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Etude réalisée par Christophe Cony, le rédacteur en chef de la revue "Avions" - Je lui adresse tous mes remerciements pour son aide.
Insignes peints
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HistoriqueLes projets d'aviation militaire :Séduit par les perspectives offertes par l’aéronautique, le Gouverneur général de l’Indochine Albert Sarraut tente depuis 1912 d’organiser un service d’aviation dans la Colonie. Il estime, comme son conseiller le lieutenant Henri Salel, que l’aviation en Indochine offre un intérêt politique et civil largement supérieur au domaine militaire et souhaite donc qu’un centre d’études pratiques soit organisé près de Hanoï (au Tonkin, dans le nord de l’Indochine), "à proximité du Gouverneur Général et du Général Commandant Supérieur dont il dépendrait uniquement." Mais en métropole, les ministres des Colonies et de la Guerre ont choisi en avril 1913 d’établir un centre au point d’appui de Saïgon – Cap Saint-Jacques (en Cochinchine, dans le sud de la Colonie). Cette différence de vues entre les Ministères et Albert Sarraut condamne par avance le projet qui n’a pas avancé d’un pouce à l’ouverture des hostilités. L’aviation est une avancée technique qui coûte trop cher pour être menée à son terme sans un consensus de tous les services, car ni l’Armée, ni le Gouvernement général de l’Indochine ne disposent d’un budget suffisant pour créer sur leurs fonds propres un centre d’aviation. Fin 1913, Albert Sarraut appelle auprès de lui l'administrateur des services civils au Tonkin Henry Wintrebert, breveté pilote depuis novembre 1910, pour aider à organiser une infrastructure aérienne en Indochine. En mars 1914, il fait venir le lieutenant Do-Huu Vi à Saïgon pour étudier l'emploi de glisseurs à hélice aérienne et d'aérofleuves sur les cours d'eau de la péninsule. La firme de Lambert vient en effet de mettre au point un modèle d’hydroglisseur qui pourrait être utilisé sur le Mékong et le Fleuve Rouge. Aucun des deux hommes n’a le temps d’achever sa mission avant l’ouverture des hostilités. Do-Huu rentre en France en octobre 1914; il est suivi en novembre par Wintrebert qui s’engage en janvier 1915 dans l’aviation militaire où il est breveté trois mois plus tard. Il servira successivement, comme sous-lieutenant, au sein des escadrilles MF 25, N 62 puis MF 29 avant d’être rayé du personnel navigant fin 1916 et de revenir en Indochine. Un dernier pilote militaire colonial, le lieutenant François Glaize (breveté en 1912), sert depuis mars 1913 au sein du 4ème régiment de tirailleurs tonkinois. Il quitte le Tonkin en novembre 1914 pour s’engager à son tour dans l’aviation où il va effectuer une glorieuse carrière en métropole. Il ne reviendra dans la Colonie qu’après l’armistice, mais cette fois comme Directeur de l’Aéronautique en Indochine… Do-Huu Vi, le premier pilote vietnamien :Curieux destin que celui du premier pilote indochinois : il n’a jamais volé dans son pays d’origine, et il est mort au cours de la Grande Guerre… dans l’infanterie ! Descendant d’une grande famille (son grand-oncle a été vice-roi du Tonkin), Do-Huu Vi naît 17 février 1883 à Cholon, en Cochinchine. Il est le cinquième fils du préfet colonial de Cochinchine Do-Huu Phuong, commandeur de la Légion d’Honneur. Entré à Saint-Cyr le 1er octobre 1904, après des études secondaires aux lycées Janson-de-Sailly et Louis-le-Grand, il est nommé deux ans plus tard sous-lieutenant au 1er régiment de la Légion Étrangère. En 1906-1907, il fait campagne au Maroc, l’année suivante dans le massif du Hoggar, puis jusqu’en 1910 sur les confins algéro-marocains. Inspiré par l’aviation, il entre à l'école militaire de pilotage le 10 décembre 1910 et obtient comme lieutenant ses brevets civil et militaire à la fin de l’année suivante. Coéquipier du lieutenant Victor Ménard lors du tour de France aérien en 1911, Do-Huu est affecté début 1912 en escadrille, au Maroc occidental où il combat de nouveau pendant près de deux ans et reçoit la Légion d’Honneur. En mission à Saïgon au moment de l’ouverture des hostilités, Do-Huu repart pour la France le 3 octobre 1914. Affecté le 1er décembre comme observateur-bombardier à l’escadrille VB1, il passe en janvier 1915 à la VB 2, rebaptisée VB 102 en mars . Promu capitaine le 22 mars, il fait souvent équipe avec un ancien "colonial", le lieutenant de vaisseau de Laborde, et retrouve au sein du même groupe de bombardement le capitaine Henri Salel, devenu observateur-bombardier à la VB 103 (et qui passera lui aussi à la VB 102 mi-1915). Mais son Voisin LAS, pris dans une violente tempête, s’écrase sur le sol au retour d’une mission. Il est hospitalisé dans un état grave au Val-de-Grâce, avec le bras gauche, la mâchoire et la base du crâne fracturés. Quelques semaines plus tard, à peine rétabli, il parle déjà de rejoindre le front ! Ses blessures l’ont pourtant laissé invalide, et c’est seulement en tant qu’observateur qu’il est attaché le 1er juillet à l’état-major du GB 1. Malgré un stage de transformation sur Caudron G.4, effectué d’août à décembre 1915 à la RGAé, l’aviation le déclare début 1916 inapte au vol en raison de son infirmité. Do-Huu Vi qui désire retourner au combat demande alors à servir dans son ancienne arme ; il rejoint le 1er régiment de la Légion Étrangère où il reçoit le commandement de la 7ème compagnie. C’est en partant à l’assaut à la tête de son unité qu’il est tué le 9 juillet 1916 près de Dompierre, dans la Somme. De l'escadrille d'études du Tonkin à l'escadrille n° 1 d'Indochine :Ce n’est qu’en décembre 1916 que les pourparlers reprennent entre le ministère des Colonies et celui de la Guerre pour créer une aviation indochinoise. Le 26 de ce mois, le ministère de la Guerre émet un avis défavorable à la création d’une telle formation, dont l'effectif ne pourrait être que peu élevé en raison du conflit. La note ajoute qu'une unité aussi restreinte serait d'une faible utilité et qu'en outre, il faudrait compter sur les difficultés du ravitaillement et l'influence du climat. Albert Sarraut ne se tient pas pour battu et finit par arracher au général Hubert Lyautey la promesse d’un prochain envoi d’appareils militaires au Tonkin. Il obtient aussi de "récupérer" son second homme de confiance Henry Wintrebert, Henri Salel étant déjà rentré prendre la tête du Service géographique de l’Indochine en février 1916 après avoir subi un accident à l’école de pilotage d’Ambérieu à l’automne 1915. En échange, il accepte que l’Armée se charge de l’organisation de l’aviation en Indochine, tous les frais de solde et d’entretien demeurant à la charge de la Colonie. Le 10 janvier 1917, l'État-major décide d’envoyer quatre pilotes et six avions pour assurer la sécurité des frontières d’Indochine. Ils doivent y former l’escadrille V 309, qui sera redésignée V 571 le 1er juillet. Le 13 janvier, le capitaine Salel reconnaît un champ d'atterrissage à Vi Thuy, près de Tong, une quarantaine kilomètres au nord-ouest de Hanoï. Ce terrain situé dans le champ de tir des troupes du delta tonkinois est adopté par le Gouverneur général pour la nouvelle aviation militaire. Six mille litres d'essence avion y sont acheminés par le Fleuve Rouge sur les péniches de la Compagnie Franco-Asiatique, afin de constituer un premier dépôt. Le personnel militaire quitte Marseille le 29 avril, à bord du cargo "Meinam" de la Compagnie des Messageries Maritimes qui arrive dans le port de Haïphong le 9 juillet. "Article premier.- (…) Art. 2.- Ce service comprendra, jusqu’à nouvel ordre, une escadrille, comptant un personnel militaire hors cadres et un personnel civil. Elle sera placée sous les ordres d’un officier, qui prendra le titre de commandant de l’escadrille indochinoise, et administrée par cet officier, sous la direction du Gouverneur Général. Art. 3.- Le personnel militaire envoyé de France pour continuer ses services dans l’aviation est placé hors cadres, à la disposition du Gouverneur Général. À compter du 1 er juillet 1917, toutes les dépenses régulièrement engagées au titre de l’aviation pour le personnel et le matériel, restent à la charge du Budget Général. Art. 4.- (…) a) Solde.- Le personnel militaire H.C. aura droit à la solde du grade haute paie, indemnité de vivres fixés par les règlements militaires. Le personnel civil aura droit à une solde fixée par contrat. Les fonctionnaires civils acceptés dans l’escadrille toucheront le traitement afférent à leur emploi professionnel. (…) Art. 6.- Camp d’aviation.- Le Camp de Tong choisi par l’autorité militaire comme champ d’aviation est maintenu comme centre du service à titre d’essai. (…) Art. 8.- Fonctionnement du service. Le Service intérieur de l’Escadrille sera conforme à celui en usage dans les escadrilles de France en campagne. (…) » Comme on peut le constater, ce n’est plus l’Armée qui gère l’aviation d’Indochine ! Le général de division Lombard, Commandant supérieur des troupes en Indochine, proteste aussitôt contre cette dépendance qui le prive de tout pouvoir d’action et de décision sur la nouvelle formation. Albert Sarraut s’est résolu à rattacher directement l’aviation au Gouvernement général, comme il le justifiera auprès du ministre des Colonies par la lettre 4-bis-BMS du 23 août 1917. Trop "gourmands", les militaires demandaient en effet dans leur projet de budget (mai 1917) plus de 100.000 piastres indochinoises, dont 20.000 consacrés aux seuls achats de terrains… Établi plus raisonnablement par le gouverneur, le budget de ce service va s’élever pour l’année 1917 à 42.000 piastres réparties comme suit : traitement du personnel 11.862 piastres, transport du personnel et du matériel 3.200 piastres, installations diverses 19.850 piastres (dont 10.550 pour la construction d’un hangar et ses dépendances à Tong), entretien 6.088 piastres, plus 1.000 piastres réservées aux dépenses imprévues. La direction du service est confiée au capitaine Salel, qui demeure par ailleurs chef du Service géographique. La petite unité est désignée par le Gouvernement général de l’Indochine "escadrille d’études du Tonkin" et plus simplement "escadrille indochinoise" par son personnel, qui n’utilisera jamais l'appellation V 571. Elle rassemble 37 hommes : deux officiers aviateurs, les sous-lieutenants Maurice Maldidier (commandant du service ainsi que de l’escadrille) et Charley Ricou, un pilote civil, Henry Wintrebert, trois mécaniciens d’aviation, huit ouvriers spécialisés de première classe et trois de seconde classe (dont six militaires), un comptable, sept soldats indigènes et douze ouvriers spécialisés indigènes ayant déjà servi dans l'aviation française. Si Wintrebert n’est plus un inconnu pour le lecteur puisque nous avons déjà parlé de lui dans le précédent chapitre, il est nécessaire de présenter en quelques lignes les deux autres pilotes. Maldidier est un ancien du front d’Orient, où il a combattu avec la MF 88 de décembre 1915 à son retour en France en août 1916 après un grave accident. Ricou a quant à lui eu un parcours peu banal… Sujet britannique né à Hongkong et demeurant à Macao avant-guerre, il est sorti ingénieur de l'école supérieure d'électricité de Paris avec en poche son brevet de pilote civil ! Engagé volontaire au titre de l’aviation en août 1915, il est breveté pilote militaire et part lui aussi pour le front d’Orient où il sert comme sergent au sein des escadrilles V 83 puis C 89. Crédité d’une victoire aérienne probable, il est blessé sur accident le 25 mai 1916 et rapatrié en France où il est rayé du personnel navigant après être passé sous-lieutenant en novembre. Il embarque alors à destination de la Chine où il doit passer son congé de convalescence. Arrivé en Indochine au mois de janvier 1917, il est aussitôt affecté (hors cadres) à l'aviation indochinoise sur la demande du Gouverneur général. Le matériel militaire, transporté en caisses à bord de deux vapeurs, ne correspond pas au modèle demandé même s’il est livré avec son armement. Il s’agit de huit vieux biplaces Voisin V LAS [1*] réformés l’année précédente en Orient où ils avaient servi au sein des escadrilles V 83, V 84 et V 90. Propulsés par un moteur en étoile refroidi par eau Salmson (Canton-Unné) P 9 de 150 HP, ces appareils qui atteignent tout juste 100 km/h ont une autonomie de quatre heures de vol ; ils peuvent emporter une mitrailleuse et jusqu’à 180 kg de bombes. Quatre d’entre eux, destinés à l’escadrille du Tonkin, débarquent dans le port de Haïphong le 1er août 1917. Les quatre autres sont placés en réserve à Saïgon, en Cochinchine, où il est ultérieurement prévu de constituer une seconde escadrille. Transportées à Tong, les machines arrivées en mauvais état sont remontées et réglées tant bien que mal sur le petit terrain de Vi Thuy. Les mécaniciens constatent que les hélices sont détériorées, les voilures vrillées et que les cellules sont dans l’ensemble très fatiguées. Le 17 août, le sous-lieutenant Maldidier peut malgré tout effectuer un premier vol sur le delta du Fleuve Rouge. Le 31 août, le sous-lieutenant Ricou accomplit un vol d’essai et de reconnaissance d’une durée de 1 h 38, au cours duquel il parcourt une distance de 170 km. [1*] Ces huit Voisin V pourraient être compris parmi les quinze numéros de série suivants : V1075, V1227, V1240, V1248, V1258, V1289, V1290, V1319, V1348, V1351, V1352, V1382, V1398, V1438 et V1483, dont l’existence (mais non la disparition) est attestée au sein des unités françaises du Front d’Orient. Le même jour, des gardes du pénitencier de Thaï Nguyen, à une soixantaine de kilomètres au nord de Hanoï, se révoltent sous la direction de deux soldats révolutionnaires : le commandant de la place est tué, les prisonniers politiques sont libérés et la ville est rapidement prise par les insurgés. Les renforts français envoyés immédiatement sur place reprennent la ville dès le 4 septembre, dégageant la garnison du 9ème régiment d’infanterie coloniale, mais les insurgés parviennent à se réfugier dans les collines environnantes où ils vont résister pendant plusieurs semaines [*2]. Désireux de connaître leurs positions, le colonel Berger, commandant les troupes d’opérations de Thaï Nguyen, fait appel à l'aviation pour effectuer des reconnaissances les 30 et 31 septembre. Le sous-lieutenant Ricou parvient à survoler la ville mais ce premier essai de liaison air-terre est un échec en raison du brouillard. Le service a par ailleurs la douleur de perdre brusquement son chef Maurice Maldidier, décédé de maladie à l’hôpital militaire de Hanoï le 18 septembre. Ses obsèques ont lieu deux jours plus tard en présence du général Léon Lombard, Commandant supérieur des troupes du groupe de l’Indochine. Il est remplacé le 1er octobre par Charley Ricou qui sera nommé lieutenant le 28 novembre 1917. [*2] Les derniers d’entre eux ne seront vaincus que six mois plus tard. Début 1918, ne sachant trop que faire de sa petite escadrille dont les Voisin ont déjà subi plusieurs accidents et qui ne dispose plus que d’un seul pilote (Henry Wintrebert ayant été rappelé à son poste d’administrateur), Albert Sarraut se tourne une nouvelle fois vers l'aviation d'Orient. Le 19 février, le ministre des Colonies Henry Simon écrit au sous-secrétaire d'état de l'Aéronautique militaire et maritime : "En vue de l'établissement d'un programme du rendement qui peut être demandé à l'escadrille d'avions constituée au Tonkin, M. le Gouverneur Général de l'Indochine me signale qu'il lui paraît indispensable de réunir une documentation appropriée comportant, en particulier, les enseignements que l'Aviation française et l'Aviation alliée ont su tirer de la guerre dans les Balkans, région qui se rapproche, tout au moins par l'importance de son système orographique, du Haut Tonkin qui est appelé à être survolé le plus fréquemment. (…)". Cette demande est transmise au général Victor Denain, chef du Service aéronautique de l’Armée d’Orient, qui met en avant l’utilité de l'aviation pour cartographier et faire des liaisons tout en conseillant par la note n° 4597 l’utilisation d’avions Nieuport, des machines ayant donné toute satisfaction sur un théâtre d’opération dont la configuration est proche de celle de la plus grande partie du territoire indochinois. Le Gouverneur général charge également le chef de bataillon Claustre, chef de son bureau militaire, d’étudier pourquoi le Service de l’aviation peine à se mettre en place. Son rapport, remis à la fin du mois de mars, conclut que l’éloignement du camp de Tong et "l’ignorance excusable" du lieutenant Ricou en matière d’administration ont constitué un obstacle si sérieux à la gestion du service que Claustre se propose pour porter personnellement remède à cette situation qui s’aggrave quotidiennement, Ricou ayant été blessé en service commandé le 14 mars à Dong Xa. D’un côté matériel, les appareils Voisin sont reconnus inadaptés aux conditions atmosphériques et géographiques du nord de l’Indochine, mais deux pilotes en renfort sont quand même obtenus de la métropole. Selon la mauvaise habitude prise par le ministère de la Guerre, ce ne sont pas des aviateurs de premier ordre… Le premier arrive fin mars 1918. Il s’agit du sergent Louis Chaffanjon qui a servi d’août à octobre 1917 au sein de l’escadrille de chasse SPA 86, sur le front français, sans y revendiquer la moindre victoire. Le second débarque au Tonkin le 15 avril 1918 : c’est le caporal Cao-Dac Minh, élève pilote de chasse, qui a été radié du personnel navigant après un accident à l’école de Pau en mars 1917. Albert Sarraut décide alors de restructurer l’aéronautique de la Colonie. Le 6 avril 1918, il créé le Service civil de l'aviation en Indochine par arrêté n° 764. Ce service est placé quatorze jours plus tard sous la direction du chef de bataillon Claustre, suivant l’arrêté n° 894. Il comprend deux escadrilles : l’une au Tonkin, désignée escadrille n° 1 (c’est l’ancienne escadrille d’études), l’autre en Cochinchine, désignée escadrille n° 2 . La situation budgétaire du service est rétablie en août 1918 avec le concours des services financiers. Au budget 1917, qui présente au final un excédent de recettes de 14.580 piastres, fait suite le budget 1918 d’un montant de 50.000 piastres [*3]. [*3] Des crédits supplémentaires provenant de souscriptions administratives porteront le budget 1918 définitif à 55.900 piastres (arrêté du 18 novembre 1918). Début avril 1918, le lieutenant Ricou reçoit l’ordre de faire défiler ses avions lors d’une revue donnée en l'honneur de l'empereur d’Annam Khaï Dinh. Il obéit mais avertit auparavant ses supérieurs "que le moteur de son avion n’étant pas fiable, il ne garantit pas le succès de cette opération de prestige pouvant tourner à la catastrophe." Effectivement, son appareil n’arrive même pas à quitter le sol… Jugeant le Voisin dangereux, Ricou se refuse à effectuer un nouvel essai et ordonne au sergent Chaffanjon de demeurer au sol. Cette "offense" lui vaut d’être immédiatement rayé des contrôles de l'aviation en Indochine et remis à la disposition du ministre de la Guerre le 15 avril [*4]. Le commandement de l’escadrille n° 1 est donc confié à Louis Chaffanjon, promu pour la circonstance sous-lieutenant. Début mai, celui-ci se blesse légèrement en tentant de faire décoller le dernier Voisin encore utilisable ! Le transport au Tonkin des quatre machines demeurées stockées à Saïgon n’étant pas envisageable, puisqu’elles doivent équiper la seconde unité, l’escadrille n° 1 se retrouve sans avion. Ne disposant pas d'ateliers, même rudimentaires, les mécaniciens sont dans l’impossibilité de remettre un Voisin en état. Le personnel de l’escadrille "maintenu, par force majeure, dans la plus dangereuse inaction" à Tong, est donc rappelé à Hanoï où il s’installe dans les bâtiments de l’institut vaccinogène, mis à sa disposition par le Résident supérieur du Tonkin. Le caporal Cao-Dac est pour sa part transféré à l’escadrille n° 2 qui manque de pilotes. [*4] Placé à la disposition du ministre de France à Pékin le 4 mai 1918, Ricou, rendu à la vie civile le 1er février 1919, se lancera dans l’aviation commerciale comme on le verra par la suite. Par télégramme n° 1035 du 18 mai, le Gouverneur général demande au ministère des Colonies l’envoi de quatre Nieuport à moteur Le Rhône (deux monoplaces 110 HP et deux biplaces 80 HP, dont un à double commande), ainsi que leurs rechanges, afin de reconstituer l’escadrille n° 1. Le 18 juillet, le télégramme n° 1046 du ministre des Colonies transmet les réticences du Service de l’aéronautique qui estime que le Nieuport ne se montrera pas supérieur au Voisin pour une utilisation en Indochine. Ce piètre planeur exige de bons terrains d’atterrissage et son autonomie est de deux heures de vol au maximum, des caractéristiques offrant peu de chance de retour en cas de panne dans une zone inhabitée ; ces raisons ont d’ailleurs motivé sa suppression en Afrique du Nord. Mais si l’Indochine maintient sa demande, la métropole peut cependant lui livrer ces quatre appareils dont la valeur est de 162.000 francs. C’est à ce moment-là que l’affaire se complique, car Sarraut refuse de régler la dépense. Il estime en effet que les appareils déclassés dont il fait la demande doivent être fournis à titre gracieux par l’État français, puisque l’Indochine prend à sa charge l’intégralité des frais de fonctionnement du service, matériel et personnel compris. La situation est désormais bloquée… Par ailleurs le terrain de Tong, éloigné de la capitale, "en pays presque désertique et dépourvu de moyens de communication", s’était depuis longtemps révélé inadapté et le lieutenant Ricou avait parcouru la région dans sa voiture personnelle afin de dénicher d’autres terrains. Le 5 décembre 1917, il a écrit au Résident supérieur du Tonkin, Jean Bourcier Saint-Chaffray, pour lui demander d’accorder à son escadrille "l’autorisation d’un atterrissage éventuel dans le terrain situé au N-O de la station de Bac-Maï, limitrophe de l’Établissement Zootechnique, en partie recouvert par les bâtiments qui constituent le Lazaret, et (qui) semble devoir constituer un terrain d’atterrissage de fortune excellent." L’affaire ayant traîné en longueur, le Gouverneur général doit prendre les choses en main. Le 9 avril 1918, il informe le Résident supérieur que "le programme d’aviation pour l’année en cours comporte l’organisation à Hanoï d’un centre annexe,dont la sécurité puisse être facilement assurée en même temps que sa liaison avec le chef de la Colonie et le commandement." Son choix se porte sur le terrain communal de Thaï Ha Ap, situé à l’ouest de Bach Maï et alors en jachère, qui doit être loué à long terme au profit de l’aviation. Bien que Sarraut veuille y faire transférer une partie du matériel en dépôt au camp de Tong avant la saison des pluies, c'est-à-dire l’été, de multiples formalités administratives – parmi lesquelles le levé cadastral des 176 parcelles à aliéner – vont retarder jusqu’à l’automne le commencement des travaux d’aménagement du camp. Vers la Renaissance :La querelle de clocher opposant Albert Sarraut à la métropole ne prend fin qu’en septembre 1918. Le premier estime que l’aviation, étant un instrument de guerre, devait être soumise aux règles en usage pour l’infanterie et l’artillerie coloniale, c'est-à-dire qu’elle devait être entretenue par le budget métropolitain et dotée de son matériel de guerre, l’Indochine n’intervenant que par une contribution forfaitaire annuelle (11 millions et demi en 1918). La seconde, via le ministre des Colonies, répond que l’aviation coloniale ne rentre pas expressément dans l’organisation militaire de la France d’outre-mer ; pour être entretenue par le budget métropolitain, elle doit être créée, administrativement et financièrement, par des dispositions législatives qui restent à mettre en place (les décrets ne paraîtront qu’en janvier 1920). Dans l’intervalle, l’Indochine doit donc supporter la totalité des dépenses engagées jusqu’ici au titre de l’aviation. Le Gouverneur général se résout le 6 septembre à accepter de rembourser à l’Aéronautique les 80.000 piastres correspondant au prix des dix Voisin expédiés en 1917-1918 (soit 36.000 francs par avion, transport compris), ainsi que les dépenses de transport du personnel envoyé de France en 1917. Il précise aussi les besoins en matériel de l’escadrille n° 1 : six ou huit Nieuport et deux hydravions "d’expérience", pas forcément du dernier type. Un personnel complémentaire est demandé pour assurer aux deux escadrilles un fonctionnement normal. Le même jour, Albert Sarraut pose les principes d’organisation et de fonctionnement du Service de l'aviation en Indochine pour les années à venir : "Le service de l'aviation indochinoise est rattaché au Gouvernement général. Le Chef de service est un capitaine ou un officier supérieur, pourvu du brevet de pilote et choisi, si possible, parmi les mutilés de la guerre. Le siège du service est à Hanoï. Le service comprend deux escadrilles, ayant leur siège la première à Hanoï ou Haïphong, la deuxième à Saïgon. Chacune d'elles est commandée par un officier pilote et compte deux ou trois sous-officiers, européens et indigènes. Chaque escadrille dispose d'un centre principal d'aviation situé à Haïphong ou Saïgon et des centres annexes tels que celui de Hanoï pour l'escadrille n° 1. Des terrains d'atterrissage, munis de hangars de fortune, seront aménagés auprès des centres de population les plus importants. Au cours de l'année 1919, seront étudiées les possibilités d'adjonction à chaque escadrille d'une section d'hydravions. Toutes les dépenses du service, y compris celles du transport maritime du personnel venu de France, sont à la charge du Budget général de la Colonie, qui reçoit tous les ans, à titre de dotation 8 à 10 avions, fournis par le service aéronautique métropolitain, au compte du Budget colonial" . La cessation des hostilités, en rendant disponible un nombre important d’hommes et de matériels, incite le Gouverneur général à se montrer plus "gourmand". Le 23 novembre 1918, annulant sa précédente demande, il réclame pour les deux escadrilles d’Indochine l’envoi d’un officier supérieur pilote "pourvu d’un prestige personnel dû à de brillants services de guerre", de quatre officiers pilotes dont un marin, de quatre sous-officiers pilotes (dont un pour hydravions), de huit mécaniciens (dont deux pour hydravions), deux spécialistes en voilure et six à huit indigènes du Service aéronautique ; le matériel nécessaire doit cette fois se composer de huit avions de modèle récent, d’une envergure inférieure à 16 mètres mais capables d’emporter un passager et 100 kg de bagages, et de quatre hydravions de modèle récent. Il prévient pour finir que tous les moteurs "perdent ici un dixième de leur puissance". L’envoi d’un nouveau personnel est rendu nécessaire par la démobilisation du précédent [* 5]. Le premier à rentrer en France est le capitaine Condamy, bientôt suivi du chef de bataillon Claustre qui est relevé de ses fonctions le 7 janvier 1919. À la date du 13 février 1919, le Service de l’aviation ne compte plus que quatorze réservistes qui vont tous être rendus à la vie civile avant la fin de l’automne. L’escadrille n° 1 comporte le sous-lieutenant Chaffanjon (pilote), le sergent Hudelot (monteur), les caporaux Beyer et Ripp (mécaniciens) ainsi que les soldats de deuxième classe Mialet, Wattelier et Pain (conducteurs de tracteur et motocycliste). Tous les avions Voisin sont déclassés ou hors d’usage ; il ne reste plus que sept moteurs Salmson Canton-Unné de 150 HP pouvant être utilisés sur des hydroglisseurs, une section photographique partagée entre le Tonkin et la Cochinchine et deux postes de TSF. [* 5] L’adjudant Efflam Le Guern, ancien pilote de chasse au sein de la SPA 85 à la fin de la guerre, va être brièvement affecté à l’escadrille n° 1 en janvier 1919 avant de regagner le 4ème régiment d’artillerie coloniale. L’armistice signé, la Métropole peut répondre favorablement aux demandes du Gouverneur général de l’Indochine. En décembre 1918, le chef de bataillon François Glaize est désigné pour prendre la direction de l’Aéronautique d’Indochine. Ce brillant officier colonial a terminé la guerre à la tête du groupe de combat n° 15 après avoir commandé des escadrilles de bombardement et de chasse. Il choisit comme officier en second le lieutenant Julien Guertiau, commandant de l’escadrille SPA 97 et as de guerre aux huit victoires confirmées qu’il a eu sous ses ordres au GC 15. L’Aéronautique d’Indochine est officiellement créée par arrêté du 11 mai 1919. Le matériel quitte la France en novembre 1919 et l’ensemble du personnel le mois suivant ; les premiers vols dans la Colonie sont effectués en janvier 1920. L’Aéronautique comprend un état-major à Hanoï, l’escadrille n° 1 au Tonkin (terrains de Bach Maï et Ha Ly) et l’escadrille n° 2 en Cochinchine (terrains de Phu Tho et Nha Bé). Son matériel est composé de Breguet 14 A2, rejoints à l’automne 1920 par des hydravions Breguet 14 A2, et d’hydroglisseurs de Lambert. Les photos
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Tous mes remerciements à :
- M. Christophe Cony pour son étude de l'escadrille n° 1 d'Indochine.
- M. Frédéric Guénaf pour l'envoi des photos de l'insigne du Sgt Fernand Gable.
- M. David Méchin pour le dessin du Voisin V LAS de l'escadrille n° 1 d'Indochine.
- M. Alain Campo pour l'envoi de l'insigne du GAR 595.
Bibliographie :
-
L'aviation française en Indochine des origines à 1945 par Christophe Cony, Michel Ledet et Lucien Morareau - Ouvrage publié par Léla-Presse en 2012.
-
Les escadrilles de l'aéronautique militaire française - Symbolique et histoire - 1912-1920 - Ouvrage collectif publié par le SHAA de Vincennes en 2003.
- L'aviation française 1914-1940, ses escadrilles, ses insignes - par le Commandant E. Moreau-Bérillon - publié à compte d'auteur en 1970.
- Les Armées françaises dans la Grande Guerre publié à partir de 1922 par le Ministère de la Guerre.
- Site Internet "Mémoires des hommes" du Ministère de la Défense - Voir le lien
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