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Jean Victor Labarrère

Adj Jean Victor Labarrère photographié au début de sa carrière au sein de l'aéronautique militaire - Il a obtenu le brevet de pilote militaire n° 4067 à l'école d'aviation militaire d'Etampes, le 29 juillet 1916 - D'abord pilote de l'escadrille 522, il a ensuite été instructeur de la section Caudron de Thermi-Sedhès - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Adj Jean Victor Labarrère

Adj Jean Victor Labarrère - Né le 27 janvier 1896 à Bouscat (33) - Fils de Victor Labarrère et de Marie-Louise Pauline Puyo - Profession avant guerre agent commercial - Domicilié avant guerre au 61, boulevard Antoine Gautier à Bordeaux - Classe 1916 - Recrutement de Bordeaux, sous le matricule n° 3662 - Mobilisé au 14ème régiment d'artillerie, le 9 avril 1915 - Affecté dans cette unité du 9 avril au 4 juin 1915 - Passé au 2ème groupe d'aviation de Lyon-Bron, comme conducteur automobile, le 4 juin 1915 - Nommé caporal, le 7 juin 1915 - Nommé Sergent, le 28 février 1916 - Brevet de pilote militaire n° 4067 obtenu à l'école d'aviation militaire d'Etampes, le 29 juillet 1916 - Insigne métallique de pilote militaire n° 3050 - Affecté au front d'Orient du 20 novembre 1916 au 12 septembre 1919 - Affecté au 3ème groupe d'aviation, qui administre les escadrilles engagées en théâtre d'opérations extérieures, le 1er janvier 1917 - Affecté au parc d'aviation de Mikra (Grèce) - Nommé Sergent-Major, le 20 novembre 1916 - Pilote de l'escadrille MF 384 / 522 à Vertekop du 26 décembre 1916 au 23 décembre 1917 - Pilote instructeur de la division Caudron de Thermi-Sedhès (à 10 km de Salonique) du 23 décembre 1917 au XX septembre 1918 - Nommé Adjudant, le 15 avril 1918 - Parti en permission en France, souffre d'une crise d'une grave crise de paludisme et ne peux rentrer en Orient - Affecté au centre GDE de Chartres pour examens et nouvelle orientation - Resté à Chartres jusqu'a la fin de la guerre et finalement démobilisé, le 13 septembre 1919 - Affecté dans la réserve au 31ème régiment d'aviation, le 1er janvier 1920 - Affecté au 2ème groupe d'ouvriers d'aéronautique, le 29 janvier 1926 - Désaffecté du 2ème GOA et classé affectation spéciale au titre de la manufacture Bordelaise de boites métalliques au 65, boulevard Antoine Gauthier à Bordeaux, en qualité de directeur commercial, à compter du 7 mars 1928 - Domicilié au 11, rue du Foulon à Tarbes - Rayé de l'affectation spéciale, le 15 avril 1935 - Domicilié au 61, boulevard Antoine Gauthier à Bordeaux, à compter du 15 novembre 1935 - Classé en affectation spéciale pour trois mois à compter du 19 juin 1939 au titre de la manufacture bordelaise de boites métalliques à Bordeaux (comme directeur général des établissements V. Labarrère) - Décédé, le 9 novembre 1941 - Sources : Pam - Fiche Matricule du département de la Gironde - CCC escadrille 522.

* Citation à l'ordre de l'armée serbe permettant l'obtention de la Médaille militaire serbe - "MdL Jean Victor Labarrère, pilote de l'escadrille 522, pilote habile, courageux et audacieux; exécute avec autant de bonne volonté que d'initiative les missions les plus difficiles. A exécuté de nombreux bombardements. A eu plusieurs fois son avion atteint par des balles ennemies."

* Citation n° 62 à l'ordre de l'aéronautique du MdL Jean Victor Labarrère, pilote de l'escadrille 522, en date du 1er août 1917 : "Pilote adroit et sûr, spécialiste des bombardements. A accompli, avec beaucoup d'entrain et de courage de nombreuses missions à longue portée malgré une aviation de chasse adverse redoutable. Est revenu très fréquemment avec son avion endommagé par les projectiles ennemis." - Cette citation donne l'obtention de la Croix de Guerre 1914-1918.

* Citation n° 94 à l'ordre de l'armée du MdL Jean Victor Labarrère, pilote, en date du 7 janvier 1918 : "Excellent pilote donnant le plus bel exemple et une preuve constante de son mépris absolu du danger. Le 14 décembre 1917, au cours d'une reconnaissance à longue distance pour laquelle il était volontaire, a brillamment soutenu un combat inégal contre deux monoplaces ennemis. grâce à son sang-froid et à son courage a pu regagner nos lignes bien que son moteur ait été atteint dans un organe essentiel. Déjà cité à l'ordre."

* Ordre n° 17.0006 à l'ordre de l'armée serbe du MdL Jean Victor Labarrère, pilote en date du 27 janvier 1918 : "Pilote d'élite, spécialiste des bombardements et reconnaissances à longue portée. Le 14 décembre 1917, ayant été attaqué par deux monoplaces ennemis, au cours d'une reconnaissance photographique a réussi à mettre ces avions en fuite et à regagner nos lignes bien que son appareil fut criblé de balles."

1ère partie - Les écoles :

Préparation à l'examen visant à l'admission en école de pilotage :

Il passe avec succès l’examen de l'école d'aviation de Dijon-Longvic. Il a été interrogé sur le moteur Renault 80 HP et les avions MF 11 et Voisin LA. La réussite à cette épreuve, éliminatoire, est obligatoire pour poursuivre son parcours au sein des écoles d'aviation militaire

Longvic, le 5 avril 1916.

Bien cher Papa,

J’ai le plaisir de t’annoncer que j’ai terminé ce matin l’examen éliminatoire avec succès : je suis à peu près certain de passer l’examen définitif dans de bonnes conditions. J’ai été examiné sur le moteur Renault 80HP et sur l’avion MF et Voisin : tout a marché à souhait et j’en suis bien heureux. Je ne sais pas encore la date exacte de notre départ, mais ce sera sans doute retardé à cause de l’encombrement qu’il y a dans les écoles. Dans l’attente du plaisir de te lire, je t’envoie, bien Cher Papa, mes baisers les plus affectueux. Ton grand fiston qui t’aime.

Envoie-moi ce que tu pourras, cher Papa et je m’arrangerai.
Je crois que dimanche je vais aller à Lyon avec le Sergent Cocheux, pilote de Maurice Farman le matin, et rentrerons le soir par la voie des airs. Ce sera un charmant voyage si le temps le permet. C’est un ancien pilote du Camp d’ Avord en qui j’ai toute confiance, l’ayant vu évoluer. Si j’y vais, je t’enverrai un mot de là-bas.

Affectueux baisers de ton fils bien respectueux.

Les épreuves de l’examen de pilotage - Avions possibles - l'équipement du pilote - Demande d' aide financière :

Longvic, le 5 avril 1916

Bien Cher Père,

J’ai reçu tout à l’heure ta bonne lettre du 3 mars qui s’est croisée avec celle que je t’ai adressée ce matin. Voyant comme toi dans ce que l’on nomme le hasard ou la main de Dieu, je me range à ton avis de ne rien faire pour aller dans telle école ou dans telle autre : je suivrais ma destinée, et c’est je crois ce qu’il y a de mieux.
Tu me demandes la progression de notre instruction pratique; elle est différente avec les appareils : les MF, les Voisin, les Morane et les Caudron ont des entraînements assez différents et je m’en vais te donner une idée de ce qu’ils sont :

MF 11 : 3 ou 5 heures de double commande - on évolue avec un moniteur qui s’attache surtout à faire faire à l’élève un grand nombre d’atterrissages - la partie la plus délicate du pilotage : quand il juge que l’élève est capable de voler seul, il est lâché sur un avion de puissance moyenne. Il s’entraîne alors "sur la campagne" en vue des épreuves du brevet militaire : cet entraînement varie entre 5 et 10 heures de vol, avec des avions de puissance croissante : 50, 70, 80 HP. Jugé capable de tenter ses épreuves l’élève part : ces épreuves sont les suivantes :

  • voler une heure au-dessus de 2 000 mètres.
  • deux voyages en ligne droite de 150 km entre deux points fixés à l’ avance et sans autre atterrissage qu’ à l’arrivée de chacune des lignes droites.
  • un voyage triangulaire de 300 km avec 2 escales aux deux sommets ou plutôt aux deux bases du triangle.
  • une descente en spirale, l’hélice calée d’une hauteur d’au moins 500 m. Pour les deux voyages on a 48 heures. Ces épreuves sont les mêmes pour tous les avions.
Voisin et Caudron : on fait du "rouleur" avant la double commande, avec un appareil ayant les ailes trop courtes pour pouvoir s’envoler.

Morane : cet appareil étant assez difficile à piloter on fait d’abord du Blériot et l’on passe ensuite sur Morane d’abord de 23 m² puis de 18 m². L’instruction est de durée variant entre 2 et 3 mois. On peut facilement avoir son Brevet Militaire (B.M) au bout de deux mois 1/2.

Pour mon équipement, je ne puis te fixer une somme exacte attendue que je ne connais pas les prix des articles qui me sont nécessaires. Voici ce qu’il me faudrait : nous touchons des cuirs (veste et pantalon) mais ces vêtements sont insuffisants pour voler dans les hauteurs (1000 et 2000 m) et l’on est obligé de se couvrir énormément en dessous, ce qui gêne beaucoup les mouvements et à souvent entraîné des accidents. Pour remédier à cet emmaillotage une tenue en cuir fourrée est recommandée à ceux qui peuvent se la procurer. Le prix en est je crois d’une centaine de francs. Maman pourra d’ailleurs se renseigner. Les autres articles sont insignifiants : chandails, gants et lunettes. Le reste nous est donné.

Départ annoncé vers une école de pilotage :

Longvic, le 10 mai 1916

Bien Cher Papa,

Ça y est ! je crois que nous allons enfin pouvoir quitter Longvic. Le départ est fixé à dimanche soir ou lundi matin, mais nous ne savons pas exactement sur quel centre nous serons dirigés. La partie la plus intéressante de ma nouvelle existence va commencer : je vais piloter seul ! et je te le dis franchement j’ai bon espoir. Un mot de toi, Cher Père, avant de commencer me ferait plaisir.

Affectueux baisers de ton fils respectueux.

Premiers vols en double commande sur MF 7 modèle 1913 avec l’instructeur Hérisson à l’ Ecole d’Etampes :

Etampes, le 23 mai 1916

Bien Cher Papa,

Je te remercie tout d’abord du mandat que tu as bien voulu m’adresser et attends impatiemment la lettre que maman m’a annoncée.

Nous avons commencé hier matin notre entraînement qui consiste à faire de la double commande (D.C) sur un appareil MF du type 1913, stabilisateur à l’avant. Cet appareil DC possède comme son nom l’indique une double commande. L’élève se place à l’avant, c’est-à-dire à la place occupée réellement par le pilote, et le moniteur se met derrière lui et tous deux ont à leur disposition un gouvernail de profondeur et un gouvernail de direction.

Pour ma part j’ai un excellent instructeur, le maréchal des logis Hérisson, tout à fait charmant et excellent instructeur. Voici ce qu’il m’a dit après mon premier voyage : "Vous avez une main excellente, vous piloterez très vite ! " Ces paroles m’ont rempli le cœur de joie ! d’ailleurs, je t’assure, bien Cher Papa, que ne n’est rien de bien difficile comme manœuvre.

Les mouvements à faire sont purement du réflexe et on y arrive très vite avec un peu de sang-froid. Le type 1913 stabilisateur à l’avant est d’ailleurs le meilleur appareil pour le débutant, justement de part son stabilo à l’avant. En effet, cette disposition permet d’avoir continuellement sous les yeux un moyen de juger de la ligne de vol de son appareil : soit qu’il monte, soit qu’il descende, ou encore qu’il monte horizontalement. S’il monte, l’on pousse le gouvernail de profondeur en avant (c’est le mouvement instinctif) et tu es à la descente. Si au contraire tu descends, tu tires le gouvernail à toi et tu es en ligne de montée.

Pour virer à droite ou à gauche tu agis respectivement à droite ou gauche et cela non seulement avec ton gouvernail de direction, mais également avec ton gouvernail de dégauchissement qui donne à l’une ou l’autre aile suivant le cas, plus ou moins d’incidence. En somme, la question pilotage est une question d’habitude et je crois que j’y arriverai excessivement vite car j’ai beaucoup de sang-froid dans mon appareil. Hier et ce matin encore mon moniteur m’a lâché dans une ligne droite, … en passant au-dessus d’un petit bois ce matin, comme nous n’étions guère à plus de 150 m nous avons été secoués par un remous. Mon appareil s’étant penché à gauche, calmement je l’ai remis à droite.
En somme, j’ai fort bon espoir et compte franchement réussir. Ne viendras-tu pas me voir dans quelque temps, bien Cher Papa ? Je serais très heureux car cela calmerait tes alarmes et celles de maman qui n’a pas l’air rassurée. Avec de la prudence, de la confiance en soi et du sang-froid, on ne risque pas beaucoup plus en avion qu’en auto ou en moto… peut-être moins, car on trouve moins vite le sol et même dans une chute, on a le temps de se redresser.

Adieu, bien Cher Papa, écris-moi le plus souvent possible, tes lettres m’apportent toujours en plus d’une grande joie, de bons conseils et de la confiance.

Reçois les plus affectueux baisers de ton fils qui t’aime.

Entraînements de 20 mn en vol en double commande à Etampes :

Etampes, le 28 mai 1916

Bien Cher Papa,

Par Maman et par Odette j’ai appris que tu étais de "semaine" et je comprends très bien que tu n’aies pas eu le temps de m’écrire. J’ai moi-même voulu attendre la fin de la semaine pour te résumer ce que j’ai fait.

Nous avons continué nos séances de DC 1913 à raison de 10 à 20 minutes de vol par jour. Cela semble insignifiant comme durée et pourtant je t’assure, cher Papa, qu’avec l’attention soutenue que nous y apportons nous sommes très fatigués moralement et physiquement en descendant de l’appareil. Selon les prévisions de mon moniteur, je dois être lâché seul au bout du 2 h de DC, c’est-à-dire cette semaine s’il fait beau. En effet, ces jours derniers il a fait un peu d’orage et de vent et nous nous abstenons de voler.

Je suis heureux de pouvoir t’apprendre que j’ai en main le plus difficile dans la question du pilotage, c’est-à-dire l’atterrissage. Pour cela je suis en avance sur mes camarades et mon moniteur ne touche plus aux commandes quand nous approchons du sol. Les premiers ont été un peu "sonnés", c’est-à-dire que l’appareil a un peu rebondi mais avant hier et hier cela a très bien marché. Nous avons failli assister avant hier à un terrible drame : deux de nos commarades se sont rencontrés en l’air et par miracle, ils ont atterri sans aucun dommage, que des dommages matériels. Sur mille cas semblables 999 se tuent !
Aujourd’hui dimanche, nous avons repos jusqu’à ce soir 16 h et ensuite nous reprendrons nos séances de vol.

Bien Cher Papa, écris-moi bien longuement, tes lettres me font grand plaisir. Embrasse pour moi, Maman les petits et garde pour toi les plus affectueux baisers. De ton grand fils respectueux qui t’aime.

Raymond va piloter seul :

Etampes, le 1er Juin 1916

Bien Cher Papa,

Je t’envoie sous ce plie la photo d’un "Fokker" abattu dans nos lignes. C’est exactement notre "Morane" qu’ils ont copié quand ils ont fait prisonnier notre Garros. Le moteur dont je t’envoie également une photo est exactement notre moteur rotatif "Gnome". C’est un de mes amis de la T.S.F. qui se trouvait là qui l’a photographié et qui me l’a envoyé. Je t’envoie également un petit article découpé dans un journal d’Etampes à notre sujet. Vraiment il faudrait que ces braves et paisibles d’Etampes se trouvent du côté des régions envahies… et puis, ils peuvent dire qu’ils en ont fait des sacrifices pour avoir de la troupe ! si ce sont des sacrifices … , il y a longtemps qu’ils se sont remboursés…. car pour des Estampois… ils nous estampent assez !

Je suis tout heureux de t’apprendre, cher Papa, que je vais être lâché seul aujourd’hui ou demain, suivant l’état de l’atmosphère. Je n’ai nullement peur et je me sens très confiant en moi-même. Nous avons eu deux accidents à déplorer hier et à aujourd’hui : un à l’aérodrome Belge hier ; le pilote a été opéré du trépan et ne s’en sortira sans doute pas et un autre ce matin, chez nous, qui n’a eu des suites fâcheuses qu’au point de vue matériel.

Ces deux accidents ont à peu près la même cause : une perte de vitesse par suite d’une faute grossière de pilotage. L’un le premier a voulu atterrir trop brusquement ayant une ligne d’arbre dans laquelle il avait peur de s’emboutir, l’autre n’a pas su apprécier la hauteur à laquelle il se trouvait au moment d’atterrir et à relever son appareil trop tôt à 20 m du sol au lieu de 0.50 ou 0.75 comme il le faudrait, il a glissé sur l’aile gauche et a "bouzillé" complètement l’appareil.

Chaque jour, cher Papa, j’attend une lettre de toi et je suis un peu déçu. Est-ce la demande que je t’ai adressée qui te gêne ? Si ce n’est que cela… c’est bien simple ! Ecoute ton cœur et je suis sûr que ta réponse me sera favorable. Embrasse pour moi Maman et tous les petits, et garde pour toi les plus affectueux baisers de ton fils respectueux qui te chérit.

Un premier vol de 25 mn, seul à bord :

Etampes, le 9 juin 1916

Mon bien cher Papa,

Bien que je sois très fâché de n’avoir pas reçu de tes nouvelles, je ne puis te laisser ignorer toute ma joie. J’ai volé hier au soir seul sur l’aérodrome. Tout s’est fort bien passé et aujourd’hui encore j’ai volé 25 mn tout seul ! Tu ne peux te figurer, Cher Papa, combien ma joie est grande de pouvoir t’annoncer cette heureuse nouvelle ! Un de mes camarades m’ayant photographié immédiatement après mon atterrissage, je me suis empressé de lui en demander une épreuve pour aujourd’hui. Je la joins à ma lettre. Puisse-t’elle te faire quelque plaisir.
Allons, cher Papa, un peu de courage. Ecris-moi bien longuement et n’oublie pas que j’attends une réponse que ton cœur seul doit dicter. Je sais qu’ainsi elle sera conforme à mes plus chers désirs.
Embrasse bien fort Maman chérie pour moi, sans oublier les petits et garde pour toi, bien Cher Papa, les plus affectueux baisers de grand fils respectueux qui t’aime.

Descrition du MF :

Grand hôtel, le 24 juin 1916

Bien Cher Papa,

Maintenant que je suis lâché seul définitivement sur avion de guerre MF je vais pouvoir te causer un peu de cet appareil au double point de vue construction et manœuvre, espérant que cela t’intéressera.

L’avion MF est un biplan. Les deux plans sont formés par des nervures en bois creux, recouvertes de toile enduite de vernis de façon à offrir une moins grande résistance à l’avancement ; toujours pour porter au minimum cette résistance le bord d’attaque de ces plans est plus épais que le bord de sortie. Les ailes (ou plans) sont courbes pour profiter du phénomène physique de succion opéré par les couches d’air se trouvant au dessus de l’avion et pour aider à la sustentation grâce aux couches d’air inférieures. Les deux plans sont reliés entre eux par des poutres en bois creux, l’espace compris entre ces poutres forme les cellules. Pour assurer la rigidité de ces cellules on a relié les poutres entre elles par des "cordes à piano" (câbles en fil de fer 18 à 20/10) placées en diagonale. La carlingue est située entre les deux cellules centrales et porte le moteur, le pilote et le passager (en un mot, tous les accessoires).

Les deux parties extrêmes du plan supérieur sont mobiles autour de charnières et à l’aide de commandes à la disposition du pilote agissent en sens opposé (quand l’une s’abaisse, l’autre se lève). C’est le gouvernail de profondeur. La queue de l’appareil auquel elle est reliée par des poutres latérales et par des cordes à piano porte un plan parallèle aux deux plans formant les cellules, qui complète le gouvernail de profondeur. La queue porte en outre deux plans verticaux en forme d’oreille qui servent de gouvernail de direction. Le tout est soutenu au sol par le train d’atterrissage qui comprend : 2 paires de roues rendues élastiques par des sandows et à l’avant de ces roues une paire de petits skis pour éviter le capotage et l’atterrissage.
Les moteurs employés sur les avions dont nous disposons en école sont : le Renault ou le de Dion- Bouton 80 HP, tous deux du type de moteur fixe. Ce sont des moteurs à 8 cylindres munis d’un carburateur Renault à entrée d’air additionnel permettant, suivant l’altitude et par conséquent la température, une entrée d’air chaud ou d’air froid. En effet une bonne coordination est tributaire de deux choses principales :

  • un rapport essence/air constant et égale à 1/20 environ,
  • que la température de ce mélange tournant soit d’environ 16 ° quand il arrive dans le carburateur.

La magnéro employée est la magnéto Bosch à volet tournant. On la préfère à la magnéto à induit tournant parce qu’elle produit 8 étincelles par tour et la seconde 4 seulement. Comme il faut 8 étincelles par cycle du moteur elle doit tourner dans le rapport 8/8 c’est-à-dire à la même vitesse que le moteur, tandis que l’autre devrait tourner sous le rapport 8/4 c’est-à-dire deux fois la vitesse du moteur, soit environ 1800 x 2 soit 3 600 tours ce qui serait énorme et susceptible de mauvais rendement.

L’équilibre de l’appareil dépend de plusieurs facteurs :

  • le poids de l’avion,
  • la poussée,
  • la vitesse (surtout la vitesse),
  • résistance à l’avancement

Ceci pour le vol horizontal.

Dans un virage, deux autres facteurs entrent en ligne : ce sont la force centrifuge et la force centripète. Quand la vitesse = la résistance à l’avancement, l’avion est en "perte de vitesse" et la chute est imminente. Pour voler, la vitesse doit être plus grande que la résistance et pour s’élever il faut un excès de vitesse ou excès de puissance. Cette indication que les vieux pilotes possèdent par l’expérience nous est donnée à nous les jeunes, par un appareil appelé Etévé du nom de l’inventeur le Capitaine Etévé…

Voilà dans ces grandes lignes le secret de l’aviation. Dès que je le pourrai, c’est-à-dire dès que je les connaîtrai mieux pour moi-même je te donnerai de plus amples détails sur chacun de ces points. Dans l’espoir que ce fait exposé t’aura intéressé et dans l’attente du plaisir de recevoir une de tes longues lettres, je t’embrasse bien cher Papa, très affectueusement.

Ton fils qui t’aime.

Bientôt le brevet de pilote - Description des épreuves à Etampes :

Etampes, le 26 juin 1916

Bien Cher Papa,

J’ai le plaisir de pouvoir t’annoncer que depuis ce matin je suis passé à "l’entraînement sur campagne" qui précède immédiatement les épreuves du Brevet Militaire. Cet entraînement comporte des voyages de 100 à 150 km dans les environs du centre avec de nombreux atterrissages en campagne pour s’habituer à atterrir un peu partout (luzerne blé, sur des bois) en cas de panne sèche du moteur. Si le temps le permet je serai à même de passer mon brevet dans 10 ou 15 jours environ. Ce sera, en somme, très rapidement puisque mon instruction «réelle » n’aura duré qu’un mois et demi.

Comme je te l’ai dit, ces épreuves du B.M. sont les suivantes :

  • une descente en vol plané, moteur câlé, de 500 m
  • une heure de vol au-dessus de 2000 m
  • une double ligne droite : Etampes-Tours et Etampes (environ 400 km) après un seul atterrissage (Tours)
  • deux triangles : Etampes-Buc-Châteaudun-Etampes

On a ensuite droit au port de la comète ailée et des galons de cabot...

Seulement, tu comprendras facilement que pendant cet entraînement sur la campagne et pendant les épreuves du B.M. le portefeuille reçoit une fameuse secousse pire que tous les plus forts remous. Aussi, Cher Papa, si tu pouvais à cette occasion m’envoyer un peu d’argent, je t’en serais très reconnaissant car tu sais, qu’en outre de certains frais obligatoires (vu qu’en déplacement nous touchons seulement la somme formidable de 2,50 F par jour, pour nous nourrir et au besoin nous loger). Il y a des frais accessoires qui vont de pair avec le B.M. Il y a l’étrenne aux mécanos de l’avion (notre vie est entre leurs mains bien que nous vérifions nous-même nos appareils) ; le jour du B.M, il y a le repas de circonstance offert au moniteur et à 3 ou 4 camarades… et ça chiffre bien vite. On ne peut pourtant pas ne pas fêter une pareille épreuve qui vous sacre "Roi de l’air" ! Noblesse oblige !

Mon moniteur actuel est l’adjudant Allard, fils du grand courtier à la Bourse de Bordeaux.

Mais ne t’effraie pas, bien cher Papa, mes camarades savent que je ne suis pas le fils de Rothschild : envoie-moi ce que tu pourras surtout en cours d’entraînement sur campagne et plus encore, d’épreuve, nous pouvons atterrir qui sait où par suite de panne et l’argent peut servir dans maintes circonstances, sans vouloir parler des accidents toujours possibles. Avant de commencer mes épreuves, une longue lettre de mon Père que je chéris me ferait un bien grand plaisir.

Je t’embrasse bien affectueusement ton grand fils respectueux.

Recto-verso d'une réduction d'un insigne de brevet militaire de fabrication Fix appartenant à Jean Victor Labarrère - Il est marqué "3050" et daté du 29 juillet 1915 - Ce numéro ne corresponds pas au numéro du brevet de pilote militaire de cet aviateur - Il était titulaire du n° 4067 obtenu à l'école d'aviation militaire d'Etampes, le 29 juillet 1916 - Il s'agit probablement du numéro de son brevet métal qui aurait été décerné le même jour - Ce n'était pas la procédure courante - Habituellement, il y avait un décalage de plusieurs mois entre la remise de l'insigne métallique en école et la réception du brevet papier délivré par l'inspecteur technique de l'aviation (ITA) - Ces deux pièces portaient donc chacune un numéro différent - Photo Christian Labarrère que je remercie pour son aide.

Départ pour le front d'Orient :

Le "Gallia", ancien paquebot postal à grande vitesse de la Compagnie de Navigation sud-Atlantique, baptisé "croiseur auxiliaire", à quai dans le port de Salonique (Grèce) en août 1916 - Il a été coulé par le sous-marin allemand U-35, entre la Sardaigne et la Tunisie, le 4 octobre 1916 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Débarquement des troupes du croiseur auxiliaire "Gallia" dans le port de Salonique (Grèce) en août 1916 - Cet ancien paquebot, lancé au chantier naval de la Seyne-sur-Mer, le 26 mars 1913, a été coulé au large de l'île de San-Pietro (Sardaigne), le 3 octobre 1916 - Il était parti de Toulon vers Salonique avec 2350 personnes (1650 soldats français, 350 soldats serbes et 350 marins d'équipage) - Seulement 600 hommes ont survécu au naufrage - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Embarquement des troupes d'aviation à destination de Salonique (Grèce) dans le port de Marseille en fin novembre 1916 - Elles vont faire le voyage à bord du "Madeira", un cargo construit en Allemagne et passé sous pavillon portugais (Lisbonne) en 1916 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Photo prise pendant la traversée du cargo "Madeira" entre Toulon et Salonique, où il arrivera, le 2 décembre 1916 - Un sous-marin venait d'être signalé, les hommes l'attendaient ! - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Pilotes embarqués à bord du cargo "Madeira" à destination de Salonique (Grèce), où ils arriveront, le 2 décembre 1916 - Labarrère est au premier rang, le 4ème à partir de la gauche - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Cuirassier "Saint-Louis" dans la rade de Salonique (Grèce), le 2 décembre 1916 - Construit à Lorient, il a été mis en service, le 15 novembre 1898 - Il était armée de 4 pièces de 305, 10 de 138 et 12 de 100 mm - Après avoir servi en Orient du 9 mai 1915 au 2 mars 1917, il est désarmé à Bizerte et affecté comme école de mécaniciens-chauffeurs de 1919 à 1931 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Arrivée de Jean Labarrère en rade de Salonique (Grèce), le 2 décembre 1916 - Il a fait le trajet entre la France et la Grèce, à bord du "Madeira", un cargo immatriculé à Lisbonne (Portugal) - Il a été construit par le chantier Reiherstiegwerft (Hambourg, Allemagne) sous le nom de Petropolis, en juin 1897, avant de passer sous pavillon portugais en 1916 - Il a été torpillé à 8 milles de l'île de San-Pietro, au Sud-Ouest de la Sardaigne par le sous-marin allemand UB 105 - Au premier plan, un des remorqueurs du port - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Photo des grues permettant de déchargement des cales du cargo "Madeira" dans le port de Salonique (Grèce), le 2 décembre 1916 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Débarquement des mécaniciens français du cargo "Madeira" dans le port de Salonique, le 2 décembre 1916 - Ils ont tous été affectés au 3ème groupe d'aviation de Lyon-Bron, unité administrant les unités aériennes engagées dans les théâtres d'opérations extérieures - Ils seront ensuite répartis dans les différentes unités d'aviation du pays - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

La gare du Levant dans le port de Salonique, le 2 décembre 1916 - C'est là qu'étaient chargés dans les trains, les vivres et matériels arrivant de France à destination des troupes françaises engagées sur le front d'Orient - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Le Tour Blanche, le monument emblématique de la ville de Salonique, (Théssalonique de nos jours) - Pendant la période ottomane, elle servit de prison où de nombreux prisonniers furent exécutés - Pour faire oublier cette période sanglante où elle était baptisée "Tour du sang", elle fut rénovée après la prise de la ville par la Grèce en 1912 et blanchie en signe de purification - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Quartier israélite de la ville de Salonique - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Quartier turc de la ville de Salonique photographié avant le grand incendie qui a détruit une grande partie de la ville - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Préfecture de la ville de Salonique - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Vue aérienne de la ville de Salonique photographiée après le grand incendie qui a détruit une grande partie de la ville - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Photo du quartier turc de Salonique (Théssalonique de nos jours) entièrement détruit par le grand incendie des 18 et 19 août 1917 - Il est parti d'une petite maison de réfugiés au 3, Olympiados dans le quartier de Mevlane situé entre le centre ville et la ville haute - En 32 heures, 9500 batîments furent détruits laissant 70.000 habitants sans abri - Le feu a détruit 32 % de la surface totale de la ville - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Panoramique de la ville de Salonique (Grèce) pris après l'incendie qui détruisit une grande partie de la ville, les 18 et 19 août 1917 - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

2ème partie - La campagne d'Orient :

a ) Premier camp à Vrbeni - Escadrille 384 :

Lettre provenant de l'escadrille 384 de l'armée serbe, le 8 janvier 1917

Bien Cher Papa,

Je reçois aujourd’hui une lettre de Lodeth datée du 26 décembre, me demandant pourquoi, comme je t’en avais prié, tu ne lui as pas envoyé le commencement de mon journal. Vu cela, je ne puis répondre étant d’autre part toujours sans nouvelles de toi. Comprends, bien cher Papa, que ce journal fera grand plaisir à ma petite Lodeth et je ne ne puis cependant en faire trois exemplaires : un pour mère, un pour toi et un pour Lodeth. J’espérais que tu voudrais bien, après lecture, le faire passe à ma Lodeth. D’ailleurs, c’est la première et la dernière fois sans doute, car à cause de la censure il me sera impossible de vous envoyer la suite. Aussi, cher Papa, je te prie en allant chez Lodeth de pouvoir bien le lui apporter : tu me feras grand plaisir.

A l’escadrille rien de nouveau, le mauvais temps continu gêne toutes nos opérations aériennes et nous ne totaliserons guère nos heures de vol. Les jours sont longs… et le cafard commence à nous travailler. Pour nous divertir, avec l’ami Delsol, nous montons un nouveau concert pour la fin du mois.

A bientôt je l’espère le plaisir de recevoir un mot de toi. Affectueuses pensées de ton fils qui te chérit. Meilleurs baisers.

Sgt-Major Jean-Victor Labarrère - pilote de l'escadrille 384 - terrain d'aviation de Verberi, le 7 janvier 1917 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Farman F 40 n° 3386 codé "5" de l'escadrille MF 384 du front d'Orient - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Plusieurs pilotes et mécaniciens de l'escadrille MF 384 posent devant un Farman F 40 de leur unité - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Photo aérienne du terrain d'aviation de Vrbeni, à 10 km au Nord-Est de Florina (Grèce) prise à 800 mètres d'altitude, le 11 mars 1917 - L'escadrille MF 384 a stationné sur ce terrain de novembre 1916 à mai 1917 - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Retour de voyage dans la neige, pénurie de biens à acheter :

Le 31 janvier 1917

Bien Chère petite Mère,

Je rentre à l’instant d’un de mes voyages aériens qui s’est terminé dans une tourmente de neige. Enfin, tout s’est heureusement passé. Je souhaite seulement que ça continue ! Depuis longtemps déjà je suis sans nouvelles de vous tous, tant de toi chère Maman, que de Papa et de Jean ! Lodeth seule me donne journellement de ses nouvelles et je t’assure, chère petite Mère, que les lettres sont pour moi d’un précieux secours contre le cafard. La pauvre petite Chérie s’ingénie par tous les moyens à me donner du courage et de l’espoir ! Jamais je ne pourrai oublier tout le bien moral qu’elle me procure !

Aussi, Chère Petite Maman, je te prie de lui écrire souvent, toi-même et de lui témoigner ainsi toute ta reconnaissance pour ce qu’elle fait pour son Raymond, pour ton fiston qui te chérit. Des nombreux colis que tu m’as annoncés, j’en ai reçu seulement un le 25 décembre et depuis rien… Ces colis que je n’aimais guère en France où l’on pouvait avec de l’argent se procurer tout ce dont on avait besoin, me feraient ici, où l’on ne trouve rien à prix d’or, le plus grand plaisir. J’attends également les objets que je t’ai demandés dans une de mes lettres du commencement de ce mois et tout cela me serait d’une grande utilité.

Par la dernière lettre d’Odette j’ai appris que Tante Mary et sa petite fille et les cousins …. sont à la maison… Quel vacarme épouvantable que cette marmaille doit faire !!! Il me tarde cependant de revoir tous ces petits que j’aime tant. Sans doute que M. du Loulou et maman sont les rois de la situation ! Ont-ils commencé la guerre…crise ? Dieu les préserve plus tard d’une pareille calamité, car seuls ceux qui y sont, surtout dans cet Orient infernal, au milieu de ces populations sans Dieu ni loi peuvent en connaître toutes les horreurs. Pour leur épargner cette misère il faut en finir une fois pour toutes et c’est pour cela que l’on doit aller jusqu’au bout. Courage donc !

Mille et mille meilleurs baisers et caresses de ton grand fils qui t’aime. Embrasse toute la smala pour moi.

Séjour à Mikras - La censure - Les variations de températures -20° à + 30° - Organisation de spectacles - Chef de la popote du mess sous- officiers - Mauvais taux de change - le Farman mauvais avion, rebut du Front.

Le 2 février 1917

Bien Cher Papa,

J’ai reçu hier au soir ta bonne lettre du 14 janvier qui m’apporte de bonnes nouvelles. Je suis surpris qu’à cette date tu n’aies encore reçu que 5 lettres ou cartes alors que, comme je te l’ai déjà dit, je t’ai écrit au moins une douzaine de fois dans le courant du mois de décembre dernier, alors que j’étais à Mikra.

Quant aux photos, ce qui s’est passé pour toi, Cher Papa, s’est aussi passé pour Lodeth qui n’a jamais reçu celles que je lui ai envoyées le même jour. Vraiment, ces messieurs de la censure sont bien peu délicats. Comme tu me le conseilles je ferai pour les photos ce que je fais pour mon journal : je ferai collection et nous les verrons ensemble à mon retour.

Depuis quelques jours nous avons un temps épouvantable de froid et de neige, et vraiment c’est dur pour celui qui n’est pas habitué à ces variations de température. Dans 24 heures il n’est pas rare de voir le thermomètre aller de – 20 ° à + 30° et avec cela le désagrément, l’insalubrité du dégel violent, de la boue mal odorante qui en résulte… et la vie de camp sous la tente !

Enfin ! si tous les malheurs se bornent là… il n’y aura rien à dire ! Tu me demandes si le moral est bon… et je suis heureux de pouvoir te confirmer ce que je te disais sur mes précédentes lettres : il est excellent et je suis fier de contribuer pour une large part avec l’ami Delsol à le rendre encore meilleur. En effet, nous avons inauguré 5 jours après notre arrivée en escadrille le "Folies Palace de la 384" où nous donnons tous les 15 jours une soirée récréative. Nous sommes en train de monter une fantaisie en 4 tableaux de notre composition, 16 personnages et 40 transformations, que nous formons seuls tous deux, moi faisant les rôles de femmes. Monter cette fantaisie de 2 heures de spectacle n’est pas une petite affaire en pleine cambrouse, avec rien sous la main : nous sommes tour à tour : couturières, modistes, peintres…. menuisiers… voire terrassiers pour le trucage de la scène, etc… Mais l’avantage de tout ce travail est qu’il contribue pour beaucoup à bannir le cafard de notre société.

En plus de cela, j’ai été nommé chef de la Popote des sous-officiers et cela me donne encore pas mal d’occupations. Surtout que depuis une quinzaine le ravitaillement devient de plus en plus difficile. Le ravitaillement m'intéresse d’autant plus que touchant une indemnité de cherté de vie de 1,40 f par jour nous ne touchons rien à l’ordinaire et que pour 12 que nous sommes à la popote, je dois avec 36 f par jour, nourrir 14 hommes (y compris le cuisinier et le garçon, le mess). Je t’affirme qu'au prix où sont les denrées, (un œuf 0,50 f par exemple) il faut que je calcule pas mal. Néanmoins, cela m’intéresse fort attendu que pour faire mon marché, je vais fréquemment à Florina à Sorowitch, etc… et que cette visite du pays m’amuse relativement beaucoup, sauf quand il fait un temps aussi épouvantable que ces jours-ci où il y avait 25 cm de neige sur les routes.

Tu me demandes en outre, cher Papa, de te confirmer l’affaire du change. La voici très exactement. L’argent français, la pièce en argent ne perd pas, mais ce qui perd encore aujourd’hui 11,87 %, c’est le billet de banque. Sur un billet de 5 francs, on nous retient 0,576 à peu près ! La monnaie qui nous est donnée en échange c’est de la monnaie : Grecque, Italienne, Française, anglaise etc… en métal. Ainsi, quand je reçois un billet de 100 f, je ne reçois en vérité que 88,13 f. Nous sommes en Grèce !!!

Par ma lettre du 3 ou 4 janvier je te demandais de m’envoyer un peu d’argent. Comme je te le disais, ce n’est pas que j’en ai besoin, mais je ne veux pas en cas d’atterrissage forcé en dehors des territoires alliées être sans une certaine somme d’avance. Je ne t’aurais même pas demandé cet argent, si, lors de notre départ de Mikras pour Vrbeni, l’ami Dupon ne me devait environ 125 f. Si depuis je suis sans nouvelles de Dupon et de mes 125 f …. (cela date du 25 décembre 1916). Car, tu sais, cher Père, ici le plus dépensier s’il ne joue pas (c’est-à-dire s’il fait comme moi) n’arrive qu’à peine à dépenser les 4,02 f que nous touchons par jour.

Je te remercie vivement de tes avances, mais ma souffrance physique n’existe pas faute d’argent. Sauf cette petite somme que je garderai en réserve je n’ai absolument besoin de rien !

Jean m’a déjà envoyé une photo d’un groupe de jeunes poilus où il est en bourgeron : il a une excellente mine et je ne crois pas que le régiment lui fera perdre sa belle santé. Mais je crois que un dans notre famille, ça suffit et je t’en supplie si tu le peux, évite lui ce je voudrais qu’il ne connaisse jamais, les horreurs de la guerre. J’estime représenter suffisamment la famille au front. Et toi, cher Papa, soigne-toi aussi le mieux que tu pourras afin que, la guerre terminée, nous puissions reprendre notre vie tranquille.

Je regrette infiniment que tu n’aies pas encore eu le temps d’aller voir Mme Sallier et apporté le début de mon journal à ma petite Lodeth. Dans toutes ses lettres journalières elle me le demande et serait aussi très heureuse de te voir. Si tu savais, cher Papa, combien elle est bonne pour moi et aussi combien son affection m’est un précieux soutien moral dans les longues heures que nous … malgré toutes nos occupations, tu t’empresserais d’aller la remercier et tu l’aimerais un peu déjà comme ta fille. Plus tard, tu sauras tout et tu verras. qu’à elle aussi je lui dois beaucoup, beaucoup de bonheur !

Vraiment, ce pauvre Jean Soulé n’a pas de chance ! J’espère que ce ne sera rien encore cette fois. Dès que tu connaitras sa nouvelle adresse ne manque pas de me la communiquer. Je lui enverrai un mot immédiatement. Par une lettre de Maman, je savais que les petits Soulé, Tante Marie (Laplace soeur de Victor) et sa petite fille sont à la maison… et si Maman a ainsi un peu plus de tracas, toute cette smala doit lui procurer quelques distractions. Rassure-la bien à mon sujet, cher Papa, j’ai confiance et suis très prudent

Le temps tout à fait défavorable a arrêté nos missions : comme je te l’ai déjà dit elles se bornent à des croisières sur les lignes - à des repérages pour l’artillerie lourde et à des bombardements à l’intérieur des lignes boches, mais depuis quelques temps les boches ont reçu quelques avions du front français contre lesquels nous ne pouvons rien faire avec nos "Farman". Nous, nous avons des coucous vieux style… les rebus du front français !!! Cependant, on nous a promis quelques nouveaux avions … . Nous les attendons impatiemment ! car le Farman n’a pas été construit pour ces régions : les remous sont beaucoup trop forts et lui beaucoup trop faible !

Le Commandant Daumas étant à Salonique, Aviation de l’Armée d’Orient, j’ai profité de ce que son Sergent Major, M. Perrier déjeunait aujourd’hui avec nous pour lui remettre la carte de M. Simonnot et lui annoncer ma visite pour la prochaine fois où j’irai à Salomique. Quand tu verras Jean dis lui de m’écrire le plus souvent possible, comme toi-même, car les beaux jours pour nous sont ceux où il y a du courrier.

Adieu, Cher Papa. Reçois de ton grand fiston qui te chérit les meilleurs baisers et tendresses. Ton fils qui t’aime. Va voir Lodeth le plus tôt possible et embrasse la bien affectueusement pour moi.

Compte-rendu de distribution de tracts en Bulgarie - Cdt Hug - Slt Neuve - Delsol - Jaubert - Taddei - Ecole de Commerce de Bordeaux - Dupon prisonnier :

Le 9 février 1917

Bien cher Papa,

Comme je te l’ai promis sur ma lettre d’hier je profite de ce que la température s’est un peu radoucie, il fait encore excessivement froid cependant la neige tombe depuis deux jours sans discontinuer. Je profite donc de ce que je puis tenir sans trop de difficulté mon porte-plume pour te donner les quelques renseignements promis. Je suis allé dernièrement à quelques kilomètres de Monastir voir l’ami Frantz Taddeï qui est actuellement au 2ème d’Artillerie lourde – Venant en Orient en septembre dernier avec son régiment le 35ème d'Infanterie Coloniale – il a fait les attaques du 14 octobre de Kenali et Monastir, puis est entré à l’E.M du 81ème d’Artillerie.

Sur la grand route de Monastir que j’ai suivie pour me rendre à son cantonnement j’ai croisé une foule de renforts : 57ème d’Artillerie de Toulouse parmi lequel j’ai retrouvé un de mes camarades de l’Ecole de Commerce de Bordeaux, un nommé Levasseur que j’ai été enchanté de revoir et bien d’autres régiments surtout des troupes coloniales : Jaubert le beau-frère de Roux est avec son régiment le 37ème Colonial à Salonique et va montrer certainement un de ces jours.

Le 5, je suis allé avec le Maréchal des Logis Moulinier, mitrailleur, en mission dans les lignes ennemies. J’avais pour mission de voler à 400 m au-dessus de l’avion piloté par Delsol, pour le protéger. Nous sommes montés à 2500 m et avons été lancer des proclammations aux Bulgares. Jusqu’à maintenant, c’est ma plus périlleuse mission. Nous avons été sérieusement canonnés et un avion boche évoluant à 4000 m environ nous a sérieusement embêtés.

En revenant j’ai eu tous loisirs de voir les quantités formidables de munitions de toutes sortes que l’on accumule sur le front. Jusqu’à maintenant je n’ai pas un grand nombre d’heures de vol sur les lignes mais j’ai pu néanmoins visiter tout le front de Monastir et le délimiter moi-même sur mes cartes. Je garderai ces dernières et plus tard, je te montrerai mon trajet qui y est tracé journellement ou du moins chaque fois que je sors en mission. Notre Capitaine (Hug) part en permission demain : il va en France. Le Sous-lieutenant Caseneuve que j’ai connu comme élève pilote à Avord prend le commandement de l’Escadrille : il est pour moi un camarade encore plus qu’un chef. Nous nous entendons à merveille et je serai on ne peut mieux ici.

Nous avons reçu hier au soir des nouvelles de l’ami Dupon : voici en substance ce qu’il m’écrit :

"Albanie le 29 décembre 1916
Je me demande si je rêve pas car je ne puis croire ce qui m’est arrivé et que je ne vous reverrai de longtemps.

Au-dessus de Vodena (sans doute – car j’étais à 2.800m au-dessus des nuages) – je vois soudain un avion qui n’avait rien des nôtres je me mets en montée, il me suit ; je pique dans les nuages et me voilà parti en zigzaguant. Après une heure d’une promenade semblable pensant avoir échappé je descends, quand mon moteur s’arrête peu à peu, plus d’essence, mais plus d’avion ennemi. Je descends comme je peux et atterris, presque à la nuit, en pleine montagne d’Albanie à El Bassan : avion entièrement brisé, mais moi sauf à part, quelques contusions. Les soldats et les officiers autrichiens arrivent et me font prisonnier en s’étonnant de me trouver sans arme.

Bien reçu – très bien reçu par les officiers. Ils m’ont dit qu’ils feraient le nécessaire pour prévenir ma famille et m’on assuré que je ne manquerai de rien. Je suis d’une tristesse indicible en pensant à cette catastrophe. Je t’écris de la chambre où je suis gardé par une sentinelle : je vais sans doute être transporté en Autriche : en attendant, tu peux toujours m’écrire par la Croix-Rouge Suisse de Genève : " P. Dupon – Pilote Aviateur français - Prisonnier en Autriche Hongrie"

Si cette lettre t’arrive, écris chez moi, 15 rue des Frères Bonie à Bordeaux.
Signé P. Dupon."

Dès que nous avons reçu cette lettre, je me suis mis en devoir de situer le lieu de son atterrissage malheureux : voici à peu près la situation géographique : en ligne droite la distance séparant Mikra Salonique de El Basam est de 240 km. Parti à 15h de Salonique, il a dû atterrir à El Basam vers 17h30, vu les détours qu’il dit avoir fait. Je lui écris par le même courrier et mets ma lettre à son adresse dans la tienne. Je te l’envoie car nous n’avons pas le droit de lui écrire en tant que militaire. A Paris, tu pourras la faire partir plus facilement. Delsol a fait le nécessaire auprès de la famille et je vais de mon côté écrire chez lui. Nous attendions du courrier aujourd’hui mais il n’est pas encore arrivé. Je l’attends impatiemment.

Adieu, bien cher Papa, reçois les plus affectueux baisers de ton grand fils qui te chérit.

Mission dans le froid - On lui tire dessus - Des amis tués - Nouvelles de Dupon prisonnier en Autriche-Hongrie :

Le 17 février 1917

Bien Cher Papa,

J’ai reçu ce matin seulement ton mandat-lettre en date du 23 janvier écoulé. Je te remercie sincèrement de ce que aujourd’hui encore tu fais pour moi et crois bien que je t’en suis profondément reconnaissant. Au sujet de tes lettres, je te confirme ce que je t’ai déjà dit sur mes dernières lettres : je n’ai eu de toi que deux courriers – l’un parti de Bordeaux, l’autre de St Cyr – et ton mandat-lettre du 23/01 – jusqu’à ce jour c’est tout ce que j’ai reçu de toi. Du moment que tu dis m’avoir écrit 4 fois, je suis extrêmement surpris de n’avoir pas eu plus fréquemment de tes nouvelles – à la rigueur, un courrier peut être torpillé, mais deux presque consécutifs, c’est plus rare. Je dois pourtant te dire que sur les lettres quotidiennes qui me sont envoyées par ma petite Lodeth, j’en reçois à peine 75 %. Que veux-tu, cher Père, c’est encore une souffrance de plus à enregistrer que celle d’être privé de tes nouvelles.

Depuis une quinzaine de jours, nous avons ici un froid glacial (le thermomètre a enregistré jusqu’à – 25 °) – et quand nous montons à 3000 m ou 3500 m cela devient intenable. Néanmoins, le travail ne chaume pas et en 2 jours, hier et aujourd’hui, j’ai 6 heures de vol sur les lignes. Hier, grâce à une légère brume recouvrant le sol, nous sommes passés inaperçus, mais aujourd’hui le temps étant fort clair, on nous a vus et tiré dessus – et de plus les avions ennemis ne chômaient pas eux non plus. Si bien que nous avons à déplorer la mort de deux de nos camarades d’une escadrille voisine qui ont été descendus en "Bochie"!

Avant hier également un de nos camarades venu en même temps que moi de France, a eu une panne de moteur au-dessus du territoire ennemi et en atterrissant dans nos lignes s’est tué. Son mitrailleur est, lui aussi, dans un état désespéré. Il faut dire que la région ne se prête guère aux atterrissages forcés – et en dehors des terrains qui sont réservés à cet effet, les autres ne sont pas nombreux. Pour la voie des airs – par l’intermédiaire de l’escadrille italienne de Vallonne – j’ai eu une lettre de Dupon, qui a été amené en Autriche. Il est très bien traité et les pilotes ennemis sont pour lui pleins d’égards.

Malgré toutes ces tristes histoires survenues à mes camarades, ne sois pas inquiet, bien cher Papa, et garde comme moi une grande confiance. Je suis prudent. Je ne m’expose pas inutilement, mais quand j’ai une mission à remplir, je l’accomplis coûte que coûte. En somme, s’il m’arrive quelque chose, tu auras au moins la satisfaction de dire que c’est en faisant mon devoir. Laisse ignorer toutes ces histoires à petite mère – ne les raconte pas non plus à Lodeth quand tu iras la voir - (j’ose espérer que ce sera bientôt) – Il est inutile d’alarmer ces cœurs de mère et de fiancée par des histoires qui n’ont qu’un intérêt…médiocre !

Je te quitte, bien cher Papa, en t’embrassant mille et mille fois – et en te priant d’aller voir Lodeth le plus tôt possible. Tu me rendras très heureux ! Ton fils respectueux qui te chérit. Delsol me prie de le rappeler à ton bon souvenir.

Distribution de tracts chez les Bulgares - Chasse de gibier - Lodeth :

Pilote aviateur de l'escadrille 384 de l'armée Serbe - Secteur postal 504

Le 24 février 1917

Bien cher Papa,

Depuis quelques jours je voulais t’écrire, mais j’attendais pour cela l’arrivée d’un courrier. Ayant appris aujourd’hui que l’un des derniers courriers a été coulé, je n’attends pas plus longtemps pour te donner de mes nouvelles. Que te dirai-je de nouveau ?

Au point de vue services aériens, ils sont toujours les mêmes et ont été quelque peu suspendus ces temps derniers à cause du mauvais temps. Aujourd’hui l’humidité a fait place à un froid beaucoup plus sec mais aussi plus intense (-24 °) et nous en avons profité pour aller chez les boches leur lancer des proclamations adressées aux boches et aux Bulgares.

Demain, je ne sais si je pourrai partir avec mes camarades, car les magnétos de mon moteur ne me donnent pas satisfaction et ce type de magnéto n’existant plus en magasin, je suis obligé de faire changer tout mon moteur. Ce n’est pas excessivement long, mais je ne crois pas néanmoins qu’il sera remonté avant demain soir. Je serais pourtant bien ennuyé de ne pouvoir partir avec mes camarades.

Le moral toujours excellent : ces jours-ci, nous sommes allés fréquemment à la chasse et je t’assure que le gibier ne manque pas. J’ai également le temps de faire pas mal de photos et j’ai déjà une cinquantaine de photos vraiment intéressantes. Encore aujourd’hui, avec mon ami Lapeyre, je suis allé faire de la photo aérienne et la pellicule développée tout à l’heure est excellente. Je vais constituer une jolie collection que j’aurai grand plaisir à te montrer plus tard, en des jours meilleurs et en des lieux plus hospitaliers. Par lettre recommandée je pourrai peut-être une fois encore essayer de t’envoyer quelques vues. A Salonique, tous les produits photographiques sont excessivement chers et de plus il est difficile de se les procurer.

J’ai envoyé une liste à petite mère – ne voulant pas te déranger – et je compte bien recevoir sous peu ce que je lui ai demandé. Depuis une huitaine de jours, je suis privé de nouvelles de vous tous et il me tarde bien de recevoir quelque chose.

As-tu été voir ma petite Lodeth ? Lui as-tu remis la 1ère partie de mon journal ? Si tu as fait cela, tu l’auras rendu bien heureuse et pour cela encore je te remercie du fond du cœur. Aime la bien quoiqu’il m’arrive : c’est une âme noble et généreuse et tu sauras plus tard tout le bien qu’elle m’a fait. Embrasse-la pour moi quand tu la verras.
En attendant de te lire, je te quitte, cher Papa, en espérant que ta santé est aussi bonne que possible. Je t’envoie mille et mille de mes meilleurs baisers et tendresses. Ton fils respectueux qui te chérit.

Placé du marché de la ville de Florina en mars 1917 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Femmes faisant leur lessive dans la rivière à Florina en mars 1917 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Vue générale du village de Neorazi en mars 1917 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Une famille de Neorazi s'est fait tirer le portrait par Jean Labarrère en mars 1917 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Fête du printemps à Néorazi en mars 1917 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Photo du quartier général des alliés à Florina - Le batiment est marqué d'une croix - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Lodeth et Marcel Sallier - Le froid et la neige - Le paludisme :

Le 6 mars 1917

Bien cher Papa,

Voici une huitaine de jours que nous n’avons pu sortir à cause du mauvais. Chute abondante de neige d’abord, puis vent violent et je crois bien que cette série de mauvais temps va se terminer par de la pluie. Ainsi donc, absolument rien de nouveau à te raconter au sujet de nos opérations. Cependant sur le front de Monastir la canonnade fait rage depuis deux jours et nous attendons une attaque. Pendant ces jours de mauvais temps j’ai développé quelques pellicules et tiré quelques photos.

Sous ce pli, je t’envoie quelques vues. Tu sais pourquoi je ne t’envoie pas les plus jolies – Plus tard, tu verras les autres. J’en fais une superbe collection et j’en ai déjà une cinquantaine d’intéressantes. Je suis privé de tes nouvelles depuis quelques temps déjà et j’ai hâte de te lire. De Jean non plus je n’ai aucune nouvelle – et de Maman qui prétend m’écrire presque journellement, je ne reçois presque rien non plus. As-tu été revoir Mme Sallier & Lodeth ? Marcel, le frère de Lodeth, de la classe 17, part au front ce mois-ci. Il est peut-être parti à l’heure actuelle.

Je ne sais vraiment quand finira cette sale guerre mais vraiment les dernières nouvelles venant d’Angleterre ne sont pas très encourageantes et la guerre ne va pas finir de si tôt, je le crois du moins. Ce que je redoute le plus ici, c’est la saison des chaleurs qui arrive à grands pas et qui sera d’autant plus redoutable cette année qu’elle succèdera à une période de froid telle qu’on n’en avait jamais eu en Macédoine. Il faudrait pour bien faire, que l’on fasse une avance de 100 km. Ce qui nous éloignerait des mauvais marais de la Perna, propres au paludisme.

Je te quitte, bien cher Papa, n’ayant rien d’autre d’intéressant à te communiquer. Ecris-moi le plus souvent possible : tes lettres me causent une bien grande joie. Reçois les plus affectueux baisers de ton grand fils respectueux, qui te chérit.

Liaison avec l’infanterie - Réglage des tirs d’artillerie de l'offensive du 15 au 25 mars :

Le 20 mars 1917

Bien cher Papa,

Notre joie a été grande aujourd’hui en apprenant nos succès sur le front français. On nous annonce même officiellement que Lille, Tourcoing, Pontoise seraient entre nos mains ! Bien pénible que cette marche glorieuse ne s’arrête pas en si beau chemin et que nous montrions aux boches que la partie est bien perdue pour eux !

Sur notre front également nous avons progressé très sensiblement, au Nord de Monastir tout spécialement. Tous ces jours-ci le travail n’a pas manqué et c’est la raison pour laquelle je ne t’ai pas écrit : le soir nous étions exténués et nous n’avions guère le courage de prendre la plume même pour écrire à nos chers parents. Malheureusement cette offensive couronnée de succès ne se fait pas sans pertes, et dans l’aviation nous n’avons eu à déplorer ces jours-ci la mort de plusieurs camarades.

Nos missions "liaison d’infanterie" sont périlleuses – mais c’est avec plaisir que nous risquons notre vie, car nous savons qu’en faisant ainsi nous préserverons nombre de camarades fantassins. Le travail consiste à très bien voir, surveiller la marche en avant des poilus en passant au-dessus de leurs têtes à moins de 600 m, renseigner les batteries par T.S.F, régler leur tir sur les nouveaux objectifs surgissant pendant l’attaque.

Je t’avouerai, cher Papa, que c’est impressionnant car tu es constamment dans la trajectoire des obus boches et des obus français. On semble évoluer au-dessus d’une mer de feu tant la canonnade est nourrie. Les services rendus, tu les devines : sans cet œil de l’observateur fixé continuellement sur la marche en avant des fantassins, combien seraient tués par notre propre artillerie si, au moment voulu, nous n’allions leur donner l’ordre par T.S.F. d’allonger le tir ?

Nos bombardements à longue distance se poursuivent également – mais chaque jour un peu plus je me rends compte que le Farman n’est pas un avion de guerre – nombre de qualités lui manquent pour cela. Aussi, cher Papa, dès que tu auras fait le nécessaire auprès du G.Q.G.A.D. fais-le moi savoir avant que je fasse une demande de changement d’appareil. En dehors de cela, ma santé est excellente et tout va pour le mieux. J’attends à chaque courrier une lettre de toi, mais jusqu’ici je n’ai guère été favorisé.

Jean se plaint paraît-il, que je ne lui écris pas ; or, j’ai reçu deux lettres et une carte de lui et pour ma part, depuis son entrée au 22ème je lui ai écrit au moins 5 ou 6 fois. Adieu, cher Papa, encore un peu de patience et nous les tenons ! Affectueux baisers et meilleures tendresses de ton grand fils qui te chérit.

Attaque ennemie mise en échec - Le Farman fait une victime - Plaidoyer contre les Farman :

Le 27 mars 1917

Bien cher Papa,

Je te confirme mes lettres recommandées des 1 et 5 mars courant – et mes lettres des 10 et 20 courant. J’ai reçu aujourd’hui un volumineux courrier de 21 lettres – et j’ai été surpris et peiné de n’en pas trouver une seule de toi. Je sais, bien cher Papa, que tu es très occupé, mais je suis persuadé cependant que tu pourrais trouver de temps en temps quelques minutes pour m’écrire. Je crois n’avoir rien fait qui puisse motiver ce silence de ta part, en tous cas, je t’en prie dis-le moi et si j’ai fait quelque chose qui te fasse me tenir rigueur dis-le moi. Je suis tout prêt à m’excuser ou à te donner les raisons de ma façon de faire. Comme je t’en causais dans mes dernières lettres, nous sommes en train, de perdre la suprématie de l’air sur le front d’Orient – et depuis plusieurs jours les boches nous jouent de sales tours auxquels avec les avions à notre disposition nous ne pouvons pas répondre.

Mes camarades tombent les uns après les autres devant l’infériorité d’armement de nos avions Farman ou de par les vices- même de cet avion. Hier encore nous avons eu à déplorer un accident et voici dans quelles circonstances. Vers onze du matin un coup de téléphone nous avertit qu’une escadre de bombardement boche de 14 avions se dirigeait vers notre secteur. Immédiatement, il y eut 30 avions de l’Armée franco-Serbe dans les airs. Nous primes de la hauteur et bientôt en effet, nous fûmes en face de l’escadre ennemie qui arrivait dans nos lignes en rang serré.

Les attaques avec les Farman il n’y fallait pas songer – c’était courir inutilement à la mort. Nous nous contentâmes, de faire un sérieux barrage et d’empêcher les boches d’aller plus avant dans nos lignes – tout en protégeant un centre de ravitaillement très important. Pleinement réussie fut notre mission, puisque les boches balancèrent leurs obus un peu au hasard et firent pour tous dégâts : un blessé français, 6 blessés parmi les prisonniers bulgares, tuèrent 7 chevaux et c’est tout. En somme pour une pareille escadre c’est insignifiant – mais supposons qu’au lieu d’avoir des Farman nous eussions eu des avions rapides et bien armés – à 30 que nous étions. Je vois mal lotis les boches. Tandis que tous ont pu rentrer chez eux.

Tandis que nous, sans combat réel, nous avions la douleur de perdre un de nos camarades. Le sous-lieutenant observateur Girodo - et de voir son co-pilote d’adjudant Markisevitch se casser une jambe. Pourquoi ? Parce que le Farman est un appareil qui ne tient l’air que si le temps est excessivement calme. Or, à midi, heure à laquelle nous revenions aux nids , les remous étaient forts et nombreux. L’avion s’est engagé sur l’aile et ce fut jusqu’au sol une chute vertigineuse. La consternation fut générale et ce matin, pour la cérémonie funèbre qui a eu lieu à l’escadrille, dans un hangar Bessonneau, cérémonie célébrée par un soldat-prêtre du régiment de génie cantonné dans les environs. Le chef d’escadrille à laquelle appartenait notre infortuné camarade a prononcé une vibrante allocution rappelant la glorieuse carrière de cet officier – et en termes forts clairs accusant hautement nos dirigeants de la mort de nos camarades – en acceptant de pareils avions, qui, non seulement ne sont pas des appareils capables de rendre le service - mais qui, en outre, ne peuvent résister aux éléments de cette région à l’atmosphère si traître. La conséquence est paraît-il, la suivante : notre chef direct, son Altesse Royale le Prince de Serbie, a défendu de voler sur Farman jusqu’à nouvel ordre.

Je ne sais jusqu’à quel point la chose est exacte. En tous cas, nous sommes tous bien décidés à faire valoir nos droits. Si je t’envoie cette lettre, cher Papa, ce n’est qu’à contre-cœur, car je sais tout le mauvais sang que tu vas te faire à mon sujet. Mais j’estime qu’il est de mon devoir envers ma Patrie et mes camarades qui ne peuvent le faire, de te mettre au courant de ce qui se passe ici. Espérant que tu auras l’occasion, ou même que tu rechercheras l’occasion de montrer ma lettre à des personnes plus qualifiées que moi pour adresser une sérieuse protestation à qui de droit. Les pilotes de l’Armée Française d’Orient, les pilotes de l’Armée Serbe valent les pilotes du front Français.

Nous avions tous à cœur de faire notre devoir tout notre devoir mais qu’au moins l’on nous donne des appareils répondant. aux besoins actuels de la guerre aérienne – et que l’on ne nous sacrifie pas traîtreusement pour écouler un stock de matériel, que l’on sait pertinemment impropre aux services qu’on lui demande.

Il me semble, cher Papa, que si tu pouvais montrer cette lettre au Colonel Soyer du 1er groupe d’aérostation, tu rendrais un grand service à notre Patrie. D’autres plus qualifiés que moi on fait des réclamations de ce genre me diras-tu ? Sans doute, mais ce n’est qu’en forgeant qu’on devient forgeron, tu me l’as dit mainte fois. Il faut revenir souvent à la charge et ne pas se contenter d’une réponse évasive, car non seulement il y va de notre vie, mais du Salut de la noble cause qui si elle perd ses yeux… perdra bien des batailles. Nous sommes les yeux du Commandement et il ne fait rien pour nous conserver la vue.

Par ma lettre de Jean en date du 7 courant, j’apprends que vous êtes tous en excellente santé. Il me dit également qu’il a été colé à son examen et qu’il espère passer dans l’artillerie lourde. Ayant eu l’occasion de juger les deux artilleries, je lui conseille … s’il peut le faire, d’entrer sans l’A.L. le travail est des plus intéressant et en sommes pas très dangereux. En plus de cela, leur confort est plus grand que dans artillerie de campagne. Il est si jeune que si tu le penses , tu devrais lui favoriser le passage dans cette catégorie d’Artillerie.

En te priant encore une fois de m’écrire plus souvent et bien longuement, je te quitte, cher Papa, en t’embrassant bien affectueusement. Ton grand fils respectueux, qui te chérit.

Le Sgt Jean Labarrère, pilote du Farman F 40 n° F 3218, au retour d'une mission de bombardement sur Rozden - Jean Labarrère faisait équipage avec le MdL Pierre Kappès - L'avion porte une bande blanche inclinée, la marque de reconnaissance de l'escadrille - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

B) Camp de Vertekop - Escadrille 522 :

Départ pour Vertekop

Le 1er avril 1917

Bien cher Papa,

J’ai une grande nouvelle à t’annoncer. Nous changeons de secteur – et allons opérer dans une autre région. Si tu as une carte des Balkans, tu pourras suivre notre changement. Nous allons à Vertekop près de Vodena et notre secteur change ainsi totalement. Suis-je heureux du changement ? Oui et non et voilà mes raisons du pour et du contre.

Notre nouveau centre est de 400 m plus bas que celui que nous quittons – de plus – il y est tout près des marais du Vardar – et le climat y est déjà épouvantable, comme chaleur et paludisme. Au point de vue ravitaillement nous serons mieux lotis et nous pourrons aller plus facilement à Salonique. Au point de vue distraction : un déplacement est toujours intéressant et ce sont des nouvelles… , de nouveaux types à étudier, des choses nouvelles à apprendre. Au point de vue aviation, nous serons moins bien qu’ici car pour aller sur les lignes, il nous faudra passer les montagnes de 2000 m et sortir de la cuvette dans laquelle se trouve Verterojs. Les remous seront encore plus violents que par ici.

Quant à notre travail proprement dit, je ne sais pas en quoi il consistera. En tous cas, cela ne change en rien mon vif désir. Je dirai même la résolution que j’ai de quitter le Farman pour passer sur un autre avion. Aussi, cher Papa, c’est avec grande impatience, que j’attends une réponse à ma lettre du début de mois dernier. A mon arrivée à mon nouveau centre, je t’écrirai plus longuement pour te donner des indications plus précises sur le lieu et le travail que nous y accomplirons.

Mon adresse reste la même :

J. R. Labarrère - Pilote aviateur - Escadrille 384 – Armée Serbe.

Reçois les baisers les plus affectueux de ton grand fils qui te chérit.

Les Farman sont dangereux - Mort du Capitaine Martinet :

Le 9 avril 1917

Bien cher Papa,

En l’instant nous apprenons la mort du Capitaine Martinet qui s’est tué accidentellement cet après-midi sur Farman, Martinet, le célèbre pilote français d’avant guerre, Martinet, après 8 ans de pilotage vient de se tuer sur Farman.

Quelle autre preuve faut-il de l’insécurité de cet avion ? Tous les pilotes de Farman sont ils voués à une mort idiote ? N’y aura t’il pas en France un homme assez puissant pour mettre fin à tous ces crimes ? C’est honteux, honteux. Tout le monde le sait, tout le monde le sait – et cependant on continue à nous faire voler sur cet appareil ! Moi – je n’en peux plus c’est fini ; bien fini. Je préfère aller dans l’infanterie !

Affectueux baisers de ton grand fils désolé qui te chérit bien tendrement.

Chapelle ardente en hommage au Cne Robert Martinet dans un hangar Bessonneau du parc aéronautique serbe à Miskra (Grèce), le 10 avril 1917 - L'officier français s'est tué au cours d'un accident aérien, aux commandes d'un Farman, le 9 avril 1917 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Cne Robert François Martinet - Né le 24 décembre 1885 à Ancon (Pérou) - Classe 1905 - Recrutement d'un bureau de la Seine sous le matricule n° XXX - Brevet de pilote civil n° 78 obtenu à l'école Henry Farman de Mourmelon, délivré par l'Aéroclub de France, le 17 mai 1910 - Gagne la première course aérienne entre Angers et Saumur, le 6 juin 1910 - Fonde avec Legagneux l'aérodrome de Corbelieu, près de Compiègne - Comme réserviste, participe aux Grandes Manoeuvres de 1912 - Participe au Grand Prix de l'Aéroclub de France en 1912 - Chevalier de la Légion d'Honneur en 1912 - Brevet de pilote militaire n° 539 obtenu le 30 août 1914 - Affecté au 3ème groupe d'aviation - Pilote de l'escadrille MF 99 S (Future 525) du Front d'Orient - Chef du Parc aéronautique de l'armée serbe - Tué au cours d'un accident aérien dans les environs de Mikra (Grèce), le 9 avril 1917 - Sources : MpF - JORF - Dernière mise à jour 20 août 2016.

* Citation à l'ordre de l'armée du Cne Robert François Martinet, commandant le parc aéronautique de l'armée serbe, en date du 29 avril 1917 : "Vieux pilote d'avant guerre, expérimenté, d'un courtage réfléchi, n'a cessé de rendre les plus grands services à l'aviation; tant en France qu'en Orient. Attaché à l'armée serbe depuis mars 1915 comme pilote d'escadrille, puis comme adjoint technique au commandement de l'aéronautique, a exécuté quoique très éprouvé par le climat, plusieurs reconnaissances à longue portée. Chef du parc aéronautique, s'est révélé organisateur de tout premier ordre. A trouvé la mort au cours d'un essai d'appareil, tombant ainsi victime du devoir accompli."

Il a effectué 10 bombardements et 25 heures de vol sur les lignes ennemies :

Le 18 avril 1917

Bien cher Papa,

J’ai reçu tout à l’heure ta lettre du 29-03 qui m’a fait d’autant plus de plaisir que je l’ai longtemps espérée. Je suis surpris que tu ne m’accuses pas réception de mes lettres recommandées des 1er et 6 mars dernier. Je te confirme mes lettres des 10 – 20 – 27 mars et mes cartes et lettres du 9 avril. Par Jean, j’ai eu quelquesfois de tes nouvelles, mais lui-même ne m’écrit pas fréquemment, et je t’assure que ce long silence de part et d’autre me cause bien souvent du chagrin. Je continue à être en excellente santé, mais réellement le moral commence à n’être plus aussi bon et cela pour des raisons multiples que je vais t’expliquer.

D’abord et toujours, la question primordiale est celle de l’avion Farman qui après avoir eu Martinet comme victime, vient d’en avoir une nouvelle. Je t’ai dit sur mes lettres des 20 et 27 mars ce que je pensais de cet avion. D’autre part, la question des récompenses mal réparties, que l’on devrait plus sur Farman que sur tout autre appareil, nous accorder pour nous encourager, nous sont totalement refusées et ne sont accordées que lorsque le service rendu est vraiment trop flagrant qu’il ne peut passer inaperçu – ou alors par piston.

Il y a plus de 15 jours que je suis proposé comme sous-officier. Le Commandant Vitrat , a répondu que ce que j’avais fait n’était pas suffisant et qu’il fallait que "je me distingue davantage ! " - Vraiment je suis à me demander en quoi faisant, avec un Farman ? La seule façon de se distinguer sur Farman est de se tuer : à ce moment là, on nous décore toujours c’est encore heureux ! et c’est une consolation !

Néanmoins je serai certainement nommé à la fin de ce mois. Il faut que je te dise que j’ai plus de 25 heures de vol sur les lignes et une dizaine de bombardements de campements ennemis. En France, je serais sous-officier depuis 2 mois et j’aurais au moins une citation ! je croyais que l’Armée Serbe m’aurait procuré d’autres avantages. Je crois que le Capitaine Bordes m’a totalement oublié, et qu’il n’a absolument rien fait de ce qu’il avait promis.

Je ne suis pas revenu à Salonique depuis le 26 décembre, aussi n’ai-je pas eu l’occasion de voir le commandant Daumas mais je lui ai fait remettre la lettre de son beau-père par un de ses sous-officiers comptables, en lui promettant d’aller le voir sous peu. J’irai à la fin du mois très probablement et à la suite de la visite que je lui ferai, je te dirai l’accueil qu’il m’aura réservé.
Je suis désolé de voir une fois de plus qu’après 3 ans de guerre, les vieilles lois et les vieux préjugés militaires subsistent encore. Tu auras ta conscience et l’admiration des tiens et de tous les vrais patriotes pour toi – mais j’ai toujours dit – et cela tu peux le demander à petite mère, je lui en ai causé cent fois, que tu as eu dis le début une fausse conception de ton devoir à cause même de ton grand patriotisme. Réellement, n’es-tu pas convaincu aujourd’hui que tu aurais rendu plus de service à notre Patrie en restant à la tête de ton industrie ?

Bien que connaissant hélas ! trop bien l’esprit, l’organisation militaire, j’ose espérer que les services que tu as rendus deviendront un jour si flagrants, d’une si formelle évidence, que l’on sera obligé des les reconnaître. Par petite mère j’ai appris la formidable smala qu’il y a à la maison – mais il me semble cependant que tante Mary pourrait aider Mère pour la direction de toute cette maisonnée. Je suis heureux d’apprendre que Jean Soulé va mieux – et s’en est encore tiré pour cette fois – Est-il décoré ?

Il y a un mois environ, j’ai écrit à tonton Louis (NDRL, frère de Victor, centralien) à Turin et tante Jeanne m’a répondu fort gentiment de Clermont-Ferrand où elle se trouve depuis la rentrée des classes d’Octobre à cause du jeune macaroni (NDRL Pierre Labarrère dit Pierrot de Paris) et de son instruction. Elle m’annonce une lettre de tonton Louis. De temps en temps également je reçois un mot de Madame Martin, de la famille de Louis Lacaze, et fréquemment de longues lettres de Laffargue qui va de mieux en mieux – ces dernières lettres me font toujours passer d’excellents instants. Le Farman vient de faire encore une nouvelle victime t’ai-je dit plus haut, aussi j’attends impatiemment la réponse à ma dernière lettre dans laquelle je te demandai une lettre de crédit pour un officier du GQG de l’armée d'Orient. Cela me permettrait de changer d’appareil.

Je te remercie beaucoup du mandat que tu m’annonces et dont je t’accuserai réception dès que je l’aurai, mais, cher Papa, je n’ai nullement besoin d’argent. Nous ne dépensons rien ou presque rien et je touche suffisamment pour couvrir mes frais. Si je t’ai demandé de l’argent en Janvier, c’était uniquement pour avoir une certaine avance vu que pendant le voyage et mon séjour de un mois à Salonique l’argent filait vite – mais actuellement, je te le répète, je n’ai besoin de rien – et je te prie de ne plus rien m’envoyer. Pour le cas où j’aurais besoin de quelque chose, je te le demanderais franchement. D’ailleurs après la guerre, tu auras besoin de tout.

A ce sujet, cher Papa, si Dieu veut que je revienne de ce terrible tournoi, je te promets de tout faire pour te donner entière satisfaction à tous les points de vue, sachant que de ton côté tu ne me refuseras pas le seul bonheur qu’actuellement je convoite, être uni à ma chère Lodeth dès que je serai libéré de mes obligations militaires. Dès que tu la connaîtras mieux, tu reconnaîtras comme moi qu’auprès d’elle je trouverai non seulement la consolation des souffrances endurées pendant la guerre, mais encore une compagne fidèle qui par son affection et son courage pourra me soutenir dans les luttes difficiles de la vie.

Vas la voir le plus vite possible cher Papa – embrasse la pour moi. Ecris-moi le plus souvent possible, tes lettres sont trop espacées et reçois les plus affectueux baisers de ton grand fils respectueux qui te chérit.

* Mission importante, le 20 avril 1917 - avec le Ltt René Lerre, observateur à l'escadrille serbe 521 : Reconnaissances de lueurs, secteur de la Cerna, Monastir et Prilep - Départ : 21h15 retour 24 h00 - Durée 2h45 - Altitude 800 m - Incidents de route : plan supérieur droit écorné par la DCA.

Présentation des personnels et des moyens aériens de l'escadrille 384 sur le terrain de Vertekop en mai 1917 - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Un équipage pose à bord d'un Farman F 40 codé "4" de l'escadrille 522 sur le terrain de Vertekop en mai 1917 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Photo aérienne du village de Boresnica prise en basse altitude en mars 1917 - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Photo aérienne du village de Boresnica prise en basse altitude en mars 1917 - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Bientôt sergent - Refus de piloter le Farman :

Le 22 avril 1917

Bien cher Papa,

Je te confirme ma lettre du 19 courant. J’ai le plaisir de t’apprendre que mon Chef d’Escadrille ayant adressé une réclamation à mon sujet au Commandant Vitrat, vient d’obtenir ma nomination : je passerai lors des prochaines promotions, vers la fin du mois. Je te la confirmerai dès qu’elle sera officielle. D’autre part, les bonnes nouvelles comme les mauvaises n’arrivent jamais seules. Dix nouveaux pilotes de Farman arrivent demain à notre escadrille – et j’ose espérer que lorsqu’ils auront suivi un bon entraînement ils seront aptes à nous remplacer et je crois fort qu’à ce moment là j’obtiendrai facilement mon changement d’appareil. J’ai refusé de piloter le F 150 à eau que l’on m’a offert. Rappelle-toi, cher Papa, ce que tu m’avais dit au sujet de cet avion. A ma lettre je joins une photo prise par un des mes camarades avec mon appareil, au moment où mes mécanos allaient sortir mon avion du hangar, avant un départ sur les lignes. Je te prie de m’en accuser réception.

Je te prie également de me faire savoir si tu as reçu mes lettres recommandées des 1er et 6 mars contenant des photos. Ayant les reçus de la poste, je ferais une réclamation dans le cas où tu ne les aurais pas eues. J’en ai déjà fait une pour des photos adressées à ma Lodeth et qu’elle n’a pas reçues. J’écris à Jean par le même courrier et lui adresse également une de mes photos, ainsi qu’à ma petite mère. Reçois cher Papa, les plus affectueux baisers de ton grand fils respectueux qui te chérit. PS : je t’accuserai réception du mandat dès que je l’aurai. Présente mes respectueux souvenirs aux officiers à qui tu m’as présenté.

Le MdL Gaston Vaulet, pilote de l'escadrille 522, pose devant deux Farman F 40 de son unité, sur le terrain de Vertekop en mai 1917 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

MdL Gaston René Vaulet - Né le 13 mars 1894 à la Rochelle (Charente-Maritime) - Fils de Marc Vaulet et de Marie Louise Ernestine Fayot - Profession avant guerre Télégraphiste - Classe 1914 - Recrutement de La Rochelle sous le matricule n° 1386 - Engagé volontaire pour cinq ans au 7ème régiment de Hussards, le 11 avril 1912 - Nommé Brigadier le 11 octobre 1913 - Au front du 1er décembre 1914 au 15 septembre 1916 comme éclaireur au 135ème régiment d'infanterie - Nommé Maréchal des Logis, le 23 août 1915 - Passé dans l'aéronautique militaire sur sa demande, le 16 septembre 1916 - Brevet de pilote militaire n° 5435 obtenu à l'école d'aviation militaire d'Ambérieu, le 18 février 1917 - Stage de perfectionnement à l'école d'aviation militaire d'Avord du 19 février au 15 mars 1917 - Affecté au 3ème groupe d'aviation de Lyon-Bron, en instance de départ pour l'aviation serbe - Pilote de l'escadrille 522 du 1er avril 1917 au 30 juin 1918 - Nommé Adjudant, le 1er juillet 1918 - Affecté comme pilote convoyeur à la base française en Italie, le 1er juillet 1918 - Citation n° 51 à l'ordre de la division, en date du 5 août 1918 - Rapatrié en France, le 4 décembre 1918 - Médaille Militaire - Military Cross britannique - Croix de guerre Italienne - Pilote du 1er régiment d'aviation de Thionville-Basse-Yutz, le 1er janvier 1920 - Blessé au genou au cours d'un match de football entre équipes militaires, le 25 et 26 mai 1920 - Tué au cours d'un accident aérien sur le terrain de Thionville-basse-Yutz, le 22 février 1922 - Citation à l'ordre de l'armée, à titre posthume, en date du 6 septembre 1922 - Gaston Vaulet repose dans le cimetière de la ville de la Rochelle (Charente-Maritime) - Sources : Fiche Matricule du département de la Charente-Maritime - Liste des brevets militaires - JORF - Dernière mise à jour : 9 août 2016.

* Citation n° 51 à l'ordre de la division de l'Adj Gaston Vaulet, en date du 5 août 1918 : "Bon pilote, très brave. A exécuté de très nombreuses missions de reconnaissances, de photographies et de bombardements au cours desquelles il est entré maintes fois avec son appareil atteint par des balles et des éclats d'obus, notamment les 12 novembre 1917 et 13 janvier 1918."

* Citation à l'ordre de l'armée, à titre posthume, de l'Adj Gaston Vaulet, pilote du 1er régiment d'aviation, en date du 6 septembre 1922 : "Excellent pilote, a rendu de brillants services pendant la guerre. Tué au cours d'un vol en service commandé, sur le terrain de Thionville, le 22 février 1922. A été cité, sans Croix de guerre."

Un raid par mauvais temps - Bombardement - Delsol blessé - Mécanicien Beluche remplacé - Cérémonie Cne Martinet

Le 14 mai 1917

Bien cher Papa,

Je profite d’une journée de mauvais temps pour te donner de mes nouvelles. Depuis quelques jours, en effet, à cause de l’offensive, nous avons eu un travail relativement fatigant : tous les jours bombardement – et le temps n’était pas toujours propice à nos raids. C’est ainsi que vendredi dernier, malgré un vent terrible et des nuages d’orage nous sommes partis faire un bombardement. Pour passer les lignes nous avons trouvé un seul trou entre deux mers de nuages, et malgré les violents remous que nous avons encaissé sur les hauts sommets (2300 m) qui servent de délimitation avec les lignes ennemies, nous avons accompli cette mission. Quatre avions seulement ont pu passer - et je suis fier de t’annoncer, mon cher Papa, que j’étais du nombre. J’ai vécu là, les heures les plus pénibles et les plus angoissantes de ma vie déjà fertile en aventures périlleuses. Le lendemain, une note de service du Grand Quartier Général de l’Armée Serbe nous félicitait chaleureusement d’avoir accompli ces bombardements malgré les conditions atmosphériques particulièrement défavorables. J’ose espérer que, quand les attaques seront terminées, les compliments se changeront en récompenses plus… palpables !

Ce mois-ci, je ne pourrai aller à Salonique à cause des attaques. Je devais aller chercher un avion, mais Delsol a été affecté au Parc en qualité de convoyeur d’appareil, à cause d’une ancienne blessure qui suppurait et de ce fait ce sera lui qui convoyera cet avion. Cependant, vu que j’ai déjà cinq mois d’escadrille sans la moindre permission de 24 h, j’en solliciterai une de quatre jours pour me rendre à Salonique après cette offensive.

J’ai mon premier mécanicien Beluche qui part demain en France en permission de 24 jours mais qui ne reviendra pas ayant plus de 17 mois d’Orient. Il se rend à Belfort, mais la permission terminée il rejoindra le 3 ème groupe d’Aviation à Bordeaux. Je vais lui remettre ce soir une lettre pour petite mère qu’il ira voir à ce moment là. Elle aura ainsi de mes nouvelles de vive voix et par une personne en qui j’avais toute confiance. Il m’était bien dévoué et je regrette infiniment son départ – tout en étant heureux de le voir rentrer en France. Je vais écrire ce soir à ma petite mère pour lui annoncer cette visite, et la prier de le traiter comme un ami, un collaborateur de son grand fiston.

Ne t’inquiète pas au sujet de son remplaçant, je le connais vu qu’il était également avec moi : c’était mon second mécano, mais qui, l’escadrille au complet, aurait dû être premier. J’ai passé presque toute la journée à faire de la photo – j’en ai tiré sur papier 98 – si j’ai mis un tel empressement, c’est que la chaleur est déjà grande – et hier nous avions 40° aussi d’ici peu de temps il sera impossible de manier pellicules et papier, la gélatine fondant. C’est vraiment un drôle de pays que celui-ci : il y a moins de deux mois nous avions – 30° et aujourd’hui +40°. Comment veux-tu, cher Papa, que l’organisme humain résiste à de pareilles différences si grandes et surtout si brusques ?

Aussi, le nombre des hospitalisés et des évacués va chaque jour crescendo et nos mess se vident chaque jour un peu plus. Pour ma part, je n’ai pas à me plaindre, car, à vrai dire je n’ai encore eu le moindre accès de paludisme… J’ose espérer que ça tiendra… car autrement on a des accès beaucoup plus mauvais en rentrant en France. A ma lettre, je joins cinq photos dont tu voudras bien m’accuser réception. L’une surtout, celle du "Bessonneau"servant de chambre mortuaire au regretté Capitaine Martinet, le fameux Martinet, a réellement de la valeur. Il n’y en a pas quatre dans le monde entier (2 clichés seulement ont été tirés). Je te quitte, mon bien cher Papa, en t’embrassant très affectueusement – et en te priant de me rappeler au bon souvenir des officiers du groupe que tu m’as présentés.

Ton fils respectueux qui te chérit.

Construction des fondations d'une tente pour personnels aux abords direct du terrain de Vertekop en mai 1917 - L'escadrille 384 / 522 a stationné sur ce terrain, à partir de mai 1917 à juin 1918 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

De gauche à droite, les sergents Joseph Grillet, Paul Lapeyre et Jean Labarrère (assis au premier plan à droite), partagent la même tente sur le terrain de Vertekop, en mai 1917 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Prisonniers bulgares au travail au profit des personnels de l'escadrille 384 sur le terrain de Vertekop en avril 1917 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

A gauche, le mess de l'escadrille 384 sur le terrain de Vertekop en mai 1917 - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Officiers et sous-officiers de l'escadrille 384 sur le terrain de Veretekop en avril 1917 - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Les premiers effets du paludisme - Pour les troupes d'aviation, les moustiques ont probablement fait plus de victimes que les forces de l'axe - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Une partie des pilotes de l'escadrille 522 posent sur le terrain de Vertekop en mai 1917 - De gauche à droite : Cal Pierre Delsol (pilote) - Mousinier - Pissis - Bochard - Michel - Rousseau - Sgt Joseph Grillet - Sgt Jean Labarrère - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Groupe d'aviateurs franco-grecs - De gauche à droite : Slt Zarras (Grèce) - Petrovitch (Serbie) - Jacquemart (France) - Basile Sauné (France) - Labarrère (France) - Bloch (France) - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Son avion est réformé - Début de crise de paludisme :

Le 1er juin 1917

Bien cher Papa,

Par une lettre de Jean en date du 14 mai j’ai eu ce matin de bonnes nouvelles et suis surtout heureux d’apprendre que tu peux aller assez facilement en permission ce qui doit faire grand plaisir à petite mère. Comme mes cartes envoyées de Salonique ont dû te l’apprendre, je suis allé chercher un avion pour mon Chef d’Escadrille la semaine dernière. Malheureusement j’étais assez souffrant et je n’ai pu aller voir le Commandant Daumas Mais ayant reçu pas mal de balles dans mon appareil, dont plusieurs dans le moteur j’ai fait demander la réforme de cet avion et je vais très probablement aller en chercher un autre sous peu. Je resterai plus longtemps à Salonique et espère voir le Commandant. J’attends impatiemment une de tes longues lettres répondant aux dernières que je t’ai adressées relatives à mon changement d’appareil. Par le Commandant Daumas, je compte d’ailleurs obtenir quelque chose si son beau-père lui a écrit à mon sujet, comme tu devais lui demander de le faire. Il est très bien avec le Commandant Denain le grand chef de l’Aviation en Orient.

Les attaques sont terminées et n’ont malheureusement pas donné sur notre front non plus les résultats espérés. Mon escadrille a fait du bon travail et nous avons fait ce mois-ci près de 20 bombardements. Je ne sais si cela nous rapportera quelque chose ? Depuis quelques jours je suis au repos, car j’ai été souffrant comme je te le dis plus haut. J’ai eu de violentes coliques et des migraines épouvantables : préludes du paludisme. Beaucoup ont déjà eu des accès de fièvre assez sérieux et les évacuations commencent à être nombreuses. Et si les chaleurs continuent à aller crescendo je ne sais s’il y en aura beaucoup qui résisteront. En France – n’est-il pas encore question de la fin de la guerre ? S’il nous faut passer un nouvel hiver ici ce sera épouvantable !!! Ecris-moi le plus souvent possible, Cher Papa, et accuse-moi réception des photos que je t’ai adressées.

Reçois de ton grand fils qui te chérit les plus affectueux baisers.

Escadrille 522 - Secteur 504

Combat contre 3 avions - Assommé par la mitrailleuse - Bombardement réussi :

Vertekop, le 6 juillet 1917

Bien cher papa,

J’ai bien reçu hier matin un volumineux courrier, plusieurs lettres de la maison m’apportant de bonnes nouvelles de tous et m’annonçant le départ de petite mère à Versailles. Je suis heureux d’apprendre qu’elle s’est enfin décidée à aller te voir, ce seront d’excellents instants pour vous deux et également une grande diversion dans cette triste vie que nous menons depuis si longtemps sans en voir encore la fin.

J’ai eu un coup dur ces temps derniers en faisant une grande reconnaissance avec un officier serbe. Nous avons été attaqués par 3 avions boches – et Dieu merci ! j’ai pu me tirer d’affaire. Je m’en suis même tiré si honorablement que mon chef d’Escadrille a fait en ma faveur une proposition de citation, dont je compte t’envoyer le texte un de ces jours en t’annonçant qu’elle a été acceptée, ce dont j’ai la promesse. En dehors de cela tout va bien. Je suis extrêmement fatigué par ces chaleurs – mais je n’ai pas eu encore de gros accès de fièvre – et suis complètement rétabli de mon dernier accident. Mais réellement il faut que j’avoue que j’ai de la chance : 99 fois sur 100 cet accident est mortel pour le pilote et le passager. Des détails, je ne puis guère t’en donner attendu qu’ayant reçu la mitrailleuse en pleine figure, je me suis évanoui. La marque de ce choc plutôt brutal se voit encore sur mon nez et mon front mais disparaîtra je l’espère.

Et toi, cher Papa, as-tu toujours beaucoup de travail ? Trouves-tu le temps long ? Ici, c’est à mourir d’ennui… et de chaleur. Je joins à ma lettre un des derniers communiqués de notre aviation serbe. Sur les 90 bombes lancées, j’en ai huit à mon avoir et … bien placées. Nous avons encore eu des félicitations attendu que ce bombardement a été fait uniquement par des volontaires. J’attends une longue lettre de toi – et bien que je t’ai dit de ne plus m’envoyer d’argent, tu serais bien aimable de m’en envoyer un peu, car, le jour de mon accident j’ai complètement déchiré mon uniforme en même temps que mon épaule et mon visage.

Affectueux baisers de ton grand fils qui te chérit.

Lettre de R. Carrayre à V. Labarrère père de Jean et de Raymond - Les obus sifflent :

Le 6 juillet 1917

Mon Lieutenant,
Je vous prie de m’excuser tout d’abord de mon long silence.

J’ai reçu en son temps votre aimable lettre, et attendais les résultats de mon stage d’observateur, pour vous les faire connaître. Je viens de rentrer de permission, et n’ai pris connaissance de mes notes qu’à mon retour. Je suis classé 11ème sur 45 mais doit revenir faire un stage à Vadenay le Commandant Saconney me croyant un peu jeune pour une titularisation tout de suite. Je continue donc à monter comme élève observateur et suis plein d’ardeur. Ce travail là est vraiment très intéressant, mais très sérieux et surtout consciencieux. A ma dernière ascension, je suis resté 15 heures en l’air, j’ai reçu 8 obus fusants 240, dont 2 très bien placés, à 40 mètres à peine du ballon et à bonne hauteur. C’est une chance inouïe que le ballon n’ait rien eu, l’ogive est passée très près de la nacelle et j’ai très nettement entendu siffler les éclats et …

J’attends ma nomination de Caporal d’un jour à l’autre, ayant été proposé au Commandant …Patard par le Capitaine Menant, commandant du secteur. Ce dernier s’en va d’ailleurs à Vadenay en remplacement du Capitaine Blanchet, et c’est le capitaine Bienvenu, qui commandait précédemment le port d’attache de St-Cyr, qui vient le remplacer. J’ai écrit à Jean, à Versailles, voilà une quinzaine et attend un petit mot de sa part. J’espère que vous êtes toujours en bonne santé ainsi que Raymond.

Je vous présente, mon Lieutenant, mes bien respectueuses salutations.

Votre dévoué serviteur. Signé R. Carrayre.

Les mécaniciens français fêtent le 14 juillet 1917 sur le terrain de Vertekop - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

* Mission importante, le 19 juillet 1917 - avec le Cne Staikovitch, observateur à l'escadrille serbe 522 : Bombardement de nuit des hangars de l'aviation ennemie à Hudova - Départ : 2h00 retour 4h40 - Durée 2h40 - Altitude 1200m - Lancé 12 bombes de 120 - Constaté incendie violent.

Lettre du Ltt Victor Labarrère au 1er groupe d'aérostation de Versailles :

Versailles, le 23 juillet 1917

Monsieur et cher Camarade,

Sans nouvelles de mon fils aîné Jean Raymond Labarrère , maréchal des logis Pilote aviateur à l’escadrille 522 S.P 504, depuis le 20 juin dernier, je vous serai obligé et reconnaissant de vouloir bien me faire connaître si vous avez été avisé qu’il lui soit arrivé quelque accident ou qu’il ait été hospitalisé pour maladie. En m’excusant du dérangement que je vous donne, je vous prie d’agréer, Monsieur et cher Camarade, à mes sentiments les meilleurs.

Réponse :

Le dépôt n’a rien reçu de fâcheux au sujet de votre fils : pas d’avis de décès ou de captivité, pas de bulletin d’hôpital. Il y a lieu de croire qu’il est en bonne santé et que le déplacement de son unité ou toute autre cause l’aura empêché de vous donner de ses nouvelles.

Récompenses Serbes et Françaises en vue - Souhait de passer Officier - Slt Guibert commandant d' escadrille :

Le 6 août 1917

Bien cher Papa,

Je suis heureux de pouvoir t’annoncer que l’une de mes deux propositions de citations est sortie. J’ai appris cette nouvelle hier et si je ne te l’ai pas communiquée aussitôt c’est que j’ai voulu attendre le courrier officiel d’aujourd’hui croyant qu’il apporterait le texte des citations. Il n’en a rien été, et je ne sais encore si j’aurai la Médaille Militaire Serbe ou le Kara-Georges qui est la plus haute récompense accordée à un sous-officier. La première (médaille Militaire) correspond à une citation au Corps Armée, la 2ème (Kara Georges) correspond à une citation à l’Armée. L’une ou l’autre peu m’importe, car ce qui te fera surtout plaisir c’est le texte de la citation que je te communiquerai dès qu’il sera paru officiellement. D’ores et déjà je puis tout de même te dire que j’ai une citation.

Dans quelques jours également je compte recevoir la Croix de Guerre et ma citation française. C’est d’ailleurs celle qui m’intéresse le plus et qui a mes yeux aura le plus de valeur quoique la médaille militaire Serbe ou le Karageorges soient très rarement donnés. J’espère, bien cher Papa, que ces bonnes nouvelles te feront grand plaisir car elles te prouveront que j’ai fait tout mon devoir. De plus, à mon retour, je serai fier de pouvoir les montrer à mes jeunes frères et sœurs. Mais… quand est-ce que ce bonheur me sera donné ???

Avec le Sous-Lieutenant Guibert mon chef d’Escadrille et camarade (nous sommes arrivés ensemble en Orient), nous avons l’intention de demander notre permission vers le 15/20 novembre, date à laquelle nous aurons douze mois d’Orient. La loi votée dernièrement nous donne droit à une permission de 21 jours tous les ans mais le Général Sarrail a fait une nouvelle loi qui dit que pour obtenir une permission, il faut avoir au moins vingt mois de séjour en Orient. C’est vraiment un peu beaucoup et je t’assure, cher Papa, que ce n’est pas en nous traitant de la sorte qu’on obtiendra de nous le meilleur rendement.

Le Capitaine Daumas est actuellement en France en permission et tu devrais profiter de sa présence près de son beau-père pour lui faire demander de vouloir bien me recommander au Commandant Denain Cette recommandation me serait d’une grande utilité si elle était sérieuse, car de sous–officier on peut passer officier même à l’Aviation, mais à une condition et une seule, tu la connais aussi bien que moi. Le courrier d’aujourd’hui ne m’a encore apporté que des nouvelles de ma petite Lodeth, mais absolument rien ni de toi, ni de petite mère. J’attend de tes nouvelles impatiemment.

Je te quitte, bien cher Papa, en t’embrassant mille fois et de tout mon cœur.

Ton grand fils qui te chérit.

Première citation Serbe - Médaille de Karageorges en vue - Après l' accident - Fin de convalescence

Le 8 août 1917

Bien cher Papa,

J’ai reçu hier ta lettre du 24 juillet qui m’a fort étonné, car tu penses bien qu’après t’avoir annoncé mon accident, je ne suis pas demeuré plusieurs jours sans te donner de mes nouvelles. Je t’ai écrit le lendemain et durant toute la semaine qui l’a suivi, je t’ai envoyé des cartes tous les deux jours. D’ailleurs, tu aurais pu écrire à Lodeth ou aller la voir pour lui demander si elle était également sans nouvelles de moi. La chose eut été normale et tu aurais été ainsi plus vite rassuré, car je sais que tu es aujourd’hui complètement rassuré, Odette m’écrivant en date du 27 juillet, que Petite Mère venait de recevoir un de tes télégrammes leur apportant de bonnes nouvelles. Tu dois donc avoir aujourd’hui toutes mes lettres te donnant mille détails sur cet accident qui aurait pu me coûter la vie ainsi qu’à trois de mes camarades et à mon mécano.

J’ai enfin reçu hier au soir le texte de ma citation serbe, mais je ne sais toujours pas si elle me donne droit au Karageorges ou à la Médaille militaire Serbe. Ce qu’il y a de plus intéressant, c’est le texte de cette citation qui est le suivant : "Pilote habile, courageux et audacieux ; exécute avec autant de bonne volonté que d’initiative les missions les plus difficiles. A exécuté de nombreux bombardements. A eu plusieurs fois son avion atteint par des balles ennemies".

Es-tu heureux et fier, cher Papa, de cette première citation ? J’espère avoir sous peu le plaisir de t’adresser celle me donnant droit à la croix de guerre. Celle-ci est traduite du Serbe car elles paraissent en langue Serbe, c’est pourquoi les phrases n’ont entre elles aucune liaison mais qu’importent les mots. Seuls les faits relatés ont de la valeur pour moi !

Tout va bien à l’escadrille mais d’ici peu de temps, la saison des pluies va finir et ce seront alors de longues heures de morne ennui, pendant lesquelles le cafard reprendra son œuvre de mort dans nos cœurs, et nos âmes ! J’espère donc, que lorsque j’aurai mes douze mois, ma permission ne me sera pas refusée et j’espère être en France, par mes chers Parents, pour les fêtes de Noël et du jour de l’An. Quelle chance, si ce beau rêve pouvait se réaliser ! Ma foi, au bout de douze mois d’absence, on peut bien avoir le droit de demander à revoir les siens. L’accident de Bonsergent n’a pas eu pour lui, fort heureusement, les mêmes suites que pour son malheureux mécanicien qui a été tué presque sur le coup. Notre ami Bonsergent lui après avoir été dans une situation désespérée pendant 48 heures, va s’en tirer. Il a eu une cuisse cassée en deux endroits, le bassin fracturé, et le crâne également fracturé. Grâce à sa bonne constitution, il se rétablira !

J’ai appris avec peine l’accident survenu à Lambert, qui était venu en Orient avec moi. Il n’est resté ici que 4 ou 5 mois, et a dû repartir à cause d’une otite. Dès que tu le pourras, je te prie de me faire connaître les détails de son accident. Ma santé va bien mieux et je compte pouvoir reprendre mon service sous quelques jours ; peut-être vers la fin de la semaine. Je vais te quitter cher Papa, car j’ai l’intention d’écrire à petite Mère, à Lodeth et à Jean pour leur faire part de ma citation. Embrasse Jean pour moi quand tu le verras et garde pour toi les meilleurs baisers de ton grand fils respectueux qui te chérit.

PS : Comme tu sembles n’avoir pas reçu toutes mes lettres, je me permets de te demander si tu as reçu celle dans laquelle je te demandais de vouloir m’envoyer de l’argent nécessaire à la confection d’un uniforme, car le mien n’existe plus depuis mon accident il a été déchiqueté sur moi.

Mille autres bons baisers.

Citation à l’ordre de l’aéronautique - Croix de guerre Etoile + médaille militaire Serbe :

Le 9 août 1917

Mon bien cher Papa,

Je ne veux pas retarder d’un jour le plaisir de t’annoncer la bonne nouvelle. Après ma citation Serbe qui me confère la médaille militaire Serbe, je viens de recevoir à l’instant ma citation française à l’Ordre de l’Aéronautique (Croix de Guerre avec étoile). Je ne connais pas encore le texte de ma citation, mais espère pouvoir t’en faire part demain ou après-demain. Me voilà donc doublement décoré. Dis, cher Papa, es-tu fier de ton grand fils ?. Oui – eh bien ! fais-moi un grand plaisir – vas apprendre la bonne nouvelle à ma Chère Lodeth – tu me feras grand plaisir en allant la voir, car tu sais, c’est un peu grâce à elle, grâce à ses bonnes lettres que j’ai conservé mon courage, malgré les assauts répétés du cafard. Embrasse-là bien affectueusement pour moi.

Embrasse également Jean et garde les meilleurs baisers de ton fils qui te chérit.

Croix de Guerre avec Etoile - Texte de la citation à l'Aéronautique - Médaille militaire serbe - Régime des permissions en Orient :

 Le 10 août 1917

Bien cher Papa,

Malgré la crise du papier je n’hésite pas à t’écrire encore aujourd’hui. Oh ! sans doute, je n’ai pas grand chose de nouveau à t’apprendre, mais néanmoins, je crois que ça en vaut la peine. Il s’agît simplement de te communiquer le texte de ma citation à l’Aéronautique (Croix de Guerre avec Etoile) : "Maréchal des Logis Labarrère Jean, Victor – Pilote à l’Escadrille Serbe 522 – Pilote adroit et sûr. Spécialiste des bombardements. A accompli avec beaucoup d’entrain et de courage de nombreuses missions à longue portée, malgré une aviation de chasse adverse très redoutable. Est revenu très fréquemment avec son avion endommagé par les projectiles ennemis !!"

A mon humble avis, cela valait la peine de te ré-écrire aujourd’hui malgré la crise ci-dessus désignée. Ma foi, je n’ai pas à me plaindre et j’ai même bien employé mon temps. En neuf mois, j’ai gagné mes galons de sous off., la Croix de guerre et la Médaille militaire Serbe… Maintenant que pourrais-je bien faire pour gagner une permission ? En France… ils vont avoir 10 jours tous les 3 mois… à nous on nous donne, quand on y pense, 21 jours tous les ans ! c’est raide ! et j’estime que l’éloignement n’est pas une raison suffisante au contraire : Plus on est loin, plus on souffre. Plus on souffre, plus on a besoin de réconfort. N’es-tu pas de cet avis, mon cher Papa ?

Je t’embrasse des milliers de fois ainsi que Jean.

Ton fils qui te chérit.

Couverture du programme de la soirée artistique donnée par l'escadrille 522, le 15 août 1917 - Jean Labarrère a joué le rôle de Suzanne, femme de De Tourelles - Photo Christian Labarrère que je remercie pour son aide.

Contenu du programme de la soirée artistique donnée par l'escadrille 522 à Vertekop, le 15 août 1917 - Jean Labarrère a joué un rôle féminin - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Christian Labarrère que je remercie pour son aide.

Jean Labarrère pose dans son costume féminin sur un Nieuport basé sur le terrain de Vertekop, le 15 août 1917 - Ce jour là, il a participé à une soirée artistique donnée par le personnel de l'escadrille 522 au profit des personnels de l'aéronautique serbe - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Plusieurs bombardements - Avaries - Paludisme - Ltt Guibert chef d' escadrille :

Le 22 août 1917

Bien cher Papa,

Nos raids de bombardements en coopération avec les aviations alliées étant terminés, nous sommes revenus ce matin à notre escadrille. Tout c’est bien passé du moins relativement : les pertes que nous avons affligées à l’ennemi sont supérieures à celles que nous avons subies, bien supérieures même !

Pour ma part, j’ai eu le bonheur de réussir parfaitement mes bombardements. Je me suis même payé le haut luxe d’allumer un incendie dans un dépôt et d’un autre côté, je m’en suis tiré à assez bon compte puisque je n’ai eu comme avaries que : une panne de moteur chez les boches qui, heureusement ne m’a pas empêché de regagner nos lignes et à un autre bombardement que j’effectuais à très basse altitude, j’ai reçu 3 éclats d’obus dans la carlingue sans aucun mal ni pour mon bombardier, ni pour moi !

J’espère que ces raids qui m’ont fatigué énormément, me rapporteront quelque chose. Car je ne veux pas te le cacher, cher Papa, je suis très, très fatigué. J’ai eu quelques accès de paludisme et ne sais si je pourrai longtemps résister au travail que je fournis depuis quelques mois. Demain matin, mes camarades, mes amis je dois dire, m’obligent à aller voir mon docteur. Je ne voulais pas y aller, mais Guibert, mon lieutenant Chef d’escadrille et ami, va m’y mener lui-même. Je t’écrirai demain pour te dire ce qui a été décidé.

Je te quitte cher Papa, car je sens un accès qui va venir. Mille et mille bons baisers de ton grand fiston qui te chérit.

C) Séjour au parc aéronautique de Salonique :

 Paludisme :

Salonique le 9 septembre 1917

Bien cher Père,

Rien de nouveau dans ma situation : je ne sais toujours pas ce que les docteurs ont l’intention de faire de moi. En tout cas, moi, je n’ai pas l’intention de revenir plus malade de l’hôpital, aussi, s’ils ne prennent pas promptement une décision à mon endroit, vais-je en prendre une, qui sera mon retour à l’escadrille où je pourrai très aisément me soigner aussi bien …. sûr mieux qu’en cet hôpital infect.

Le capitaine Daumas commandant actuellement le Grand Parc Aéronautique dont je dépends, tu devrais demander à son beau-père de te remettre une lettre pour moi, afin que je puisse avec cette lettre aller me présenter à lui. Actuellement cela peut me servir. Je te tiendrai au courant de tout ce qui se passera au sujet de mon évacuation ou du contraire.

Bien des baisers affectueux de ton grand fils qui te chérit.

Séjour à Salonique - Parc aéronautique - Convalescence à Salonique - Cdt Daumas :

Salonique le 13 septembre 1917

Bien cher Papa,

Comme je te le laissais prévoir sur ma lettre d’avant hier, je suis sorti hier mercredi de l’hôpital. Mon stage dans cette sale boîte n’a été que de 7 jours et je suis sorti sur ma demande. Voici en effet le traitement que j’avais : rester coucher toute la journée et mal manger et voici celui qui m’a été ordonné par le médecin chef du Parc Aéronautique : bien manger, bien dormir, bien promener et surtout ne pas laisser de prise au cafard qui fait plus de mal que n’importe quelle maladie. Pour suivre ce dernier traitement, j’ai obtenu une convalescence de 8 jours renouvelable autant que je le désirerai. Je loge au Grand Parc Aéronautique et je prends mes repas un peu partout : au mess des sous offs, du Parc français, au Parc Serbe, au Parc Anglais, à Salonique dans les restaurants qui n’ont pas été détruits par l’incendie. En somme, j’ai une convalescence en règle qui si j’avais été ailleurs qu’en Orient, m’eut permis d’aller vous embrasser. Malheureusement il y a 5 000 kilomètres !!!.

Toutefois, je ne désespère pas de venir en France dans 3 ou 4 mois. J’aurai à ce moment là plus de 13 mois d’Orient et la dose sera suffisante. J’attends le mot de recommandation (cela vaut mieux qu’une carte) pour le Capitaine Daumas, car c’est justement lui qui commande le Grand Parc Aéronautique dont je dépends.

Ecoute, cher Papa, je ne t’ai jamais demandé de t’occuper de moi ce que tu aurais pu faire grâce à tes relations. Mais actuellement les conditions sont changées. Le capitaine Daumas est excessivement bien placé pour cela et sans piston je t’assure qu’il est dur d’arriver. Il faut en faire 10 fois plus et l’on n’est pas encore très sûr de réussir. Beaucoup de mes camarades qui ont ce qui me manque et seulement cela sont sous-lieutenant ou adjudants. Cette nomination de sous lieutenant est possible vu je suis de l’active, celle d’adjudant encore plus facile : j’y ai droit autant que les autres. Causes-en à M. Simonnot et demande-lui de faire quelque chose. J’attends ta réponse avec impatience.

Reçois les plus affectueux baisers de ton grand fils qui te chérit.

Afffectation au service technique, réception des avions du front d’ Orient :

le 26 Septembre 1917

Bien cher Papa,

J’ai reçu hier avec grand plaisir ta lettre datée de Bordeaux du 14 courant et suis heureux d’apprendre que tu as bien profité de ta permission de détente. Je regrette de ne pouvoir comme toi aller embrasser petite mère de temps en temps, cela doit-être bien réconfortant cependant. Comme je te l’annonçais sur ma dernière lettre je suis provisoirement affecté au G.P.A.S (Grand Parc Aéronautique de Salonique) voici dans quelle conditions. En sortant de l’hôpital sur ma demande (on y était trop mal) j’ai été déclaré momentanément inapte à faire du service en escadrille. Muni du certificat du docteur, je suis allé voir le Commandant de l’Aéronautique d’Orient et immédiatement, sur la vue du certificat médical et examen de mon carnet de vol, j’ai été affecté au G.P.A.S sous le commandement du Cap. Daumas. Après m’être présenté à ce dernier, ( sans lui parler de son beau-père), j’ai été affecté au Service technique avec mon camarade de Dijon en mars 1916, le Sous-lieutenant Pugnetti. Comme il me connaissait, ce dernier m’a offert la situation suivante que j’ai acceptée : réceptionnaire des nouveaux avions, direction technique (sous ses ordres) du réglage et montage de ces avions et des moteurs. Réparation des avions venant des escadrilles etc… Convoyage, approvisionnement, réclamations, etc….

Pour te donner une idée de l’importance de ce travail, je te dirai simplement que nous sommes 3 dans ce service comme réceptionnaires. Lieutenant Pugnetti, Sergent Sauné et moi, (pour les autres avions Farman, Dorand, .Maurice Farman). Entre nos mains passent tous les avions de l’Aviation d’Orient (française ou serbe). En somme, c’est un travail intéressant, vu que je ne puis aller en escadrille momentanément. Attendu que ce Service technique dépend du Capitaine Daumas, je serais heureux de recevoir la lettre de M. Simonnot, dont le fils est également au G.P.A.S. comme sous-officier, secrétaire de son beau-frère.

J’ai appris avec beaucoup de peine la mort de mon ami Paul Bonnaus, et serais heureux si tu pouvais me faire connaître les détails de l’accident qui a causé sa mort. Je vais écrire ce soir même à sa mère et tu pourrai lui envoyer une carte : Mme Vve Bonnaus 314 rue Pelleport à Bordeaux. J’avais songé aux risques dont tu me parle dans la lettre. Aussi, cher Papa, j’ai préféré payer mon costume 25 ou 30 % plus cher qu’en France, estimant que ce supplément était encore inférieur aux risques que j’évitais en faisant cet achat à Salonique. Il en sera de même pour les souliers et caoutchouc puisque tu me proposes de m’envoyer plutôt l’argent , mais les prix sont tellement élevés que je n’ai pas songé tout d’abord aux risques connus pour les colis. Table donc toi-même approximativement, mais ne tiens pas compte du costume que j’ai déjà acheté et payé. Mais seulement des souliers, du caoutchouc et du linge de corps (qui s’use beaucoup ici, vu que les soins apportés au lavage sont très réduits…).

Je compte aller à Athènes sur la fin d’Octobre (du 20 au 30) et y rester un mois au moins. L’école grecque prend beaucoup d’importance et d’autre part il y a une escadrille de protection de la ville. Dans deux mois j’aurai un an d’Orient et si la notre ministérielle était sans appel, je pourrais avoir l’espoir d’aller en France sous peu, mais il y a encore ici des hommes qui sont beaucoup plus anciens que moi. Il faudra soit trouver l’évacuite …, soit attendre mon tour.

Je te quitte, bien cher Papa, en t’embrassant bien affectueusement mille et mille fois.

Ton grand fils qui te chérit.

Le paludisme l'empêche de retourner en escadrille - Bientôt moniteur à Athènes - Le Cdt Daumas - Coût de la vie :

Le 19 septembre 1917

Bien cher Papa,

J’ai le plaisir de t’annoncer que je vais bien mieux aujourd’hui, quoique encore très fatigué. Je vais donc rester momentanément au Grand Parc Aéronautique de Salonique en qualité de moniteur.
Ce travail ne me plait guère, mais ne pouvant faire du service en escadrille vu mon état de santé actuel, j’aime mieux faire cela que de ne rien faire. Le temps est autrement trop long !

Je ne sais pas pour combien de temps je suis ici, peut-être 2, 3, 4 mois, mais dans deux mois, je compte aller à Athènes dans une nouvelle école fondée pour former des élèves pilotes grecs. En attendant ces beaux jours en perspective, (car ce seront de beau jours, Athènes étant une très belle ville), je vais faire faire quelques tours de double-commande aux officiers du Parc.
D’ailleurs étant au Parc, il me sera facile de profiter des circonstances, de tout ce qui pourra se présenter – en escadrille on ne profitait d’absolument rien.

J’espère recevoir sous peu la lettre de M. Simonnot pour le Capitaine Daumas. Cette lettre pourra m’être d’une grande utilité, le Capitaine Commandant le Parc. A part cela, mon bien cher Papa, rien de nouveau. Je suis privé de nouvelles de tous depuis une quinzaine de jours et je commence à trouver ainsi le temps un peu long. Ce retard est dû à ce que mes lettres vont d’abord à l’escadrille et mettent ensuite un temps infini pour me parvenir. Aussi, quand tu m’écriras, je te prie de me mettre ma nouvelle adresse, cela évitera du retard dans le plaisir de te lire. Tu vas trouver que je deviens bien exigeant, mais en vue de mon séjour à Athènes je te prie de vouloir m’envoyer une petite somme d’argent, voulant profiter de ce voyage car songe qu’il y aura onze mois que je n’aurai vu le monde civilisé quand j’arriverai dans cette ville. De plus tout est hors de prix. J’ai payé mon costume 215 fr et une paire de souliers 70 fr. Il m’a été impossible de trouver meilleur marché. La vie est également horriblement chère : sans vin, avec de la bière un repas revient à 7 francs et il n’y a rien d’extra. Et malgré cette augmentation et le prix de la vie, notre solde ne varie pas. Crois bien que je suis très gêné de te demander ainsi de l’argent – et que lorsque cette guerre sera finie je t’apporterai tout mon travail, tous mes efforts pour rattraper toutes ces années perdues.

Je te quitte, mon cher Papa, en t’embrassant très affectueusement. Ton grand fils qui te chérit.

Mission officielle en Grèce :

Le 11 octobre 17

Chère petite Mère,

Sois sans inquiétude sur mon silence. Je vais très bien mais j’ai été envoyé en mission spéciale en Vieille Grèce et il n’y avait ni chemin de fer, ni poste. J’ai vécu onze jours comme un sauvage. Suis très fatigué de ces journées de travail mais t’écrirai longuement demain ou après demain. Pour vous tous, chers miens, des millions de baisers

J’ai reçu le colis, Merci.

* Mission importante, le 17 octobre 1917 - avec le Cne Lucien, observateur, adjoint au commandant de l'aéronautique : Prise de photos secteur du Vardar - Départ : 10h45 - Retour 12h20 - Durée du vol 3h15 - Altitude 4500 m - Incidents : 17 éclats d'obus dans l'appareil.

Mission de 10 jours … en vieille Grèce :

Le 11 octobre 17

Bien cher Papa,

Pardonne mon long silence dû à un voyage de onze jours en vieille Grèce, chargé d’une mission spéciale – en pays perdu où il n’y avait pas de chemin de fer ni de Poste français. Ma mission a été menée à bien, et j’ai reçu mille félicitations. T’écrirai plus longuement cette semaine – suis très fatigué.

Mille bons baisers de tons fils qui t’aime.

Photo prise lors d'une ballade dans les environs de Salonique - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Vol de nuit à la lampe de poche !

Le 9 novembre 1917

Bien cher Papa,

Voilà bien longtemps que je n’ai eu le plaisir de te lire, peut-être tes lettres subissent-elles le sort de tant d’autres. Par maman j’ai appris ton dernier voyage à Bordeaux et serais bienheureux de te voir revenir définitivement à la maison : ta place serait plutôt là, qu’où tu te trouves actuellement. Il me semble que tu y as parfaitement droit et à mon avis tu as grand tort de ne pas en profiter. Tu te fatigues beaucoup, et aurais certainement besoin de repos. Si Dieu me garde, je te promets tous mes efforts après la guerre – mais elle va être encore longue !

Enfin pour le moment je suis loin de me plaindre. J’ai la haute estime de mes Chefs et en obtiendrai un jour prochain une récompense. Ces temps-ci, j’ai beaucoup de travail, car je profite des jours de beau temps avant la saison des pluies pour pousser l’instruction de mes officiers élèves-pilotes. Depuis le début du mois, c’est-à-dire en 9 jours, j’ai déjà plus de 20 heures de vol. Avoue que c’est une jolie moyenne journalière !

Avant-hier au soir j’ai effectué un vol de nuit pour expérimenter de nouvelles … d’atterrissage. J’avais je t’assure, bien cher Papa, de nombreux curieux autour de moi tant au départ qu’à l’arrivée. J’avais comme passager l’adjudant Bloch, excellent mitrailleur, qui s’était offert pour voler avec moi. Fait dans des conditions ordinaires un vol de nuit et aujourd’hui chose banale – mais dans les conditions et le site où nous l’avons fait, ce vol était réellement impressionnant. Pour tout éclairage de bord, nous avions une petite lampe électrique de poche – dans une nuit sans lune, nous avons décollé face à la mer, vers le Mont Olympe. Il faisait tellement noir que Bloch et moi, nous ne nous voyions pas, non plus que nous ne voyions l’extrémité des plans de l’avion.

Arrivés à une certaine hauteur, j’ai fait un virage - et alors un spectacle grandiose se découvrit à nos yeux : Salonique illuminée, la baie avec la flotte également éclairée et des myriades de petites lumières indignant autant de fenêtres d’hôpitaux. A ce moment là, les projecteurs se sont mis à nous chercher et l’un d’eux m’ayant trouvé m’a suivi pendant un moment ; je ne goûtais guère cela car j’étais ébloui. Enfin, le projecteur du Parc a fonctionné et m’a permis d’atterrir sans le moindre incident. Vraiment l’aviation nous procure la joie de bien beaux spectacles. Depuis une quinzaine de jours, je n’ai pas eu d’accès de paludisme et suis à peu près bien, quoique toujours très fatigué sans savoir pourquoi. Tout cela passera avec la guerre !

Adieu, bien cher Papa, écris-moi plus souvent, tu me feras grand plaisir M. Simonnot a t’il écrit à son gendre ?

Reçois les meilleurs et plus affectueux baisers de ton grand fiston qui te chérit.

Adj Jean Victor Labarrère - pilote instructeur de la division Caudron de Thermi-Sedhès - il porte ses trois décorations : Croix de guerre 1914-1918 portant une palme de bronze (citation à l'ordre de l'armée) et une étoile (citation à l'ordre de l'aéronautique) - Médaille d'officier de l'ordre de l'étoile de Karageorges - Médaille militaire serbe - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Personnels instructeurs du CES de Thermi-Sedhès - Le Sgt Jean Victor Labarrère se trouve au 1er rang en 6ème position à partir de la droite - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Moniteurs, élèves et mécaniciens du CES de Thermi-Sedhès en juillet 1918 - Cliquez sur l'image pour l'agrandir - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Nommé instructeur au centre de Sédhès - Partie de poker :

Sedhès, le 12 janvier 1918

Bien cher Papa,

J’ose à peine te confirmer mon télégramme de ce jour. Voilà ce qui s’est passé : comme je te le disais sur ma lettre du 4 je suis affecté au Centre de Sedhès en qualité d’instructeur pour les élèves-pilotes grecs. Arrivé au Centre, j’ai trouvé là-bas de nouveaux camarades qui m’ont invité plusieurs fois, le soir, à faire avec eux une partie de pocker. J’avais toujours refusé jusqu’à avant hier soir où j’ai cédé. Ce qui s’est passé tu t’en doutes, n’étant que fort mauvais joueur j’ai perdu tout ce que j’ai voulu et même davantage. Soit environ 375 f. Je n’ai plus le sou, mais je ne dois rien à personne.

Je sais, mon bien cher Papa, que cette nouvelle va te causer de la peine. Si j’avais été en France tu ne l’aurais jamais su, mais ici, si loin je ne puis rester sans … Voilà pourquoi je me permets de faire appel à toi, cher Papa, et je te prie de me pardonner. Tu sais, que je ne suis pas joueur. Depuis 14 mois que je vis au milieu de jeunes gens qui jouent énormément, c’est la première fois que je me laisse entraîner mais je te promets que c’est également la dernière. Ecris-moi bien vite pour me dire que tu me pardonnes et que tu crois en mes promesses. Je t’embrasse mille et mille fois.

Ton grand fils qui te chérit.

Mort de Grillet Vonkotik Veysset - Lapeyre blessé - Protection de Salonique :

 Le 30 novembre 1917

Bien cher Papa,

Voilà près de deux mois que je suis sans aucune nouvelle de toi. Je ne sais vraiment à quoi attribuer ce silence. Je t’écris toujours bien régulièrement, au moins tous les 8 à 10 jours. Je te donne le plus de renseignements possible mais je ne reçois toujours rien de toi. Pourquoi ? Depuis quelques jours nous avons bien des morts à déplorer mon ami Veysset de Bordeaux est tombé au Champ d’Honneur voilà bientôt 3 semaines et encore quelques camarades de mon escadrille : Grillet Vonkotik, tués ou disparus - Lapeyre blessé. C’est très dur en ce moment et il nous faut, je te l’assure, pas mal d’estomac.

En plus de mon travail de réceptionnaire, d’instructeurs et d’adjoint au Chef du service technique, on vient de m’affecter un avion pour la protection de Salonique la nuit. Ces vols de nuit n’ont rien de bien agréable, mais sont vraiment imposants. Je m’arrête, j’espère avoir bientôt de très bonnes nouvelles. Je joins à ma lettre une de mes photos récentes prise par un de mes camarades devant les caisses d’avions qui nous servent de logement. J’espère qu’elle te fera plaisir.

Mille bons baisers de ton grand fils qui te chérit.

Le courrier n’arrive pas ! - M. Lacaze de Lourdes - Un travail intéressant :

Salonique, le 11 décembre 1917

Bien cher Papa,

Encore ce soir un courrier est arrivé sans m’apporter de tes nouvelles. Voilà près de deux mois et demi que je n’ai reçu aucune lettre de toi. Depuis ta dernière lettre, je t’ai écrit maintes et maintes fois pour te demander le motif de ton long silence, ou les griefs que tu pourrais avoir contre moi. Et ces lettres, toutes ces lettres, sont demeurées sans réponse. D’autre part, Petite Mère, me dit que tu m’écris très régulièrement, ce que je veux bien croire, mais alors je ne m’explique pas que tes lettres ne me parviennent pas. En somme, tes lettres n’arrivent pas par un bateau spécial et ce n’est certainement pas le sac renfermant ta lettre qui est toujours le fameux sac perdu. Ta dernière lettre est celle dans laquelle tu me disais que tu allais voir M. Simonnot pour qu’il écrive à son gendre. Depuis, rien, absolument rien, de toi. De Jean, de Lodeth (tous de la région Parisienne) je reçois des lettres très fréquemment, de Lodeth à tous les courriers. Vraiment je ne sais que penser de ce silence.

Le Capitaine Du Perrier de Larson à qui M. Martin a écrit, a été tout à fait charmant avant-hier encore ; j’ai écrit à M. Martin pour le remercier et j’ai reçu ce soir un mot de Madame Martin m’accusant réception de ma lettre. Louis Lacaze m’a écrit également et m’annonce sa joie d’avoir fait paraître mes citations dans un tas de feuilles Pyrénéennes. Vraiment, c’est un peu exagéré et puisqu’il en est ainsi, je ne ferai plus savoir les récompenses qui me sont attribuées. Vous les verrez à mon retour. A propos de retour, je crois cher Papa, que tu partages ma façon de voir. J’ai actuellement une place assez intéressante, je risque beaucoup encore, c’est entendu, mais enfin je suis mieux ici que sur le front français. Je vais donc attendre le printemps (mars ou avril) pour rentrer en France et si ma permission écoulée je dois repartir au front, je n’hésiterai pas à revenir ici. Qu’en penses-tu ?

Je garde l’espoir de te lire bientôt et t’embrasse de tout mon cœur.

Ton fils respectueux qui t’aime.

* Mission importante, le 14 décembre 1917 - avec le Ltt Sondermeyer du GQG de la 2ème armée serbe : Reconnaissance photographique : Mravika - Krunjovo - Demir et retour par la Cerna - Départ : 9h00 - Retour 12h15 - Durée 3h15 - Altitude 4500 m - Incidents : combat avec deux monoplaces ennemis du type Roland, au-dessus de Rasi.bey - Avion atteint par 42 balles, obligé d'atterrir entre la 2ème et la 3ème ligne de tranchées.

Affecté comme instructeur des Grecs à Sedhes

Salonique le 23 décembre 1917

Bien cher Papa,

J’ai enfin de tes nouvelles par ta lettre du 4 courant que l’on m’a remise tout à l’heure, en même temps que ton mandat dont je te remercie mille fois. Mais je ne m’explique pas pourquoi tu ne m’écris pas plus souvent. Je suis désolé d’apprendre que tu n’as pas pu rentrer à Bordeaux dans une formation quelconque, car en somme, tu n’es pas spécialiste !

Au lieu de faire tant de circulaires, il vaudrait mieux qu’il y en ait moins, mais qu’elles soient appliquées. J’ai à t’apprendre ma mutation. Je suis affecté comme instructeur au Centre d’entraînement de Sedhès (10 km de Salonique) pour former des pilotes Grecs. Je devais rejoindre mon nouveau poste aujourd’hui, mais partant avec un avion, le temps ne me l’a pas permis. J’ai fait avant hier la connaissance de mon nouveau chef : Le Lieutenant Observateur Brémont qui sera également mon élève comme pilote. Il m’a fait un accueil tout à fait charmant et j’espère que nos relations deviendront de plus en plus cordiales.

Je te l’ai écrit déjà, le Capitaine Daumas a été tout à fait charmant pour moi. Plusieurs fois il m’a invité au mess des officiers et ce matin encore, quand je suis allé lui faire mes adieux il m’a souhaité mille choses aimables. Je n’ai pas encore vu le nommé Beauté. Je l’ai fait chercher par un planton mais il est demeuré introuvable. Avant de clore ma lettre il me reste à te présenter mes vœux du Jour de l’An. Dans les circonstances actuelles il ne nous est pas permis d’être exigeant. Je te souhaite seulement, santé, courage et espoir et la fin de cette horrible guerre qui nous permettra, Dieu le veuille, de mieux goûter les joies familiales après en avoir été privé si longtemps.

Reçois, cher Papa, mille et mille baisers et les plus affectueux de ton grand fils qui te chérit.

Mission spéciale - Citations à l’ordre de l’Armée - 2 médailles Serbes - Trop jeune de caractère pour devenir sous-lieutenant - Missions de nuit - Commandant Denain :

Secteur 502, le 1er février 1918

Mon cher Papa,

Hier en descendant au Parc, j’ai vu le Capitaine Daumas qui m’a montré le télégramme qui tu lui as adressé il y a une huitaine à mon sujet. Je suis désolé que mon télégramme t’ait inquiété au point de télégraphier au Capitaine Daumas. On m’a également remis ton mandat télégraphique dont je te remercie infiniment. Je t’assure que j’en avais bien besoin : j’étais dans une journée noire.

Je n’ai pas jusqu’ici voulu te parler de mon nouveau poste de moniteur au Centre d’entraînement de Sedhès, car les premiers jours on n’est pas apte à se faire une idée exacte de sa nouvelle situation. Il y a beaucoup de travail : ce moi-ci j’ai fait plus de cinquante heures de vol. Vu que les jours de mauvais temps ont été assez nombreux, celai fait une jolie moyenne journalière. Mes élèves sont enchantés de ma méthode et à ce sujet j’ai même été assez ennuyé, car, dernièrement ils ont fait une pétition auprès du Commandant de l’Aéronautique des Armées Alliées en Orient pour que l’on me maintienne dans mes fonctions. Ils ont fait cela, car le Commandant m’avait chargé de plusieurs missions de nuit et naturellement m’avait supprimé mon travail d’instructeur pendant cette période. J’espère que la satisfaction du Commandant Denain aura un heureux effet sur mon avancement.

Comme ni toi, cher Papa, ni personne à la maison ne m’a parlé de la 2 ème citation française obtenue il y a environ un mois ½ pour une mission spéciale, j’ignore si vous l’avez connue, si vous avez reçu ma lettre vous annonçant cette bonne nouvelle. Cela me fait une citation au Corps Armée, une à l’Aéronautique et 2 Serbes. Maintenant, j’attends mes galons d’adjudant (Sous-lieutenant je n’y compte pas ; le Commandant m’a dit que j’étais trop jeune de caractère)… et ma permission qui me procurera la joie bien vive de vous revoir tous, mes chers Parents. Je t’embrasse mille et mille fois

Ton grand fils qui te chérit.

Permission proche - Fin du séjour en Orient envisagée au bout de 18 mois - Veut se fiancer avec Lodeth :

Sedhès, le 8 février 1918

Bien cher Papa,

Je rentre à l’instant du Grand Parc où je suis allé chercher un avion mais le temps est si mauvais que mon vol a clôturé la séance pour aujourd’hui. Je profite donc de cet après-midi de repos forcé pour venir parler quelques instants avec toi, car j’ai tellement de travail les jours de beau temps, je fais jusqu’à 6 et 7 heures de vol par jour, que le soir, je n’ai guère le courage de faire ma correspondance. Voilà heureusement ma permission qui approche, le 23 de ce mois je terminerai mon 15 ème mois de séjour en Orient. Je sais bien que j’ai droit à une permission depuis déjà pas mal de temps, mais j’aime mieux quitter l’Orient définitivement au bout de 18 mois. Je compte donc arriver en permission vers la fin du mois de mai ou les premiers jours de juin. A ce moment là j’aurai droit à 44 jours de permission, plus les jours auxquels me donnent droit mes citations. Je passerai donc auprès de vous tout le mois de juin et presque tout le mois de juillet. La guerre touchera peut-être à sa fin à ce moment là. Mais de toute façon, qu’elle soit près de la fin ou non j’ai à t’adresser une prière … pendant cette permission.

Voilà plus de quatre ans que je connais ma petite Lodeth, je la considère déjà comme ma fiancée, mais pour sa mère et pour elle-même je voudrais que nos fiançailles soient célébrées officiellement pendant ma permission. Je suis encore très jeune soit, mais si j’ai 22 ans d’âge j’en ai plus que cela de raison, et la guerre m’a encore mis du plomb dans la tête. Ma volonté au sujet de mon mariage plus ou moins rapproché avec Lodeth est inébranlable. Je sais que mon bonheur est là et je serais un fou d’aller le chercher ailleurs. J’attends ta réponse à ce sujet mon cher Papa, et je serais bien heureux si tes occupations pouvaient te laisser un jour le loisir d’aller communiquer ta réponse de vive voix à ma chère petite Lodeth. J’ai appris avec fierté que Jean allait enfin prendre sa place au combat. Je voudrais avoir son adresse pour lui adresser mes vœux, mais malheureusement je ne la possède pas après ses nombreuses mutations.

Je te prie, bien cher Papa, de me la faire parvenir au plus tôt. De la maison, j’ai reçu hier une lettre d’Odette. Je suis heureux de les savoir tous en bonne santé. Pour ma part, sans aller très bien, je n’ai pas trop à me plaindre en ce moment. Comme tous les paludéens je suis très anémié, un rien me fatigue, mais je suis persuadé que dès mon retour en France je retrouverai toute ma santé. J’espère avoir sous peu le plaisir de recevoir de toi une longue lettre. Dans cette attente, je t’envoie, bien cher Papa, mes baisers les plus tendrement affectueux.

Ton grand fils qui te chérit.

Cdt Gallet, chef de centre de Sedhes - Citation à l'ordre de la division - Bravoure Serbe - Solde d’un sergent-major :

Sedhès, le 21 février 1918

Bien cher Papa,

Depuis fort longtemps je suis sans nouvelles de toi et de la maison, et ce soir je suis bien inquiet en apprenant que les Gothas sont encore revenus sur la région Parisienne. J’attends fiévreusement des détails sur ce nouveau bombardement. Vraiment ils ne perdent pas de temps et profitent de notre surprise et de ce que leur mesures préventives n’ont encore été prises, ce qui est parfaitement honteux. Vraiment nos camarades ne doivent pas être très bien vus à Paris, ce n’est cependant pas toujours leur faute.

Ici, je continue à mener une petite vie tranquille mais bien fatigante de moniteur. Encore aujourd’hui j’ai reçu des félicitations de mon Chef de Centre, le Commandant Gallet, mais si ces paroles flattent mon amour-propre, je voudrais bien voir venir un nouveau galon sur ma manche. Je crois que l’aviation n’est plus aussi favorisée qu’à son début et que les galons y sont plus durs à obtenir qu’ailleurs. Ces galons me feraient plaisir d’abord, et me seraient bien utiles ensuite au point de vue solde, car si la vie augmente en cherté, la solde n’augmente pas pour cela. Je vais te donner un petit tableau de mes dépenses de ce mois-ci, car je tiens un carnet de dépenses à peu près journellement.

Nous touchons 300 francs par mois environ et tu vois qu’elles sont nos dépenses. C’est à Salonique surtout que l’on dépense beaucoup car la vie y est très chère. On mange pour 12 fr par repas comme en temps de paix pour 5 ou 6 francs. Je pourrais évidemment descendre moins souvent mais tu sais quand on a passé 12 mois dans la brousse de Monastir ou d’ailleurs et quand, à 22 ans on a la facilité de changer d’air une fois par semaine on se laisse tenter. Si j’avais été nommé, j’aurais pu me suffire quant à mon entretien, alors qu’une fois encore je suis obligé d’avoir recours à toi, bien cher Papa. Depuis le mois de mars, j’ai le même uniforme et si malgré ses tâches et trous il est encore très bon pour monter en avion je ne puis le mettre pour les cérémonies officielles : enterrements, remise de décorations, etc…
La prochaine remise de décorations aura lieu vers le 20 mars et je dois recevoir ma citation à la division et la "Bravoure Serbe". J’aurais bien voulu à cette date avoir quelque chose de propre à me mettre, car le Commandant de l’Aéronautique attache une grande importance à la tenue surtout pour l’avancement. La somme que je te demande tu la fixeras toi-même, attendu que tu dois connaître les prix de France pour les tenues. En Orient c’est encore plus cher.
Je t’assure, cher Papa, qu’il me tarde que la guerre soit finie, pour pouvoir t’aider à regagner tout ce que tu dépenses aujourd’hui.

Reçois de ton grand fils qui te chérit les baisers les plus affectueux.

Projet de fiançailles avec Lodeth - Nouvelle citation militaire :

Le 13 mars 1918

Bien cher Papa,

Depuis plus de trois semaines je n’ai rien reçu de toi. J’ai eu de tes nouvelles par petite mère et par mon ami Lapeyre – mais de toi, rien depuis que tu m’as adressé le mandat que je t’avais demandé. Je suis à me demander si tu ne m’en veux pas de la faute que j’ai commise ! Tu m’en verrais désolé – mais peut-être m’en voudras-tu moins maintenant que – comme me le dit Maman – tu connais ma deuxième citation – Elle est déjà vieille et je suis très surpris que tu n’aies pas reçu la lettre par laquelle je te la faisais connaître. Maman m’en fait demander le texte par Odette : je ne veux pas l’envoyer car la dernière fois, j’ai été très fâché de ce qu’on les a fait paraître sur les journaux. Vite, écris-mois, bien cher Papa, pour me dire que tu m’as pardonné !

Je continue mon métier de moniteur au CES jusqu’à ma permission qui approche enfin. Je compte quitter Salonique fin mai prochain – mais le voyage ayant lieu par l’Italie je ne serai pas en France avant le 11 ou 20 juin au plus tôt. Ce voyage très long m’effraie davantage que le voyage par mer – malheureusement je n’ai pas le choix de l’une ou l’autre voie. Je te télégraphierai dès mon arrivée à Marseille pour que tu puisses demander une permission assez tôt pour nous retrouver tous à Bordeaux en même temps.

J’ai écrit à Jean par l’intermédiaire de Maman ne connaissant pas son adresse, mais j’espère que lui aussi pourra obtenir une permission à titre exceptionnel lors de ma perm. Dans ma dernière lettre je te demandais ton consentement à mes fiançailles officielles avec Lodeth lors de ma permission. J’attends ta réponse à ce sujet. A bientôt je l’espère le plaisir d’avoir de tes nouvelles.

En attendant reçois les baisers les plus affectueux de ton grand fils qui te chérit.

Il ne jouera plus - Uniforme à col fermé - la neige :

Le 28 mars 1918

Mon bien cher Papa,

J’ai reçu hier au soir ton mandat carte du 13/03, dont je te remercie infiniment et en t’en accusant réception je m’empresse de te rassurer sur la destination de cet argent. Le Poker ne me voit plus, non plus qu’aucun autre jeu de cartes, et la leçon m’a été profitable, d’autant que par ta dernière lettre tu m’as fait entrevoir toutes les horreurs du jeu. Sois donc bien tranquille, cher Papa, je n’ai eu qu’un moment d’oubli que je te prie d’excuser.

Sachant que tu ne me refuserais pas cet argent, je me suis fait habiller avec les fonds que je possédais encore et j’ai eu mon uniforme assez tôt pour la remise des décorations faites en grandes pompes. Il me fallait absolument une tenue, car, tu dois le savoir, les cols ouverts cependant si pratiques (voir les uniformes anglais) ont été absolument supprimés et mon ancienne tenue en possédant un, je ne puis plus le mettre qu’à l’intérieur du camp. J’espérais recevoir une longue lettre par laquelle tu répondrais longuement au désir d’être fiancé officiellement que je t’exprimais dans une de mes dernières lettres. La permission que tu es allé passer à Bordeaux n’a je pense, que retardé le plaisir que j’aurais de te lire à ce sujet. De Jean également je suis sans nouvelles depuis longtemps. Or, au front, il a certainement plus de temps pour m’écrire que lorsqu’il était à l’arrière. Je te prie, cher Papa, de lui faire savoir que j’aurais grand plaisir à le lire.

J’ai reçu hier également une longue lettre de ton ami Lapeyre me donnant beaucoup de détails sur les derniers perfectionnements apportés dans nos avions et moteurs, et me disant également tout le plaisir qu’il avait eu à te rencontrer. J’attends impatiemment ma permission, en espérant, malgré tout, que rien ne viendra la retarder. Ici nous vivons anxieusement dans l’attente des nouvelles du front français, nous nous attendons à un coup à la "Pétain", et avons-nous tort ? Après un mois de fortes chaleurs, à notre stupéfaction la neige recouvrait ce matin toute la région ! Quel pays, mon Dieu ! Quel Pays !

Je t’embrasse mille et mille fois, cher Papa et attends déjà la longue lettre promise. Ton grand fils qui te chérit.

Permission retardée à Juillet :

Le 30 avril 1918

Bien cher Papa,

Mon inquiétude est immense. Je suis sans nouvelles de ta part depuis plus d’un mois et ne sais vraiment pas à quoi attribuer ce trop long silence. Je sais que tu as beaucoup de besogne, mais enfin une lettre est vite écrite.
J’attends cette lettre avec une double impatience : d’abord pour avoir de tes nouvelles de ta main et non pas seulement par l’intermédiaire des nôtres ; ensuite parce que je t’ai posé une question au sujet de Lodeth, que je serais heureux de voir solutionner. Pour moi tout va à peu près bien. Je ne compte pas être en France avant Juillet, le commandant ne veut pas me lâcher prétextant qu’il a besoin de moi encore 2 ou 3 mois. Je te quitte en t’embrassant des milliers de fois me réservant le plaisir de t’écrire plus longuement à la réception de ta lettre.

Nommé adjudant :

Vendredi 24 mai 1918

Bien cher Papa,

Toujours absolument rien de toi et bien que je me fus promis de ne pas t’écrire avant d’avoir reçu cette réponse si ardemment désirée, je ne puis résister au plaisir de t’annoncer ma nomination au grade de juteux ! Vois d’ici, le vieux juteux que je fais !!! Mais… je ne m’attarde pas. Je ne peux pas t’écrire plus longuement puisque, de parti pris, tu sembles me refuser le bonheur de recevoir un mot de toi.

Je t’embrasse mille et mille fois.

Le retour en France :

Mercredi 29 mai 1918

Bien cher Papa,

Comptant partir en permission vers le 10 juillet prochain, je serais heureux de connaître avant cette date la réponse à la question que je t’ai posée voilà plus de trois mois, réponse sans laquelle je ne puis me présenter à ma chère Lodeth. D’autre part, l’arrosage de mes galons d’adjudant ayant à nouveau détruit l’équilibre de mon budget, je te serais reconnaissant de m’envoyer un peu d’argent pour mon voyage de retour qui est fort long : quinze jours environ par l’Italie, et qui nécessite quelques frais supplémentaires. Ma solde de mes deux mois de permission y suffirait plus que largement, mais je ne la toucherai que mensuellement au 3ème groupe d’aviation. Tout va bien pour le moment malgré un accès de paludisme qui m’a tenu au lit pendant 24 heures.

Je t’embrasse mille fois et te dis avec joie : à Bientôt.

Ton grand fils qui te chérit.

Adjudant Jean Victor Labarrère - Pilote - Brevet de pilote militaire n° 4067 obtenu à l'école d'aviation militaire d'Etampes, le 29 juillet 1916 - Il porte ses trois décorations : la Croix de Guerre avec une palme et deux étoiles - la Médaille d'officier de l'ordre de l'étoile de Karageorges - la Médaille militaire serbe - Sur sa manche gauche, on voit les chevrons d'ancienneté, le premier pour une année au front, et les suivants pour 6 mois supplémentaires, soit pour cette photo 2 années au front - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

La famille Labarrère - de gauche à droite au premier rang : Jean - Odette - Jeannette - Pierre (décédé le 28 octobre 1968) - Madeleine - debout au second rang : Louis (décédé à l'été 1962) - Victor - Paule - Raymond - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Superbe lettre - Rôle du moniteur chef de piste - Permission repoussée au 15 juillet :

Samedi 1er juin 1918

Adj Jean Labarrère - Pilote Aviateur Moniteur C.E.S - S.P 502

Bien cher Papa,

Ta lettre du 15 mai, qui m’est parvenue aujourd’hui seulement, bien qu’elle ne m’apporte pas la bonne nouvelle que j’espérais, ne m’en procure pas moins une douce joie : je l’ai lue avidement. Je l’ai relue avec intérêt, j’ai longuement médité sur son texte et je serais de mauvaise foi si je ne t’avouais qu’elle m’a profondément touché. C’est la première fois, cher Papa, que tu ne me parles plus comme à un jeune homme mais comme à un homme. J’en suis très fier et je m’appliquerai de tout mon cœur, de toute mon intelligence à te prouver que je suis digne de la confiance que tu m’accordes.

Le ton de ta lettre tout empreinte de tristesse en considérant les divergences de vues qui ont malheureusement désuni une partie de notre famille me montre combien t’est pénible "leur" conduite à cette heure, où mieux que jamais, l’occasion d’un rapprochement leur était offerte. Cependant peut-on leur en vouloir ? Ils ignorent ce qu’est la guerre, son horreur, ses crimes, l’angoisse dans laquelle elle nous fait vivre, n’ayant jamais souffert de ce fait, mais ils ignorent aussi ce que nous avons appris, nous autres, au prix de notre sang, mais pour notre bonheur et celui des nôtres, la force que nous donne l’amour familial; la valeur, la douceur d’un foyer bien uni. C’est dans cet amour profond de nos Parents, de nos frères, de nos sœurs, que nous avons puisé la force, le courage, qui nous ont été nécessaires pour sortir victorieux des rudes épreuves auxquelles nous avons été soumis. C’est dans cet oubli de nous-mêmes pour ceux qui sont chers, que nous puisons notre confiance. Ce sont les douces images du foyer, hélas ! bien loin, qui ravivent notre entrain quand il va sombrer. C’est notre amour sans bornes pour les nôtres qui fait que nous savons tomber pour la France !.

Pour ma part, cher Papa, les longues heures de loisirs que m’ont laissé mes occupations dans ce lointain exil on été en majeure partie, les premiers temps contre ma volonté (j’avais peur de lire en moi-même), de longues rêveries, où m’est apparue l’erreur dans laquelle j’ai longtemps vécu. Nous méconnaissons les douceurs du foyer : il nous a fallu manquer de les perdre pour les apprécier. Cette transformation de mon état d’esprit n’est pas la seule, bien cher Père, et fort heureusement d’ailleurs, car en regardant le Raymond d’autrefois je suis obligé de reconnaître qu’il en avait grand besoin. J’espère que ma prochaine permission sera pour toi une occasion de constater ce changement et te permettra non plus d’espérer mais d’avoir la certitude que je m’efforcerai de toute mon âme à resserrer et entretenir les liens qui uniront à jamais notre petite famille, ce qui nous aidera à supporter avec plus de vaillance et de sérénité les luttes de l’après-guerre. Et je suis persuadé que ce profond amour nous permettra de braver le sort en attendant qu’il le soumette avec l’aide du travail.

Je m’en voudrais, cher Papa, de ne pas te dire que malgré ta réponse si peu en harmonie avec mes espérances cependant, je ne t’en veux nullement. Je suis persuadé, au contraire, que tut ne veux que mon bonheur, comme celui de tous mes frères et sœurs. Je blasphèmerais en incriminant ton affection dont tu m’as donné tant et tant de preuves. Mais voilà : le point de départ de notre raisonnement n’est sans doute pas le même, et cette pensée de Pascal me vient à la mémoire :

"Tout notre raisonnement se réduit à céder au sentiment, mais la fantaisie est semblable et contraire au sentiment : semblable, parce qu’elle ne raisonne point ; contraire, parce qu’elle est fausse ; de sorte qu’il est bien difficile de distinguer entre ces contraires. L’un dit que mon sentiment est fantaisie et que la fantaisie est sentiment : et j’en ai dit de même de mon côté. On aurait besoin d’une règle. La raison s’offre, mais elle est pliable à tous sens et ainsi, il n’y en a point".

 Mon point de départ est basé sur ce que je considère mon Devoir qui me dit : on doit tout à qui à tout fait pour nous ; l’honneur d’un homme consiste à tenir ce qu’il a promis; d’être fidèle à ses serments, reconnaissant, ferme, incapable de céder à l’infortune, à la persécution, incapable de trahir par inconstance ou lâcheté, celui ou celle dont on a reçu tous les sacrifices. Est-ce fantaisie ? … Est-ce sentiment ? …

Tu te plains, cher Papa, de ce que je suis avare de détails sur mon existence ! C’est que, vois-tu, elle est maintenant bien calme, dénuée de tout incident un peu transcendant. La division où j’étais moniteur ayant pris de l’extension, mon galon d’adjudant est venu me conférer le titre de "moniteur chef de piste" avec plusieurs "moniteurs adjoints". Ce travail, bien que moins fatigant que celui de moniteur, puisque je ne fais plus d’élèves à proprement parler, est gros de responsabilité.

Voici en quoi il consiste :

  • Arriver en avion le premier sur la piste, au début de chaque séance, pour faire placer le T indiquant le sens d’atterrissage aux autres moniteurs, et aux élèves volants déjà seuls et amenant des avions.
  • Pendant toute la durée des vols, c’est-à-dire de 4h à 8h30, veiller à tout et à tous afin de prévenir un accident toujours possible sur une piste d’aviation.
  • Faire remarquer aux élèves groupés autour de moi les fautes commises par leurs camarades en vol, leur expliquer le remède, etc… etc…
  • C’est là, la partie la plus délicate de mes fonctions : quand un moniteur juge un élève apte à voler seul, je dois prendre cet élève en double commande avec moi et juger en dernier ressort de son aptitude.
  • Quitter la piste le dernier. Ayant des élèves français, grecs, serbes, russes, etc… officiers, sous-officiers et soldats, tu devines le tact qu’il faut développer pour faire consciencieusement son devoir sans blesser personne. J’ai eu plusieurs petites histoires que je te raconterai durant ma permission.

Mais ce que tu ne peux te figurer, ce sont les émotions par lesquelles me font passer les élèves que je viens de lâcher, qui volent seuls pour la première fois. Si je devais rester 3 mois de plus à ce poste, je crois que je finirais par attraper une maladie de cœur ou une jaunisse. Je suis normalement responsable et cette responsabilité est bien lourde, je t’assure, surtout dans un pareil métier où la moindre faute peut conduire à la mort. J’ai eu le 12 mai dernier le premier accident grave survenu au Centre sur ma piste. Le pauvre sous-lieutenant, père de famille, qui en a été victime faisait son premier tour seul. Il venait de faire en double commande trois excellents atterrissages. Le voyant bien décidé ce matin (l’habitude nous rend un peu psychologue), le temps étant propice, je décide de le lâcher. Il part normalement, monte à 150 m environ, et là au lieu de réduire la puissance de son moteur comme je lui avais dis plus de cent fois, vole avec un grand excédent de puissance. Dans ce cas, le moindre mouvement de l’air a sur l’avion un plus grand effet que si l’on vole au ralenti. Je sens qu’il s’affole un peu, mais il poursuit néanmoins sa route et arrive en face du terrain pour atterrir. A ce moment, au lieu de couper son moteur, je le vois piquer à mort en poussant sur les commandes, je le vis perdu : il était complètement affolé. Ah ! ce ne fut pas long ! Il emboutit le sol à 120 à l’heure, laisse brisé son train d’atterrissage, rebondit à 5 ou 6 mètres, repique violemment et finalement capote plein moteur. L’avion en miette, lui, projeté à dix mètres de l’appareil, inanimé, le crâne ouvert, l’arcade sourcilière fendue, la langue coupée, râlant déjà… Il n’est pas mort cependant, mais il est presque fou et les médecins désespèrent de lui voir jamais recouvrer la raison.

Quand le Commandant m’a fait appeler pour lui fournir mon rapport, j’étais plus mort que vif. Il m’a consolé de son mieux, et m’a dit que j’étais suffisamment bien connu et côté pour que ma responsabilité fut complètement dégagée. Et bien ! malgré cela, j’ai demandé mon renvoi en escadrille, qui n’a d’ailleurs pas été accepté. En dehors de cela, cher Papa, ma vie n’offre aucun intérêt palpitant. Les fortes chaleurs nous empêchent de voler le soir et dès 9h du matin nous sommes libres jusqu’au lendemain 4h. Nous employons nos après-midi à la lecture, à la correspondance, à la chasse, en promenades en mer en canot automobile, où nous allons faire du tir sur buts mobiles, etc… Le temps passe, mais bien lentement je t’assure et il me tarde d’aller en permission. Le Commandant me l’a promis pour le 15 juillet en échange de la promesse que je lui ai faite de revenir en Orient à l’échéance de cette permission. Donc à moins d’empêchement d’ordre militaire, je serai près de vous, chers miens, vers les premiers jours d’août. Dans l’attente de ce grand bonheur de te revoir, je t’embrasse, cher Papa, affectueusement.

Ton grand fils respectueux qui te chérit.

L’As de la "cage" - Benjamin des Pilotes d’Orient - Plus ancien par date Brevet - Le plus d’heures de vol 450h/ sur Farman - Formation sur Caudron :

Vendredi 12 juin 1918

Bien cher Papa,

Je te confirme ma lettre du 1er juin. Depuis cette date rien de bien sensationnel n’est venu troubler la quiétude des mes derniers jours de séjour en Orient. Cependant quelques modifications ont été apportées dans le tableau de mon travail. Les Farman dont j’avais la haute direction ayant été supprimés, même au Centre d’Entraînement de Sedhès, depuis 3 jours, je fais donc des élèves sur Caudron. C’est avec un peu de regret que j’ai quitté cette vieille "cage à poule" sur laquelle j’ai fait plus de 450 heures de vol et que je pilotais à la perfection d’après tous mes Chefs et tous mes camarades ; j’avais même conquis le titre d’ as de la cage ! de l’armée d’Orient, titre dont j’étais excessivement fier.

Il y a un autre titre dont je suis non moins fier et que j’ai depuis mon arrivée en Orient : je suis le benjamin des pilotes par mon âge et un des plus anciens par la date de mon brevet. A ce titre s’ajoute maintenant quelque chose de plus : il est arrivé en Orient d’autres pilotes de la classe 16, mais je suis le plus gradé et celui qui a le plus d’heures de vol parmi eux. Tout cela m’a encore été rappelé ce matin par mon chef de Centre qui, appelé à un nouveau Commandement vient de nous quitter et tu penses, cher Papa, si j’étais fier de m’entendre dire cela devant tous mes camarades. Je vois approcher le jour de mon départ en permission avec grande joie, car ayant fait entièrement mon Devoir, je serais fier de me présenter devant toi, devant notre Chère Maman qui a eut tout les soucis à mon sujet, et aussi devant mes chers petits frères et sœurs qui n’auront pas à rougir de moi. Si tout marche à souhait je serai en France vers fin juillet. Dès mon arrivée en France je te télégraphierai et je suis certain de te trouver à Bordeaux. J’espère que Jean pourra également obtenir une permission : le règlement prévoit ce cas dit exceptionnel. Grand sera notre bonheur de nous voir tous rassemblés au foyer, sains et saufs après cette grande tourmente. J’attends impatiemment de tes nouvelles, mon bien cher Papa, et dans cette attente je t’embrasse mille et mille fois comme je t’aime.

Ton grand fils respectueux.

Adjudant Jean-Raymond Labarrère - Pilote Aviateur, moniteur au CES secteur 502.

Adj Jean Labarrère, pilote instructeur du centre d’entraînement de Sedhès, pose en compagnie d'un Caudron G 3 de sa formation - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Adj Jean Labarrère, pilote instructeur du centre d’entraînement de Sedhès, pose à bord d'un Caudron G 3 de sa formation - Photo Jean Labarrère, datée du 5 juillet 1918, transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Adj Christian Labarrère, pilote instructeur de la division Caudron du centre d'entrainement de Thermi-Sedhès (à 10 km de Salonique) de décembre 1917 à septembre 1918, pose en compagnie de ses deux mécaniciens - Photo Jean Labarrère transmise par Christian Labarrère, son petit-fils que je remercie pour son aide.

Fièvres pendant la permission :

Lembeye, 16 Septembre 1918

Bien cher Papa,

Ta lettre du 10 courant me parvient seulement aujourd’hui à Lembeye où sur la prière de Jean et Eulalie Champagne qui, par Lily, nous savaient dans les Pyrénées, nous sommes venus passer 48h et quelles 48 heures pour moi !!! Deux accès de fièvres plus forts que jamais, dont l’un celui d’hier m’a tenu 9 heures durant dans une surexcitation nerveuse extraordinaire, j’ai déliré pendant plus de 4 heures et je suis aujourd’hui excessivement faible !

Nous quittons Lembeye tout à l’heure à midi, nous prendrons ce soir le train de 5h à Pau qui nous mènera à Bordeaux à 9h. Je compte m’y reposer jusqu’à la fin de la semaine et partir samedi soir vers Versailles. Je ne t’écris pas plus longuement, mon cher Papa, car j’ai la tête qui me tourne et il me tarde beaucoup d’aller avec toi consulter un docteur sérieux. Lily et les enfants se joignent à Bibs et à moi pour t’embrasser mille et mille fois. Tu as également les plus affectueuses pensées des Champagne.

Ton grand fils qui te chérit.

Envoyé à la section des paludéens :

Bordeaux, le 26 septembre 1918

Bien cher Papa,

Je viens d’arriver à Bordeaux où j’ai trouvé toute la famille en parfaite santé et attendant impatiemment ta prochaine arrivée. Je suis dirigé sur la section des Paludéens du 18ème régiment d’infanterie à Pau pour y poursuivre mon traitement et être ré-entraîné ! Je ne sais ce que cela signifie pour un adjudant aviateur ? Mais j’ose supposer que je n’aurai pas grand chose à faire et qu’il ne me sera impossible d’obtenir une permission pendant que tu seras toi-même à Bordeaux. Dès mon arrivée à Pau, je te donnerai de plus amples détails. Toute la famille se joint à moi pour t’embrasser mille et mille fois.

Ton grand fils respectueux qui te chérit.

Regret de ne pas être resté en Orient :

Bordeaux, le 2 Octobre 1918

Mon cher Papa,

J’ai commencé hier matin seulement les démarches pour l’obtention d’une convalescence et je compte avoir la réponse demain matin. Je te la communiquerai aussitôt. Hier encore j’ai eu un accès assez violent qui m’a obligé à me coucher à 6 heures. J’ai, paraît-il, un peu déliré, mais cet accès n’a pas été cependant aussi violent que les derniers, mais je me sens de plus en plus faible ; un rien me fatigue et cette anémie n’a rien d’agréable, surtout à mon âge. L’abaissement de la température de ces jours derniers ne me convient guère non plus, et la grosse chaleur serait je crois mon remède le plus efficace. Enfin, je prends patience, c’est la solution la plus élégante. Dès que je saurai quelque chose de définitif j’écrirai au Commandant Demain pour m’excuser et lui renvoyer l’ordre de mission qu’il m’avait confié.

D’ailleurs, que crois que d’ici peu de temps, l’Armée française d’Orient n’aura plus grand chose à faire et je ne désespère pas, à la fin de ma convalescence de me retrouver avec mes anciens camarades sur le front français. De préférence j’irais d’ailleurs dans une de ces escadrilles le cas échéant. Nous avons reçu ce matin des nouvelles de Jean par une longue lettre qu’il a adressée à Bibs. Il paraît que ça barde pas mal dans son secteur, mais ce dont il se plaint le plus, c’est du froid qui commence à sévir, surtout pendant les nuits de veille. Enfin les cadeaux du Maréchal Foch à l’occasion de son 66ème anniversaire nous permettent d’espérer mieux encore et peut-être une fin prochaine des hostilités. Je regrette malgré tout de ne m’être pas trouvé avec mes camarades pour la récente et magnifique offensive d’Orient car c’était pour moi l’occasion exceptionnellement favorable de décrocher la Croix qui me ferait tant de plaisir. Enfin, dès mon rétablissement complet je tâcherai de rattraper le temps perdu et je ne désespère pas d’y arriver. Veuille présenter mon souvenir le plus respectueux au Docteur et au Pharmacien et garde pour toi cher Papa, mes meilleurs baisers et ceux de toute la famille.

Ton grand fils respectueux qui te chérit.

Paludisme - Scènette comique :

Bordeaux, le 7 octobre 1918

Mon bien cher Papa,

Selon les indications que m’avait fournies M. Martin, j’ai fait venir aujourd’hui, à la maison, le docteur de la Place.

Tu vois d’ici, cher Papa, combien il est intéressant d’être malade. On a beau vouloir faire tout son devoir, on serait cependant plus heureux, si ayant été blessé ou ayant contracté une maladie en service commandé, on se voyait un peu mieux traité par ces Docteurs militaires qui, en général, sont comme les faveurs… ils s’en foutent même un peu plus que de raison. Donc, demain, je rejoins le 3ème groupe d’aviation, mon dépôt. Là, j’espère trouver un docteur compétent et surtout plus au courant des choses de l’aviation, qui me comprendra. Je ne serai sans doute pas encore fixé demain, mais mercredi sûrement et je te mettrai au courant du sort qui m’aura été fait.

Si tu communiques ma lettre au docteur Prunet, dis-lui bien que je le mets à part dans mon opinion générale sur les toubibs, mais réellement il en faudrait beaucoup comme lui pour relever le niveau de la corporation. Toute la famille en excellente santé se joint à moi pour t’embrasser mille et mille fois.

Ton fils chérit respectueux qui te chérit.

Paludisme :

Chartres, le 11 Octobre 1918

Bien cher Papa,

Ça ne marche pas comme sur des roulettes je t’assure, mais que m’importe, ils m’ont maintenant tous complètement dégoûté et je ne veux plus rien faire. Hier en arrivant, le commandant du GDE qui n’est pas celui que tu connais, a commencé par me dire que je n’étais pas dans le nouvel esprit de l’amée, que ma tenue le lui montrait assez clairement et que pour être dans l’aviation depuis si longtemps je n’avais pas fait grand chose sans doute étant en Orient depuis deux ans et que 500 heures de vol en 2 ans ½ ce n’était pas beaucoup… Vraiment, je ne sais pas ce que font les pilotes du front français, mais pour l’Armée d’Orient, je n’avais pas mal travaillé et mes chefs étaient satisfaits de moi. Que n’y suis-je resté malgré mon désir de venir en permission ?

Ce soir, je viens de passer la visite du docteur qui, après m’avoir interrogé et installé sur divers appareils pour mesurer mes réflexes, m’a dit que ce n’était pas très anormal, que ce sont là les réflexes correspondants … pilotes de moyenne force. Cela ne me suffit pas du tout. J’avais des réflexes épatants et je sens très bien qu’aujourd’hui je n’ai plus les mêmes dispositions. Quant à mon paludisme qui faisait le principal but de ma consultation, il a été rejeté au 2 ème plan et il paraît qu’il faut que j’ai plusieurs accès pour pouvoir être hospitalisé, mes certificats ne comptant en rien , ni pour rien.

Voici donc ma situation :

  • Impossibilité de prouver que je suis paludéen, surtout au point où je le suis,
  • Obligé de dire dans les 24 heures si oui ou non je veux continuer de piloter.

Voici ce que j’ai décidé de faire :

Je ne veux pas me suicider, ni assurer la responsabilité morale d’emmener un observateur dans l’état de fatigue générale dans lequel je me sens. Bon gré ou malgré l’assentiment des docteurs et certains certificats médicaux. Je demande donc ma radiation du personnel navigant et ma mise en disponibilité pour une autre arme. Je ne sais si la décision sera intervenue avant dimanche et ne puis de ce fait te dire, cher Papa, si je serai toujours à Chartres ou dirigé déjà sur un autre Centre. Il faudrait que je pus te téléphoner, mais le camp étant à 4 km de Chartres, il vaut encore mieux ne pas prendre de rendez-vous pour dimanche, et si je suis libre je me rendrai à Versailles mais ne m’attends pas trop. Je m’arrêterai plutôt lors de mon changement de résidence. Ne te fais pas de mauvaises idées au sujet de ce changement. Je ne me reconnais pas le droit de piloter dans l’état où je suis ; ils ne veulent pas me soigner.. eh bien ! je m’en vais ailleurs, où, plus terre à terre, je risquerai moins si j’ai un accès.

A bientôt, mon cher Papa, le plaisir de te revoir, et en attendant je t’embrasse mille et mille fois. Bien affectueusement Ton grand fils respectueux qui te chérit.

Paludisme :

Chartres le 12 octobre 1918

Bien cher Papa,

Contrairement à ce que je t’annonçais sur ma lettre d’hier, je n’ai pas encore eu à demander ma radiation au Personnel Navigant. Ce matin à 9h, le docteur, qui m’a examiné hier, m’a fait appeler et m’a dit qu’il avait réfléchi à mon cas et qu’il me mettait en observation jusqu’à lundi. C’est le docteur Blaise, Major à 2 galons.

Je ne sais pas si d’ici lundi j’aurai une crise de paludisme, mais je le souhaite ardemment ; ce n’est qu’à cette condition que je puis être hospitalisé par le GDE Si, en effet, mon paludisme n’est pas reconnu jusque là, on va me mettre en demeure de prendre mes services aériens. Or, je ne veux pas me suicider, ça n’a rien à faire et ne voulant pas me soumettre à cet ordre, il faudra que je demande ma radiation. Tu avoueras tout de même que c’est malheureux de devoir en arriver là. Je ne sais d’ailleurs où ils m’enverront après ma radiation. Je suis depuis 1915 inapte à l’artillerie et or de ce fait à beaucoup d’autres armes. Je suis cependant, je crois affecté à l’aviation et il se peut, si le commandant ne s’y oppose pas, que l’on me garde aux Services de l’aviation, à la Section technique par exemple.

Enfin, je ne puis pour le moment faire que des suppositions, mais d’après tout ce que je vois depuis quelque temps, je m’attends à tout, et surtout à rien de fameux. N’importe ! j’ai ma conscience pour moi et j’estime que c’est déjà beaucoup ! Ne te fais pas de mauvais sang, mon bien cher Papa, les Boches sont chaque jour un peu plus mal mené et c’est bien le principal. Si lundi j’ai une solution et que je ne suis pas trop fatigué, j’irai déjeuner avec toi mardi. Présente mes respectueux souvenirs au docteur et garde pour toi, cher Papa, les plus affectueux baisers de ton grand fils respectueux qui te chérit.

Adjudant Jean R. Labarrère - Pilote Aviateur - GDE 11ème Compagnie – Chartres

Paludisme :

Chartres le 14 Octobre 1918  

Bien cher Papa,

Je viens dépasser la visite pour la 2ème fois et le Major, cette fois-ci un 3 galons, vient de me mettre en observation à l’infirmière pour huit jours. Je suis très heureux d’avoir obtenu ce délai de huit jours, car j’espère bien avoir un accès d’ici l’expiration de cette période. Cependant, je crois que, si grâce à tes relations, tu pouvais obtenir pour moi une recommandation auprès de ce Docteur, ce serait parfait et je serais enfin envoyé dans un des sanatorias réservés aux paludéens. C’est malheureux de devoir en arriver là quand on est réellement malade, mais supposons que par un malheureux hasard je n’ai pas d’accès pendant cette période, il me faudra, non guéri et toujours fatigué, reprendre mes services aériens. Je t’en prie, cher Papa, use de toutes tes influences, ce n’est pas un piston que je demande, tu sais parfaitement que cela n’entre pas dans mes vues, mais puisque c’est la seule façon de me faire soigner d’une maladie contractée aux Armées, je n’ai aucun scrupule à te le demander. J’attends impatiemment une réponse et l’espère satisfaisante. Je vais demander le nom du docteur à 3 galons, chef du service de santé du GDE et je le mettrai en fin de lettre. Lui à toute puissance, c’est le Général Mannitou. Rappelle-moi au bon souvenir du Dr Prunet et reçois les plus affectueux baisers de ton grand fils respectueux qui t’aime.

Adjudant Jean R. Labarrère - Pilote Aviateur - GDE - 11ème Compagnie d’ Infirmerie - Chartres

Paludisme :

Chartres, le 20 Octobre 1918

Bien cher Papa,

J’ai reçu hier au soir ta lettre du 18 et ce matin ta lettre du 19, contenant l’aimable réponse du Capitaine Sizor. Je ne sais pas du tout le résultat que ses démarches pourront avoir, car ce qu’il faut surtout, c’est que le Dr Maublanc soit touché par cette requête, car il est seul chef dans son service. Néanmoins, je crois qu’à l’heure actuelle, tout va bien pour moi : ayant eu un petit accès avant-hier soir et un autre hier soir, on m’a fait une piqûre de quinine intraveineuse. Sans doute, cette piqûre a bien enrayé mon accès d’hier, mais actuellement ils ne pourront plus nier que je suis paludéen, puisqu’ils ont été obligés de me faire cette piqûre de quinine.

Cependant aucune autre disposition n’a été prise à mon sujet, le Dr Maublanc étant absent ces jours-ci, sa femme et sa fillette étant assez sérieusement malades. Mais dès qu’il rentrera je demanderai à le revoir, car ce n’est pas lui qui passe la visite quotidienne, mais son adjoint le Dr Blaise, et j’espère bien obtenir satisfaction. J’ai depuis 3 jours des températures très irrégulières qui prouvent bien que je ne suis pas dans un état normal : 36.4, 37, 37.2, 38.6, 36.3, 38.5, 35.7.

Sans doute, ce ne sont pas là les températures que j’atteignais le mois dernier pendant mes violents accès, mais il se peut que ça dépende de la température générale qui a baissé ces derniers temps. En tous cas, je ne me sens toujours pas capable de re-piloter pour le moment et continue à solliciter des soins et du repos. En réponse aux questions que tu me posais hier au soir sur ta lettre, le Dr Maublanc est de Roanne et exerce dans cette ville. Ce sont là tous les renseignements que je puis te fournir. Il est excessivement connu, puisqu’il est le grand examinateur de tous les pilotes et élèves-pilotes, et que tout le monde plus ou moins le connaît. C’est lui qui déjà en 1916, m’a mis des pointes de feu au genou. Tant que tu ne seras pas bien, il est inutile que tu risques de te rendre plus malade en venant à Chartres. J’ai demandé quels sont les moyens de locomotion les moins difficiles. Il n’y a que des voitures et je me doute du prix exorbitant que doivent demander les cochers !

Obligatoirement, mon cas sera solutionné cette semaine, car on ne peut me garder indéfiniment à l’infirmerie et je pourrai alors aller te voir à Versailles entre deux trains. Je ne sais pas dans quelle formation sanitaire je serai envoyé le cas échéant, mais vraisemblablement je pourrai toujours m’arranger pour passer par Versailles. Mais, ne vendons pas la peau… etc… J’ai reçu ce matin de bonnes nouvelles de petite mère et des enfants et également une … carte de Jean "heureux d’avoir les pieds au chaud dans une … boche pendant qu’il pleut !" Rappelle-moi au bon souvenir de M. Prunet et de M. Vaubochstail. Et reçois les baisers les plus affectueux de ton grand fils respectueux qui te chérit.

Le paludisme :

Chartres, le 27 octobre 1918

Bien cher Papa,

La lettre d’hier reçue ce matin me surprend énormément. Je ne sais le sort qu’on subit mes dernières lettres si tu ne les as pas reçues ; et suis à me demander également où est passée la tienne dans laquelle tu me parlais du Dr Prunet. Seuls les PTT pourraient sans doute nous renseigner. Je te répèterai donc ce que je te disais sur ma dernière lettre : le Médecin-Chef a, dès son retour, pris à mon sujet les dispositions nécessitées par mon état de santé. Il a adressé une demande à la direction du Service de Santé de la IVème Région afin de savoir sur quel hôpital de paludéens il devait me diriger. Il a pris cette décision après avoir examiné mes feuilles de températures et les certificats qui m’ont été délivrés par le Dr. Ollivier. La réponse du Service de Santé n’étant pas encore arrivée (je l’attends incessamment) je ne sais où je vais être envoyé, même approximativement. Dès que cette réponse sera connue de moi je te la ferai parvenir, ou même, si je le puis, j’irai te la communiquer de vive voix.

Je te remercie de toutes les démarches que tu as bien voulu tenter auprès de tes amis et te promets de ne prendre aucune décision irrémédiable sans t’en avoir référé auparavent. Je ne sais toujours pas si les démarches faites par le Capt. Sizor ont abouti, car je n’ai pas eu l’occasion de revoir le Commandant en Second du GDE et j’ai, tout au contraire, diminué toutes les chances de rencontre avec lui ! Il vaux mieux à tous points de vue !. J’espérais que tu serais venu à Chartres aujourd’hui, mais je ne regrette pas d’avoir été privé de ce plaisir, si cela avance ton travail et te permet d’aller passer les fêtes de la Toussaint auprès de petite Mère et des petites. J’espère te voir d’ici là et te charge de toutes mes tendresses pour eux. Je suis toujours à l’infirmerie et ne suis pas encore allé à Chartres ; ce n’est pas excessivement gai, mais ça vaut bien ça d’avoir réussi à établir d’une façon évidente que je ne pouvais pas faire mon service sans l’état de santé où je me trouve. J’ai reçu ce matin de bonnes nouvelles de Jean, il se plaint du froid.. et de la pluie ! Pauvre Jean ! Je crois qu’il en voit de dures.

Je t’embrasse mille et mille fois. Ton grand fils respectueux qui te chérit.

Chartres et le paludisme :

Chartres le 28 octobre 1918

Bien cher Papa,

Deux mots seulement pour te demander de vouloir bien m’envoyer le plus tôt possible et si tu la possèdes dans les archives de ton service, le Circulaire Ministérielle relative à l’hospitalisation des malades militaires dans un des hôpitaux situés le plus près possible du lieu de leur résidence. Cette circulaire me permettrait peut-être d’obtenir mon envoi dans un hôpital paludéen de la région de Bordeaux. Merci d’avance et affectueux baisers de ton grand fils qui te chérit.

Deux jours avant l'armistice :

Le Mans, le 9 novembre 1918

Bien cher Papa,

Je suis allé hier au soir au magasin régional où j’ai eu le plaisir de voir M. Augereau qui m’a reçu d’une façon toute charmante. Il compte aller ces jours-ci à Lille voir les parents de sa dame, mais m’a demandé mon adresse, afin de me prévenir de son retour au Mans, pour que j’aille déjeuner avec lui. Il m’a également parlé d’Agrantjanoff qui se trouvait en villégiature à Lourdes au début de Septembre, (j’aurai pu l’y rencontrer) et qui est maintenant à Laval ; d’ailleurs voici son adresse : Sous-Lieutenant Militaire – Base Russe à Laval.

Jusqu’à aujourd’hui rien de nouveau quant à moi ; je suis toujours le traitement et ma température se régularise. En fin de traitement, au lieu d’être envoyé dans une "Section de Paludéens" où l’on fait du "Service Intérieur" auquel je ne connais rien, je vais essayer d’obtenir une plus longue convalescence ce qui me sera plus utile et me fera plus de bien que d’aller perdre la semaine, ou la santé, ou autre chose dans le même goût, dans une caserne d’infanterie. J’espère pouvoir l’obtenir du médecin Chef de mon hôpital. Je n’a pas reçu depuis 3 jours de nouvelles de la famille, ni de Jean et je m’ennuie terriblement dans cet isolement. Jusqu’à aujourd’hui je ne pouvais sortir tant il faisait mauvais, mais le soleil a refait son apparition et cet après-midi je vais aller visiter la belle ville du Mans. La journée de demain dimanche me rappelle beaucoup, et je ne sais ce que je vais faire. Vraiment, il faut vouloir se soigner pour subir cette vie d’hôpital. Et dire qu’il y a des types qui y ont passé la moitié de la guerre dans ces boîtes !!!

A bientôt, cher Papa, le plaisir de te lire reçois en attendant les plus affectueux baisers de ton grand fils qui te chérit.

 

Remerciements à :

- M. Christian Labarrère pour l'envoi des archives de Jean Victor Labarrère, son grand-père.

Bibliographie :

- Archives et photographies de Jean Labarrère.
- Les escadrilles de l'aéronautique militaire française - Symbolique et histoire - 1912-1920 - Ouvrage collectif publié par le SHAA de Vincennes en 2003.
- The French Air Service War Chronology 1914-1918 par Frank W.Bailey et Christophe Cony publié par les éditions Grub Street en 2001.
- L'aviation française 1914-1940, ses escadrilles, ses insignes - par le Commandant E Moreau-Bérillon - publié à compte d'auteur en 1970.
- Les Armées françaises dans la Grande Guerre publié à partir de 1922 par le Ministère de la Guerre.
- Site Internet "Mémoires des hommes" du Ministère de la Défense - Voir le lien

Si vous avez des documents écrits ou photographiques pouvant compléter les données de cette page, veuillez contacter l'auteur du site

de Chauvelin Félix Ruinet

 

 

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