La ville de Marseille tient durant la première guerre mondiale son rang de port majeur et reçoit nombre de marchandises et d'hommes venant d'Afrique, servant également de base de départ en hommes et ravitaillement pour le front d'orient. Le trafic maritime important qui en découle étant une cible de choix pour les U-Boot allemands, le renforcement des patrouilles aériennes de protection navale s'impose durant l'été 1917. Comme il semble difficile d'aménager un Centre d'Aviation Maritime (CAM) à partir du Poste de Combat du cap Janet, abritant 4 hydravions dépendant du CAM de Toulon, les autorités navales se tournent vers la création d'une escadrille terrestre.
Le ministère de la Marine confie la création de l'unité au capitaine Paul Picheral, vieux pilote âgé de 42 ans et riche propriétaire foncier de la région. Il reçoit son ordre de mission le 18 juillet 1917, et, après être allé se présenter aux autorités militaires à Toulon, se dirige sur Marseille pour prospecter un terrain pour son escadrille. Son choix se porte sur l'hippodrome du Parc Borély, situé en bord de Mer, et ayant précisément servi d'aérodrome lors des meetings aériens marseillais de la Belle Epoque. Sa proposition est acceptée par un télégramme du sous-secrétaire d'état à la marine daté du 24 juillet 1917.
Picheral va superviser l'installation de ses hommes et du matériel. Il lui faut composer avec les autorités britanniques qui y stationnent un parc automobile, mais dont le commandant, en parfait gentleman, fait place aux avions sans difficulté après s'être vu proposer un autre terrain. Picheral souligne qu'il "serait nécessaire d'avoir un service de garde fourni par la garnison de Marseille étant donné les vols et déprédations commis par la population cosmopolite qui grouille littéralement dans les environs de la ville." Les tribunes de l'hippodrome et quelques bâtiments près du parc reçoivent les ateliers et logements du personnel, tandis que les avions, des Voisin 8 type LBP (bombardement) ou LAP (armés d'un canon de 37 mm), tous équipés d'un moteur Peugeot, sont installés dans des hangars Bessonneaux montés sur place avec le concours de 200 prisonniers bulgares et 50 allemands. Le seul problème d’infrastructure qu'aura à déplorer Picheral sera la mauvaise qualité de l'eau desservant le site, qui cause quelques coliques à son personnel – un problème résolu dans le mois par la pose de filtres par le service de santé aux armées.
Le premier vol d'essais a lieu le 1er septembre 1917 et l'escadrille est inaugurée le 3 septembre suivant, par le général commandant la 15e région militaire et son adjoint, par le capitaine de vaisseau commandant les patrouilles de Provence, et par le capitaine de frégate Richard, commandant les patrouilles aériennes de Provence. L'amiral commandant la marine à Marseille était empêché et n'a pas pu faire le déplacement. Ce détail a son importance car il vient inspecter l’escadrille quelques jours plus tard, le 11 septembre, et gare sa voiture en bordure nord de la piste. Malheureusement pour lui, ce jour même le Voisin LAP n° 2201, piloté par le MdL Petit et emmenant pour canonnier le matelot breveté Laporte, a des difficultés avec son moteur Peugeot alors qu’il est en patrouille et rentre immédiatement au terrain. Il se pose un peu court et heurte avec son aile la voiture de l’amiral, brisant l’appareil sans casse pour l’équipage. Picheral précise dans son rapport que l’accident est dû au fléchissement du moteur et qu’il n’y a pas eu de faute du pilote. Mais le même rapport ne dit pas dans quel état a été laissée la voiture de l’amiral…
L’escadrille V 486 a entretemps reçu son mémorandum de combat définissant précisément ses missions :
L'escadrille d'avions n° 486 est spécialement destinée à la protection et à la surveillance des abords de Marseille.
Son rôle consiste :
1- à engager la lutte avec les sous-marins ennemis
2- à explorer et à surveiller les chenaux de sécurité et la rade de Marseille
3- à rechercher les mines mouillées.
Zone d'action :
La zone de surveillance affectée à l'escadrille est limitée :
1 - à l'est par le méridien de la Ciotat
2 - à l'ouest par le méridien du cap Couronne
3 - au sud par le 43ème parallèle.
Patrouilles journalières :
Chaque jour, quand les circonstances de temps le permettent, le commandant de l'escadrille fait explorer la rade et les chenaux de sécurité par des sections d'avion. Tout objet suspect aperçu au cours des reconnaissances doit être immédiatement signalé par le commandant de l'escadrille au contre-amiral, commandant la Marine à Marseille, au chef de division des patrouilles de Provence et au commandant des patrouilles aériennes.
Action aux abords du port :
Des patrouilles aériennes peuvent être également prescrites pour renforcer, quand une attaque de sous-marin est à craindre, la surveillance exercée par les patrouilleurs de la mer. Ces patrouilles sont déclenchées sur ordre du chef de division des patrouilles de Provence (…)
Tactique de navigation :
Les avions d'une même section naviguent toujours de conserve. Dans une section de 2 avions, l'avion n°2 se tient de préférence à gauche et par le travers de son chef de file à une distance ne dépassant pas 500 mètres, et variable suivant la visibilité. Dans une section de 3 avions, les avions n°2 et 3 se tiennent autant que possible d'un même bord par le travers de leur chef de file, dans l'ordre de numérotage, à une distance ne dépassant pas 500 mètres.
(…)
Composition et armement des sections de combat :
Une section de combat comporte au minimum deux avions et autant que possible un avion canon. Les avions bombardiers emportent toujours au moins une grosse bombe. (…)
Vedettes automobiles :
Les vedettes automobiles affectées à la surveillance de l'escadrille ont leur poste d'alerte au Frioul. Elles appareillent toutes les fois que les avions prennent l'air et en temps utile pour occuper au moment du départ des reconnaissances aériennes les postes suivantes :
1 - Poste n° 1 à 5 milles au Nord de Planier
2 - Poste n° 2 à 5 milles à l'Ouest de Planier
3 - Poste n° 3 à 5 milles au Sud de Planier
Quand il n'y a pas 2 vedettes en état de marcher, le poste n°1 n'est pas occupé.
L’utilisation de vedettes rapides naviguant de concert avec les patrouilles aériennes n’est pas un luxe. Il s’avère que les moteurs Peugeot des Voisin LAP et LBP de l’escadrille manquent de fiabilité et à quelques reprises durant l’activité opérationnelle de l’escadrille, il faudra aller repêcher des équipages contraints à un bain forcé.
Ainsi, le 4 octobre 1917, le Voisin n° 2262 part en patrouille suite à une alerte indiquant un sous-marin 30 milles au sud du phare de Faraman, se retrouve à 8h45 à 400 m entre l’île de Planier et la côte. Son moteur se met à faiblir et il essaie de regagner le terrain mais ne peut y parvenir. L’avion amerrit et l’équipage (pilote : Slt Guillemin, observateur : brigadier fourrier Dubois) se retrouve projeté hors de la cabine. Guillemin se retrouve à deux mètres sous l’eau et remercie son gilet en kapok qui lui permet de refaire surface rapidement. Les deux hommes seront vite repêchés par une vedette rapide et leur appareil, qui commence à couler, sera même tracté sur une plage où quelques pièces pourront être récupérées.
Dès le début de son activité opérationnelle au mois de septembre 1917, l’escadrille V 486 va rencontrer l’activité de l’ennemi. Le MdL Petit repère durant le mois un sous-marin qui part aussitôt en plongée tandis que le Slt Guillemin découvre à son tour un sillage suspect à 30 milles au large. L’adjudant Levèque trouve de son côté une mine dérivante, et le capitaine Picheral, qui effectue personnellement des vols, en découvre deux autres emplacements.
La première attaque aérienne réalisée par un avion de l’escadrille a lieu le 2 octobre 1917 : le Voisin de l’adjudant Walter bombarde un sous-marin dont la partie supérieure du kiosque est encore en surface. Le 20 octobre 1917 faire décoller dans le mauvais temps tous ses appareils sur alerte : on signale des Zeppelins sur la côte d’Azur ! Les équipages n’en verront aucun, mais un dirigeable a bel et bien survolé le secteur : le L 50, parti à la dérive depuis la Lorraine où il a touché le sol brutalement, y laissant sa nacelle avant avec son équipage. Délesté de ce poids, le dirigeable est remonté et s’est laissé porter par les vents vers le Sud jusqu’à la Méditerranée où il disparaîtra.
Mais la venue de l’automne est aussi celle des difficultés opérationnelles. Les moteurs Peugeot rendent l’âme l’un après l’autre et toutes les pièces de rechange y passent pour les maintenir en vie. La disponibilité des appareils chute : sur 11 appareils livrés, environ 8 sont en vol à la fin du mois de septembre, puis seulement 5 en octobre et 4 au mois de novembre… En tant que chef d’escadrille, Picheral a d’autres difficultés. Il déplore que ses hommes touchent une prime inférieure à celle des pilotes d’hydravions de la marine. Il constate aussi que des vols ont lieu parmi le matériel qui lui est livré : une voiture d’escadrille lui arrive dépossédée de tout équipement, et les bidons d’essence qu’il reçoit sont quelquefois remplis d’eau… Il va demander que son escadrille soit équipée de Voisin à moteur Renault, supposés plus fiables, qui lui permettront d’améliorer la disponibilité de ses appareils et de remplir efficacement son rôle de "chien de berger" des convois entrant ou quittant le port de Marseille.
L’escadrille est au plus bas de son activité opérationnelle en décembre, en raison à la fois du mauvais temps et de sa situation matérielle. Mais la situation s’améliore au mois de janvier 1918, où il reçoit un lot de 6 moteurs Peugeot neufs qui permettent une reprise des vols. On lui promet des Caudron G.4 et des Letord bimoteurs, il est même question d’organiser un détachement de quatre appareils à Nice. La disponibilité remonte à 7 appareils en janvier et 6 appareils au mois de février 1918 ; le 2 de ce mois un sous-marin est attaqué par un Voisin. La présence constatée de sous-marins allemands en Méditerranée conduit le sous-secrétaire d’état à la marine de demander à son homologue de l’aéronautique militaire à renforcer l’escadrille de Marseille à 16 appareils, dont 12 armés.
La livraison de quatre Caudron G.4 bimoteurs au mois de mars 1918 permet de faire remonter les statistiques de vol de l’unité. Le sous-secrétaire d’état à l’aéronautique militaire promet à Picheral qu’il sera bientôt entièrement équipé d’appareils bimoteurs Caudron et Letord. Ce n’est toutefois qu’au mois que le 5 mai 1918 que les quatre premiers Letord 4 vont être livrés. Officiellement, selon un ordre du même sous-secrétaire d’état daté du 31 mai, l’escadrille n° 486 doit comporter 16 avions, dont 12 armés : 12 avions Letord L.4 (dont 3 en réserve) et 4 avions Voisin-Canon (dont 1 en réserve).
Si cet ordre mettra un certain temps à être exécuté, l’escadrille peut tester dans l’immédiat ses Letord au combat. Le 13 mai 1918 à 18 heures, l’équipage composé du sergent Morand accompagné du matelot Devoivre en observateur aperçoit nettement le périscope d’un sous-marin ennemi faisant route ouest et se trouvant à 5 milles Sud-Est Planier, à un demi-mille de l’extrémité du chenal de sécurité au Sud de Marseille. Branle-bas de combat : tous les appareils disponibles prennent l’air à la chasse au sous-marin, qui parviendra à l’éclipser…
Au mois de juin, l’unité a 8 Letord en ligne sur les 12 prévus, et arrive à sa dotation théorique de 12 au mois de juillet. Mais divers accidents réduisent ce potentiel. Le Letord 4 se révèle assez décevant à l’usage : il est incapable de voler sur un moteur, Picheral se rend compte qu’il ne peut revenir au terrain avec un moteur en panne que s’il est à moins de 2 milles des côtes. Sa capacité ascensionnelle est limitée et Picheral demande à ce qu’on lui redonne des Caudron G.4 dont il ne lui reste plus qu’un exemplaire parmi les quatre reçus en mars. Il n’obtiendra pas satisfaction et pour sécuriser le terrain va demander à la compagnie des tramways marseillais qu’elle démonte la ligne électrique en bordure du terrain.
Toujours en délicatesse avec l’intendance, l’escadrille 486 ne reçoit plus de rechanges pour ses derniers Voisin qui font pourtant encore officiellement partie de sa dotation. Les mécaniciens réalisent une prouesse en maintenant en état de vol le Voisin LBP n° 2025, en dotation depuis la création de l’unité, patiemment reconstruit avec les pièces détachées de plusieurs appareils. Au mois de septembre, un Letord 6 équipé d’un canon et de deux moteurs Hispano de 220 hp est reçu et probablement essayé en patrouille. Les documents ne permettent pas toutefois d’en connaître les impressions des équipages.
C’est sur Letord 4 que l’unité va devoir terminer la guerre, sur lesquels elle va déplorer plusieurs accidents. Le 6 octobre, l’appareil piloté par le Sgt Pessina a une panne moteur en patrouille. Il largue en mer ses 2 bombes F armées, et regagne la côte en perdant lentement de l’altitude… et brise son Letord L 4 n° 750 en se posant sur les roches au cap Couronne. Plus chanceux est l’adjudant Richard : un de ses moteurs rend l’âme dans une patrouille en mer le 10 octobre. Il lance ses 2 bombes en mer pour s’alléger et met le cap sur le parc Borély… qu’il parviendra à rallier, puisque ne figurant pas sur les pertes en matériel de l’escadrille.
L’épidémie de grippe espagnole touche de nombreux navigants et personnels au sol de l’escadrille dès le mois de septembre, y compris le capitaine Picheral qui doit être hospitalisé. Un observateur, l’adjudant Tassot, va y succomber le 24 octobre. Il est la seule perte de l’escadrille qui sera dissoute au début de l’année 1919.