art inférieur. Quelque peu gris sous l’effet de la cocaïne, je profitai d’une seconde de silence pour prononcer de dessous le linge qui me cachait le bas du visage :  "Sophocle et Eschyle sont pourtant des auteurs dramatiques.. "

Il y eut un silence glacial et pendant la fin de l’opération on aurait entendu voler une mouche. Quand je me relevai du billard à moitié étourdi, je m’approchai de l’assistant de Morestin et voulus lui commenter ma pensée. Il me repoussa doucement et fermement vers la porte en me disant "Allez, allez, vous ennuyez monsieur Morestin."

Au front - 5 mars 1917

PAUL à LOUIS

Tu as su par la famille le combat que j’ai eu, et au cours duquel l’avion que je protégeais a été descendu. C’est une malheureuse affaire, et, pour moi, un début fâcheux bien que je n’ai rien à me reprocher. J’avais fait tout ce que j’avais pu, me laissant attaquer et attaquant à mon tour, ayant ma mitrailleuse enrayée. Si le Boche avait mal tiré ou que ma mitrailleuse eut bien fonctionné, l’affaire aurait été à mon honneur, et pourtant je n’aurais rien fait de plus.

Je te parle de cette affaire, parce que je voudrais savoir ce que tu penses de cette façon de protéger les appareils de reconnaissance. Je la trouve absurde. Le monoplace tirant par devant, ne peut protéger efficacement qu’en attaquant préventivement le Boche menaçant. Offensive de protection. Or on nous enjoint de coller au G 4 ou au MF, le plus prés possible. Alors quoi ? Deux objectifs au lieu d’un, sans plus de danger pour le Boche. Cela peut seulement lui faire peur s’il est trouillard, ce qui n’est généralement pas le cas. N’est-ce pas ton avis ?

Cette méthode serait bonne si les Nieuport étaient biplaces, et pouvaient tirer en arrière. Il paraît que l’avion d’observation se croit perdu si on ne lui colle pas au derrière. Qu’en pense-t-on chez vous ?

Au front - 8 mars 1917

LOUIS à PAUL

Je comprends très bien que tu aies été très embêté par ton aventure de protection de G 4. Tu as fait ce que tu devais faire, et un autre à ta place n’aurait pas fait mieux. Tu as mis le Boche en fuite, on ne pouvait pas te demander plus. La poisse est qu’il est parti après avoir tué le capitaine du G 4, mais on ne peut pas t’en vouloir. Le G 4, même avec les 2 Nieuport, sait pertinemment qu’il peut y rester, et je trouve que d’avoir attaqué le Boche, et de t’être fait attaquer par lui, avec ta mitrailleuse enrayée, a été très bien de ta part. De plus, tu n’as pas abandonné ton G 4, donc, en toute conscience, tu ne peux que te féliciter de ce que tu as fait. Il rentre une part de hasard dans la guerre ; il vous arrive des coups durs quand on a tout fait pour les éviter, et on n’écope rien le jour où on fait une grosse imprudence. Tu n’as pas eu de chance que cela se soit passé ainsi, car, malheureusement, dans des affaires comme celle-ci on s’en prend à des types qui ne sont pas responsables de la chose, et cela ne m’étonnerait pas qu’on s’en soit pris à tord à toi de cet accident.

Maintenant je voudrais savoir deux choses : que faisait l’autre Nieuport pendant la seconde partie du combat ? Pourquoi s’est-il éloigné ? Et d’autre part qu’est-ce que t’ont dit ton capitaine et l’observateur du G 4 quand tu es rentré ? A l’escadrille quand on fait des photos, on fait engueuler les pilotes de Nieuport quand : 1 ° Ils perdent le G 4 volontairement ou involontairement au cours de la mission ; 2° Ils se débinent au moment du combat pour une raison quelconque : c’est la preuve que ces types ont peur et ne font pas leur devoir, sachant qu’ils seront cause de la mort de l’appareil à protéger.

Maintenant voilà mon opinion sur la protection des appareils. La photo est la chose la plus dangereux en aviation ; plus que le réglage, c’est évident ; plus que le bombardement qui se fait de nuit et même que celui qui se fait de jour, car un bombardier « gaffe » le Boche pour ne pas être surpris ; et les bombardiers vont en troupeau. Du reste, le jour du bombardement n’est pas le filon. La photo est beaucoup plus dangereuse, car les deux types regardent par terre, le pilote pour passer bien à la verticale du point à prendre, l’observateur pour pointer et actionner son appareil à photo. Ils sont donc tous deux « aveugles » et peuvent être surpris. De plus ils sont loin chez les Boches et ont de durs combats. Eh ! bien, on a pris le plus moche des appareils actuels : un coucou qui n’avance pas, qui ne se défend pas du tout et qui ne se remue guère ; c’est de l’inconscience pure et simple. On devrait employer un appareil défensif très bon : le seul qui existe vraiment est le R 4, qui est parfait pour la photo avec son mitrailleur « guetteur ». Maintenant la protection par monoplaces est la meilleure, indépendamment des qualités défensives propres de l’appareil photographe : leur mission consiste à ficher la frousse aux Boches et bien les convaincre que s’ils attaquent le photographe ils ont de grandes chances de se faire descendre, ou du moins de n’avoir pas la tranquillité de l’assassin pour descendre l’avion. A mon avis, le monoplace est le meilleur protecteur, car si tu prends un biplace de protection, le monoplace boche, bien supérieur en qualité de vol, se jouera de lui et fera son travail sans être tracassé.

Voilà ce que j’avais à te dire. Maintenant je trouve que ton attitude contre le Boche dans les conditions où tu étais, a été très chic. C’est évidemment ce que tu avais à faire, mais c’est très chic de la part d’un jeune pilote qui n’a que 10 heures de vol sur l’ennemi.

Au front – le 13 mars 1917

PAUL à SALEM

Je suis de retour à R. depuis deux jours après une semaine passée à Paris. Dimanche nous avons profité d’un temps relativement beau pour rejoindre l’escadrille où le capitaine se demandait si nous nous déciderions à rentrer. Je suis rentré vite, sans faire de détour. J’ai mis 40 minutes pour aller du Bourget à Reims, volant relativement bas (1000m), ce qui est très amusant. J’ai bien reconnu naturellement toute la vallée de la Marne , particulièrement entre Meaux et Charly .

Etant parti du Bourget à 11h, je suis facilement arrivé pour déjeuner à l’escadrille. J’étais un peu fatigué tant du voyage que des derniers jours passés à Paris, et espérait me reposer, quand j’ai reçu l’ordre de partir en patrouille à 2 heures. Heureusement je n’ai pas rencontré de Boches parce que je crois que je n’aurais pas été à la hauteur. Depuis, je me livre à un autre genre d’exercice : je construis le plancher de la tente que nous allons habiter. Il fait un temps de chien et pas moyen de voler.

Au front - 15 mars 1917

PAUL à JULIE

Aujourd’hui, vers deux heures, le ciel s’est dégagé. On a sorti les appareils, et nous sommes partis quatre en patrouille. Cela fait plaisir de voler quand on est en cage depuis plusieurs jours. Temps superbe ; nous sommes restés deux heures en l’air, de quoi faire cinq ou six fois le trajet de Craonne à Reims. Il y avait du Boche ; on les devine aux flocons blancs des obus, que nos artilleurs tiraient sur eux, à cinq ou six kilomètres. On y court en vitesse, mais le Boche qui nous a vu venir, est le plus souvent rentré chez lui. On le poursuit pour lui ôter l’envie de revenir, jusqu'à ce qu’une nouvelle traînée de flocons blancs nous appelle à un autre endroit, à dix ou quinze kilomètres de là. A cinq reprises différentes, aujourd’hui, nous nous sommes livrés à ce petit jeu, mais nous n’avons jamais pu prendre contact avec le Boche trop méfiant. Le principal est qu’ils retournent chez eux.

Au front - 19 mars 1917

PAUL à JULIE

Depuis ma dernière lettre il s’est passé des événements bien extraordinaires, mélange de bon et de mauvais. Il n’y en a qu’un de vraiment intéressant : notre cavalerie a dépassé Nesle. C’est la première fois depuis bientôt trois ans que le front change de forme. C’est sans doute le commencement de la fin, bien qu’ici on ne se fasse guère d’illusion sur la rapidité de cette avance, et qu’on s’attende à une résistance victorieuse des Boches, sur une ligne qu’ils ont choisie d’avance. Mais c’est toujours du terrain reconquis, et quelques cent mille Français délivrés des Boches. Nous espérons que notre mouvement va continuer de notre côté, et que nous allons aussi participer à la danse. Nous faisons notre petit travail de notre côté. Voilà quatre jours qu’on vole sans interruption. J’ai échangé quelques balles avec un Boche, pendant une protection de G 4 ; cette fois-ci nous étions quatre Nieuport et le Boche n’a pas insisté.

Avant-hier, au cours d’un vol, j’ai eu deux combats. Trois Boches me sont tombés sur le poil, avec un camarade. On s’est retourné et chacun est rentré chez soi. En fin de patrouille, j’aperçois un Boche qui se promenait tranquillement chez lui. J’arrive à 1000m au-dessus de lui, et fonce à mort ; à 200m (trop tôt malheureusement), je commence à tirer, il refuse le combat et rentre chez lui en piquant plein moteur. Je l’ai poursuivi en le mitraillant pendant deux ou trois minutes (c’est très long) ; le cochon a dû en avoir dans l’aile, mais je n’ai pas pu l’approcher d’assez prés pour le descendre. A 1200m d’altitude, j’étais à une dizaine de kilomètres chez les Boches (le vent poussait chez eux), et j’ai dû l’abandonner. Je suppose qu’il n’en a pas été fâché. J’ai repassé les lignes à 1200m (d’ordinaire, je les survole à 4 ou 5000m) ; c’est assez amusant, et au surplus on dépiste plus facilement le tir des artilleurs. Aujourd’hui le temps se gâte, et je crains que nous ne soyons encore immobilisés pour quelque temps.

Au front – le 22 mars 1917

PAUL à SALEM

Voilà bien des évènements depuis que nous nous sommes vus. Les journaux peuvent revenir à quatre pages. Mais c’est curieux de voir comme la chute de Briand et notre crise gouvernementale passe inaperçue et laisse tout le monde indifférent, ici du moins. Tu sais comme les combattants n’attachent pas plus d’importance aux civils en général, et aux députés en particulier, qu’ils n’en méritent.

Dans mon petit coin du monde, et à son échelle, il s’est passé aussi quelques événements qui font paraître le temps court. J’ai déménagé et, depuis deux jours je m’occupe de l’installation de notre tente ; le capitaine Doumer a abattu son sixième Boche ; un de nos camarades a récolté 23 balles dans son appareil ; j’ai eu trois explications avec des Boches – les deux premières fois, contacts rapides pendant des protections ; la troisième fois j’ai sonné un Boche pendant trois minutes. Je l’avais surpris chez lui. J’ai commencé à le mitrailler à 200m. Le salaud a piqué plein moteur chez lui. Je l’ai poursuivi en tiraillant mais sans l’approcher. A 1200m je suis rentré chez nous. J’avais été entraîné à une dizaine de Kms chez les Boches.

Avant hier, une bonne histoire. Il pleuvassait ; nous étions sur le terrain quand arrive, à cheval, le frère du capitaine, jeune sous-lieutenant d’infanterie. Mes camarades et moi faisons quelques exercices de tape cul, histoire de se distraire. J’étais en train de faire faire au bourrin un demi-tour sur les épaules quand je suis interpellé par le Commandant de l’Aviation de l’Armée, qui passait sur la route en auto avec des officiers d’état-major à qui il venait de faire une théorie sur les terrains d’atterrissages et la défense d’y passer à cheval : cela tombait à pic ! Engueulade, quinze jours d’arrêts, etc. Jusqu’ici cette histoire est banale, mais toute l’escadrille, et je pense toute l’aviation de l’armée, s’est fort réjouie le lendemain de voir à la décision la punition de huit jours d’arrêt du MDL Résal : « a manqué à ses devoirs de sous-offs d’une arme montée en faisant galoper à toute allure un cheval de trait ; à ses devoirs de sous-offs pilote en choisissant pour hippodrome un terrain d’atterrissage ; à ses devoirs de gradé en exécutant cette exhibition devant les mécaniciens de l’escadrille ». On ne dira pas que les grands chefs de l’aviation manquent de style, voire d’humour ; ce petit morceau vaut bien huit jours d’arrêt.

Au front - 22 mars 1917

PAUL à MERIEM

Je croyais avoir mis mon adresse sur la lettre que j’ai laissé tomber pour Bon Papa, et je commençais à croire que mon message aérien avait atterri dans une cheminée, je l’avais suivi des yeux et avais constaté qu’il n’était pas tombé dans la Marne.

Il me semble que nous vivons une période historique ! On annonce en trois lignes aux échos du journal, que la Chine rompt les relations diplomatiques avec l’Allemagne.... Il est vrai que la première page annonçait la révolution russe et la prise de Bapaume ! Je mentionne en dernier, la chute de Briand. Tu ne peux te figurer comme cette crise ministérielle laisse le poilu indifférent. A la vérité, on ne s’étonne ni ne s’intéresse plus à aucune nouvelle. On dit : « Tiens ! » ou « Ah ! » et on continue sa manille ou son bridge. Il n’y a que pour les événements de la Somme qu’on s’est levé pour regarder la carte. J’ai constaté avec surprise que cette bonne nouvelle n’a pas suscité l’enthousiasme que je me figurais. On considère et on discute le recul boche avec plaisir, mais froidement ; c’est peut-être qu’on se rend compte que ce n’est qu’un épisode, et que le plus dur reste à faire.

Le péquenot qui ne fait rien à l’arrière, s’attache au point du front où l’on avance, et ne pense qu’à cela. Mais pour nous, et tous les combattants en général, si nous nous intéressons à ce que font les camarades d’à côté, notre propre action est toujours notre principale préoccupation. On parle ici autant du bombardement d’un petit village voisin ou de la dernière victoire du capitaine Doumer, que de l’avance dans le Nord. Nous sommes aussi des acteurs, et nous avons autre chose à faire que de regarder et applaudir les camarades. Les spectateurs de l’arrière sont là pour cela.

Depuis mon retour du Bourget, j’ai volé pas mal et me suis « expliqué » trois fois avec des Boches. Une fois en protégeant un G 4 ; une autre fois, je me dirigeais délibérément vers trois avions que je croyais être des camarades de patrouille que j’allais retrouver : c’étaient trois Boches qui m’ont attaqué. Je leur ai tourné le dos insolemment, et suis allé me promener ailleurs... Au bout d’une heure je rentrais, quand j’aperçois chez lui un Boche qui faisait de l’observation. Je fonce dessus, le mitraille. Il pique à mort vers son terrain d’atterrissage. Je l’ai poursuivi un bon moment en le mitraillant, mais sans pouvoir l’approcher à moins de 200 m. Il a dû tout de même en avoir dans l’aile. J’ai dû abandonner la poursuite, me trouvant à 1200 m seulement, et entraîné par le vent, à 10 km chez les Boches. Je suis rentré à cette hauteur, ce qui est assez amusant.

Le 24 mars 1917

Le MdL Paul Resal, pilote à l'escadrille N 83 : "Le 24 mars 1917, chargé d’une mission de protection, a livré combat à quatre avions ennemis, à 15 kilomètres au-delà de leurs lignes. Blessé grièvement aux deux yeux, a fait preuve d’un courage et d’une énergie admirables, en regagnant nos lignes. Supportant héroïquement les plus vives souffrances, ne s’est préoccupé, à l’atterrissage, que du sort de l’appareil qu’il escortait. Perte de la vision de l’œil gauche." (Nomination au grade de Chevalier de la Légion d’Honneur.

 

Partie 2 - escadrille C46 de janvier à novembre 1918 :

Commentaires de Paul Resal :

Il y avait au front une escadrille de triplace de combat, la seule de son espèce, la C 46 qui, au cours de l’année 1917, sous le commandement d’un chef remarquable, le capitaine Lecour-Grandmaison, s’était rendue célèbre en abattant une vingtaine d’avions ennemis. C’est elle qui devait être équipée des R XI, dont la sortie était imminente. J’écrivis au capitaine Bloch, qui, après la mort de Lecour-Grandmaison, tué en combat, commandait l’escadrille pour lui demander mon affectation comme pilote, en lui signalant, naturellement, mon infirmité. Il me répondit aimablement et dix jours après, j’étais nommé à la C 46, voyant se réaliser le rêve que je faisais quatre mois auparavant en visitant les usines Caudron avec mon frère Louis.

La C 46 faisait partie de la 1ère escadre de chasse, comprenant une douzaine d’escadrilles de monoplaces. Cette unité dépendait directement du Grand Quartier Général (G.Q.G) et son rôle, pendant cette rude année 1918, allait être d’aller en renfort partout où le front était en danger.

L’escadre était, au mois de mars 1918, en réserve près d’Epernay. Les pilotes de monoplaces avaient vu atterrir avec un sourire un peu railleur ces gros avions affectés à la chasse, mais ils commencèrent à avoir pour nous un peu plus de considération quand ils nous virent exécuter des renversements et des piqués où nous les gagnions de vitesse. J’effectuais un vol d’entraînement, quand un Spad me prit en chasse. Je l’évitai et manœuvrai de façon que mon mitrailleur eut notre assaillant dans le champ de sa mitrailleuse pendant plusieurs secondes, plus de temps qu’il n’en aurait fallu pour l’abattre. Lorsque le Spad rompit le combat, je le poursuivis à mon tour, et, malgré ses pirouettes, piqués, virages serrés, je le tins, en cabriolant comme lui, à ma portée pendant près d’une minute. Mes camarades me firent fête à l’atterrissage et le pilote du monoplace se reconnut abattu, déclarant que si les Boches avaient un avion tel que le R XI il serait bien embarrassé pour savoir comment l’attaquer.

Un officier pilote de l’escadrille, faisant également un vol d’entraînement, se mit (sans doute involontairement) les roues en l’air, mais l’appareil ne se redressa pas et arriva au sol sur le dos. Les trois occupants furent tués. La cause de l’accident resta inexpliquée ; nous n’y attachâmes pas d’importance sur le moment, mais on verra par la suite que le hasard ou la providence ne sont pas de vains mots.

Les armées russes avaient déposé les armes à la fin de 1917, rendant libres les nombreuses divisions allemandes du front de l’Est. Les Etats Unis, d’autre part, s’étaient rangés du côté des Alliés et se hâtaient de constituer une armée. Le temps travaillait donc contre l’Allemagne, qui résolut de tâcher de gagner la guerre avant l’arrivée des Américains. Une grande offensive ennemie semblait imminente.

L’escadre de chasse restait au repos et ne volait pas sur les lignes pour ne pas manifester sa présence. Nous étions ainsi en attente depuis quelques jours, partageant notre temps entre les vols d’entraînement, le bridge, la lecture ou les promenades à pied, quand un matin un de nos camarades entre tout pâle dans le baraquement et nous dit brutalement "Les Allemands sont à Péronne !" (Péronne était à peu près à vingt kilomètres à l’intérieur de nos lignes). Le front était enfoncé.. Je me sentis la figure blêmir à la nouvelle de ce désastre pendant qu’un autre de nos camarades avait les larmes aux yeux. Le front disloqué à l’ouest de Soissons laissait une brèche ouverte dans la direction de Paris.

 PARIS - 5 janvier 1918

Je vous ai écrit mon retour au G.D.E., bredouille. Je le regrette d’autant moins que le lendemain, j’apprenais mon départ pour la C 46. Je partirai demain matin, pour Noyon. Mon escadrille est exactement à Villeselve, non loin du Frétoy. Je vous parlerai plus longuement de l’escadrille quand je la connaîtrai. Je sais seulement que c’est une fine équipe de pilotes, dont je connais quelques-uns. Ils font actuellement de la photo à longue distance, plusieurs ensemble. Avec les R XI, on fera probablement des croisières de chasse.

Il a fait un temps superbe, pendant les deux jours que j’ai passé au G.D.E., et j’ai pu faire quelques vols sur R XI, dont un avec deux passagers qui me l’avaient demandé. Cet appareil se retourne avec une facilité singulière. Mes passagers en ont été un peu suffoqués, bien que les eusse avertis. C’est une sensation vraiment curieuse de se trouver la tête en bas, ayant son appareil au-dessus de soi ; on a le temps, pendant la seconde où l’on se trouve dans cette posture instable, de se sentir légèrement décollé de son siège (ne t’inquiète pas, on est bien attaché), et cela procure un petit sentiment d’inquiétude qui n’est pas sans charme. Il fait un froid de gueusard (-15°), mais sec, et cela se supporte gaillardement. Les arbres, couverts d’un givre épais, font des dessins magnifiques sur le ciel bleu.

Au front – le 10 janvier 1918

Je suis retourné en escadrille, à la C 46. Inutile de te dire si cela me plait, puisque j’avais écrit au capitaine pour lui demander de m’appeler. C’est la meilleure escadrille de triplaces, formée d’une excellente équipe de pilotes et les meilleurs mitrailleurs de Cazeaux. Le boulot que nous ferons promet d’être extrêmement intéressant. Je t’en parlerai quand je te reverrai. Quand ? Probablement à ta prochaine perme, car ici je crois qu’on est assez large pour les petites absences régulières.

Il fait un temps de chien, neige et pluie alternées. On ne vole donc pas. D’ailleurs je n’ai pas encore de coucou affecté. Il en manque et comme nous allons en toucher d’un nouveau type, on ne s’en soucie guère. Je profite de cette inactivité aérienne pour prendre contact avec les camarades, au-dessus de la moyenne ordinaire des escadrilles, et avec cinq officiers qui sont des camarades ; je m’installe et j’ai de quoi m’occuper. Nous logeons sous la tente et par ces temps il faut mener une lutte sans merci contre les vents coulis qui gèlent l’eau dans les bidons. La popote est fameuse, ce qui est un point capital.

 Au front - 31 janvier 1918

Voici deux semaines que nous sommes ici, et nous ne faisons rien. Les R XI se font attendre. Il est vrai qu’on n’en ferait rien par ce temps. J’ai un vieux Letort avec lequel je me promène pendant les éclaircies.

Je suis venu ici en avion, avec derrière, mon mécano assis dans le fauteuil que j’ai fabriqué à Villeselve. Il y avait pas mal de brume au sol, dans les vallées. En particulier, tout le pays, à 15 km avant d’arriver à notre nouveau terrain, était couvert d’une mer de nuages, au sol : le terrain seul, sur un plateau, émergeait avec ses hangars, de sorte que je m’y suis posé, comme sur une île, sans savoir comment sont faits les environs. C’est assez curieux. Je suis allé, il y a trois jours, me promener à Noyon pour me distraire et apprendre la géographie. Demain, je vais, avec un camarade, à Ham, pour manger des gâteaux et faire 14 km à pied. On s’encroûte physiquement au front ; je regrette plus que jamais de n’avoir point fait assez de football autrefois, pour pouvoir jouer dans l’équipe de l’escadrille, qui est bonne. Que penses-tu des Zeppelins ? C’est assez sport. Je crois que cela va bientôt barder !

Au front – le 11 février 1918

Nous sommes ici pour trois ou quatre jours seulement. Nous touchons nos coucous demain matin. Je crains de ne pouvoir aller à Paris avant mon départ. Toujours l’incertitude du métier. Le G.D.E. est devenu de plus en plus moche au point de vue discipline et boulot. Je ne suis pas sûr de pouvoir te faire voler…. Et sûrement pas te ramener au Bourget. Je crains, si tu venais, que ce soit une noce de perruquier. Nous rejoindrons l’escadrille auprès de Chalons – en passant au-dessus de La Ferté.

Au front - (Villeneuve les Vertus) - 20 février 1918

Les échos de la famille t’ont sans doute appris que nous avons quitté Soissons, pour aller prendre nos R 11, au G.D.E. Samedi, par un superbe après-midi et un sacré tonnerre de vent, les dix R 11 se sont envolés aux yeux émerveillés de tout le G.D.E., dont les vols avaient été suspendus pour l’occasion. Je suis passé encore une fois au-dessus de La Ferté , et ai suivi la route de Montmirail, jusqu'à la montagne de Reims. J’ai été embêté pendant un moment : arrivé au-dessus du terrain, que je n’ai pas vu à cause de la brume, et, le vent assez violent m’a tout de suite dérivé, de sorte que je me suis trouvé perdu, après avoir atteint le but. Pendant dix minutes, j’ai tournoyé, j’ai aperçu les marais de St Gond, et je me suis retrouvé; j’ai dîné de bon appétit le soir, car je ne me souciais pas d’atterrir en campagne, avec cet appareil très rapide et délicat qu’est le R 11, que je n’avais pas encore tout à fait en mains.

Me voilà donc redevenu pilote de chasse, tu penses si je biche, et avec quatre mitrailleuses au lieu d’une. Nous sommes rattachés à l’escadre Ménard (12 escadrilles de monoplaces); nous en sommes les vaisseaux de haut bord. Nous avons été reçus avec beaucoup de curiosité, par les pilotes de Spad, qui n’ont pas été déçus : le R 11 leur en met plein la vue.

Pas encore de travail sur les lignes. Il fait d’ailleurs un sale temps. Nous allons faire des exercices de combat avec les monoplaces. Déjà, au cours d’un vol, hier, j’aurais eu nettement deux Spad qui m’attaquaient. A l’atterrissage, mes camarades m’ont crié ;  "Homologué !".

J’ai comme mécano, un vieux bandit, l’ancien mécano de Lecour-Grandmaison ; c’est le meilleur de l’escadrille, mais il a un fichu caractère, personne ne peut le commander. Le capitaine me l’a donné, en me disant que si ça ne marchait pas, il m’en donnerait un autre. Jusqu'à présent, nous nous entendons bien, et il m’a fait quelques confidences, m’avouant qu’il se désintéressait du boulot, parce que l’escadrille ne faisait rien et qu’on s’emmerdait.., mais qu’il reconnaissait maintenant la vieille C 46, et que je pouvais compter sur lui, que mon zinc serait toujours prêt; sans doute que ma gueule lui a plu.

Aujourd’hui, mon appareil était prêt; il a gazé à merveille. J’ai cherré un peu, pour montrer aux pilotes de monoplaces, qui nous sommes, puis un atterrissage au poil. Mon vieux bandit, que j’avais emmené, avait le sourire, et il m’a félicité. Je crois que nous nous entendrons.

Au front – le 20 février 1918

Au contraire de ce que tu pourrais croire ce lieu n’a rien de solitaire : il y a là plus d’une douzaine d’escadrilles de Spads avec lesquels nous formons "l’Escadre de combat Ménard". Mes mitrailleurs sont enthousiastes. Nous avons touché un nouveau pilote, vieux de la vieille aviation, qui est pas mal excité. De la sorte, nous formons une équipe bien homogène et qui s’en ressent. Il y aura du sport.

J’habite avec trois camarades une portion de baraque que nous avons aménagée d’une façon pépère, avec toutes sortes d’étoffes de toutes sortes de couleurs. Pour moi, j’ai entouré mon lit avec les longues foutas : cela me fait une sorte d’alcôve ou de baldaquin du plus curieux effet. Les camarades en ont fait à peu près autant et avec quelques cloisons aux couleurs vives notre appartement a très grand air ; on vient l’admirer de trois escadrilles à la ronde… mais cela n’empêche pas le plafond de laisser voir les étoiles et les courants d’air de circuler dans tous les sens. Vivement le printemps !

Dans le creux de l’oreille : j’ai fait mes délices aujourd’hui d’une couronne de pain blanc , comme avant la guerre, avec une mie blanche et légère comme de la brioche et une croûte croustillante, dorée et recouverte de farine blanche. Que bénie soit, et jusqu’à la septième génération, l’aimable boulangère qui m’a vendu ce pain !

Nos mitrailleurs sont à la hauteur : ils ont tué aujourd’hui un lièvre et deux faisans et vu un sanglier. Nous mangerons les trois premiers en pâté et le quatrième en rêve ! Le paysage aux horizons lointains, avec au fond la montagne de Reims et des petits bois de sapins, est assez agréable. Si les hangars ne me rappelaient pas tant Avord, je me plairais même assez ici.

Au front – le 20 février 1918

Te voilà de retour à ta batterie et moi à mon escadrille. Tu l’as sans doute trouvée au repos, sans trop de fourbi, j’espère ? Je vole tous les jours avec mon merveilleux zinc mais défense d’aller sur les lignes pour le moment.

Nous sommes à côté d’un petit bois de sapins comme tu connais ceux de la Champagne. Tous les matins en sautant de mon lit, sur le coup de huit heures, j’enfile mon caleçon, un chandail et des chaussons et je vais faire du sport dans l’air frais et quelque peu brumeux : course et bientôt sauts d’obstacles ; il y a des allées dans le bois qui sont des pistes épatantes. Je crois qu’au prochain prêt je vais me fendre d’un tub en caoutchouc ; il n’y a rien de tel pour vous rajeunir et vous mettre en bonne humeur.

Au front – le 27 février 1918

L’escadrille vient de connaître une triste journée. Un de nos camarades s’est tué avec ses deux passagers. Ce qu’il y a de terrible chez nous, c’est que les pertes se chiffrent par trois et cela fait un rude vide. Depuis deux jours il faisait un temps superbe. C’était la grande excitation et le R XI s’affirmait de plus en plus comme l’appareil rêvé. Hier après-midi, j’allais décoller pour une montée à 4000 en pleine charge quand on voit un R XI, qui cherrait depuis cinq minutes, se mettre sur le dos et tomber en flottant plus ou moins dans cette position jusqu’au sol où il s’est abîmé. Tu parles d’un coup !

Je suis parti naturellement ; il n’y avait pas de raison pour rester, mais je t’assure que cela vous coûte un sacré effort. Mes deux passagers ne disaient rien mais je crois que si nos moteurs n’avaient pas voulu partir ils n’en auraient pas été autrement fâchés. Mais c’est un peu comme le monsieur qui manque de se noyer et qui doit repiquer tout de suite une tête dans l’eau. Mon vol s’est fort bien passé d’ailleurs. La visibilité était merveilleuse et de 3500 m se voyaient très nettement et du même coup d’œil Epernay, Chalons et Reims – et au loin les marais de St Gond, Château-Thierry, le Chemin des Dames et la forêt de l’Argonne.

On a été un peu dégonflé, ne sachant pas à quoi était dû l’accident. Les pilotes de Spad qui depuis deux jours nous demandaient de les emmener faire un tour en R XI s’étaient éclipsés. On se doute maintenant de ce qui a dû se passer et çà n’est probablement pas de la faute de l’appareil. J’aime mieux cela et j’ai de nouveau toute confiance dans mon appareil.

Hier matin j’avais livré combat pendant 5 minutes à un Spad monoplace. Je l’aurais descendu 25 fois si ça avait été un Boche. Je m’étais collé à son cul et chaque fois qu’il piquait, virait ou se renversait pour m’éviter je le suivais et le talonnais de près. Le type était absolument affolé et exaspéré de ne pouvoir se décoller de moi, comme il me l’a dit à l’atterrissage. Mes camarades avaient vu ce simili constat et quand je suis revenu ils m’ont crié : - "Il est homologué !" – et voulaient me faire payer le porto. Je les ai emmenés au bar et leur ai offert des verres de porto vides.

J’ai hâte d’aller sur les lignes voir si le Boche se laissera faire aussi bien que le Spad. On enterre nos camarades demain ; et, malgré tout, la bonne humeur est déjà revenue à l’escadrille, et dans deux jours on recommencera à chanter au dessert la Madelon ou autres chansons bachiques. Celui qui s’en choquerait aurait tort ; ce n’est pas de prendre un air consterné qui nous ferait regretter nos camarades davantage. Le fait que le même sort peut nous arriver demain nous autorise à ne pas prendre un deuil hypocrite. Et je trouve même méritant – et heureux – de retrouver si vite sa gaieté naturelle après un coup qui devrait bien nous la faire perdre en pensant à nous-même. Qu’en penses-tu ?

 Au front - 1er mars 1918

J’ai vu, hier, Caudron et Deville. Celui-ci m’a parlé de son nouveau R 11 avec deux 320 CV Hispano, sur lequel il a l’intention de mettre un canon. J’avais pensé pour cela au C 1, et je lui en avais parlé la dernière fois que je l’avais vu. Je voudrais être le premier à avoir ce zinc-là, au front. Nous pourrions aller chez Caudron, ensemble. C’est intéressant de faire réussir quelque chose. Aujourd’hui déjà, j’ai indiqué à Deville, une ou deux petites modifications à faire au R XI (gauchissement), et il va le faire sur les prochains. Ils sont venus avec quelques huiles de la Section Technique (dont Camermann), à cause d’un accident qui a eu lieu il y a quatre jours. Le capitaine m’avait convoqué avec les huiles, comme étant le pilote ayant le plus cherré avec le R XI, et surtout le plus consciemment. C’est ainsi que j’ai pu causer assez longtemps avec Deville, qui a paru m’écouter avec intérêt.

Au Front – 16 mars 1918

Ma promenade sur les saucisses françaises s’est bien passée. J’ai atterri dix minutes avant la revue de Pétain. J’avais le terrain pour moi tout seul et toute l’escadre était déjà sur un rang. Malgré cela je n’ai pas sonné mon atterrissage. J’ai remis cela hier. En descendant en spirale un peu serrée je n’ai pas fait attention que ma pression tombait à zéro et quand j’ai voulu remettre la sauce – je l’avais pourtant fait tous les 600m – mes moteurs se sont arrêtés. J’étais à 150m et ne pouvais avoir mon terrain. J’ai atterri dans un terrain labouré, en douce.

Mes camarades et les officiers me voyant disparaître derrière un rideau de sapins ont cru que j’avais bousillé et je les ai vus cinq minutes après courir, capitaine en tête, et déboucher du petit bois. Ils ont été épatés de me voir vivant. A 25 m, mon observateur s’était aperçu que je n’avais pas mon terrain et il avait disparu dans le tunnel comme un diable dans sa boîte. Quand je roulais encore j’ai entendu une voix dans mes pieds qui me demandait comment çà allait. Ce doit être une drôle d’impression pour un monsieur dans cette posture d’attendre le crac final sans savoir où l’on en est de la catastrophe. Je suis reparti cinq minutes après, seul, j’ai décollé ! vent de côté, en moins de 50 mètres . Je crains bien que notre zinc ne plafonne à 4000 m. C’est une sorte de pépin Morane. Pas assez de surface pour son poids. Mais ce qui m’a épaté c’est que, bien qu’il ne veuille rien savoir pour grimper au delà de 4000 m, il n’est pas du tout tangent à cette altitude. Je le remuais encore très facilement et çà répondait. On peut encore faire du boulot à cette altitude-là, mais où sont les 7000 m du D ou des Boches ! Je vais faire vérifier le réglage de la cellule car il doit monter tout de même à 5000 m.

Au front - 19 mars 1918

Temps de chien aujourd’hui, et probablement pour quelques jours. La séance de bridge dure depuis 13h, et c’est l’heure d’aller dîner ; nous sommes six, et nous nous relayons... Quelle vie oisive que la guerre, à côté de certaines périodes d’activité excessive.

Pétain est un bel homme, comme le disent ses photos, l’air calme et pacifique. Il s’est promené devant l’escadre alignée, avec Franchet d’Espérey et quelques colonels. Cela n’avait rien d’une revue de Napoléon, et si quelqu’un avait voulu ressentir quelque émotion, il aurait dû fermer les yeux et se dire que le généralissime, personnage historique, passait une revue, et remettait trois décorations.

Les Spad ont fait une très belle exhibition. Ménard, commandant de l’escadre, avait dit de tenir prêt un R XI, pour si cela intéressait Pétain. Je suis resté ¼ d’heure dans ma carlingue, mes moteurs au ralenti, prêt à f... le camp au premier signe. Un bonhomme est venu me dire en courant que ce n’était pas la peine, parce que Pétain était parti depuis une demi-heure. L’aviation ne doit pas l’intéresser!....

Commentaires de Paul Resal :

 Nous reçûmes tout de suite l’ordre de nous préparer à partir pour le Plessis Belleville, les mitrailleurs partant immédiatement en voiture pour arriver le jour même. En une heure nos cantines étaient faites, nos lits et meubles pliés, le tout installé et arrimé dans nos avions très pratiques pour les déménagements. Après un déjeuner rapide, nous nous envolâmes ; je repassai encore une fois sur la Ferté sous Jouarre et nous atterrîmes au Plessis Belleville où régnait une animation extraordinaire et singulièrement poignante. Les avions des Divisions d’Entraînement prenaient leur vol pour Chartres afin de nous laisser la place. Simultanément arrivaient un à un les cent cinquante monoplaces de l’Escadre et les R XI, plus quelque cent Bréguet de bombardement. Les jeunes pilotes qui quittaient le Plessis Belleville nous regardaient avec le respect et l’admiration qu’un pilote d’escadrille inspirait à ceux qui n’avaient pas encore volé sur les lignes. Je portais déjà un monocle teinté à l’œil gauche et mes camarades me disaient que cette particularité, jointe à mon ruban rouge, faisait terriblement loucher les jeunes aspirants as.

Il pouvait être deux heures de l’après midi (c’était le 21 mars). D’ordinaire, la première journée d’un déplacement était consacrée à l’installation du cantonnement. Cette fois-ci, à peine arrivés, les pilotes de monoplace recevaient l’ordre de faire le plein d’essence et de partir immédiatement sur les lignes, situées, on ne savait trop où, entre Soissons et Montdidier, et de courir sus aux Boches, au sol aussi bien que dans les airs. Déjà, des monoplaces revenaient des lignes et refaisaient le plein d’essence et de munitions pour repartir, racontant avec l’excitation habituelle leurs rencontres avec des avions boches et les tirs qu’ils avaient faits à basse altitude contre les fantassins sur les routes. Les escadrilles de bombardement décollaient à leur tour pendant que s’envolaient les derniers avions du G.D.E. Nous, avec nos R XI, ne pouvions participer encore à l’action, nos mitrailleurs n’étant pas encore arrivés. J’assistais, assez ému et nerveux, à cette envolée incessante des avions de chasse et de bombardement. Je fus témoin, entre autres, de deux scènes impressionnantes : un Spad, venant d’atterrir, approchait des hangars et je remarquai que, sitôt arrêté, le pilote, debout dans sa carlingue, levait les bras d’une façon singulière, se prenait la tête, s’affalait en avant et recommençait son manège ; je m’approchai et reconnus le capitaine Daum, as aux six victoires, chef d’escadrille, qui s’exclamait avec désespoir qu’un de ses jeunes pilotes venait d’être abattu à ses côtés. Il repartit quelque dix minutes après.

Nos mitrailleurs venaient d’arriver. Nous allions partir à notre tour et, me rendant en combinaison à mon avion, passai à côté d’un Spad dont le mécano mettait le moteur en marche en lançant l’hélice à deux bras comme cela se pratiquait alors. Il perdit l’équilibre et tomba la tête en avant : l’hélice qui venait de partir lui coupa net le crâne en deux et je vis rouler par terre la partie supérieure qui évoqua irrésistiblement la calotte coupée d’un œuf à la coque. Je détournai la tête, et pour effacer cette image, je me hâtai de m’envoler en pensant à ce que nous avions à faire. Il était déjà tard ; la terre commençait à se couvrir de brume et, comme l’instabilité des RXI empêche absolument de voler quand on ne voit pas la ligne d’horizon, nous dûmes faire demi-tour avant d’avoir atteint la zone de combat.

La bataille dura avec la même intensité pendant plusieurs jours et nous volions matin et soir avec la mission plus particulière d’assurer la protection des Bréguet de bombardement. Je fus, au cours d’un de ces vols, témoin d’un drame affreux. J’accompagnais une escadrille de bombardement, une douzaine d’avions bien groupés se détachant sur un ciel noir d’orage, qui donnait à cette mission un air particulièrement sinistre. En arrivant aux lignes, nous fûmes accueillis par un tir assez précis de la DCA allemande et c’est alors que le pilote du Bréguet qui volait à une centaine de mètres avant moi, distrait peut-être par un obus qui venait d’éclater près de lui, vint heurter celui qui était à sa droite et coupa son empennage de queue avec son aile, qui fut arrachée. Je vis les deux malheureux avions tomber, l’un en vrille, l’autre dans une sorte de spirale désordonnée. Je fus horrifié par ce spectacle et en même temps comme hypnotisé par la vue de ces avions en chute, pensant aux quatre hommes qui vivaient là une minute désespérée, encore bien vivants et virtuellement morts. Je ne pouvais quitter ces épaves des yeux, demeurant là à tourner comme une barque aspirée par un tourbillon, me disant : ils vont tomber dans ce bois, mais ils le dépassaient, sur ce village, ils tombaient toujours, sur ce champ… Je vis enfin deux jaillissements de poussière au sol. Le drame était consommé. Je repris ma route et me hâtai de rejoindre le groupe de bombardiers.

 Au front (Villeneuve les Vertus) - 23 mars 1918

Nous partons sans doute demain matin, pour la région où Louis a eu sa première palme. Nous y trouverons les Boches qui refusaient de se montrer par ici. Ma permission sera sans doute retardée ; je vous l’écrirai quand je serai fixé.

Ces cochons d’Anglais ! Cela nous a donné un coup suant ; nous avons appris tout à l’heure, avec quelle célérité ils avaient foutu le camp devant les Boches. Depuis Charleroi, ils n’ont pas fait beaucoup de progrès ! J’espère au moins que c’est " l’attaque", et non une diversion, parce qu’autrement cela promettrait du plaisir !

Paris bombardé de jour, cela est assez sport.... Les Boches nous avaient prévenus, il est vrai, et j’espère que le civil tiendra. De toute façon, la crise bat son plein et cela rapproche de la fin et ce contretemps n’influera sans doute pas sur le résultat final.

Nous sommes plongés, la tête dans nos cantines. C’est un avantage du triplace, quand on se déplace, de pouvoir emmener son lit Picot, sa paillasse, ses couvertures, son pliant, sa cuvette, sa valise, sa lampe Pigeon, une boîte de singe et son papier à lettres; de sorte qu’en arrivant, on est chez soi cinq minutes après l’atterrissage.

P.S. : Le départ est officiel. Les mitrailleurs viennent de recevoir l’ordre de partir dans deux heures, en auto, et nous en avion, au petit jour.

Au front – le 30 mars 1918

Il ne cesse de pleuvoir depuis ce matin. C’est pitoyable. Nous en profitons pour aménager d’une façon très élémentaire la baraque où nous logeons. J’espère que nous n’y sommes pas pour 107 ans.

Notre voyage de V. à ici s’est fort bien passé par un temps merveilleux. Brume à l’arrivée. Malgré cela, deux heures après l’atterrissage, l’escadre recevait l’ordre de décoller pour aller mitrailler les Boches au sol. Deux de chez nous y sont allés, sans grande efficacité je crois. Le R XI n’est pas fait pour cela. Parti une demi-heure après avec deux autres, j’ai été contraint de rentrer après avoir essayé en vain de me frayer un passage dans les lieux, à 400m. On ne voyait pas à 500 m devant soi et l’appareil se mettait d’une aile sur l’autre sans qu’on puisse s’en apercevoir. C’est une acrobatie que je n’aimerai pas renouveler souvent. C’est miraculeux que les deux premiers aient pu revenir au terrain.

Hier, vent à faire décoller les bessonnaux. Il avait plu dans la matinée et comme nous n’avions pas de ravitaillement, l’escadrille s’était dispersée à onze heures pour aller trouver à manger dans les villages voisins. Avec cinq bons copains nous sommes allés en tracteur jusqu’au patelin (Ermenonville). On a trouvé une excellente auberge qui nous a servi un copieux déjeuner. On s’est « tapé la cloche », rattrapant les déjeuners passés – singe – et prévoyant les repas futurs. Sur le coup de 5h ½ un vent d’ouest très violent a chassé les nuages. On est parti à trois faire une patrouille chez le Boche, sans résultat d’ailleurs. Pas de Fritz sur les lignes et le vent d’ouest nous obligeait à ne pas nous aventurer chez eux. Je vous ai dit que les perms sont suspendues – peut-être jusqu’à la fin de la guerre si c’est le coup final ? Je le voudrais bien mais n’ose l’espérer.

Commentaires de Paul Resal :

Au cours de la semaine suivante, le 1er avril, j’eus la chance de rencontrer deux avions de chasse allemands, qui nous attaquèrent et dont l’un fut abattu en flammes par mon mitrailleur arrière. Tout à la joie de voir tomber cet avion boche, le premier abattu par un RXI, je manquai de présence d’esprit et ne pensai pas à poursuivre le second qui avait fait demi-tour et qu’il m’aurait peut-être été possible de rattraper. Mes mitrailleurs manifestaient dans la carlingue, pendant le retour, des signes de joie ; on ne pensait guère au malheureux adversaire, dont les restes achevaient de se consumer au sol. Ce sort aurait pu être le nôtre et telle est la triste condition de la guerre que l’on se soucie peu de l’homme que l’on vient de tuer et que l’on pense davantage à la nouvelle palme de sa croix de guerre et à la gloire que l’on en tirera auprès de ses camarades et de sa famille.

Quelques jours après, mon capitaine m’annonça que j’étais nommé sous-lieutenant ; ma proposition datait de quelque temps, mais ma victoire était arrivée à point, car deux de mes camarades, sous-officiers comme moi, mais plus anciens à l’escadrille et qui espéraient leur nomination, furent obligés de taire leur déception. Nous ne sûmes que plus tard le rôle capital joué par l’escadre de chasse et l’escadre de bombardement pendant ces dramatiques journées de mars 1918. Les troupes allemandes, harcelées sans répit par des avions de chasse et les bombardiers, furent gênées pour mettre à profit la percée qui s’était produite dans nos lignes sur un front d’une cinquantaine de kilomètres et le retard apporté par nous à leur avance donna le temps aux divisions françaises de venir colmater la brèche.

Au front - (Plessis Belleville) - 2 avril 1918

J’ai descendu un Boche, hier. Une drôle de plaisanterie pour le 1er avril * ! Cette date me porte-bonheur. Avec le R XI, c’est un petit exploit assez facile, pourvu que les circonstances s’y prêtent. ( NB : le 1er avril 1917, Paul avait été décoré de la Légion d’Honneur)

Nous venions d’arriver sur les lignes, et les deux heures de notre patrouille ne nous ont point paru longues cette fois. J’ai eu un second combat une demi-heure après, mais sans résultat. Un coup double, ça aurait été trop beau pour un début. A l’atterrissage, tout le monde avait le sourire. Bloch était enchanté. Il s’agissait, pour la C 46, de prendre sa place dans l’escadre; et puis, c’est le 1er Boche sur R XI.

Le front a l’air de se stabiliser, pour peu de temps, j’espère. Mais si la bataille se calme, les perms reprendront sans doute, même réduites. Je suis le premier à partir, et cela me ferait plaisir maintenant. Mais ça n’est pas à souhaiter. Ne t’en fais pas pour moi, surtout. Je suis arrivé à cette période du pilote, où l’expérience a tempéré la témérité des bleus, et où l’on s’en ressent d’une façon réfléchie.

Au front - 2 avril 1918

Si le mois de mars nous a été néfaste ces deux dernières années, avril nous favorise. Moi aussi, j’ai abattu un Boche en flamme. J’attends avec impatience l’homologation, mais elle est difficile dans les circonstances actuelles, et c’est ce qui m’inquiète un peu.

Je faisais, seul, un guet, dans la région de Lassigny Moreuil, à 1100 m, le plafond étant à 1200. Un peu au nord de Montdidier, entre Courtemanche et Gratibus, nous avons vu surgir à un kilomètre, cinq Boches, venant de chez eux. Toujours au ralenti, je leur ai tourné le dos, allant vers nos lignes. Quand ils ont été à 500 m, j’ai mis pleine sauce. J’ai semé trois biplaces, deux monoplaces nous ont suivis à la même altitude, cherchant à se mettre sous la queue. Ils n’ont pas pu manœuvrer parce qu’ils me gagnaient très peu de vitesse et, à 200 m, Poggioli, mon mitrailleur, a ouvert le feu en même temps que le Boche. Il était merveilleusement encadré par nos lumineuses, si bien qu’il est tombé en vrille en fumant. L’autre n’a pas demandé son reste. Le malheur, c’est que cela s’est passé à deux ou trois kilomètres chez le Boche, sans que nous le sachions trop, le front n’étant pas très fixé. J’ai été aujourd’hui aux renseignements: rien de la DCA , ni de l’artillerie. Je n’espère plus que le témoignage des fantassins, qui ont dû certainement nous voir et nous entendre. Mais les pauvres bougres ont autre chose à faire que d’écrire des rapports sur les Boches abattus.

Pas une balle dans mon zinc. La tactique pour le R XI est facile, surtout quand on s’entend bien avec ses mitrailleurs, ce qui est le cas. Poggioli en veut, il a beaucoup de sang-froid et est certainement un excellent tireur. Pour nous, je crois que le mieux est pour l’instant, et tant que nous n’aurons pas de missions spéciales, de voler sur les lignes, un peu chez eux, et de tenter le Boche. Avec notre vitesse, nous sommes a peu prés maîtres des conditions du combat.

Mon mitrailleur, d’après ce que l’on m’avait dit et ce que j’ai vu hier est un tireur remarquable, ayant beaucoup de sang froid et le désir du communiqué. Quant à mon observateur, Armenault, sergent-major, c’est un bonhomme de 35 ans, très bon tireur aussi, sérieux, qui tient à la vie mais prêt à faire son devoir jusqu’au bout. J’ai pleine confiance en lui et je suis sûr qu’il ne m’entraînera pas dans des aventures scabreuses. Tu penses si j’avais le sourire! C’était au début de la patrouille. J’ai eu un second combat, une demi-heure après, sans résultat, échange de quelques balles avec un biplace que j’ai croisé à 900m d’altitude.

C’est le 1er Boche abattu sur R XI, je pense. L’escadrille bichait, le capitaine en tête. Pour se présenter à l’escadre, la C 46 ne pouvait faire mieux que d’en descendre une demi-douzaine. Cet après-midi, Deville (ingénieur de Caudron) est venu en G 4 à l’escadrille, et nous avons expliqué le coup. Il avait le sourire. Il m’a promis le premier R XI canon 300 CV, s’il sort. Je commence à avoir le R XI en mains, mais 23h de vol ne sont pas de trop pour cela. Les perms sont suspendues, naturellement. Je suis le premier à partir.

Au front - 12 avril 1918

Nous partons demain pour la région que je t’ai dite. Temps splendide : d’ici, on voit la tour Eiffel, à 2000 m. Hier, j’ai été obligé d’atterrir dans les choux, par panne. Je n’ai rien cassé miraculeusement, et ai pu repartir quatre heures après. Le seul dommage est que j’ai déjeuné à 16 heures.. Ce sont les hasards de la guerre. Tout n’est que contraste.

Commentaires de Paul Resal :

Nous nous rendîmes peu après dans la Somme où mon escadrille occupa un terrain près d’Hornoy. Le front s’était calmé comme il arrive dans la préparation d’une nouvelle offensive. Le mois que nous passâmes là fut relativement tranquille, mais il m’y arriva une aventure qui me causa une certaine émotion. Un de nos camarades observateurs, le lieutenant P., brave mais assez sot, avait fait un jour à la popote la réflexion que les avions de certains pilotes avaient toujours tendance à tourner vers nos lignes (étant chez le Boche, s’entend). Bien que je ne prisse pas cette réflexion à mon compte, je me promis de lui en faire rendre raison. J’eus bientôt l’occasion de l’emmener et, par un temps splendide, nous partîmes en reconnaissance dans le secteur d’Amiens Montdidier. Je franchis les lignes et résolus de suivre assez longtemps la route de Laon, qui faisait un angle de 15° environ avec la ligne de front. Au bout de quelques minutes, P. me fit signe d’obliquer vers nos lignes. Je continuai tout droit. Au bout d’un instant, il m’invita de nouveau à nous rapprocher de chez nous, mais je continuai toujours tout droit, tandis que mon mitrailleur me tapait à tour de bras sur l’épaule pour me dire de tourner, en me montrant avec insistance le lieutenant P. dans le siège avant, car il passait pour assez maladroit avec ses mitrailleuses. Je remarquai alors que nous avions sensiblement dépassé la ligne des « saucisses » allemandes. Je m’en étonnai et m’aperçus que, croyant suivre la route de Laon j’avais suivi celle de Saint Quentin qui était perpendiculaire aux lignes. Nous étions relativement bas et il était prudent de ne pas s’attarder plus longtemps au-dessus des terrains de chasse allemands. Je n’avais pas achevé mon demi-tour que deux obus m’éclatent à cinquante mètres devant le nez, juste à ma hauteur et, presque en même temps, deux derrière moi. Je m’étais étonné que la DCA nous ait laissés nous promener si tranquillement sans nous canonner, mais je compris aussitôt le traquenard dans lequel j’étais tombé. Nous savions par des pilotes allemands faits prisonniers que le R XI leur avait paru redoutable aux Allemands dans nombre de rencontres et qu’ils étaient anxieux d’en connaître les caractéristiques, armement, protection, etc.. Ils cherchaient donc à en abattre ou mieux à forcer l’un d’eux à atterrir dans leurs lignes. Le jour où ils me virent entrer assez loin chez eux, ils alertèrent toutes les batteries du secteur qui eurent tout le loisir pendant ma fanfaronnade de calculer ma hauteur, ma vitesse et de concerter leur attaque. Ils me laissèrent m’enfoncer dans leurs lignes, mais, pendant que j’avançais si tranquillement, je ne me doutais pas que j’avais peut-être une douzaine de canons pointés sur moi, prêts à tirer.

Ce qu’ils firent dés que j’amorçai mon retour. Je fus environné d’éclatements en quelques secondes, et, me voyant si bien repéré, je changeai aussitôt ma vitesse pour dépister leurs calculs et en effet, les éclatements s’égaillèrent assez loin derrière moi, mais, en quelques secondes, je fus de nouveau encadré par plusieurs salves à bonne hauteur. Je changeai d’altitude, mais fus aussitôt vite rattrapé. Je commençai à me rendre compte que je m’étais mis dans un mauvais cas et fis carrément demi-tour pour souffler un instant, et repris ma route obliquement. Avec une rapidité satanique les éclatements les éclatements me rattrapèrent dés que j’eus terminé ma manœuvre et je commençai à craindre que les avions de chasse alertés viennent s’en mêler en nombre. Je fis un piqué sérieux, fus repris, remontai, toujours serré par ces maudits éclatements qui m’environnaient, une douzaine à la fois ; je changeai de direction sans incliner l ‘avion afin de ne pas attirer l’attention sur ma manœuvre, cependant que le lieutenant P., par-devant et mon mitrailleur Poggioli, derrière, m’indiquaient les éclatements qui me serraient de plus en plus près, à une vingtaine de mètres parfois.

Cette algarade dura bien cinq minutes, le temps qu’il faut pour parcourir une dizaine de kilomètres, en montant, descendant, virevoltant, l’œil aux aguets et les fesses terriblement serrées. J’étais arrivé sur nos lignes, n’étant plus qu’à 1500 mètres d’altitude et leur feu était toujours aussi intense et j’étais déjà à deux ou trois kilomètres chez nous que, dans leur déconvenue de m’avoir manqué, les Boches me tiraient encore dessus. Enfin la plaisanterie cessa et je n’en fus pas fâché. Ce qu’il y a de plus extraordinaire, c’est que mes plans n’avaient pas l’air d’avoir de trous ; mais, à l’atterrissage, je constatai que la triple corde à piano du croisillon qui reliait les deux plans entre le fuselage et mon moteur de droite avaient comme une bosse et que les lattes de bois qui les entrelardaient avaient sauté. L’éclat d’obus, qui devait être sérieux était passé entre moi et mon moteur nous manquant de cinquante centimètres, mais combien d’autres dangers nous frôlent de plus près sans que l’on s’en doute !

Au front – le 17 avril 1918

Nous avons profité d’une éclaircie hier matin pour partir. Escale obligatoire, à cause des nuages au sol, à Crèvecœur où nous trouvons bon gîte et bonne table. Nous sommes repartis ce matin et arrivés à notre nouveau port d’attache après 50 Km de rase-mottes : c’est assez sport ! Avant de partir du Plessis un de nos équipages a abattu un Boche. Çà commence à gazer : deux combats, deux Boches. Le rendement du R XI me paraît assez bon jusqu’ici. Nous vivons dans le bled, sous la tente. Pluie ce soir. Ce n’est pas encore demain, ni cette semaine, je crois, que nous ferons la guerre.

Commentaires de Paul Resal :

Le front, au début de mai, redevint relativement calme et mon escadrille, après avoir, le mois précédent abattu trois avions et subi elle-même quelque perte, cantonnée à Boran sur l’Oise, jouissait d’un certain repos. J’en profitai pour entraîner les pilotes à voler en groupe de trois ou quatre, suivant une formation que j’avais imaginée et qui, à l’expérience, devait se révéler très efficace dans les combats contre les patrouilles ennemies. Les pilotes allemands de monoplaces avaient sans doute constaté leur infériorité dans les combats individuels avec les R XI et nous attaquaient maintenant en force.

D’après mes instructions, chaque avion devait se tenir à une trentaine de mètres à gauche et légèrement au-dessus de celui qui le précédait, de sorte que la patrouille avait la formation d’une sorte d’échelle dont les barreaux seraient décalés, le nombre d’avions étant indifférent et pouvant être aussi grand qu’on voulait. La patrouille avançait ainsi comme une ligne oblique, chaque pilote se guidant sur celui qui le précédait immédiatement, un peu de côté et un peu au-dessous, le premier le plus bas étant le chef de patrouille. En cas d’attaque de l’ennemi par derrière, chaque avion devait se ranger à côté de celui qui le précédait, ce qui lui était facile car, étant plus haut, il pouvait en piquant le gagner de vitesse. La patrouille offrait alors un front parfait et les Boches, pour l’attaquer, devaient essuyer le feu de tous nos avions tirant en retraite à la fois. Si la patrouille était attaquée de côté, chaque avion faisait, sur un signe du chef, un quart de tour à droite ou à gauche, suivant le cas, et ils se trouvaient tous presque simultanément en front de bataille comme dit précédemment.

Nous étant bien exercés à ces différentes manœuvres, nous brûlions de livrer combat et j’emmenai en patrouilles, plusieurs jours de suite, trois pilotes en qui j’avais particulièrement confiance pour l’adresse et le courage, notamment Dupart et Sitterly, ce dernier américain engagé dans notre armée bien avant la déclaration de guerre des Etats Unis. Mais, à notre grand désappointement, nous ne rencontrions pas d’Allemands. On nous signala que des Boches volaient sur les lignes de bon matin et nous partîmes dés que la brume fut levée, sans succès. Un mitrailleur, braconnier dans le civil, me dit qu’en partant au lever du jour nous éviterions la brume et pourrions être sur les lignes au moment où les Boches y rodaient. On fut d’accord pour partir le lendemain à 4 heures du matin. Je dormais profondément quand on vint me réveiller et me rappelai péniblement à la réalité ; nous nous retrouvâmes tous, un instant après, autour d’un café bien chaud et montâmes au terrain où les mécanos engourdis de sommeil sortaient les avions. Un quart d’heure après nous décollions aux premières lueurs de l’aurore et, quand nous nous retrouvâmes au-dessus du terrain à 1000 mètres comme convenu, déjà la brume recouvrait le terrain et remplissait la vallée de l’Oise. Quand nous arrivâmes sur les lignes, la terre semblait encore endormie. Dans l’air pur et immobile du petit matin je goûtai encore une fois le sentiment exaltant de se mouvoir dans le vide et de commander à cette machine à la fois si puissante et si docile à notre volonté. Eprouvant ma puissance, j’appuyai très lentement à droite puis à gauche sur le volant et l’avion se mit à rouler doucement comme sur une immense et invisible houle. Tournant la tête, j’aperçus, se détachant lumineux sur le ciel gris de l’horizon mes trois avions qui semblaient immobiles, leurs hélices scintillant au soleil levant comme des miroirs aux alouettes. A la fois loin et près de moi, je les savais prêts à obéir à mon commandement : je virai brusquement à droite et je les vis tous s’incliner simultanément à droite, puis à gauche, et je ris intérieurement et repris ma route vers l’horizon. Le ciel était toujours vide. Nous remontâmes au Nord, parcourant l’espace à toutes les altitudes, pénétrant assez loin dans les lignes ennemies, furetant, cherchant en vain un malheureux Boche à descendre. Après trois heures de vol nous n’avions vu âme qui vive. A bout d’essence, il fallait rentrer. Nous étions à deux ou trois kilomètres dans les lignes adverses, quand nous aperçûmes au-dessus de nos lignes et assez bas des éclatements de la DCA française. Aussitôt, Dupart et Sitterly piquèrent, la queue haute, tandis que je descendais lentement en écarquillant les yeux et en obliquant dans les lignes boches. Les éclatements cessèrent brusquement, nous ne vîmes aucun Boche et, bien déçus, nous rentrâmes et atterrîmes au terrain vers sept heures, quand tout le monde dormait encore. Tandis que la voiture nous ramenait au cantonnement, Sitterly, assis à côté du chauffeur se retourna tout à coup et me dit "Mon lieutenant, pourquoi n’avez –vous pas piqué dans les éclatements ?" Le ton exprimait à la fois le scandale et le désappointement. Je ris et plus flatté de sa déception que je n’eusse pas attaqué que vexé de son reproche, je lui dis "Vous êtes, mon cher Sitterly, encore un peu jeune dans le métier. Si la chance avait voulu qu’il y eut effectivement un Boche dans les éclatements, il se serait dépêché de rentrer chez lui en nous voyant et vous aurait sans doute distancé et c’est moi qui, ayant gardé ma hauteur et lui coupant sa retraite, l’aurais rejoint et aurais livré combat."

Au début de ce beau mois de mai, le front était assez calme et, malgré nos vols quotidiens, nous jouissions d’une certaine tranquillité et passions des journées agréables dans ce beau pays du val de l’Oise, allant nous promener à Chantilly ou à Ermenonville, où il y avait un restaurant réputé. Avec un camarade, j’allais chercher à l’Isle Adam un joli bateau et nous prîmes dans l’Oise des bains délicieux. Un de mes camarades officier avait une petite amie, assez jolie mais très sotte, qui était venue le voir pendant quelques jours. Il me demanda une fois d’emmener cette jeune personne faire une promenade en bateau pendant qu’il était en l’air. Au moment où nous passions sous le pont de la grand-route vint à passer un convoi de camions transportant des troupes d’infanterie : je fus interpellé par des huées et des lazzis comme on le devine et traité d’embusqué. Il n’aurait servi de rien de répondre à ces braves garçons que j’avais fait une patrouille de trois heures le matin et que j’avais été copieusement marmité : j’avais les apparences contre moi et je détalai à force de rames sans mots dire.

Il m ‘arriva à cette époque une aventure singulière et qui aurait pu très mal tourner. Au cours d’une patrouille dans la région de Lassigny, nous fûmes attaqués par une patrouille de trois Boches d’ailleurs peu mordants. Les deux mitrailleurs faisaient feu de leurs quatre pièces et je respirais cette odeur curieusement enivrante de la poudre, quand je reçus sur la figure comme de tous petits éclats. Je vis en même temps mon mitrailleur avant cesser de tirer et manifester une sorte d’affolement singulier, haussant les épaules avec véhémence, se tapant la tête. Je me retournai pour voir les Boches ; ils s’étaient éloignés. Je revins à mon mitrailleur qui me fit comprendre qu’il avait tiré une rafale dans le plan supérieur de notre avion, qui était entre lui et moi. De là les petits éclats de bois que j’avais reçus dans la figure. Tirant en arrière, il avait suivi avec ses mitrailleuses un Boche qui piquait sans s’apercevoir que celles-ci arrivaient à hauteur du plan supérieur de l’avion qui le séparait de moi. Je fus terriblement inquiet, me demandant si notre plan n’allait pas casser dans le cas où la poutre maîtresse aurait été gravement sectionnée ? Je réduisis mes moteurs et rentrai le plus lentement que je pus, ayant la double crainte de me mettre en perte de vitesse ou de voir mon avion se briser, si j’allais trop vite. Je me disais, pendant ce retour qui me parut très long, que si mon mitrailleur avait tiré encore un peu plus bas, c’est moi qui aurais reçu la salve dans le front ! Dés le lendemain, tous les avions de l’escadrille étaient munis d’un dispositif qui empêchait les mitrailleuses avant de tirer au-dessous d’un certain angle.

A la fin du mois de mai, l’Allemagne attaqua avec violence sur le "Chemin des Dames" et le front fut enfoncé sur une grande profondeur. Nous connûmes de nouveau de rudes journées, effectuant principalement des protections de bombardement, service très efficace à en croire les remerciements chaleureux que nous exprimaient les pilotes de Bréguet, quand nous revenions d’une mission où les R XI avaient empêché les avions boches de se rapprocher d’eux.

A l’inquiétude que me causait, comme à tous mes camarades, l’avance allemande, qui avait atteint la Marne à Château Thierry, s’ajoutaient de graves angoisses familiales. Mon frère Salem se trouvait en batterie sur le "Chemin des Dames" quand se déclencha l’offensive boche et, dans l’attente tourmentée de ses nouvelles, j’en arrivais à souhaiter qu’il ne fut que prisonnier. Mes craintes étaient fondées et mon frère n’échappa encore une fois que de bien peu à un grand danger : sa batterie fut attaquée par l’infanterie ennemie et Salem, après avoir assuré la destruction de ses pièces, dut avec ses hommes battre en retraite, non sans pertes, sous le feu des mitrailleuses. A l’autre extrémité du front d’attaque, où le Corps Colonial parvint héroïquement à conserver la ville de Reims, mon frère Louis, observateur à l’escadrille de ce corps, fut gravement blessé dans un combat héroïque où il parvint, malgré sa blessure, à abattre l’avion allemand qui le poursuivait.

MdL Paul Gabriel Resal - né le 12 avril 1894 à Lyon (69) - Fils d'Eugène Resal et de Julie Gratiot - Profession avant guerre étudiant - Mobilisé au 18ème régiment d'artillerie, le 2 septembre 1914 - Nommé brigadier, le 1er janvier 1915 - Nommé MdL, le 10 octobre 1915 - Passé à l'aviation comme élèce pilote, le 16 février 1916 - Brevet de pilote militaire n° 4213 obtenu à l'école d'aviation militaire de Tours, le 11 août 1916 - Stage de transformation à l'école d'aviation militaire de Buc - Stage de perfectionnement à l'école d'aviation militaire d'Avord - Stage du tir aérien à l'école de Cazaux - Stage de haute Voltige à l'école de Pau - Pilote de l'escadrille N 83 du 7 février au 24 mars 1917 - Blessé en combat aérien, d'une balle à la tête, aux commandes d'un Nieuport 17, le 24 mars 1917 - Evacué sur l'hôpital 14 de Jonchery - Pilote de l'escadrille C 46 du 4 janvier à novembre 1918 - Commandant l'escadrille C 46 du 27 octobre à la fin 1918 - Chevalier de la Légion d'Honneur et une citation à l'ordre de l'armée, le 1er avril 1917 - Photo Paul Resal transmise par Jacques Resal, son fils.

 

Au front - 10 mai 1918

PAUL à JULIE

Me voici de retour à l’escadrille, depuis hier soir. Temps splendide. Je pourrai m’en désoler en pensant à ma permission plutôt pluvieuse. J’aime mieux m’en réjouir en me chauffant au soleil. Il y a eu du sport à l’escadrille, pendant mon absence : quatre combats, avec probablement deux Boches abattus, mais loin dans les lignes, et qui ne seront sans doute pas homologués.

En ce moment, front très calme. On se ballade pendant deux heures chez les Boches à 1500 m sans voir un seul Fritz. Quand on rencontre, loin chez eux, une patrouille de cinq ou six, c’est une aubaine, et immédiatement on lutte avec les Spad, à qui les atteindra le plus vite. Souvent, les Boches fichent le camp à notre arrivée. Le R XI doit commencer à défrayer les conversations dans les escadrilles d’en face. Nous venons d’apprendre l’exploit magnifique de Fonck : six Boches abattus en un jour ! Je m’en souhaite seulement la moitié pendant toute ma carrière !

Il y a à quelques mètres de ma fenêtre un rossignol qui chante toute la nuit, et qui s'exerce dans le jour. C’est extraordinaire ce que ce sifflet est varié. Il interprète, depuis le cri de l’âne jusqu’au bruit d’un pot qui se remplit d’eau, sans parler de la crécelle et du chant de tous les autres oiseaux. C’est assez gai !

Au front - 26 mai 1918

PAUL à LOUIS

Depuis deux jours, les nuages et la pluie nous permettent de nous reposer un peu, après trois semaines de boulot. Ces derniers jours, l’escadrille a eu la poisse : Tison, lieutenant observateur, très gentil garçon, tué d’une balle au cœur, à la première rafale d’un Boche, qui d’ailleurs a été descendu par Vitalis, l’as, mitrailleur arrière ; Astouin blessé, peu gravement, dans un combat contre cinq D III. Trois Boches abattus, un seul homologué jusqu'à présent.

Pour moi, je joue de malheur ; pas vu la queue d’un Fritz, et j’ai assis deux zincs. Le premier, sans scrupule : il devait être sérieusement déréglé, ne montant pas et les commandes répondant mal ; cela aurait pu se terminer beaucoup plus mal. Le second, par ma sottise : je revenais de patrouille, une heure et demie à 10 km chez le Boche - 3 éclats dans le zinc - et après Amiens j’ai passé la double commande à Poggioli, et j’ai été assez bête pour lâcher les commandes et regarder le paysage par derrière. Brusquement le zinc a glissé sur l’aile et a commencé une spirale anormale sur le nez ; j’ai fait les manœuvres nécessaires, mais ça n’a pas répondu. J’ai essayé de redresser aux moteurs, inutilement, tantôt sur une aile, tantôt sur l’autre ou sur le nez, et cela pendant prés de 1000 m. Tu devines que je n’étais pas fier, ni mon mitrailleur avant qui me regardait en souriant d’un air idiot. Enfin, me souvenant d’un accident survenu à un camarade à Pau, j’ai fini par m’apercevoir, en mettant le nez dans la carlingue, que le palonnier sur lequel je croyais m’appuyer, était coincé de travers : je l’ai raccroché avec le talon, ai tout remis au milieu, et le zinc s’est mis à planer à merveille. Mais pendant la chute, la pression des réservoirs était tombée à zéro ; j’ai essayé de pomper, mais va te faire foutre ! Les deux hélices en croix, à 400m au-dessus d’une petite vallée ; j’ai repéré un champ : à 20m, je m’aperçois qu’il se termine par un à-pic d’au moins quatre mètres. Je fais un petit virage, mais je tournais encore quand j’ai atterri sur deux roues seulement qui ont foutu le camp, et le zinc s’est assis sur le ventre.

Autrefois, je me serais frappé, mais, tout en étant empoisonné de cette aventure, je ne m’en fais pas autrement. Le capitaine m’a dit, pensant à Tison : "Bah, les accidents de matériel ça n’est pas grave.... !" Quoi de nouveau chez vous ? Ici, on s’attend, d’un moment à l’autre, au grand coup..... !

Au front - 28 mai 1918

Juste un an après le jour où nous devions prendre Laon, voilà les Boches qui entrent à Fismes, Jonchery et probablement Reims....Heureusement que le Français a bon moral envers et contre tout, mais je ne sais pas, diable, où il va le chercher ! J’espère tout de même qu’on les arrêtera avant la Marne  ! Quand est-ce que, Bon Dieu, on n’entendra plus parler de mouvement de repli !

Nous sommes, depuis deux jours, sur le qui-vive. Je voudrais bien qu’on n’hésite pas huit jours avant de nous envoyer là-bas. Ça me dégoutte de me balader et user mes moteurs, comme ce matin, pendant deux heures dans un ciel vide, alors que sur l’Aisne il doit y avoir un sacré boulot à faire. Le temps est revenu au beau, mais semble changeant ; qu’il ne pleuve pas à claques, pour notre contre-offensive !

Au front – le 1er juin 1918

Nous voici de nouveau à l’endroit où nous étions il y a un mois, mais le front s’est rapproché ! On ne distingue rien au sol que pas mal de fumée, mais en l’air il y a une quantité d’avions, surtout des nôtres. Je pense qu’il va y avoir du sport. J’attends avec une certaine oppression, le résultat de cette nouvelle bataille; c’est le gros assaut. J’aurais cru qu’on l’aurait mieux soutenu. J’ai hâte d’en voir la fin. Temps splendide. Les zincs gazent, mais, crénom....ce que ces Boches sont durs à bouffer ! Nous avons été dîner à Ermenonville; il faisait une belle soirée, et quelle paix, quel silence ! et quelle monstruosité que la guerre ! Nous remettons ça demain matin, pour en hâter la fin.

Au front - 3 juin 1918

J’ai patrouillé sur Soissons, avant-hier, et hier, j’ai accompagné un bombardement de Bréguet, à basse altitude. Temps splendide. J’ai livré combat pendant quelques minutes à 7 puis 9 monoplaces qui, bien sonnés par Poggioli, ne se sont pas approchés trop prés. Les Bréguet sont rentrés sans mal, et à l’atterrissage, ils sont venus nous remercier "de leur avoir sauvé la mise".

Il y a par ici, des spectacles d’évacués navrants. Un vieux et une vieille, dans leurs plus beaux habits, voyageant dans une charrette de foin, avec une autre femme et quatre tout petits enfants; ils ont demandé au bistrot où nous mangions, qu’on leur serve à dîner; il n’y avait plus rien. Nous leur avons donné une boule de pain et quelques autres choses; puis ils ont repartis dans leur charrette de foin. Il était dix heures du soir. Les vieux avaient l’air hébétés, et les marmots pleurnichaient.

Hier j’ai reçu quelques balles dans un longeron, de sorte que me voici encore sans zinc, aujourd’hui. J’ai eu aussi un câble de gauchissement, coupé. Je suis rentré en douce, sans cherrer, et n’ai pas été fâché quand je me suis senti reposer très confortablement sur mes quatre roues et la béquille ! Je comprends qu’à Paris on ne fasse plus attention au canon. Il n’y a rien de tel qu’un grand danger, pour vous faire oublier un petit.

Au front - 6 juin 1918

J’apprends avec peine que tu as été blessé. J’espère que tu ne souffres pas trop, et que tu ne t’en ressentiras pas plus tard. Si tu as la force et le cœur d’écrire, réponds-moi là-dessus. Avant d’avoir été mis hors de combat, tu as fait payer cher au Boche ton sang, et, d’avoir abattu un deuxième avion doit être pour toi une grande satisfaction. Tu l’avais échappé belle bien des fois. Tu as relativement de la chance de t’en tirer, cette fois-ci, à ce prix-là si ta blessure n’est pas grave. Je ne te cache pas que je me faisais pas mal de bile pour toi, te sachant au 1er C.A.C. et faisant de la liaison d’infanterie en Sop. Tu peux être fier de t’être battu avec ce corps qui a tenu bon à Reims, faisant l’admiration de tout le front. J’espère bien que c’est ta Croix. Peut-être l’as tu déjà ? Pour nous, calme relatif depuis quatre ou cinq jours. Les Boches sont venus nous bombarder la nuit. Beau mais triste spectacle que l’incendie des hangars ; pas de victimes ni d’avions abîmés. Nous nous attendons à un nouveau choc des Boches. Tout le monde a l’impression qu’ils veulent en finir ; on prévoit trois ou quatre mois durs, mais on doit tenir le coup en concentrant toute sa force et son énergie.

Commentaires de Paul Resal :

Après la dure algarade de juin, le front s’était un moment stabilisé et le ciel était relativement calme. Je parlai un jour à un camarade, le capitaine Lafon, de notre tactique de patrouille à quatre et il me dit qu’il serait heureux que nous fassions une patrouille combinée de Spads et de R XI, ceux-ci devant assurer la couverture des premiers : les monoplaces ne tirant que par-devant, les pilotes de chasse étant obligés de regarder constamment en arrière pour éviter d’être surpris, notre présence leur permettrait de rechercher l’ennemi avec plus d’attention, se sachant protégés eux-mêmes contre une attaque imprévue. J’acceptais avec plaisir et Lafon partit avec deux de ses pilotes. Je rejoignis accompagné de mon fidèle Dupart. Tout alla bien jusqu’aux lignes, mais là, suivant leur habitude, les Spads se mirent à virevolter : ces appareils légers étaient très maniables et les pilotes, plutôt que de se donner le torticolis en regardant derrière, trouvaient plus commode de faire tourner constamment leur appareil à gauche et à droite. Je fus obligé de faire comme eux pour ne pas les perdre de vue, mais le R XI, très maniable pour un gros appareil, n’en pesait pas moins ses deux tonnes et, faire des virages serrés demandait un certain effort. Or je dus faire cette manœuvre presque toutes les deux minutes et, au bout d’une heure, j’en avais plein les bras. Nous volions dans un secteur relativement étroit à l’est de Montdidier et, au bout de peu de temps, la DCA , qui renonçait le plus souvent à poursuivre ces moustiques tournoyants qu’étaient les monoplaces, trouvèrent dans les deux gros R XI une cible digne d’intérêt et, comme nous volions toujours à peu près à la même place, elle eut beau jeu pour nous marmiter copieusement. Au souci de prévenir autant que possible les coups s’ajoutait toujours la peine que j’avais à suivre ces maudits Spads, qui montaient, descendaient, tournaient, filaient dans une autre direction, disparaissaient, réapparaissaient en arrière. J’étais toujours d’une aile sur l’autre et n’avais pas un moment de tranquillité pour voler droit cinq minutes. Dupart me collait merveilleusement, séparé souvent de moi à cinquante mètres par des éclatements à travers lesquels il passait comme si de rien n’était. Je commençais à être crevé et m’attendais à voir d’un moment à l’autre surgir une patrouille boche attirée par les éclatements. A un moment où les éclatements nous serraient plus près, pendant que, à la verticale, je cherchais des yeux Lafon, mon mitrailleur, Jourde, un bordelais plein de cran, me cria quelque chose dans l’oreille. Je crus qu’il était blessé ou qu’il voulait me montrer quelques éclats dans l’appareil et je réduisis les gaz quelques secondes pour entendre ce qu’il me disait. Il me cria « Mon lieutenant, est-ce que je pourrai aller à Paname ce soir ? » Je ne ris qu’après, mais sur le moment, furieux, je remis la sauce et continuai ma ronde. J’admirais la liberté d’esprit de ce brave garçon qui, dans ce vol infernal, pensait à sa petite amie qu’il avait envie d’aller voir le soir. Nous volions depuis près de trois heures, j’avais les bras rompus et étais énervé au-delà de ce que l’on peut dire. Ce diable de Lafon continuait de chercher des Boches, hélas en vain, et, ce n’est qu’à bout d’essence qu’il se décida à rentrer. Malgré ma déception que nous n’eussions pas pu livrer combat, mon retour fut un véritable plaisir et je laissai mon R XI voler bien sagement sans avoir ce jour-là envie de faire quelques fantaisies. A l’atterrissage, Dupart sortit de son appareil en titubant sur ses jambes, vint à moi en riant et se laissa tomber assis par terre pour montrer à quel point il était rompu lui aussi. Lafon me téléphona un quart d’heure après pour me dire son enthousiasme pour cette patrouille où il m’avait vu constamment au-dessus de lui, me disant qu’on recommencerait. Je lui dis que j’étais enchanté aussi de cette première patrouille, mais qu’elle serait aussi la dernière tant que je n’aurais pas un appareil pesant moins de une tonne. Quant à Jourde, il put aller à Paname, mais, pour rétablir la vérité historique, je dois dire que j’avais mal entendu ce qu’il m’avait crié dans l’oreille et qu’il m’avait dit "Mon lieutenant, n’oubliez pas que je vais à Paname ce soir !", trouvant sans doute que les éclatements trop rapprochés commençaient à compromettre son rendez-vous. L’histoire est drôle quand même.

Les Boches, qui avaient franchi la Marne entre Château Thierry et Epernay, avaient construit des ponts en bois dont le tablier était à quelque dix centimètres au-dessous du niveau de l’eau pour qu’ils fussent invisibles aux observateurs terrestres, mais on les voyait très bien d’avion et, entre autres missions, nous devions aller reconnaître ces ponts tous les jours et l’on devine si, sur ce secteur de quarante kilomètres, le front était bien gardé. Les combats étaient incessants. Deux de nos équipages durent atterrir en flammes (la disposition des réservoirs à essence, placés derrière chaque moteur, laissait le fuselage en dehors d la zone d’incendie, ce qui permettait le plus souvent au pilote d’atterrir et même de regagner nos lignes). Un pilote et deux mitrailleurs furent blessés et deux avions ennemis descendus par l’escadrille. On volait souvent deux fois par jour avec la quasi-certitude de livrer combat, et la fatigue, comme la tension nerveuse, étaient extrêmes. J’eus un jour une défaillance. Chargé encore une fois de faire la reconnaissance de ces maudits ponts, un jour que le ciel était chargé de nuages et la visibilité mauvaise, je rentrai au terrain en déclarant que je ne pouvais utilement assumer ma mission, ce en quoi j’étais persuadé. A la vérité, en d’autres circonstances je l’aurais tentée à basse altitude ou même au-dessus des nuages, quitte à n’observer que ce que j’aurais pu à travers les trous. Mais, ce jour-là, je m’étais  "dégonflé".

Je pense que peu de pilotes peuvent se flatter de n’avoir jamais connu de telles défaillances et même peu de "poilus". J’en prends à témoin mes deux frères Salem et Louis, réputés tous deux pour leur cran dans leur unité et plusieurs fois cités pour leur courage. Salem me confia qu’à Verdun, après plusieurs semaines de bombardement incessant, il était un jour dans sa cagna quand il reçut l’ordre de tirer, alors que sa batterie était elle-même soumise à un feu violent et qu’il ne put, malgré ses efforts, se décider à aller à sa pièce. Quant à Louis, qui était volontaire pour toutes les missions périlleuses, suivant la formule classique des citations, il écrivait à notre sœur Mériem que, pendant la bataille de la Somme où son escadrille avait beaucoup donné et subi des pertes sérieuses, il lui en coûtait beaucoup maintenant de monter en avion et qu’il lui était arrivé une fois, avant de partir, de pleurer sans pouvoir s’arrêter. Cela montre bien la fatigue et l’épuisement nerveux auxquels conduisait une bataille longtemps soutenue et qui atteignait la limite de résistance des plus courageux. Turenne aussi avait une « carcasse » qui renâclait quelquefois et les batailles de son temps ne duraient pas des semaines !

Après l’attaque éclair que les troupes françaises lancèrent de Montdidier vers l’Est dans le flanc de l’armée allemande, celle-ci dut arrêter sa progression vers le Sud et des combats acharnés se poursuivirent pendant des semaines entre Soissons et Reims. J’eus l’occasion, à cette époque, de vérifier encore une fois l’excellence de la formation que j’avais préconisée.

J’avais à effectuer une reconnaissance importante à relativement basse altitude dans la région de Fère en Tardenois et je pris avec moi mes trois fidèles équipiers. A 2000 mètres d’altitude, le spectacle de la bataille à terre était assez poignant. La quantité d’obus qui éclataient presque simultanément était telle que le sol, entre Loupeigne et la Fère fumait dans un cercle de dix kilomètres. Nous ne tardâmes pas à être rattrapés par une patrouille de six monoplaces allemands. Ils nous attaquèrent de flanc et aussitôt nous leur présentâmes le front en retraite habituel. Devant le feu de nos seize mitrailleuses, ils se tinrent à distance respectueuse, tirant de loin et cabriolant sans oser se rapprocher. Au bout d’un instant, je décidai de reprendre notre route que nous avions dû abandonner et nous nous replaçâmes dans notre formation de marche en ligne oblique. Ils revinrent à la charge et nous refîmes la même manœuvre. Ils restèrent encore hors de portée de nos balles et je repris encore ma route. Cette fois-ci ils n’insistèrent pas et se contentèrent de voler à notre côté à quelque deux ou trois cents mètres et nous accompagnèrent tout le temps de notre mission sans oser reprendre le combat. Nous n’eûmes malheureusement pas l’occasion d’en descendre, mais nous pûmes accomplir notre mission, ce qui était déjà un succès. A l’atterrissage, mes équipages manifestèrent une joie exubérante de ce petit triomphe.

L’Etat Major dont nous dépendions à cette époque, avait donné l’ordre d’aller photographier les ponts de la Marne et un officier était venu spécialement à l’escadrille pour effectuer cette mission. Je le pris à mon bord et, malgré un temps d’orage très menaçant, nous partîmes, accompagnés de trois R XI. Le ciel ne cessait de s’obscurcir et, avant que nous n’atteignions la Marne , de gros nuages noirs soudés ensemble dressaient devant nous comme un mur. Bientôt, des éclairs se mirent à sillonner cette masse noire. Je n’en continuai pas moins ma route, mais il me parut impossible que nous puissions accomplir notre mission. Déjà je ne voyais plus le sol en avant du plan inférieur de mon avion tellement l’atmosphère s’était obscurcie devant nous. Mais je ne voulais pas prendre l’initiative du retour et je me demandais si mon observateur avait vraiment l’intention de s’enfoncer dans ce ciel noir scintillant d’éclairs, quand il me fit signe de faire demi-tour. J’avais à peine amorcé mon virage que, tournant la tête, je vis mes trois RXI inclinés verticalement sur l’aile ayant tous virés en même temps avec une promptitude qui me fit éclater de rire. Ils devaient avoir tous trois, depuis un bon moment, le pied sur le palonnier et l’œil sur moi dans l’attente impatiente du signal de retour. Nous avions atterri depuis une demi-heure à peine quand l’orage nous rejoignit et qu’il se mit à tomber une pluie diluvienne accompagnée de très gros grêlons.

Au front - 13 juin 1918

Le temps semble au beau fixe pour la fin de l’année; ces Boches ont toutes les veines, dans leurs offensives. Guillaume pourra donner la Croix de Fer à Von Gott. Nous aurions pourtant besoin de trois jours de pluie pour nous reposer, retaper les zincs et respirer frais. Nous faisons un peu de tout : guet sur un large front, de l’Ourcq à Montdidier, ce qui est intéressant; patrouilles de reconnaissance et protection de Bréguet de bombardement.

Il y a trois jours, par un temps de cochon - vent, nuages bas, orage menaçant et mauvaise visibilité - quatre groupes de bombardement ont pris l’air à la même heure, pour bombarder les rassemblements boches, en même temps que toute l’escadre de chasse (trois groupes) qui devait faire un plafond au-dessus des bombardiers. Nous, les R XI, devions assurer la protection immédiate des Bréguet, en volant juste au-dessus. Je suis arrivé le premier sur les lignes, avec un autre R XI. On a fait peur à un biplace, qui s’est sauvé bien vite ; puis on était en train de s’expliquer avec six monoplaces pas très mordants, quand on a commencé à voir arriver, par paquets de sept à dix, les 150 ou 200 appareils de chasse et de bombardement. Les Boches sont vite retournés le dire chez eux. Ce fut un beau spectacle, surtout dans ce décor de gros nuages, au milieu de la brume ; quelques obus boches pétant à tord et à travers au milieu de nous, et une épaisse fumée au sol attestant seule la bataille des rampants.

Au moment de rentrer, j’ai assisté à un accident terrible : deux Bréguet se sont heurtés, à 150m de moi à peine. J’ai vu nettement la queue de l’un s’envoler d’un côté, pendant que la cellule et le moignon de fuselage tombaient lentement en vrille. Je l’ai suivi des yeux jusqu’au sol, et tu ne peux pas te figurer comme ce temps m’a paru long. Il me semblait qu’il n’arriverait jamais en bas, et je me représentais, pour l’avoir éprouvé une fois, ce que les deux pauvres types devaient ressentir dans leur carlingue. L’autre appareil est tombé beaucoup plus vite. C’est la guerre.... !

Au front - 26 juin 1918

Il fait beau temps avec du soleil, mais les nuages empêchent souvent de voler. J’ai fait, hier matin, un vol promenade, à 5 km chez le Boche pendant une heure, à 2500 m. Pas un Fritz, et quatre coups de canon à 500 m sous moi. La guerre, cette année, est intermittente. En ce moment dans le secteur, c’est nettement la paix.

Au front - 2 juillet 1918

Il fait toujours un temps implacablement beau. Mais, comme le secteur est toujours calme, on a tout de même le temps de se reposer. Hier, j’ai été à Paris chercher un zinc pour le capitaine. C’est une petite distraction. Deux jours avant, j’ai eu la carafe à un de mes moteurs, et j’ai été obligé d’atterrir sur un autre terrain (Sacy-le-Grand), où j’ai retrouvé des camarades. Autre distraction. Il y a trois jours, j’ai vu Cahois, adjudant, et dont l’escadrille est par ici. Nous avons été faire un tour en bateau, il en paraissait ravi. Drôle de guerre ! La veille, un obus m’a pété si prés que j’en ai pensé avoir l’oreille cassée, et qu’une corde à piano, grosse comme un petit crayon, en a pris un vieux coup et est restée toute tordue. C’est assez curieux et rare. C’est, de plus, une petite distraction et un petit souvenir.

Au front - 8 juillet 1918

Nous quittons Boran, pour aller une fois de plus planter notre tente ailleurs. Le capitaine étant en permission, d’accord avec le lieutenant Hostein qui le remplace, je fais faire des patrouilles de chasse. Je préconise des vols à quatre R XI : mais le vol de groupe est assez délicat avec cet appareil très rapide, dont la visibilité est mauvaise pour le pilote, entouré par les plans et les deux moteurs. Alors, je fais voler deux R XI ensemble, et deux autres à 50 mètres au-dessus et un peu en arrière et de côté. En cas de combat, on se rassemble très rapidement. Mais il faut un grand entraînement et, depuis plusieurs jours, je vole avec les trois meilleurs pilotes, pour mettre la chose au point. Malheureusement, le temps n’est guère favorable ; il ne veut pas pleuvoir, mais l’air est saturé d’humidité, de sorte que la visibilité est pitoyable. Brume à partir de six heures du matin, ensuite, nuages, rebrume, orage.

Hier, nous avons décidé de voir si au petit jour il ne ferait pas meilleur ; et les boches, qui, à ce moment, ont le soleil pour eux, sortent parait-il. Nous sommes partis presque à la nuit (à 4h) ; mais encore la poisse. Brouillard au sol, brume, nuages. Mais la patrouille a gazé à merveille, et j’ai obtenu le résultat que je voulais. Nous sommes allés à une dizaine de km chez le Boche, mais malheureusement, pas la queue d’un Fritz. Je me sentais capable de livrer combat à dix Boches, dans des conditions favorables, tellement les trois autres manœuvraient bien. En attendant que les Boches se montrent, je vais en entraîner d’autres. C’est agréable d’être officier, pour pouvoir ainsi réaliser des choses qui vous paraissent bonnes. Et puis, c’est un plaisir de commander des garçons qui pètent le feu ; ils feraient même des bêtises si on ne les retenait pas. Ce qui me console, c’est que les escadrilles de chasse ne font rien en ce moment : pas un Boche. C’est le calme avant la tempête.

Au front – le 16 juillet 1918

Voici de nouveau la guerre. Nous sommes, pour une fois, arrivés au bon moment. L’attaque, cette fois-ci, était exactement prévue, et l’on espère que ce sera un bec pour le Boche. Il fait beau, et çà vole

Au front – le 16 juillet 1918

Tu dois être encore au bon endroit ! Jusqu’ici on a remarquablement tenu le coup. Je suis aussi dans le secteur. Dès que tu seras relevé, écris-le moi ainsi que ton cantonnement. Hier, vers 6h du matin, j’ai fait avec quatre autres appareils, la reconnaissance des ponts de la Marne. J ’ai eu un combat avec six Fritz, sans résultats (quelques balles dans mon zinc). Aurais-je jamais pensé que je me battrais au-dessus de la Marne ? Encore un mois dur à passer, et nous apprécierons mieux notre perm., si nous pouvons l’avoir ! Ainsi soit-il....Amen !

Au front - 17 juillet 1918

Temps d’orage. Chaleur humide, assez pénible, mais je la supporte assez gaillardement à mon grand étonnement. Tout le monde se promène en pyjama. Jusqu'à 1000 m il fait, en l’air, la même chaleur qu’au sol, ce que je n’avais encore jamais vu. Le vent est chaud, on a l’impression d’être devant une bouche de chaleur. Au départ, c’est assez curieux (très embêtant pour les moteurs qui chauffent terriblement) ; mais quand on redescend, brusquement on a l’impression d’entrer dans un bain chaud. Hier, je me suis expliqué avec cinq Boches, au-dessus de la Marne ! Cet après-midi, je suis parti à la tête de six R XI pour photographier les ponts de la Marne , entre Château-Thierry et Epernay. Malheureusement, nous avons rencontré une série d’orages que j’ai dû contourner, et quand je suis arrivé aux lignes, il pleuvait à torrent et çà éclairait de partout. Je suis rentré, suivi de mes fidèles protecteurs, dans ce décor tragique assez impressionnant.

Le soir, après dîner - il ne cessait de tonner depuis notre retour - il s’est mis à pleuvoir terriblement, avec un vent qui a fichu deux petites baraques par terre, des éclairs de tous côtés et surtout, pendant une minute, des grêlons gros comme de grosses noisettes. Je frémis en pensant que cela aurait pu arriver trois heures plus tôt. Nos zincs auraient été hachés et retournés en l’air, je crois. La bataille gaze dur, mais bien. On tient, c’est une victoire. Demain, on doit faire mieux. Çà serait magnifique. Une fois de plus, nous déménageons demain matin, pour aller à 30 km d’ici. J’espère que nous pourrons gazer demain après-midi. J’ai fait admettre par le capitaine les sorties en masse (6 R XI) ; j’avais entraîné les pilotes à voler en groupe, pendant son absence (permission). Je crois que çà va gazer, et que les Boches nous sentiront passer ; ils nous verront passer, en tous cas.

Au front - (Romilly) – le 17 juillet 1918

La guerre a repris depuis deux jours. Hier, sur la Marne , j’étais à sept kilomètres chez le Boche ! Je me suis expliqué avec six Pfalz qui n’ont pas insisté outre mesure, quand ils ont reconnu Poggioli. Quatre balles dans mon zinc. Avec déjà une douzaine d’éclats d’obus, il a droit à un grand nombre de brisques. On tient assez bien le coup cette fois-ci, et tout le monde est content.

Brusco est en permission. Hostein est allé chercher un zinc. Le capitaine est en liaison toute le journée. Je suis presque chef d’escadrille, au moins pour les appareils. C’est un sacré boulot, mais assez excitant. Par déveine, il y a des tas d’appareils en réparation. Je me fais un peu de cheveux. Heureusement qu’un bon orage, depuis deux heures, me donne le répit de rendre disponibles les six appareils de la prochaine mission. On est grandement récompensé de la peine qu’on se donne et des soucis qu’on s’impose volontairement, par le résultat qu’on obtient, en particulier sur le moral – dans la circonstance l’allant et le cran - de son monde. Il fait une température écrasante. La bataille continue dure, mais on tient le coup. Ici, je me suis levé, depuis quatre jours, trois fois à 3 h ½, et on ne se couche guère avant 22 h. Il est bon de s’être reposé d’avance, comme nous l’avons fait pendant les trois jours passés en Brie. Voilà un nouvel orage. La baraque craque. Nous n’aurons pas de Gothas ce soir, all right !

Commentaires de Paul Resal :

En juillet, les Allemands firent en Champagne une nouvelle grande attaque, mais ce fut un échec pour eux et nos troupes reprirent à ce moment l’offensive. Le sud de la Marne fut dégagé ("Enfin on ne nous emmerdera plus avec les ponts de la Marne !" me dit mon mitrailleur Poggioli) et les Allemands commencèrent à être repoussés petit à petit vers le Nord.

Un officier du Quartier Général vint un jour donner l’ordre de faire une reconnaissance pour vérifier que nos troupes étaient parvenues jusqu’à la route d’Oulchy le Château. En raison de l’importance de cette mission, le capitaine décida de faire partir simultanément deux patrouilles, l’une sous mon commandement, l’autre dirigée par mon camarade Blitz, lieutenant observateur, dont le pilote était un sous-officier. Je proposai à Blitz que nous fassions notre vol ensemble, ce qui augmentait nos chances, en cas de combat. Il accepta et me dit que, comme officier observateur, il serait en tête. J’eus l’imprudence d’accepter. Nous volions depuis cinq ou dix minutes au nord-ouest d’Epernay, quand je fus étonné de voir autour de moi des traînées lumineuses montant verticalement : c’était des balles tirées du sol, chose que je n’avais encore jamais vu, car nous ne volions jamais au-dessous de 1500 mètres ; puis, ce furent des coups de canon et enfin, alors que nous volions en bonne formation, moi immédiatement après Blitz, dont j’assurais la protection, nous fûmes rejoints par une patrouille de six monoplaces boches qui avaient l’air assez résolus. Ils nous attaquèrent tout de suite par notre flanc droit et, je ne sais pourquoi, me prirent le premier pour cible. Le pilote de Blitz aurait dû à ce moment là faire la manœuvre de conversion qui, précédemment, nous avait si bien réussi. Mais Blitz s’occupait de son observation, son pilote continuait tout droit sa route et je ne savais quel parti prendre ; si je tournais à gauche, les six avions qui me suivaient auraient fait la manœuvre, mais Blitz, continuant comme un étourneau, se serait trouvé seul et aurait été immédiatement assailli par la patrouille ennemie. Je lui avais dit que je le protégerais et je ne pouvais le quitter ; et déjà trois Boches, à une centaine de mètres, commençaient à me mitrailler par mon flanc, pendant que Poggioli, qui ne pouvait efficacement tirer de côté, me martelait l’épaule gauche pour m’inviter à tourner. J’étais dans une angoisse terrible, ne pouvant me résoudre à abandonner Blitz et me voyant près d’être descendu pour ne m’être pas défendu. A ce moment, je vis deux grandes formes se développer à ma droite, interceptant la vue des trois Boches : les deux R XI qui me suivaient – toujours Dupart et Sitterly – devinant mon impossibilité de manœuvrer, étaient venus se placer entre les monoplaces allemands et moi, puis avaient fait un à gauche pour livrer le combat que je ne pouvais soutenir. Je ressentis une telle émotion que mes yeux se remplirent de larmes (les verres de mes lunettes en furent tout embués) et, le cœur bouleversé, je me rapprochai de Blitz et continuai de le coller pendant que derrière nous se livrait le combat entre six Boches et les six R XI. Je les perdis très rapidement de vue et achevai la reconnaissance avec Blitz sans faire d’autres mauvaises rencontres. Malheureusement, n’ayant plus de chef pour les guider, les R XI ne se formèrent pas bien en bataille et livrèrent un combat en ordre dispersé ; alors que nous aurions dû en descendre, ce fut un des nôtres qui fut obligé d’atterrir en flammes dans les lignes boches. Je me reprochai amèrement d’avoir cédé à la demande de Blitz avant de partir et de n’avoir pas pris le commandement de la reconnaissance. De ce jour, je n’acceptai plus jamais d’être en second.

La reconnaissance que nous avions faite avait, paraît-il, été très utile en précisant les points où nos troupes étaient parvenues. Nous étions rentrés à la nuit tombante, après trois heures de vol, et la sérénité du crépuscule, au retour dans nos lignes, faisait un contraste singulier avec la tension que nous avions connue au début de la patrouille et pendant la suite de cette reconnaissance où nous avions été sérieusement canonnés. J’éprouvais, dans le calme de l’air du soir et au ronronnement de mes moteurs tournant au ralenti, cette espèce de béatitude que l’on ressentait chaque fois que l’on revenait d’un vol où on avait livré combat ou rempli une mission difficile, exaltation qui se prolongeait longtemps après l’atterrissage, véritable joie intérieure que ne pouvait troubler la nouvelle que les affaires allaient mal ailleurs. Si la chose qu’on avait à faire était réussie, on ne se souciait pas de ce que les autres n’avaient pas pu faire. Ceci est dans l’ordre, car il aurait été mauvais qu’une inquiétude ou une sensibilité inopportune vienne affaiblir votre propre force combative. C’est ainsi que la mort même de camarades était supportée avec une sorte d’indifférence voulue parce qu’il n’était pas bon que l’on s’attendrît sur le sort d’un autre qui pouvait être le vôtre demain.

Les bombardements aériens continuaient dans la région au nord-ouest de Soissons et nous fûmes de nouveau affectés à la protection des Bréguets. Le temps était à cette époque assez mauvais, ce qui n’empêchait pas les bombardiers de poursuivre leurs missions. J’accompagnai un jour un groupe de trois escadrilles et nous trouvâmes à l’est de Montdidier un plafond de nuages. Les Bréguet passèrent par-dessus et continuèrent leur route. J’ai dit la difficulté qu’avaient les R XI à voler dans la brume à cause de leur instabilité. La mer de nuages se prolongeait devant nous et je pensais avec inquiétude au retour, quand il faudrait traverser cet épais brouillard. Enfin les Bréguet firent demi-tour après avoir tournoyé au-dessus de leur objectif. Je n’assurerais pas qu’ils ont dû l’atteindre exactement, mais les Boches ont dû être singulièrement surpris de voir des bombes tomber des nuages. Au retour, je vis par chance une fissure par où j’aperçus la terre. Je me précipitai dans ce trou et, tantôt sur le nez et tantôt sur l’aile, je dégringolai pendant près de 2000 mètres , qui étai l’épaisseur de la couche de nuages et me trouvai à quelque 800 mètres pour rentrer à l’escadrille.

Peu de jours après, dans une nouvelle expédition, le plafond des nuages étant à 600 mètres , les bombardiers restèrent dessous et, collant au plafond, accomplirent leur mission sans crainte d’être attaqués par des avions venant de dessus. Au retour, je passai sur Soissons où les combats étaient intenses et survolai à moins de 300 mètres les tranchées qui avaient l’air de bouillir sous l’effet d’un tir d’artillerie de gros calibre. Nous fûmes pris à partie par une mitrailleuse de terre qui nous seringua de telle façon qu’une balle vint frapper mon palonnier (ce qui me donna un choc très désagréable dans les jambes) et que mon mitrailleur arrière eut la jambe traversée de deux balles, ce qui ne l’empêcha pas, avec sa double mitrailleuse de faire taire celle qui nous tirait dessus. Je voulus atterrir sur le plus proche terrain pour qu’il put être pansé, mais il me cria dans l’oreille qu’il préférait que nous rentrions à l’escadrille. Afin de ne pas perdre de temps, je rentrai en ligne droite en survolant à 200 mètres la forêt de Villers Cotteret dans toute sa longueur, ce qui, en d’autres circonstances, m’aurait beaucoup coûté, car, en cas de défaillance d’un moteur (chose qui arrivait à l’époque) il m’aurait fallu me poser sur les arbres, ce qui est assez chanceux…Le sentiment que mon devoir m’obligeait clairement à faire cette imprudence me laissait tout à fait en repos, et je pus jouir à loisir de ce spectacle curieux des arbres d’une forêt par-dessus et je fus étonné de la quantité incroyable de gens, de matériel, de chevaux que l’on apercevait dans les clairières.

Au front - 20 juillet 1918

Çà gaze fort dans le secteur, mais bien.. Le temps nuageux, venteux, clair ou orageux, n’empêche pas de voler. Tous les jours, depuis le 15, nous allons reconnaître l’arrière front boche et les mouvements de troupe. Le 15, on a trouvé spirituel de nous faire déménager encore une fois, pour aller à 30 kilomètres à l’ouest, à Romilly-sur-Seine. Le soir, vers 16h, un peu fatigués par l’installation et une sacrée chaleur, on reçoit l’ordre de reconnaître entre Château-Thierry et Soissons. Un commandant du Q.G. venant donner l’ordre, nous dit que les Boches foutent le camp, et qu’ils doivent être sur la route d’Oulchy-le-Château. Il anticipait. Nous partons à six, (deux patrouilles volant de conserve) et gazons bravement à 1500m au-dessus de la dite route, fort étonnés de nous faire sonner par les mitrailleuse de terre, tirant à notre gauche. Puis du canon, puis des Boches. Combat. Un camarade obligé d’atterrir dans nos lignes. On tourne sur Soissons et l’on s’en revient. En rentrant, nous apprenons que décidément nos troupes n’avaient pas avancé aussi loin qu’on croyait, ce que nous avions bien constaté. Je n’ai jamais été si copieusement sonné à coups de canon, sauf une fois, mais c’est très consolant de voir que cela ne fait pas grand mal.

Grande attaque, ce matin. Pas encore de nouvelles, mais si le but assigné est atteint, ce sera splendide. Le Boche est très démoralisé, paraît-il, ce qui n’étonne personne. 22 heures. Un vent à faire décoller les Bessoneaux, m’a empêché de gazer, ce soir. Un camarade, qui revient de liaison, rapporte des tuyaux excellents. Plus de Boches au sud de la Marne. Convois se débinant vers le nord. Le bruit court que Château-Thierry serait repris. Je pars demain matin, le reconnaître. Tout le monde a le sourire.

Au front – le 20 juillet 1918

Cette fois-ci c’est la victoire. Tout le monde a le sourire. On explique furieusement le coup mais cela fait du bien. Quel plaisir de voler sur un champ de bataille où nous avançons. Jusqu’à présent je n’avais survolé que notre retraite. Vraiment je commence à entrevoir la fin victorieuse, qui jusqu’ici me paraissait un rêve n’existant que par notre volonté de vaincre. Avant-hier, au début de la contre attaque, je pars pour une reconnaissance avec cinq autres R XI. On nous avait dit que nos troupes devaient être sur la route Château-Thierry Soissons. On anticipait. A 1500 m, à 10 Km chez le Boche, nous avons fait un raid pas ordinaire, sonnés par les mitrailleuses de terre, le canon et des Boches. Pas de mal, mais ce fut un beau raid et les Boches ont dû être suffoqué de notre culot inconscient. Reims, j’espère, va être dégagé. Ça aura été un symbole que sa cathédrale tenant le coup contre tout espoir, et non en vain. Les perms, je crois, sont supprimées, mais personne n’y pense. Nous avons déménagé une fois de plus avant-hier, ce qui ne nous a pas empêché de gazer l’après-midi sur les lignes. Nous sommes à Romilly sur Seine. J’espère que nous déménagerons bientôt pour aller plus au nord. Personne ne s’en plaindra cette fois-ci.

Au front – le 22 juillet 1918

Cela continue à bien marcher bien que les Boches semblent se ressaisir. On pense qu’ils se retireront, au moins jusqu’à La Fère, ce qui dégagerait la vallée de la Marne et Reims. Quel bec, pour le Boche ! Guillaume doit dire pour la seconde fois et moins glorieusement que Cambronne : Ben, Marne alors ! Des renseignements disent qu’ils escomptaient prendre Chalons, s’établir solidement à 10 Km au sud de la Marne pour marcher vers l’ouest.

On a fait prisonniers des intendants qui suivaient de près les troupes d’attaque pour s’emparer des approvisionnements dans les villages et empêcher la troupe de les piller. Un ordre du jour boche dit que : "le pays est privé des ressources les plus nécessaires et que les armées victorieuses doivent s’efforcer de se subvenir à elles-mêmes en organisant la répartition des subsistances qu’elles trouvent dans les pays conquis". Je note cet aveu parce que je ne lis pas dans un journal.

J’ai volé ce matin au NO de Château-Thierry – je ne savais pas encore que c’était sur des lignes reconquises. Mais sur Soissons ils sont méchants et ne semblent pas vouloir lâcher le morceau. Il y a du Boche et ils ont encore des munitions. En rentrant de cette reconnaissance par Epernay, la Marne , etc., j’ai atterri vent dans le dos (il avait tourné) ; J’étais trop long et j’ai heurté un Breguet. Pas de mal, sauf pour les zincs. Mais il y en a d’autres et cela ne m’empêchera pas de gazer demain. L’escadrille a la poisse depuis huit jours : c’est le troisième zinc bigorné par accident idiot. Mais çà ne ch…pas. Visibilité merveilleuse : à 2500 au-dessus de Château-Thierry je voyais le coude de la Marne de La Ferté , Soissons et la place de Reims, et Epernay et Romilly sur Seine. Belle leçon de géographie !

Au front - 29 juillet 1918

La vie est quotidienne et le temps indécis. Hier, j’ai fait une reconnaissance Soissons - Père, par un temps de cochon. Je suis resté en l’air 2h ½. Je crois que c’est un maximum, en R XI. J’étais vanné en rentrant, et Dupart, qui m’accompagnait, ne tenait plus debout. Plafond à 1800 m, et séries de gros nuages entre 1000 et 1800 m. Visibilité très moche. Nous naviguions, en contournant les nuages, par-dessus ou sur le côté, et çà chahutait ferme. Pas un Boche et, à mon grand étonnement, un assez grand nombre des nôtres (Corps d’Armée et Spad).

Le pays, jusqu'à 15 ou 20 km à l’ouest de la route Soissons à Château-Thierry, est uniformément grêlé, comme la figure de quelqu’un qui a eu la variole, sans compter les endroits retournés et pilés. J’ai volé hier à 1200 m, ce qui est relativement bas pour nous. C’est autrement intéressant que de faire de l’altitude. Ce matin, grand bruit vers l’est. C’est la 10ème Armée qui attaque. Nous devions faire une reconnaissance Soissons et Fère. J’espère que nous la ferons, dix km plus à l’est.

 Au front – le 31 juillet 1918

Il fait un temps tout à fait désagréable. Une brume orageuse de 2000 mètres d’épaisseur. Il fait lourd. On pourrait croire qu’il fait beau. On vole mais on ne voit rien du tout. Du côté du soleil cela fait un écran lumineux qui éblouit. De l’autre côté un mur noir. En dessous on ne voit rien non plus : après un long effort on devine des routes et des bois. C’est odieux de voler par ce temps là ; et la pluie ne veut pas se décider à tomber pour laver l’atmosphère.

Hier nous avons été au Plessis Belleville pour une remise de décorations – Nungesser, Boyan, Guérin et quelques autres – notre capitaine. J’y ai retrouvé plusieurs camarades d’autrefois qui me croyaient morts. L’un m’a dit que ma "descente" était historique dans l’aviation. Pas moinsse ! Ré coquin de diou ! Avant-hier j’ai été passer quatre heures à Paris – acheter la Croix du capitaine, voir mon dentiste et faire un tour sur le Boulevard. La veille, à la même heure, je me promenais comme un pauvre bougre au milieu des nuages noirs à 1200 m au-dessus de Buzancy et le lendemain de même sur Loupeigne. Quelles drôles de différences dans la vie d’un jour à l’autre.

Au front - 1er août 1918

La guerre continue. Hier, il y avait moins de brume et nous avons pu faire un vol intéressant. Toujours reconnaissance de l’arrière front, Ambrief, Loupeigne. Nous avons rencontré cinq Pfalz du cirque Richtofen (capots rouges), nous étions trois R XI et nous avons eu un très chic combat, sans résultat d’ailleurs, mais très intéressant par la manœuvre. Il n’y a pas de sport plus excitant. J’avais le nez à la portière, et remuais mon zinc de façon que mon mitrailleur puisse toujours tirer sur le plus proche. Quand le Fritz voyait nos lumineuses l’encadrer, il faisait une pirouette, s’en allait, et on recommençait avec un autre. Ils n’ont pas osé se rapprocher à moins de 150 m. Tout en manœuvrant, j’ai réussi à venir me replacer entre les deux autres appareils qui m’avaient suivi d’un peu trop loin. A ce moment, les Boches ont été dégoûtés et ont disparu, ce qui nous a permis de continuer notre reconnaissance. Ça bardait fort à terre et, à 1600 m, entre Loupeigne et Fère, le spectacle était assez pittoresque : le sol fumait dans un cercle de dix km de diamètre. Je suis rentré par la Marne, à 800 m, poussant ma reconnaissance jusqu'à La Ferté-sous -Jouarre, sans toutefois le mentionner dans mon compte-rendu. Il m’a semblé que la gare n’avait plus de toit.

Ce matin, nous devions accompagner un bombardement, mais un quart d’heure avant de partir, contrordre. Il paraît que les Boches reculent, et on attend d’être fixé sur le nouveau front, pour ne pas risquer de crapouiller nos troupes. Donc, pas volé aujourd’hui. Bonne affaire, d’abord pour le motif, et ensuite parce que je peux me reposer. J’ai trente heures de vol ce mois-ci ; je ne sais pas ce que font les autres escadrilles, mais en R XI, je ne me sens pas capable d’en faire davantage. Les autres pilotes, ici, n’en ont que vingt cinq ou moins, ce qui me fait plaisir, étant le seul officier à voler. Le capitaine n’a pas d’appareil, Hostein est en permission et Brusco est souffrant.

21h30 - J’étais en train de t’écrire, quand j’ai reçu l’ordre de partir en reconnaissance. J’ai pris, avec moi, les trois meilleurs pilotes de l’escadrille. Le temps était idéal : plafond de nuages à 5000 m, pas de soleil, visibilité splendide, et on voit le Boche venir de loin. Rencontré six biplaces Fokker qui nous ont attaqués sans oser s’approcher de près ; nous manœuvrions à merveille, suivant le principe que j’ai appris aux pilotes, et les boches ont rompu le combat, alors que nous étions à 2000m, à sept kilomètres chez eux. Je suis encore rentré par La Ferté, à 600 mètres. La gare n’existe plus, sauf quelques pans de murs. Le reste de la station semble intact. Après-demain, j’irai sans doute reconnaître, en voiture, la tombe du camarade tué le 18 juillet, et enterré à Marisy, près de Neuilly-St Front. Je passerai par La Ferté. Château-Thierry est presque détruit.

Au front – le 7 août 1918

Toujours un sale temps. On n’a pas volé depuis quatre ou cinq jours. Pourvu qu’il fasse beau demain ! Il y a paraît-il une nouvelle grande attaque de notre part dans un secteur où les Boches ont je crois l’intention de s’en aller. Çà sera pour eux une bonne occasion de f…le camp. A leur tour ils commencent à savoir y faire. Hier, profitant toujours du mauvais temps et de la proximité de Paris, nous sommes allés à Villacoublay voir de nouveaux appareils assez intéressants. Mais je commence à croire que la guerre sera finie quand ils sortiront en série. Rien de neuf autrement.

Tout à l’heure j’ai essayé mon appareil et suis allé me balader avec un camarade au-dessus de St Germain , son patelin, à 400m sur la Seine. C ’est assez amusant et le plafond à 600m ne me permettait pas de grimper plus haut. Il pleut pas mal de marmites ces jours-ci sur Paris mais cela ne frappe plus personne. D’ci nous entendons les éclatements.

Commentaires de Paul Resal :

Pendant ce rude mois d’août, je passai un jour par une épreuve singulière, dont mon extrême fatigue était sans doute la cause. J’avais volé le matin et n’étais pas commandé pour le soir; je me réjouissais de passer une après-midi en sécurité, à goûter un repos dont j’étais avide. Au déjeuner, l’adjudant mécanicien vint dire que l’appareil qui devait voler à 16 heures était en panne. Le capitaine eut l’air ennuyé, puis il leva les yeux vers moi d’un air d’interrogation. J’acquiesçais d’un air tout naturel, mais je me sentis saisi d’un grand accablement. J’eus le sentiment que ce vol serait le dernier. En sortant de table, je voulus aller dormir, mais je ne pus et je me persuadais que je vivais les dernières heures de ma vie. J’étais très frappé par cette appréhension que j’avais eue brutalement, ce qui ne m’était jamais arrivé, mais que faire ? C’était la guerre et on ne va pas contre son destin. J’allai boire une autre tasse de café et allai faire un tour à pied pour me distraire. Tout me paraissait avoir un air étranger, ce qui me confirmait dans mon pressentiment sinistre. Je rentrais au cantonnement quand je vis revenir le mécanicien qui dit au capitaine que le moteur de l’appareil en panne avait été réparé. Je fus décommandé et en éprouvai une espèce de joie stupéfaite ; j’avais de nouveau la vie devant moi, je riais, je me moquai de moi-même et de mes craintes, bref, il faisait un beau soleil que je verrai encore se coucher ce soir-là. Une demi-heure après, l’adjudant mécanicien revint dire que le moteur était de nouveau en panne et je fus de nouveau commandé. Cette fois-ci, je ne doutai plus de mon sort. Il était près de 16 heures ; je bus un coup de vin, allait mettre ma combinaison, me rendis à mon appareil et, quand j’enjambai mon fuselage, j’étais bien persuadé que j’avais touché la terre pour la dernière fois vivant ! Dés que les moteurs ronflèrent, je repris mon calme et, quand j’eus décollé, je me trouvai de nouveau en l’air comme dans mon élément naturel, jouissant comme toujours de la merveilleuse sensation de conduire mon bel avion et d’entendre le bourdonnement sonore des moteurs, qui m’était une musique délicieuse à l’oreille. La mission s’accomplit le plus heureusement du monde et, quand les Bréguet eurent repassé les lignes, je m’attardai en rentrant à l’escadrille, contemplant encore une fois avidement l’incomparable paysage de l’Ile de France, campagne harmonieuse parsemée de coquets villages et sertie de la tache sombre que faisait au loin la forêt de Villers Cotteret et le bois d’Ermenonville. Et sans doute, mes camarades ne comprirent-ils pas le soir pourquoi j’étais d’une humeur aussi folâtre à ce dîner que j’avais, par pure imagination et fatigue, désespéré d’avaler ! Je partis peu de temps après en permission

Au front - (Le Plessis-Gassot) - 10 août 1918

L’espoir continue à changer de camp. Voici la ligne directe de Calais dégagée, après celle de Nancy. Trois fois par jour nous rectifions le front sur nos cartes. Tu penses si on explique le coup !.... Le Boche doit être affolé. Roye, dit-on, est pris ce soir : c’était, il y a encore quatre jours, un objectif de longue reconnaissance. J’ai volé deux fois aujourd’hui, et suis un peu vanné. En 36 heures, j’ai fait huit heures de vol. Mais on ne retrouve pas tous les jours des occasions pareilles. Les Fritz doivent être dégoûtés : pas vu la queue d’un, aujourd’hui.

Ce matin, départ par un temps superbe, mais très hygrométrique, pour protéger un bombardement sur Lassigny. Le temps d’arriver aux lignes - nous sommes grimpés à 4000 m - il s’est formé une mer de nuages compacts, avec un trou tous les dix kilomètres. On a navigué là-dessus, pendant près d’une heure. Les Boches ont dû être épatés de voir des bombes leur tomber des nuages. Cela m’étonnerait aussi que l’objectif ait été atteint exactement. Au retour, j’ai trouvé une fissure plutôt qu’un trou au-dessus de l’Oise, et je suis dégringolé par là, tantôt sur le nez, tantôt un peu sur l’aile, sans trop voir clair. L’épaisseur des nuages - de gros cumulus soudés - allait de 3000 jusqu'à 800 mètres , et encore, il y avait de la brume jusqu’au sol. Ces expéditions-là ne sont pas très dangereuses mais fatigantes, surtout à cause de la réverbération.

Ce soir, j’ai remis çà par un temps splendide. C’est très amusant et assez fantastique de voir ces expéditions de vingt cinq à trente Bréguet, volant par groupes de huit à dix avions. Nous sommes deux R XI par groupe, pour les protéger, et comme nous allons plus vite, nous louvoyons un peu derrière comme un chien de berger derrière un troupeau de moutons. Nous sommes passés, une fois de plus, sur un coin que je commence à connaître - Ressons-sur-Matz - et avons poussé jusqu'à Noyon. Visibilité merveilleuse, avec le soleil dans le dos ; on voyait Ham et la vallée de l’Oise, jusque vers St Quentin. Pas un Boche en l’air, c’est stupéfiant. Je suis descendu ensuite à 1000 m - je ne me suis pas aventuré plus bas, à cause de cette satanée pression des réservoirs, ce n’est pas le moment d’atterrir chez le Boche - et nous avons tiré trois cents cartouches sur Plessis-de-Roye et Gury, où il doit y avoir pas mal de troupes ; si nous ne leur avons pas fait de mal, nous leur avons peut-être fait peur, car il n’y a pas de chose plus affolante pour une colonne sur route, que de se sentir vue et visée par des avions. C’est drôle tout de même, de voler un jour, de Soissons à Reims, et deux jours après à Montdidier. Paris est vraiment un bon terrain d’escadrille. Mais je crois que nous n’allons pas tarder à nous rapprocher du front, et il y aura de quoi faire.

Au front – le 10 août 1918

Encore une journée de victoire. Trois fois par jour nous rectifions avec un morceau de fusain le front sur notre carte. Tu penses si on explique le coup ! Le Boche doit être nettement affolé – Foch, si c’est lui qui dirige, est un sacré type !

Au front – le 16 août 1918

 Ça va toujours bien ? Temps superbe ; mais une bonne pluie ferait du bien pour laver l’air sale et embrumé. Les bombardiers se reposent. Nous faisons des patrouilles combinées de Spads et de R XI. C’est le capitaine Lafon, commandant la 91, et moi qui avons organisé ces trucs-là et je crois que çà gazera. Mais nous n’avons pas encore trouvé de Boches qui voulussent bien se prêter à cette expérience.

Le 16 Août 1918

Nous faisons de la chasse en attendant autre chose. Trois Boches abattus en une semaine. Malheureusement, hier, deux des nôtres ne sont pas rentrés - un a été descendu au-dessus des lignes. Je vole tous les jours, et quelquefois deux fois ; Mais j’ai beau aller jusqu'à Noyon, je ne rencontre pas un Boche. Çà ne durera pas, j’espère.

Citation à l’ordre de l’Armée en date du 12 août 1918 du Sous-lieutenant Resal, pilote de l'escadrille C 46 : "Officier modèle, d’une haute valeur morale. Toujours volontaire pour les missions les plus dangereuses, a soutenu de nombreux combats, a abattu un avion ennemi et s’est distingué, au cours de la bataille actuelle, par des reconnaissances hardies qui ont permis à son observateur de rapporter les renseignements les plus précieux au commandement. Une blessure, Chevalier de la Légion d’Honneur."

Au front - 21 août 1918

Hier, j’ai fait la guerre au nord-ouest de Soissons. Çà gaze fort. Nous protégions un bombing, les nuages étant à 600 m. Je me promenais à 300 m; pas de Boches, mais il fallait se méfier des collisions. Le vol, dans un air à deux dimensions seulement, est un peu scabreux. C’est très intéressant de voler si bas, on vit vraiment la bataille.

Il y a un sacré cochon de mitrailleur boche qui nous a fichu une bonne seringuée, du sol. Une balle dans mon palonnier m’a donné un choc très désagréable dans les jambes. Mon mitrailleur a eu une balle dans le mollet, sans gravité d’ailleurs. Mais il a vu le Boche et il lui a tiré un rouleau de lumineuses, et l’autre s’est planqué. Ce sont des plaisanteries à ne pas renouveler tous les jours, en R XI. Mais voici de nouveau le beau temps. On manque terriblement de mitrailleurs, et il y a un excédent de pilotes. Je pense ainsi partir en permission, incessamment.

Commentaires de Paul Resal :

Je rejoignis mon escadrille à Saint Dizier, car elle avait été envoyée dans l’Est pour participer à l’attaque de Saint Mihiel, laquelle eut lieu après. J’appris avec plaisir en arrivant que la C 46, au cours des mois précédents avait abattu plusieurs avions allemands, non sans subir elle-même des pertes - blessés et tués – Elle avait eu une nouvelle citation ce qui lui valait l’honneur de porter la fourragère.

Une autre nouvelle m’attrista vivement : mes camarades Blitz et Brusco, qui formaient équipe, n’étaient pas rentrés de mission. Il n’y avait pas eu combat et l’on pensa qu’ils avaient été abattus par la DCA. C’est en effet ce qui était arrivé, comme nous l’apprîmes à la fin de la guerre par nos camarades eux-mêmes quand ils rentrèrent d’Allemagne. Ils avaient échappé miraculeusement à la mort, car un obus ayant arraché l’extrémité d’une aile, leur avion était tombé désemparé, telle une feuille morte, sans que le pilote eut la moindre possibilité de le redresser. Après une chute de plus de 2000 mètres , nos deux camarades, parvenus à une centaine de mètres, se firent un dernier adieu de la main et furent stupéfaits, en même temps qu’assez secoués, de se retrouver bien vivants au sol dans les débris de l’avion. Par une chance extraordinaire, l’avion avait touché le sol par l’extrémité de l’aile intacte de telle sorte que les deux plans, qui forment cellule, s’écrasèrent en se pliant comme un accordéon. Le choc fut ainsi si bien amorti que nos camarades s’en tirèrent sans mal, le mitrailleur arrière, seul, ayant la mâchoire fracturée.

A mon retour de permission, mon capitaine avait annoncé qu’il était rappelé à l’arrière pour reprendre la direction, qu’il avait avant la guerre, d’importantes fabrications, ajoutant qu’il m’avait proposé pour prendre le commandement de l’escadrille. Je fus éberlué de ce propos et n’en pouvais croire mes oreilles. J’objectais mon âge, ma nouveauté comme officier, mon grade de sous-lieutenant, mais, me dit-il, rien de tout cela ne faisait obstacle à ma nomination. Au surplus, le commandant de l’escadre de bombardement, à laquelle nous étions à ce moment rattachés, qui appréciait beaucoup les services de la C 46, avait donné son accord désirant que ce fut un officier de l’escadrille qui en prît le commandement. Je communiquai à mes parents cette nouvelle qui les remplit de joie et je fus heureux de leur procurer ainsi une petite compensation au constant souci que ma présence au front, comme celle de mes frères, leur causait depuis tant de mois. Ma nomination fut donc proposée en haut lieu, mais elle faillit, quelques jours après, être singulièrement compromise comme on va le voir.

Au front - 8 septembre 1918

J’ai trouvé, en rentrant, l’escadrille moitié riant moitié pleurant. Elle avait reçu la veille, avec sa nouvelle citation, la fourragère ; mais le 29 août, malheureusement, Brusco et Blitz n’étaient pas rentrés... Pas de combat. L’appareil a dû être touché par un coup de canon ; on espère vaguement qu’ils ont pu atterrir. Dès que las lignes seront assez avancées à l’est de Soissons, nous irons voir l’endroit où les fantassins disent les avoir vus "atterrir". NB : Ils avaient en effet été touchés par un obus, et l’appareil, un morceau d’aile arraché, s’était écrasé au sol sans que, miraculeusement, aucun des trois passagers ne soit blessé.

Il était temps que nous quittions le Plessis-Gassot. C’est un endroit qui rappellera un temps triste pour l’escadrille : un des frères Dupart tué, Loilier retrouvé carbonisé dans les restes de son avion à la ferme d’ Attichy. Nous avons reçu de nouveaux pilotes et mitrailleurs. L’escadrille est presque renouvelée depuis trois mois. Je suis le seul officier, avec le capitaine et le radio. Cela va être intéressant de former ces jeunes, pour continuer la tradition de la C 46. En attendant le retour de Poggioli, qui semble égaré dans le maquis, je volerai avec Lacassagne, excellent mitrailleur, qui avait été blessé en juillet, au-dessus de la Marne.

Au front - 11 septembre 1918

Assieds-toi dans le grand fauteuil qui est au coin de la cheminée, avant de lire cette lettre, car tu pourrais tomber par terre. Je suis proposé pour prendre le commandement de l’escadrille, avec un second galon. Quand le capitaine m’a dit cela, j’ai ri d’abord comme un imbécile, à cause de la drôlerie de la chose. Puis, j’ai réfléchi que çà n’était pas une petite affaire, et je ne me voyais guère, sous-officier il y a six mois, prenant la succession de Lecour-Grandmaison. La C46 n’est pas une escadrille divisionnaire !

D’ailleurs, le capitaine s’était déjà entendu avec le commandant de La Morlaye, commandant l’escadre, qui tenait à voir un officier de la C 46 prendre la succession de Bloch (rappelé à la Cie du P. O.), afin de continuer les traditions de l’escadrille, qui est très bien vue à l’escadre. J’ai objecté mon grade ? - On me nommerait lieutenant, à titre temporaire ! Ma nouveauté, comme officier ? - Ca n’a pas d’importance ! Mon âge ? - Il y a un précédent ! Mon incompétence pour l’administration de la boutique ? - Le capitaine, qui ne part que dans un mois, me mettra au courant, et ce n’est pas sorcier !

Il y a tout de même une rude responsabilité à laquelle je ne m’étais guère habitué ; et puis, c’est beaucoup moins drôle d’être chef d’escadrille que simple pilote, "raison de plus pour ne pas refuser" m’a dit le capitaine. Bref, si le G.Q.G. marche dans la combine, me voilà à la tête de quarante cinq pilotes et mitrailleurs, et probablement officiers observateurs, quinze avions, une quantité de tracteurs et voitures, cent cinquante bonshommes. Quand je me regarde dans la glace je ne peux pas m’empêcher de rigoler. Je ferais peut-être mieux d’en pleurer. Mais ce n’est pas encore fait ; n’en parle pas, ça n’est pas la peine si çà ne doit pas coller. Si ça colle, tant mieux tout de même ; et si ça ne colle pas, encore tant mieux ! Aussi, je ne m’en fais pas. Que penses-tu de l’affaire ? Temps épouvantable. Pluie et grand vent. Les Américains doivent être navrés. Nous finissons de nous installer dans nos baraques, et faisons monter des poêles.

Le 11 septembre 1918

Il pleut. Un autre équipage est resté chez le Boche pendant que j’étais en perm. (coup de canon !). C’étaient deux officiers, de sorte que je me trouve seul avec le Capitaine et le radio. Çà n’est pas très gai ! Armenault est en perm. Si tu es dans la région et que tu puisses venir à l’escadrille déjeuner, dîner et coucher, ce serait une riche affaire ! Tâche de me dire où tu te trouves car nous vadrouillons un peu en voiture par ce temps de cochon et je pourrais peut-être aller te voir. J’ai dû passer au-dessus de toi pendant votre déplacement, samedi, au sud des marais de St-Gond. Nous nous installons dans des baraques Adrien assez confortables. Quoi de neuf chez vous ? Quelle bonne perm. on a passé cette fois-ci !

Au front - 13 septembre 1918

Avant-hier, grand soviet à la brigade au sujet de l’attaque du lendemain, sur St-Mihiel. J’y avais vu, entre autres huiles, le commandant Rocard, accompagné de Gicquel, qui m’avaient demandé de tes nouvelles. Hier, temps de cochon, grand vent, pluie, nuages bas. Pas de sorties, chez nous. Les Bréguet ont gazé : Rocard descendu, Renon blessé légèrement, Gicquel assez grièvement. Le GB 3 n’a plus d’état-major ! Si tu veux écrire à tes camarades, ils sont soignés à l’hôpital de Toul. Aujourd’hui, par un temps assez vaseux, protection d’un bombardement, sans mauvaises rencontres. Les renseignements que nous avons sur les Boches, sont assez réjouissants.

Commentaires de Paul Resal :

Le 14 septembre, jour de l’attaque américaine sur Saint Mihiel, l’escadre avait reçu l’ordre de bombarder le nœud de voies ferrées de Conflans-Jarny. Trois escadrilles devaient participer à ce raid, chacune accompagnée d’un ou de deux R XI. Il soufflait un vent violent du Sud et nous fûmes rapidement sur les lignes. Nous étions presque à mi-chemin de l’objectif, à 5 ou 6 kilomètres dans les lignes ennemies, quand, collant de près à mon groupe de dix Bréguet, je vis monter à ma droite une patrouille de sept monoplaces boches. Ils avaient l’air bien résolu et je compris qu’il allait y avoir de la casse. Une fois encore je ressentis ce choc au cœur que donne l’approche d’un danger grave et inévitable. Les Bréguet filaient tout droit vers leur but. Oppressé d’angoisse, mais poussé par la nécessité de ce que j’avais à faire, je me portai à ma droite pour prévenir l’attaque des Boches et pouvoir manœuvrer : ils furent rapidement sur moi et je me vis en un instant entouré par eux trois m’attaquant par derrière et les autres par-dessous et même par-devant. Je me mis en rond et manœuvrai autant que je pus pour permettre à mes mitrailleurs de tirer. Les mitrailleuses crépitaient de toute part, les balles lumineuses passaient entre mes plans, l’essence coulait d’un de mes réservoirs crevé et, en tournant la tête, je voyais toujours cet essaim qui voletait autour de moi, deux me prenant toujours dans le feu de leurs mitrailleuses. Mon mitrailleur arrière, Lacassagne, autre bordelais au grand cœur, tira fort bien et je le vis abattre en flammes un de nos assaillants. Je continuais à remuer mon appareil tant que je pouvais pour me soustraire aux feux multiples de ces maudits monoplaces, quand Lacassagne cessa de tirer.

Je pensai que les Boches se trouvaient pour un moment écartés et je profitai de ce répit pour repérer ma route et voir si je pourrais rattraper mes Bréguet, qui avaient poursuivi leur mission. J’entendis aussitôt une mitrailleuse crépiter à courte distance, je tournai la tête et vis trois Boches qui me suivaient à bout portant et aussitôt je reçus un choc terrible à la tête. Avant de perdre connaissance, j’eus le sentiment que j’étais tué. Quand je repris connaissance, j’avais la tête en bas et mon avion tombait en vrille. J’étais tellement étourdi que j’eus de la peine à reprendre mes commandes. Ma tête chavirait et je dus perdre connaissance à nouveau. Quand je repris mes sens, je me sentis si faible que je désespérai d’avoir la force de ramener mon avion au sol. Je le relevai néanmoins, remis les gaz, mais à peine l’avion recommença-t-il à voler horizontalement qu’il glissa de nouveau sur le côté.

Je vis qu’il m’était impossible de le conduire et, pensant n’avoir plus que quelques instants à vivre, je me résolus à piquer. Dans cette position, la tête penchée en avant, je ne me sentais pas trop défaillir, mais, persuadé que j’avais une grave blessure à la tête, je n’eus qu’une idée, atterrir au plus vite avant que je m’évanouisse définitivement. Je piquai dans la direction de nos lignes plein moteur, sans me soucier de la solidité de l’avion ni de la présence, au-dessous de moi de la forêt sur laquelle j’allais être obligé de me poser. J’étais pris de temps en temps de faiblesse et je piquai encore plus fort pour tâcher d’arriver à temps. Mon avion était tellement à la verticale que le plan supérieur me cachait la ligne d’horizon et je ne voyais au-dessous de moi que cette masse sombre de la forêt, où je me souciais peu de savoir comment je me poserais. Enfin, arrivé à sept ou huit cents mètres peut-être (le combat avait eu lieu à 3500 mètres), je me décidai à redresser. L’appareil réagit avec une brutalité terrible.

Je revis apparaître la ligne d’horizon avec l’étendue de la forêt devant moi. J’étais peut-être à ce moment à trois ou quatre cents mètres ; j’avais réduit les gaz et ne pensais pas à les remettre tellement je doutais de pouvoir tenir longtemps. Mon avion volait à une allure désordonnée et réagissait d’une manière incroyable aux commandes. Bien que les moteurs ne le tirassent plus, il continuait à planer sans perdre beaucoup de hauteur tellement il avait pris d’élan dans ce piqué vertigineux. Je n’étais plus qu’à deux cents mètres peut-être, la lisière de la forêt me semblait encore éloignée et je ne m’en inquiétais pas. Mon avion continuait à filer sans avoir l’air de perdre d’altitude. J’aperçus la fin du bois quand j’étais encore à une centaine de mètres et, bien que cela puisse paraître un conte, je franchis les derniers arbres en passant à peine à trente mètres au-dessus d’eux, me trouvant cette fois-ci presque en perte de vitesse. Je piquai aussitôt un peu pour être maître de mon appareil à l’atterrissage. Il y avait là un grand champ traversé par une haie ; j’arrivai, en planant toujours, sur celle-ci, relevai mon appareil pour la sauter et, dés que je l’eus franchie, me posai au sol en écrasant mon train d’atterrissage, mais sans capoter. Je me levai de mon siège et, en enjambant le fuselage, je vis Lacassagne accroupi au fond de sa tourelle, il avait été tué de plusieurs balles… Je tombai par terre sans avoir essayé, cette fois-ci, de faire le tour de mon appareil. Mon mitrailleur avant, un jeune dont c’était le premier vol sur les lignes, fut aussitôt auprès de moi et me dit "Vous êtes blessé, mon lieutenant ?" Je lui répondis irrité "Tu crois donc que je serais revenu comme cela si je n’étais pas blessé ?" Je le crus blessé lui-même, car sa combinaison était couverte de sang, mais il n’avait rien et le sang dont il était couvert était celui de notre malheureux camarade : par le fuselage, le sang avait coulé jusqu’à l’avant distant de plus de deux mètres, où était le mitrailleur avant. Quand on pense que le bas du fuselage était pourvu de pièces de bois qui faisaient autant de petits barrages, on devine sous quel angle incroyable j’avais piqué, absolument à la verticale !

Ma blessure, en fait, n’était pas grave ; j’avais une balle ou un éclat de balle, qui m’avait frappé le crâne derrière l’oreille et déchiré le pavillon, mais le danger avait été extrême parce que le choc dans la région mastoïdienne fait perdre l’équilibre et même la connaissance (c’est le knock out des boxeurs) et c’est pourquoi il m’était impossible de diriger mon appareil et que j’avais l’impression de perdre connaissance chaque fois que je voulais le remettre en ligne de vol. Bien que cette aventure ait été plus rapide et moins dramatique que celle où je fus blessé aux yeux, la chance providentielle que j’eus de m’en sortir fut sans doute aussi grande et, si ce n’était la mort de mon mitrailleur, je pouvais me flatter de m’en être tiré à bon compte, d’abord d’un combat désespéré, puis d’une descente qui dut mettre à une terrible épreuve la solidité de mon avion.

Je fus ramassé par les Américains et, deux ou trois jours après, j’étais à l’hôpital de Toul. Après la détestable nourriture qu’on m’avait donnée à l’ambulance américaine, je venais de faire un excellent déjeuner, bien calé dans mes oreillers, quand l’infirmière vint me chercher pour aller à la salle d’opération. Le chirurgien eut l’air contrarié, quand il sut que je venais de manger, puis il me dit "Bah, je ne puis vous insensibiliser, mais je pense que vous n’êtes pas douillet !" Paroles peu rassurantes : j’avais une peur horrible qu’il me trépanât à vif. Pour me distraire, il me dit de tenir le « haricot » (petit vase de cette forme pour recueillir le sang) et que cela ne serait pas long. Il se mit alors à me recoudre ma plaie. Je sentis cette horrible aiguille, suivie de son fil, me passer à plusieurs reprises assez profondément dans la chair, et je ne cessai, pendant tout le temps de cette couture qui dura bien quelques minutes, de proférer entre mes dents d’effroyables jurons, me retenant avec peine de dire des injures à ce chirurgien parfaitement impassible. Quand ce fut fini, il me dit "Vous êtes dur !" Je me relevai assez pâle à en juger par le froid que je me sentais aux joues et mes jambes ne me soutenaient guère. Pendant l’opération, je voyais les deux infirmières qui se tenaient serrées côte à côte et dont le regard exprimait ce que seuls savent exprimer des yeux de femmes. Le communiqué du 14 septembre annonça que l’aviation avait efficacement participé à l’attaque de Saint Mihiel et qu’elle avait eu à soutenir de durs combats. En langage de communiqué, on sait ce que cela veut dire. Les combats, auxquels celui-ci faisait allusion, avaient été soutenus par l’expédition dont je faisais partie et qui furent tels que cette journée est restée mentionnée dans les annales de l’aviation de bombardement.

Pendant que je livrais mon combat, les Bréguet, poussés par le vent, arrivèrent rapidement sur l’objectif et accomplirent leur mission. Mais là, ils furent rejoints par la patrouille ennemie que j’avais retardée et par deux autres patrouilles de monoplaces boches. Les trente Bréguet et les trois R XI qui restaient eurent à soutenir l’attaque d’une vingtaine d’avions de chasse. Les trois R XI en arrière garde durent rapidement céder sous le nombre : les trois furent descendus, dont un seul put atterrir normalement dans les lignes allemandes, non sans avoir abattu un ou deux avions boches. Les Bréguet soutinrent à leur tour le combat : ils abattirent deux ou rois ennemis en perdant autant des leurs. Mais le retour fut plus long que l’aller à cause de la violence du vent et bientôt, après qu’un ou deux appareils fussent encore tombés de part et d’autre, les malheureux Bréguet se trouvèrent à cours de munition et, coup sur coup, quatre furent abattus ne flammes. Au total, sept ou huit Allemands furent descendus et dix à douze des nôtres, soit une vingtaine en tout sur à peine une soixantaine d’appareils engagés dans ce combat. La proportion était singulièrement élevée et l’affaire eut un certain retentissement. A dater de ce jour, les bombardements eurent lieu par groupes compacts avec une forte protection de R XI et de chasseurs monoplaces et les pertes, jusqu’à la fin de la guerre furent minimes.

Je me retrouvai une seconde fois au Val de Grâce et je venais de le quitter quand mon capitaine m’écrivit qu’il devait rejoindre incessamment son nouveau poste et que définitivement j’étais désigné pour prendre le commandement de la C 46. Sans attendre la fin de ma convalescence, je rejoignis aussitôt mon escadrille qui se trouvait à ce moment-là en Champagne.

 Au front - (Ambulance américaine) - 14 septembre 1918

Je viens de me faire encore moucher, mais çà n’est rien. La balle m’a déchiré l’oreille après avoir ricoché sur le crâne. J’ai eu de la veine, tout de même. J’ai été abruti un moment, et mon zinc s’est vite mis en vrille. Mais j’ai pu rentrer et atterrir à peu près normalement. Dix Boches contre moi. Il y en a eu un de descendu, mais je ne peux guère m’en réjouir car mon mitrailleur a été tué. Je suis dans une ambulance américaine, et dois être transporté à Toul où sont Gicquel et Renon. Il se peut que j’y reste très peu de temps. Aussi, ne te dérange pas avant que je te récrive. Ne t’inquiète pas pour moi, çà n’est réellement rien.

Hôpital Gama Toul -17 septembre 1918

J’ai été descendu samedi dernier entre Fresnes en Woëvre. et Thiaucourt. Tu vois que je n’en suis pas mort mais il ne s’en est pas fallu de beaucoup. Je me suis battu pendant bien deux minutes - c’est très long - contre une dizaine de Boches dont trois ou quatre me tiraient dessus en même temps. Mon mitrailleur en a descendu un - homologué - mais le pauvre garçon a été tué quelques secondes après. Pour moi, je n’en menais pas très large, voyant les lumineuses passer tout autour et faire éclater mes bouts de bois, mon réservoir crevé. Bref, j’ai reçu une balle qui m’a ricoché sur le crâne en arrière de l’oreille gauche - et me déchirant un peu l’oreille. J’ai été un peu estourbi sous le coup. Mais j’ai repris la direction de mon zinc - j’ai l’habitude maintenant - et j’ai pu atterrir à peu prés normalement. Je suis resté deux jours chez les Américains et suis arrivé hier à Toul : excellent hôpital au premier abord. On m’a recousu mon oreille fendue et me voilà presque sur pied. Pas de fièvre. Je me lève et me promène un peu au soleil. Je suis sans doute ici pour une huitaine de jours, sans en être sûr. Si par hasard tes promenades te faisaient passer par ici, viens me voir à l’Hôpital Gama (1 er Blessés - secteur 201).

Hôpital Gama Toul - 17 septembre 1918

Je viens de voir Gicquel, peu gravement blessé (éclats de balles aux genoux, le bout du nez un peu roussi). Le Boche les avait foutus en flammes. Le réservoir ne s’est pas détaché tout de suite. Tout un côté du fuselage était grillé, quand il est enfin tombé. A ce moment, un des Boches est revenu, et Gicquel l’a descendu. Lui et Renon ont la Croix. NB : Equipage de l’escadrille et grands amis de Louis. Pour moi, ça va toujours bien, si ce n’est que mon oreille entend à peu près autant que mon œil gauche voit ; mais cela reviendra, paraît-il.

Voici comment l’affaire s’est passée : protection d’un bombing sur Conflans, une trentaine de Breguet protégés par trois R XI. Vent de 15m. poussant chez le Boche. On passe les lignes. A ce moment, je vois quatre Fokker (capot rouge, Richthofen) monter rapidement à ma droite. Je vire à droite pour permettre à Lacassagne de tirer. A ce moment, six autres arrivent par-dessus. Obligé de manœuvrer, je n’ai pas pu rester avec le groupe des Breguet et les autres R XI. Attaqué de partout et de près, je vole vers nos lignes en pensant bien que j’allais y laisser des plumes. Il y en avait toujours trois ou quatre qui tiraient à la fois. La fumée des lumineuses faisait des traînées tout autour, le bois pétait, l’essence sortait de mon réservoir de droite crevé. A deux mille tours de mes deux moteurs, je me remuais comme un beau diable, pendant que mes mitrailleurs en descendaient un en flammes. Je n’entends plus tirer pendant plusieurs secondes, je me crois dégagé. Mes moteurs bafouillent, je pique ; mais ça recommence. Lacassagne ne tirait plus parce qu’il était tué, mais il y avait encore quatre Fritz. Je recommençais à secouer le zinc, quand j’ai reçu cette balle. J’ai perdu connaissance quelques secondes. Le R XI en vrille, naturellement. Je redresse, mais je perdais l’équilibre et ne me sentais guère costaud. Je pique pour atterrir, sachant que j’étais sur les lignes. J’ai piqué de 2000 m, presque à la verticale : quand je redressais et que je voulais tourner la tête à droite ou à gauche, ça n’allait plus. Enfin, je suis arrivé au sol, après avoir redressé en rase-mottes sur un bois et fait du saut d’obstacle sur une haie. Ecrasé mon train d’atterrissage comme il convient.

Ce samedi-là, l’escadre 13 en a pris un vieux coup ; six Breguet non rentrés et trois R XI (dont moi). Il est vrai qu’il y a eu sept Boches descendus. On suppose que les Breguet ont été descendus, n’ayant plus de munitions ; le combat a duré vingt minutes - depuis Conflans jusqu’aux lignes, avec un vent de cornecul dans le nez. On m’a recousu, hier, la plaie de ma tête et l’oreille. Pas de fièvre. Ça ne sera rien.

Citation à l’ordre de l’Armée en date du 14 septembre 1918 décernée au Slt Paul Resal, pilote de l'escadrille C 46 : "Officier remarquable, pilote d’un courage et d’une adresse exceptionnelle. Le 14 septembre 1918, au cours d’une expédition de bombardement, particulièrement difficile, qu’il était chargé de protéger, a vaillamment engagé la lutte contre sept monoplaces ennemis. A eu son avion atteint de nombreuses balles, son mitrailleur arrière mis hors de combat ; gravement blessé lui-même, est parvenu, à force d’énergie, à ramener son avion dans nos lignes. A abattu l’un de ses adversaires, remportant ainsi sa deuxième victoire. Une blessure antérieure. Chevalier de la Légion d’Honneur pour faits de guerre."

Au front - 17 octobre 1918

Alors ? Te voilà retourné au casse-pipe ! C’est bien, mais ne te crois pas obligé de repousser tout seul les Boches sur le Rhin ; tiens-toi tranquille, et dis-toi bien que si tu n’étais pas là, on se passerait très bien de tes services. Mais, à l’occasion, mets-en un vieux coup, et tâche d’en démolir autant que tu pourras. Tu devrais ne pas voler avec n’importe qui. Tu es assez ancien dans la boutique pour avoir le droit de choisir un bon pilote, et qui soit prudent. Méfie-toi aussi du froid ; ce serait idiot qu’on soit obligé de te couper un pied gelé, quand on a pu te le conserver malgré deux balles.

C’est admirable ce que cela gaze sur le front. Il y a deux ou trois ans, on se demandait comment on pourrait reconquérir la France occupée et la Belgique, et la Serbie donc ! Cela me paraît, au contraire, assez naturel, et nous retrouvons cette vieille armée de tous les temps, qui avait plus l’habitude de racler l’ennemi que de se faire vaincre. Mais je sais malheureusement ce que cela lui coûte, et dans quel état sera-t-elle dans deux mois, si l’offensive doit continuer ?

Commentaires de Paul Resal :

 L’Escadre XIII de bombardement à laquelle nous étions alors affectés était sous les ordres du commandant de la Morlais et comprenait deux groupes de bombardement de trois escadrilles chacun, commandés respectivement par un capitaine. Avant chaque expédition, le commandant réunissait les deux chefs de groupe et le sous lieutenant, commandant l’escadrille de protection et je n’étais pas peu fier de participer à ces réunions, où n’étaient pas convoqués les lieutenants ou capitaines commandant les escadrilles des groupes. Mais le soir, dans ma chambre du cantonnement, je ne pouvais pas m’empêcher de rire devant ma glace en pensant au personnage que je jouais, car, peut-être parce que j’étais un des "petits" dans ma famille, je me suis toujours cru, au point de vue des préséances, au-dessous des hommes de mon âge. Par crainte d’ailleurs de n’être pas pris au sérieux, j’exagérais parfois mon personnage, ce qui faisait sourire le père La Morlais et les deux chefs de groupe qui me témoignaient tous une amitié presque paternelle. Un matin, entre autres, j’attendais l’ordre de faire partir les avions, ne pouvant pas encore voler moi-même, quand, à ma grande surprise, je vis passer en l’air l’escadre qui s’était passée de mes services. Je sautai dans une voiture et courus à Chalons. Le commandant était en l’air et je fis une scène à l’officier de service en déclarant que, si la C 46 n’était plus nécessaire parce que c’était moi qui la commandais, je demanderais une autre affectation. A son retour, La Morlais prit pour ce qu’elle valait cette démonstration quelque peu ridicule et me renvoya tranquillisé. La fin de l’histoire est plutôt comique. Mon escadrille n’avait pu être alertée pour la mission parce que notre fil téléphonique était coupé et que le motocycliste envoyé en liaison s’était égaré. L’enquête apprit que le fil avait été coupé par des téléphonistes de l’Intendance qui s’en étaient servis pour installer une ligne à un centre d’abat situé à côté de notre terrain. Je fis un grand tapage et réclamai des sanctions. Le soir, pendant le dîner, mon ordonnance vint me dire qu’un commandant demandait à me voir. Un intendant entra et demanda à parler au chef d’escadrille. Je me présentai et pris une attitude un peu insolente, les mains dans les poches, pour suppléer à mon manque de galons. Cet intendant venait s’excuser de la faute de ses téléphonistes et me demandait de bien vouloir renoncer aux sanctions que j’avais demandées. J’acquiesçai avec condescendance non sans faire remarquer les conséquences graves que cet acte aurait pu entraîner, si l’Escadre avait eu à soutenir des combats. L’intendant repartit avec force remerciements. Le lendemain, au déjeuner, nous eûmes la surprise d’avoir, au lieu du rata ordinaire, de délicieux rognons que notre cuistot, cuisinier d’un prince dans le civil, avait été trop heureux de nous servir avec une sauce au porto à défaut de madère. A notre interrogation admirative, il nous dit qu’on avait apporté ces rognons du centre d’abat. Le soir, nous eûmes de la cervelle, puis le lendemain encore des rognons (qui aurait pu se douter au front que les bœufs eussent des rognons et une cervelle ?) et de nouveau de la cervelle, de sorte que nous en eûmes assez de ces plats et que nous fîmes savoir au centre d’abat que l’injure était maintenant oubliée et que nous nous contenterions maintenant de tournedos.

J’avais encore quelques troubles d’équilibre et j’enrageais de ne pouvoir voler de nouveau. Il y avait à l’escadrille une magnifique équipe de jeunes pilotes, la plupart des anciens ayant été affectés à une nouvelle escadrille de R XI, et j’espérais avoir l’occasion de descendre avec eux encore quelques Boches avant la fin de la guerre que l’on sentait proche ? Je ne puis dire le sentiment, qui est plus de la vanité ou de l’orgueil, mais plutôt une impression de puissance que j’éprouvais à commander ces hommes, presque de mon âge, dont certains avaient eu la médaille militaire dans l’Infanterie et qui me témoignaient une déférence qui me faisait rire intérieurement. Le même plaisir, que j’avais à dominer par la pression de deux doigts les 500 chevaux de mes moteurs, je le goûtais, singulièrement raffiné et exalté, à combattre avec ces quinze jeunes pilotes, qui écoutaient avec dévotion mes conseils. Le commandement, même celui d’un simple chef d’unité, est une chose enivrante, et, le plaisir que j’y goûtais, avec le souci de veiller à tout (avions, armement, cuisine, questions personnelles des hommes), me prenait tellement que je n’avais absolument pas le goût de lire. Et, chose nouvelle pour moi, et dont je ne me suis rendu compte que plus tard en assumant d’autres directions, j’éprouvais cette impression de solitude qui est le sentiment qu’a le chef d’être à part de ceux qu’il commande, non certes pour une question de personne, mais à cause de la différence de fonctions, qui est à la base du principe d’autorité. Je ne cessais pas pour autant d’être camarade avec ceux des pilotes qui étaient à l’escadrille lorsque j’y étais arrivé étant encore sous-officier, mais, c’est de leur part que je sentais une certaine réserve, et, plusieurs d’entre eux cessèrent petit à petit de me tutoyer.

Pour en revenir à mes jeunes pilotes, il y en avait un que j’appréciais particulièrement et à qui je dus faire une cruelle avanie. Il avait beaucoup de cran, était bon pilote et brûlait de descendre un Boche. Je l’avais vu plusieurs fois faire des acrobaties assez imprudentes et lui en avais fait l’observation. Il fit un jour, malgré mes avis, un départ en chandelle, qui est une des imprudences les plus à éviter et, le soir, au rapport, devant tout le personnel des pilotes et des mitrailleurs réunis, je lui fis le petit discours suivant "Vous avez fait ce matin un très mauvais départ. Peut-être que dans les écoles on épate les camarades en faisant des imprudences, mais ici, tout le monde sait piloter et tout le monde sait aussi que les meilleurs pilotes sont ceux qui savent résister à la tentation de faire des effets faciles. Si vous voulez vous distinguer, il n’y a ici qu’une méthode, c’est d’abattre des Boches." Le coup était rude et le pauvre garçon, en avait les larmes aux yeux, mais j’avais voulu porter le fer dans la plaie pour le faire renoncer définitivement à ses imprudences. Cela était de mon devoir. Je dois ajouter tout bas que, pendant la durée de mon commandement, je n’ai eu qu’une peur : c’est qu’un accident mortel arrivât, ce qui m’aurait obligé, suivant la tradition, de faire un discours au cimetière et cette pensée me glaçait d’effroi.

Je pus enfin recommencer à piloter et je participai, pendant la deuxième quinzaine d’octobre et le début novembre à de grandes expéditions de bombardement qui étaient de véritables parties de plaisir. Les Allemands battaient en retraite ; nous volions au-dessus de pays où nos troupes avançaient, chose nouvelle, et, cela donnait une singulière impression de sécurité. Les expéditions, qui avaient pour objectif des nœuds de route ou de voies ferrées, par où les ennemis étaient obligés de passer, se faisaient en masse compacte d’une dizaine d’escadrilles de bombardement escortées de deux escadrilles de R XI et protégées par une escadrille de monoplaces volant en avant et au-dessus, en tout quelque deux cents avions. Il n’y avait guère en face de nous qu’une trentaine de monoplaces allemands qui se repliaient au fur et à mesure que nous avancions. La DCA boche tirait au hasard et n’était guère à redouter. Le seul danger réel, facile à éviter, était d’entrer en collision avec les Bréguet, qui, dés qu’ils étaient délestés de leurs bombes, prenaient brusquement de la hauteur et arrivaient de partout à côté de nous.

Le 25 octobre 1918

Je suis rentré à l’escadrille ce matin. Excellent accueil. Cela fait plaisir de se retrouver parmi les camarades, et de voir les succès. Beaucoup de têtes nouvelles....Je vais commander l’escadrille par intérim, le capitaine s’en allant et son remplaçant étant malade. Peut-être garderai-je le commandement... ? Peu m’importe... Tu dois en voir de cruelles, mon pauvre vieux, en ce moment. J’espère que tu t’en tires sans mal. Moi, ça va très bien, sauf sourd de l’oreille gauche. Je ne volerai encore pas pendant quelques jours. J’ai passé une douce perm. à Bordeaux.

Au front - 2 novembre 1918

Je crois que ma nomination est confirmée. Je suis nommé sous-lieutenant à titre définitif, pour remplir les conditions nécessaires, et proposé pour deux galons (j’ai deux lieutenants, sous mes ordres !) Je vais très bien. Après deux vols d’entraînement où j’ai retrouvé toute ma forme, je suis retourné, aujourd’hui, sur les lignes, avec mon escadrille, pour protéger une de ces expéditions de bombardement qui doivent semer la panique chez le Boche. Quelques deux cents avions déversent, sur un point assez restreint, une trentaine de tonnes d’obus – quatre mille obus de 90 - en l’espace de quelques minutes, sans compter, des milliers de tracts que l’Etat Major boche redoute, paraît-il, autant que les bombes. J’ai emporté, aujourd’hui, quatre journaux annonçant l’Armistice autrichien. Ces expéditions sont fantastiques, et j’en suis toujours étonné. Trois cents avions en l’air, cela ressemble à des vols de moucherons, les soirs d’été au bord de l’eau. L’aviation boche ne peut pas exister, les canons tirent au hasard, et le seul danger réel, facile à conjurer, c’est d’entrer en collision avec son voisin.

Au front – 4 novembre 1918

Cette lettre te donnera des nouvelles fraîches car c’est un de mes pilotes, le caporal Trolonge qui te la portera directement en allant en perm. à Bordeaux. Il te dira, sur notre installation, notre vie et notre travail les détails que tu peux désirer savoir et que je ne pourrais mettre en quatre pages. La C 46 est ramenée à 10 appareils comme toutes les autres escadrilles R XI (elles étaient à 15). Il se forme une nouvelle escadrille sur notre terrain, qui sera en subsistance à la C 46 jusqu’à son organisation complète. Cela me donne encore du tintouin et encore plus d’animation à notre camp de nomades. Les affaires en effet ne marchent pas trop mal – un tuyau de ce soir, dernière heure : les Boches auraient arboré un drapeau blanc sur le clocher de Le Chesne (sur la route qui relie Vouziers à Sedan, à 25 km environ au sud de Sedan.) C’est sans doute une démonstration individuelle ou un piège – mais c’est symptomatique. Je crois que je n’aurai pas le temps de descendre 10 Boches avant la fin de la guerre…. Je m’en consolerai facilement.

Au front - 6 novembre 1918

Ça va très bien, J’ai été me balader avec les Breguet, à une dizaine de kilomètres chez le Boche, par un temps vaseux. Pas de Fritz, et les auto-canons doivent être en train de se replier en bon ordre. Le pilotage va tout à fait bien. Mes jeunes pilotes et mitrailleurs pètent le feu et pleurent quand ils ne volent pas. Aujourd’hui, à cause du temps brumeux et du vol bas, je n’ai fait partir que trois anciens et moi. Les autres rouspétaient intérieurement. C’est un plaisir de commander ces gars-là ; mais il y a encore à leur apprendre, car depuis qu’ils sont ici, il n’y avait pas d’officier pilote, et en l’air, c’est un peu la pagaille. Malheureusement, dans ces expéditions de bombing, plus de Boche à descendre. Cela m’ennuierait que l’escadrille n’ait plus ses deux Boches par mois, comme avant.

Commentaires de Paul Resal :

Au début de novembre, l’Autriche déposé les armes. J’emportai dans ma carlingue une centaine de "Petit Parisien" que je jetai dans les lignes ennemies pour annoncer aux Boches la nouvelle qui leur était peut-être cachée. Nous changeâmes de terrain le 10 novembre et, c’est à Neufchâteau, non loin de Domrémy, que j’appris la nouvelle de l’Armistice. J’occupais, en attendant que le cantonnement fut installé, une chambre dans un petit hôtel de la ville. Le matin, en ouvrant ma fenêtre, je vis dans la cour une voiture sur laquelle on avait fixé un petit drapeau tricolore. Je compris que la guerre était terminée.

Cette journée du 11 novembre 1918, qui fut l’objet d’une allégresse et d’un enthousiasme sans pareil dans toute la France et principalement à Paris, fut pour moi assez mélancolique, non que je ne me réjouisse comme tout le monde de notre victoire et surtout de la pensée que mes parents avaient cessé de vivre le cauchemar qu’ils connaissaient depuis tant de mois, mais je n’avais personne à qui communiquer ma joie, et moi qui aime tant la solitude, je reconnus que le contact de ses semblables est une nécessité dans les moments de grandes émotions, qui, pour avoir toute leur plénitude, ont besoin d’être partagées. Le ciel était bas, le temps assez triste et la ville de Neufchâteau était occupée par les Américains, dont les vociférations joyeuses et les beuveries répondaient mal à mon état d’esprit. Nous nous réjouissions d’aller prochainement en Alsace, province dont on ne prononçait le nom qu’avec tristesse depuis près de cinquante ans et que nos troupes commençaient d’occuper. L’entrée des Français à Strasbourg s’était faite dans un enthousiasme indescriptible. Notre armée devait entrer dans Metz le 11 novembre et l’escadre XIII, dont nous faisions partie devait survoler la ville dans un ordre magnifique et soigneusement réglé d’avance. Malheureusement, il fit un temps affreux au début de cette mémorable journée ; une épaisse couche de nuages touchait presque le sol et une petite pluie tombait sans discontinuer.

A midi, la pluie avait cessé, mais le plafond de nuage était tellement bas que l’on dut renoncer au défilé aérien. L’ordre me parvint de ne pas faire sortir l’escadrille et de n’envoyer qu’un seul appareil, s’il se présentait un volontaire. Je me désignai moi-même et demandai deux volontaires pour m’accompagner. J’appris par cœur la carte de Neufchâteau à Metz et m’envolai aussitôt. Avec la visibilité assez mauvaise des avions, ce vol à 100 mètres d’altitude, collant au plafond des nuages, était assez curieux et en tout cas assez nouveau pour moi. Je me dirigeais en repérant les bois et en suivant les routes, les voies ferrées et les rivières, plus à la façon d’un voyage en auto que d’un vol d’avion. A mi-chemin, le plafond des nuages s’éleva et même le ciel apparut au-dessus des nuages. Je m’élevai au-dessus d’eux, continuant à me diriger par ce que j’apercevais de temps en temps à travers les trous de nuages. Ceux-ci devenaient de plus en plus larges et je me félicitais, en contemplant ce paysage nouveau, la Lorraine reconquise, d’avoir pris le départ. Mais, en arrivant au-dessus de la Moselle , je vis la couche de nuages des resserrer devant moi. Je continuai néanmoins, volant alors à quelque 1500 mètres d’altitude, mais je me rendis compte bientôt que cette mer de nuages au sol était absolument soudée et que je n’avais pas de chance d’atteindre Metz, encore distant d’une cinquantaine de kilomètres, en volant au-dessus de ce plafond. Je fis alors une descente en un large cercle et vins glisser dans le tunnel que formait en quelque sorte la couche de nuages reposant sur les hauteurs qui bordent la vallée étroite de la Moselle.

Je naviguais d’une façon singulière dans ce fossé, suivant les sinuosités de la rivière, avec le double souci d’avoir toujours en vue un bout de terrain plat où atterrir en cas de nécessité, car un de mes moteurs ne tournait pas rond et de ne pas entrer en collision avec les avions qui se rendaient à Metz comme moi ou qui en revenaient. C’était une suite incessante d’avions qui me dépassaient ou que je dépassais moi-même, et nous nous faisions des signes de main amicaux au passage. Heureusement, le plafond se leva un peu à l’approche de Metz et je pus tourner pendant cinq minutes à 200 mètres au-dessus de la ville, distinguant la multitude de drapeaux qui flottaient à la façade des maisons et la foule compacte qui circulait dans les rues. Enfin, j’aperçus la longue colonne de nos troupes, dont la tête arrivait à ce moment à la cathédrale. Je jetai des milliers de petits drapeaux tricolores, dont on m’avait muni et, n’osant atterrir à cause de mon moteur, qui me donnait de plus en plus d’inquiétude, je rentrai à l’escadrille, animé des pensées que l’on devine au retour de cette apothéose. Si la guerre est une réalité abominable, elle est, pour ceux qui se battent, l’occasion, même s’ils n’en ont pas conscience, de mener l’existence la plus conforme à leur vocation d’homme, le désintéressement et l’esprit de sacrifice étant l’exigence fondamentale de la nature humaine ; c’est pourquoi, tant de ceux qui ont fait la guerre ont gardé la nostalgie d’une époque exaltante, dont souvent ils n’ont pas retrouvé l’équivalent dans le bonheur de la paix.

Escadrille SPA 38 - 8 novembre 1918

Glenn SITTERLY à PAUL (Pilote américain qui avait passé quatre mois à la C46 avant de passer sur Spad)

Je n’ai pas pu me renseigner du terrain de la C 46, mais je cherche toujours et peut-être un jour vous m’auriez pour déjeuner avec vous. Félicitations à vous comme chef de la 46. Je sais que vous le méritez parce que vous avez fait un travail énorme à la 46. Je regrette un peu que la guerre soit finie – parce que la chasse est devenue intéressante, j’ai eu deux ou trois combats et un Boche descendu sur Rethel qui n’est pas encore confirmé. Mais c’est la paix – je rentre chez moi, content, heureux, que nous avons gagné la guerre. Je suis fier d’avoir connu les hommes français, comme vous, comme les meilleurs qui ont fait la guerre – pour moi c’est une éducation énorme – que je n’aurais pas pu gagner dans une école. Et je viendrai déjeuner avec vous, Résal – parce que ça me fera grand plaisir. Je vous envoie une petite photographie de moi. Et écrivez-moi. Acceptez mes bonnes amitiés

Au front - 12 novembre 1918

La guerre finie ! Cet événement, en l’attente duquel on vivait depuis quatre ans, est tellement énorme qu’on ne s’en rend pas très bien compte. Cela m’a laissé presque froid, comme tous les autres événements sensationnels de la guerre - sauf l’attaque boche de mars 18 et la reprise de Péronne - et il faut que je réfléchisse pour exciter ma joie.

Les démonstrations bruyantes des Américains, qui cantonnent à côté de nous, ne créent pas une atmosphère correspondant à mon état d’esprit, et malgré mon amour de la solitude, je constate que la présence de ses proches ou de vrais amis, manque dans une circonstance comme celle-ci. Je me réjouis surtout, en pensant que pour Maman et pour vous tous, ces années d’angoisse quotidienne sont terminées.

Les drapeaux sont sortis de partout, comme par enchantement. Toutes les cloches se sont mises à sonner dans la campagne, et l’on a revu quelques-unes des scènes de 1914, de la population civile, à l’égard des troupes.

Au front - 19 novembre 1918

Je viens de voler deux heures, par un sale temps, brume, plafond bas, coups de tabac, avec un moteur marchant à moitié. Mais pendant cinq minutes, au-dessus de Metz, à 300 mètres, je n’ai pas regretté ma peine.... Il devait y avoir une expédition de toute la division aérienne, en colonnes de groupes et d’escadrilles ; mais le temps défavorable l’a empêchée. On a demandé un volontaire par escadrille, pour jeter des petits drapeaux, comme ceux-ci (qui y sont allés dans ma poche); Tu penses bien que j’ai laissé les pilotes déjeuner tranquillement, et suis parti avec le père Astouin et un autre mitrailleur. Au bout de trois quarts d’heure de vol, entre 200 et 600 mètres , où je passais mon temps à chercher au sol le bout de terrain où j’allais peut-être être obligé d’atterrir à cause de mon moteur, je suis arrivé sur Metz, au moment où les troupes, en larges colonnes, arrivaient à la cathédrale. Il n’y avait qu’un Spad et moi en l’air, à ce moment-là. J’avais croisé à l’aller, quelques Breguet qui en revenaient. D’autres, et surtout des Spad, avaient atterri au terrain de Frescaty, pour aller voir le défilé. Il y avait des spectateurs en ville, mais pas tellement, autant que j’ai pu voir, sauf dans le quartier autour de la cathédrale. Beaucoup de drapeaux aux fenêtres, que je voyais bien, étant bas. Si mon moteur de gauche n’avait pas cafouillé tant que cela (et j’avais plus de 80 km à faire pour rentrer), j’y serais resté longtemps, tellement ce spectacle était impressionnant par la pensée que j’y attachais. J’ai jeté deux mille petits drapeaux, qui ont dû tomber sur les troupes en marche, à l’endroit où la foule était la plus dense.

Un des 2.000 petits drapeaux que Paul Resal a lancé sur la ville de Metz, le 19 novembre 1918 - Photo collection Jacques Resal, son fils que je remercie pour son aide.

Au front – 21 novembre 1918

Hier, j’ai fait mon entrée triomphale à Metz. Au-dessous de moi il y avait, paraît-il, Foch, Pétain et Mangin, et une armée, qui la faisait en même temps. J’ai assez bien vu l’armée, mais pour les trois premiers, je ne les ai pas distingués de la foule. Mais eux ont dû me voir, ce dont je serais infiniment flatté si j’étais sûr qu’ils sussent que c’était moi. J’étais entre 250 et 300 mètres , avec un moteur qui au départ avait perdu 3 ou 4 bougies et faisait une pétarade tout à fait singulière. Mais pour assister à ce spectacle historique, j’aurais volé avec une aile de moins !

Il faisait un temps assez moche. Fort vent du nord et plafond brumeux à 400m. Toute la Division Aérienne devait survoler Metz – 800 avions. Mais à cause du temps, on avait demandé un volontaire par escadrille pour jeter les petits drapeaux. J’ai volé dans ces conditions-là pendant deux heures, ce qui n’a pas été agréable, sauf pendant cinq minutes. Je passais mon temps à chercher le carré de choux où j’allais être obligé d’atterrir ; la vallée de la Moselle est assez encaissée et pittoresque. J’étais à peu près à la hauteur des collines, à 200 m au-dessus du fond de la vallée. Ce fut très sport. Je rencontrais de temps en temps, émergeant de la brume, un Breguet ou un Spad qui revenait de là-bas. Je me suis trouvé seul au-dessus de Metz, ce qui n’est pas de trop pour un R XI. Les fantassins défilaient en larges colonnes ; et la colonne plus étroite d’artillerie et de cavalerie (?) s’étendait sur plusieurs kilomètres en dehors de la ville.

En tournant sur la cathédrale, le père Astouin a lancé deux mille petits drapeaux, moins une douzaine que j’avais dans ma poche et dont en voici deux pour Fa et toi si vous aimez les souvenirs. Ils ont dû tomber à l’endroit où la foule était la plus dense et sur la colonne en marche. Et je m’en fus aux acclamations frénétiques de la foule en délire, comme je le sentis au coup de tabac qui me secoua tout à coup – à moins cependant que ce fut un remous causé par un Spad qui cherrait à côté. Il y avait une douzaine d’appareils à cocardes tricolores sur le terrain de Frescaty – j’aurais bien atterri comme eux si je n’avais eu la certitude de ne pouvoir repartir à cause de mon moteur auquel les émotions fortes et les journées historiques ne valent rien.

J’ai eu le journal de ce matin. On y parle de Foch, de Pétain et de Mangin, même de la Xème Armée , mais pas de moi…. ? J’ai dû passer au moment où on jouait la Marseillaise et mes petits drapeaux doivent être tombés sur les toits. Vanitas vanitatum ! Ce vol est celui qui m’a le plus impressionné, avec celui où j’ai descendu mon premier Boche, et le bombardement de Ressons-sur-Matz ou deux cents avions se trouvaient ensemble sur l’objectif, dans la brume et la bourrasque, le jour où deux Breguet sont entrés en collision à cent mètres de moi. Pauvres embusqués qui n’auront pas connus la guerre ! Nous allons partir d’un jour à l’autre pour le Palatinat sans doute. Je t’enverrai des cartes postales.

Décembre 1918

Le Commandant de la MORLAIS à PAUL

Mon cher Résal, Je vous transmets la dernière citation de l’escadre, dans laquelle j’ai tenu à ce que figure votre nom, comme commandant de la glorieuse C 46. Toute l’escadre a maintenant la fourragère, mais votre ancienne et chère escadrille la porte seule aux couleurs de la Médaille Militaire. C’est un honneur dont vous avez le droit d’être fier et auquel vous avez vaillamment contribué. Avec mes félicitations, agréez mon cher Résal, mon meilleur et plus cordial souvenir.

L’escadre de bombardement n° 13

Citation à l’ordre de l’Armée en novembre 1918 - Unité de premier ordre, sous le commandement du chef d’escadron de la Morlais, secondé par le capitaine de Geffrier, commandant le Groupe n° 4, et protégée par l’escadrille de triplaces commandée par le sous-lieutenant Resal : "Depuis le mois de septembre 1918, a brillamment pris part à toutes les opérations de nos armées, en Champagne, sur l’Aisne et dans la Woëvre , faisant preuve du plus bel esprit offensif, conservant jusqu’au dernier jour son moral élevé et sa confiante ardeur ; a réussi à atteindre sévèrement l’ennemi dans ses cantonnements et dans ses formations de combat, coopérant ainsi avec les autres armes, à mettre l’ennemi en déroute, etc..."

 

Ltt Paul Gabriel Resal - né le 12 avril 1894 à Lyon (69) - Fils d'Eugène Resal et de Julie Gratiot - Profession avant guerre étudiant - Mobilisé au 18ème régiment d'artillerie, le 2 septembre 1914 - Nommé brigadier, le 1er janvier 1915 - Nommé MdL, le 10 octobre 1915 - Passé à l'aviation comme élèce pilote, le 16 février 1916 - Brevet de pilote militaire n° 4213 obtenu à l'école d'aviation militaire de Tours, le 11 août 1916 - Brevet de pilote FAI n° 4369 du 7 septembre 1916 - Stage de transformation à l'école d'aviation militaire de Buc - Stage de perfectionnement à l'école d'aviation militaire d'Avord - Stage du tir aérien à l'école de Cazaux - Stage de haute Voltige à l'école de Pau - Pilote de l'escadrille N 83 du 7 février au 24 mars 1917 - Blessé en combat aérien, d'une balle à la tête, aux commandes d'un Nieuport 17, le 24 mars 1917 - Evacué sur l'hôpital 14 de Jonchery - Pilote de l'escadrille C 46 du 4 janvier à novembre 1918 - Commandant l'escadrille C 46 du 27 octobre à la fin 1918 - Chevalier de la Légion d'Honneur et une citation à l'ordre de l'armée, le 1er avril 1917 - Photo Paul Resal transmise par Jacques Resal, son fils.

 

Remerciements à :

- M. Jacques Resal pour la transmission des lettres écrites par son père Paul Resal.
- M. Victor Castagnet pour la transmission de la photo de son grand oncle Paul Resal.

Bibliographie :

- Site Internet "Mémoires des hommes" du Ministère de la défense - Voir le lien
- Les "As" français de la Grande Guerre en deux tomes par Daniel Porret publié par le SHAA en 1983.
- The French Air Service War Chronology 1914-1918
par Frank W.Bailey et Christophe Cony publié par les éditions Grub Street en 2001.
- Les escadrilles de l'aéronautique militaire française - Symbolique et histoire - 1912-1920
- Ouvrage collectif publié par le SHAA de Vincennes en 2003.
- L'aviation française 1914-1940, ses escadrilles, ses insignes - par le Commandant E Moreau-Bérillon - publié à compte d'auteur en 1970.
- Les Armées françaises dans la Grande Guerre publié à partir de 1922 par le Ministère de la guerre.

 

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Félix Ruinet Julien Antoine

 

 

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