Symbolique
En 1916, l'escadrille avait le capot de ses Nieuport peint en rouge (preuve photo). En 1918, elle avait toujours des marquages rouges sur ses avions, d'après des rapports écrits trouvés au SHDT. Le SPAD VII "Moustique" présenté au Roi de Grèce, le 7 février 1918, semble être un appareil de l'escadrille 506, avec anneau de capot et arrière du fuselage peints.
En 1916, les capots moteur des Nieuport de l'escadrille N 90 / N 390 étaient peint en rouge - Dessin David Méchin
En 1918, certains SPAD VII, Sopwith 1A2 et Nieuport de l'escadrille 506 portaient de larges chevrons rouges sur le queue - Ils étaient souvent associés à une bande rouge peinte sur le capot moteur - Voir les profils couleur de la rubrique "Les couleurs des avions" - Dessin David Méchin
Marquages personnels
Nom de baptème "TNTPSR" peint sur le Voisin LAS Canon du Slt Albert Mézergues - Voir la photo de cet avion avec le portrait de cet officier dans la rubrique "Les hommes" - Photo collection David Méchin que je remercie pour son aide.
Insigne de l'escadrille 506
Pas d'insigne pour cette escadrille.
Insignes métalliques
de l'escadrille 506
Pas d'insigne métallique connu pour cette escadrille.
Unités détentrices des
traditions de l'escadrille 506
Les traditions de cette escadrille n'ont pas été reprises depuis le 30 décembre 1918, date de sa dissolution.
Rattachements de l'escadrille
Appellations successives
Lieux de stationnements
Périodes des différents
stationnements
Commandants de l'escadrille
Types d'avions utilisés
Numéros des avions connus
Morts : en rouge / Blessés et indemnes : en jaune
Décorations
Pas de décoration collective pour cette unité.
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Historique
Une escadrille pour la Serbie :
La création de l’escadrille V 90 S remonte au 25 septembre 1915, date d’un ordre du sous-secrétaire d’état à l’aéronautique du gouvernement français demandant l’envoi de trois escadrilles pour porter secours au gouvernement serbe qui se bat depuis les premiers jours de la guerre contre l’Autriche-Hongrie. La petite Serbie a su contenir deux offensives et reconquérir sa capitale Belgrade à chaque reprise. Cependant, la prochaine attaque risque d’être la dernière car il se rapporte que des troupes allemandes font mouvement vers le Danube… Une escadrille, la MF 99 S (S pour Serbie) est déjà sur place depuis le printemps mais ses effectifs sont insuffisants pour couvrir tout le front. On crée alors 3 escadrilles de renfort, une de reconnaissance, la C 89 S (Caudron) ; une de chasse, la N 91 S (Nieuport) et une dernière de bombardement, la V 90 S sur Voisin LA et LAS dont le commandement est confié au lieutenant Jacques de Thézy.
Les hommes et appareils sont hâtivement rassemblés à Lyon et s’embarquent à Marseille le 21 octobre 1915 pour le port grec de Salonique. Mais quand ils arrivent à destination le 31 octobre 1915, la situation de la Serbie est déjà désespérée : l’offensive du général allemand Mackensen a déjà commencée et les troupes germano-autrichiennes ont pris pied au sud du Danube et s’enfoncent à l’intérieur de la Serbie qui est prise en tenailles par l’attaque de la Bulgarie entrée en guerre aux côtés des empires centraux. Le général Sarrail, commandant les troupes françaises de Salonique, reçoit l’ordre de tenter une jonction avec les troupes serbes en retraite dans les montagnes du Kosovo en menant une expédition le long de la vallée du Vardar jusqu’à la ville de Nich. Dotée d’une voie ferrée, c’est la seule voie de communication vers le Sud pour la Serbie mais les troupes bulgares menacent d’un moment à l’autre de la couper à partir des montagnes du Nord-Est… Aussi, sans tarder, les troupes françaises s’élancent, utilisant la voie ferrée. Les trois escadrilles françaises suivent le même chemin et les Caudron G 3 de la V 89 S sont déjà en place au village Macédonien de Guevgueli le 30 octobre1915.
L’expédition du Vardar :
La destination de la V 90 S est un camp d’aviation improvisé sur la côte 262 située sur la route de Krivolak à Kavadar, près du village de Negotin, loin en amont de la vallée du Vardar. Quelques appareils, montés à Salonique, s’y rendent par la voie des airs; la majorité voyage en caisse par voie ferrée. Quelques missions de réglage d’artillerie seront menées en particulier sur la batterie de Kara-Hadgali mais les Voisin recevront un mois plus tard l’ordre de battre en retraite. En effet, l’avancée des troupes bulgares menace d’un moment à l’autre de prendre pied sur la vallée du Vardar et de bloquer la fragile voie de ravitaillement des troupes françaises, dont l’avant-garde est arrivée jusqu’au village de Gradsko. C’est l’hiver et les conditions climatiques sont particulièrement rudes dans les montagnes macédoniennes, comme en témoigne le sergent René Vicaire, pilote à l’escadrille : "Le camp d’aviation est installé sur un plateau entre des rochers, des ravins et des montagnes. Les vols d’observation commencent, mais nous sommes gênés par le brouillard et certains pilotes rejoignent Guevgueli. Je reste ici le temps d’effectuer les dernières reconnaissances, sans ravitaillement, mais avec mon fusil de chasse qui va servir à nous approvisionner. La neige tombe à gros flocons. Il faut la faire disparaître des ailes de l’avion et secouer la tente. Puis la température descend : il y a 60 cm de neige et il fait -26 C°. Je couche dans ma combinaison fourrée et nous faisons un peu de feu avec de l’essence à l’intérieur de notre frêle demeure. Le lendemain, avec deux mécanos, je vais au ravitaillement en direction d’un petit village que nous distinguons très loin, au bout du tapis de neige. Que c’est loin pour s’y rendre, et encore plus, semble t’il, pour en revenir ! Nous rapportons une petite bonbonne de vin qui va se solidifier en cours de route. Les habitants avaient déposé quelques tas de fumier dans les champs. Leurs cimes dépassaient de la neige et quelques centaines d’oiseaux venaient y chercher leur nourriture. Notre besoin de manger ne nous permettait pas de nous attendrir et je tirai sur ces pauvres alouettes : il en tomba 87 en cinq coups de fusil ! Elles nous arrivaient d’un peu partout et mes deux hommes, en courant pour les ramasser, disparaissaient dans d’énormes fossés pleins de neige. Nous rentrâmes de cette expédition en assez bon état, heureux d’avoir à peu près de quoi nous restaurer."
Le 2 décembre 1915, on nous annonce le début de la retraite et bientôt apparaissent les premiers éléments de l’infanterie. Il faut partir mais le terrain est très court, le moteur Canton-Unné est gelé et il y a toujours beaucoup de neige. Alors, démontage du radiateur, réparations, soudures avec une lampe qui accepte de marcher pendant quelques instants puis s’arrête et l’on recommence. Enfin, après beaucoup d’efforts, le radiateur est remis en place, mais, malgré mes recommandations, mon mécano Lefranc, après avoir fait fondre la neige pour avoir de l’eau, l’introduit dans le radiateur sans faire tourner le moteur : elle se solidifie immédiatement ! Seule solution : il n’y a plus qu’à recommencer ! Après encore bien des ennuis, le radiateur est à nouveau prêt mais cette fois avec mise en route du moteur et préparation au départ. Au moment de partir je refuse de prendre mon mécanicien à mon bord. Il se met à pleurer. Mais comme je ne suis pas sûr du décollage, je préfère être seul pour courir le risque et, sur le petit plateau qui nous sert de piste avec après un nouvel essai du moteur au point fixe, je pousse la manette des gaz à fond et colle le manche au ventre ; me voici parti dans le neige. Je soulève l’avion, mais, à ce moment le moteur ralentit et j’arrive en bout de piste avec, devant moi, un énorme trou dans lequel je suis obligé de piquer. Ce trou, c’est l’accident et sans doute la mort ; en ce moment et le temps d’un éclair, il m’est passé des tas de choses dans ma tête : mes parents, mes amis, ma jeunesse et je vois ma fin dans cet immense trou ; il vient vers moi à une vitesse terrible, tout va s’écrouler et je vais finir bêtement dans ce maudit pays. Mais, automatiquement, en arrivant près du sol, je redresse mon avion, qui, docilement, se pose dans un énorme paquet de neige, ce qui le freine assez brutalement, m’évitant la rencontre avec les rochers. ! J’avais mis mon moteur au ralenti pendant la descente, ce que je n’aurais pas dû faire car il faut toujours, en cas de chute, éviter l’incendie. Ainsi, contrairement aux principes, mon erreur m’est utile car mon moteur tourne toujours, l’hélice coupe de la neige fraîche accumulée par les vents au fond de ce ravin. Il fait très froid, mais j’ai eu très chaud !
Les fantassins en retraite qui passent là-haut, sur ce qu’on croit être la route, viennent avec beaucoup de mal à mon secours et c’est avec leur aide, des cordages, les mulets et le moteur qui a bien voulu continuer à tourner que je sors de ce mauvais pas. Remontant la pente de côté, je me retrouve à mon point de départ. Considérant que la cause de mon insuccès est due à une trop grande admission d’air glacé dans les carburateurs, je décide de les obturer partiellement ; comme le matériel fait défaut, je prends mes chaussettes que je fends en deux à la partie basse et les passe sur les tuyaux d’admission d’air avec ligatures sur les côtés. Comme je vais encore plus souffrir des pieds avec ce froid, je verse de l’huile de moteur chaude dans mes chaussures et j’y mets mes pieds glacés.
Nouvel essai et départ, toujours seul puisque le mécanicien va rejoindre la base par la route. Décollage assez bon et montée normale, direction Guevgueli. Je continue de monter progressivement mais il va falloir tirer sur le manche car la chaîne de montagnes Demir-Kapou à traverser doit être aux environs de 1200 mètres ; coup d’oeil sur les instruments de bord, tout est normal et je continue, le soleil brille sur la montagne enneigée : voici 1500 mètres, nouveau coup d’oeil sur les instruments. Stupeur : l’indicateur d’huile est à zéro et il faut passer la montagne où les comitadji sont en faction mais je n’y crois guère étant donné la température. Je monte toujours mais de plus en plus péniblement ; pourtant il faut en finir et je passe près du sommet, sans comitadjis, sans accrochage et avec un grand soupir de soulagement. Si le côté de la montagne que je viens de quitter représente le grand hiver, le versant que j’aborde reflète pour moi le printemps ; le viseur d’huile est toujours bloqué à zéro, le moteur cale mais cela ne me gène absolument plus ; mon altimètre indique 1250 mètres, je suis au-dessus du terrain et j’amorce la descente en spirales. Les serbes ont comblé, au milieu de la piste, une tranchée que je vois parfaitement, mais que je crois être au niveau du sol ; il n’en n’est rien et la bosse me fait rebondir, heureusement sans mal. Je m’arrête un peu plus loin, moteur grillé mais avion intact.
A peine à terre, mes camarades sont près de moi et me regardent avec stupéfaction. Il faut dire que je suis dans un bel état, noir des feux d’essence sous la tente, pas rasé depuis plus d’une semaine et très fatigué par les mauvais moments passées dans le gel et la neige. Je vais donc faire une bonne toilette avec les moyens du bord et me restaurer copieusement : j’en avais grand besoin. Ce soir-là, toujours sous la tente, je raconte avec force détails mes pérégrinations sur l’autre versant de la montagne, heureux d’en être sorti et d’avoir sauvé mon avion. "
Avec le Groupe de Bombardement d’Orient (GBO) :
Après la campagne du Vardar, l’armée française se replie dans la ville de Salonique dans une curieuse situation politique : les armées bulgares restent à la frontière et les alentours de la ville de Salonique sont toujours occupés par des troupes grecques officiellement neutres bien que son commandement soit germanophile. Cela n’empêche pas les troupes franco-britanniques de prendre leurs précautions et d’établir un camp retranché tout autour de Salonique. La situation militaire au sol est donc figée mais dans les airs, une guerre aérienne a bien lieu.
L’escadrille V 90 S, qui perd bientôt son "S" des documents officiels, est installée au terrain de Samli au Nord-Ouest de la ville de Salonique. Elle compte avec ses 6 Voisin LAS une section de 3 Voisin-Canon équipés d’un canon de 37 mm, servis par des pointeurs issus de la marine nationale. Elle est surtout regroupée avec les escadrilles V 83 et V 84 dans un "Groupe de Bombardement d’Orient" (GBO), commandé par le capitaine de Serre, à qui l’on adjoint également une section de 3 Nieuport biplace d’escorte. Un premier raid est accompli le 28 janvier 1916 par 11 Voisin, dont 3 de la V 90, contre des positions bulgares à Pazarli, sans opposition. C’est cependant un raid de l’aviation allemande contre Salonique qui va précipiter son engagement. Durant la nuit du 31 janvier au 1er février 1916, le Zeppelin LZ-85 arrivant par la mer bombarde le port de Salonique et les nombreux dépôts militaires franco-britanniques à proximité, causant de gros dégâts ainsi que quelques victimes. L’émotion est vive et on accuse les aviateurs de n’avoir rien fait… Autant par souci de représailles que de prestige pour son arme aérienne, le commandant Denain, chef de l’aviation d’Orient, engage le GBO dès le lendemain pour son premier raid d’envergure sur des objectifs en Bulgarie.
Le premier février 1916 à 14 heures, alors qu’on déblaie les dégâts du raid du Zeppelin de la nuit, 16 Voisin décollent avec pour objectif les campements militaires bulgares de Petric (Petritch). Il y a l’appareil du capitaine de Serre, commandant du GBO, puis 3 appareils de la V 83, 6 de la V 84 et 4 de la V 90 ainsi que deux Voisin-Canon pour l’escorte. Si 2 Voisin doivent rebrousser chemin en cours de route suite à des problèmes mécaniques, l’armada aérienne finit par atteindre son objectif à une altitude de 2 600 m au terme d’une heure de vol. Ils larguent 181 obus (35 de 37 mm, 40 incendiaires et 106 de 90 mm) sans autre opposition que la DCA qui touche sans gravité deux Voisin de la V 84. Tout le monde revient indemne à Samli vers 16h30, malgré la perte du Voisin du capitaine de Castel de la V 84 qui brise son train à l’atterrissage.
Le raid est considéré comme un succès, constaté par la vingtaine de foyers d’incendie photographiés dans le village, bien que l’exploit soit quelque peu éclipsé par la victoire aérienne remportée par un Nieuport de la N 91 contre un biplace allemand qui sera capturé et exposé sur la tour blanche à Salonique. Mais le GBO n’allait pas en rester là et va reprendre ses raids : le 15 février, 11 Voisin LAS (dont 3 de la V 90) escortés d’un Voisin-Canon et d’un Nieuport 10 bombardent les campements de Strumica, sans autre opposition qu’une DCA inefficace, pour des résultats tout aussi satisfaisants en raison des nombreux incendies observés. Le surlendemain 17 février, un quatrième raid avec les mêmes effectifs (3 de la V 90) vise la gare de Strumica. Les résultats sont plus mitigés, la cible se révélant trop précise pour des bombardiers de cette époque. Cependant la DCA se fait plus mordante avec 3 appareils endommagés ; un embryon de chasse apparaît car un Albatros attaque et endommage légèrement le Voisin de la V 90 piloté par le Sgt Bordas – il est repoussé par le tir du mitrailleur, l’aspirant Naud, ainsi que celui d’un Voisin-canon de la V 90 piloté par le Ltt Mézergues. La chasse germano-bulgare sera désormais un facteur à prendre en compte car s’installe à Hudova une patrouille de chasseurs Pfalz E monoplans assez médiocres, vite remplacés par des Fokker Eindecker à partir du mois d’avril 1916.
Le 11 mars 1916, le commandant Denain, qui dirige le service aéronautique de l’armée d’orient, va personnellement prendre place à bord d’un Voisin pour mener le GBO au grand complet pour un vol exploratoire vers Orfano, un village côtier à l’extrême Est du front quoi servira de base de ravitaillement pour des objectifs plus lointains. 20 des 23 Voisin et avions d’escorte parviennent à achever ce court voyage sans incident, dont les 5 Voisin LAS de l’escadrille V 90. L’un d’eux embarque à son bord une "huile", un officier, auteur dramatique fort connu dont les initiales sont M.B., venu participer à la mission dans le but inavoué de gagner sa croix de guerre. Les pilotes de la V 90, qui n’ignoraient rien du procédé, ont désigné à l’unanimité le MdL Cabanes, le pilote le plus audacieux, pour en être le chauffeur. Le Sgt René Vicaire raconte : "La mission n’était pas longue et après une heure et demi de vol nous étions tous de retour. Cinq avions atterrirent et le sixième, celui de Cabanes, commença dans le ciel au-dessus de l’escadrille une sarabande folle… M.B. a dû se souvenir de ce vol car notre pilote fit avec son Voisin ce qu’il y avait de plus osé, au risque de tout rompre et ceci pendant plus d’une heure, c'est-à-dire jusqu’au vide absolu du réservoir d’essence, puis il descendit en plané. Je ne sais si M.B. est encore de ce monde au moment où j’écris ces lignes, mais je ne puis vous décrire l’état dans lequel il était, ayant évacué par tous les bouts. Les mécanos le descendirent de l’avion et après l’avoir remis dans sa voiture, nous lui souhaitâmes bon voyage. Son conducteur souriait. Il ne revint jamais, car il venait, paraît-il, de gagner la croix de guerre !"
Le 5eme raid du GBO sur un objectif militaire a lieu le 23 mars 1916, contre des campements militaires au nord du village de Volovec, sur la rive Ouest du lac Doiran. 19 Voisin, dont 6 de la V 90, sont du voyage, escortés de 2 Voisin-Canon et 3 Nieuport. Cependant, les moteurs Canton-Unné commencent à souffrir du climat et 5 doivent rebrousser chemin (dont 3 de la V 90) avant d’avoir atteint l’objectif. La DCA est maintenant très violente et touche 2 Voisin de la V 84 ainsi qu’un Nieuport d’escorte, qui, moteur en panne, doit se poser au sud du lac Doiran – les deux aviateurs, l’adjudant Constantini et le Slt Prélejean incendient leur appareil et regagnent les lignes amies aidés par des soldats grecs, des patrouilles d’Ulhans à leurs trousses… En l’air, le lieutenant Mezergues qui pilote un des Voisin-Canon de la V 90, observe un avion ennemi attaquer un Voisin. Il lui fait face et son pointeur tire 6 obus avec son 37 mm. L’allemand riposte et le touche d’une rafale, mais durant la manoeuvre le pointeur de Mezergues le tire comme un vulgaire perdreau avec une "boîte à mitraille" qui met définitivement en fuite l’allemand. Le Voisin-Canon de la V 90 du sergent Marcel Girard et du pointeur Marcel Misrachi (un juif de Salonique engagé dans l’armée française) dégringole comme une feuille morte au dessus du Lac Doiran où il s’écrase, sans que l’on en sache précisément la cause bien que la majorité des témoins pensent à un tir d’artillerie. Le sergent René Vicaire émet dans ses mémoires une hypothèse toute autre : peu avant le raid, leur Voisin-Canon a été victime d’une collision au sol avec un Nieuport, qui a endommagé son avant. La fixation du canon de 37 mm ayant été mal réparée, il pense que le premier coup tiré a déchaussé l’arme qui a écrasé le pointeur et désarçonné le pilote. Les allemands repêcheront l’épave du Voisin et créditeront un de leurs pilotes, le Hauptmann Viktor Stenzel, de deux victoires aériennes.
Voisin Canon contre Albatros C et Pfalz E I :
A Samli, une messe est organisée en la mémoire des deux aviateurs dont la base est baptisée "Girard-Misrachi" en leur honneur. Ils auront même, fait rarissime pour les aviateurs d’orient, quelques lignes en leur mémoire dans la revue de Jacques Mortane " La guerre aérienne illustrée ". Mais les cérémonies n’allaient pas s’éterniser, car, dès le lendemain 24 mars 1916, le GBO repart pour un nouveau raid sur Bogdanci, village non loin de l’objectif précédent où se trouvent également des campements allemands. Escortés d’un Voisin-Canon, de 3 Nieuport et d’un Morane Parasol, 17 Voisin LAS décollent. 6 d’entre eux doivent rebrousser chemin suite à des problèmes mécaniques, dont celui du commandant du GBO, le capitaine de Serre, qui doit se poser en catastrophe en raison d’une durite d’eau crevée. Il y brise son appareil et toutes les bombes stockées dans la carlingue lui tombent dessus, lui cassant le bras… Mais sans exploser ! Les 11 Voisin restants parviennent sur l’objectif qui est défendu par une violente DCA et par l’intervention de la chasse allemande, 2 Pfalz E de la patrouille de chasse de l’Armeeflugpark 13, pilotés par le Leutnant Schiebel et le Vicefeldwebel Kurt Jentsch. Ce dernier raconte le combat : "Soudain, les évènements se précipitent. Une escadrille ennemie est annoncée. Nous sautons dans nos appareils. Schiebel décolle le premier. Mon moteur refuse de démarrer… Ce n’est qu’après deux minutes de nouveaux essais que je parviens à démarrer." Kurt Jentsch monte alors à 1000 mètres en trois minutes sur son Pfalz, tentant de rattraper son équipier. "Schiebel a une bonne avance, et vole quelques 600 mètres au dessus de moi – j’estime son plafond à 2 200 mètres. Il s’approche du premier français et tire. L’aviateur ennemi commence à voler en tournant, mais ne parvient pas à lui échapper : Schiebel le colle et tire de sa mitrailleuse. Soudain l’ennemi lève sa queue et pique : touché ! Même si je ne suis pas partie prenante, je jubile : enfin une victoire ! " Jentsch continue la poursuite des avions français qu’il identifie à tord comme des Farman et parvient à en tirer un, sans succès. Il doit ensuite interrompre la poursuite car les ordres sont de ne pas survoler le territoire ennemi de peur qu’un chasseur équipé du système de synchronisation de la mitrailleuse ne s’y fasse capturer. En retournant se poser, il apprend que la victoire de Schiebel est confirmée, l’équipage français s’étant posé près des lignes et a pu s’échapper vers les positions françaises. Il s’agit du Voisin LAS de la V 90 piloté par un aviateur russe, le Slt Gomberg, avec pour observateur le Ltt Jacques "Tiarko" Richepin légèrement blessé par une balle, qui ont eu le temps avant de détaler d’incendier leur appareil qui était décoré de l’inscription "Ninochka". Le Voisin Canon du Slt Mézergues de la V 90 part localiser leur appareil, et, plus tard, part pour une deuxième mission attaquer un Drachen où son pointeur, le matelot Pacatte, tire 4 obus sur le ballon d’observation qui est hissé au sol. Un Pfalz s’interpose mais il est contré par le tir de Pacatte et celui du Nieuport biplace du GBO de l’équipage de l’Adj Bonnard (N 91) et du mitrailleur le Cprl Joseph Genevois. L’avion ennemi est vu s’abattre entre le village de Rabrovo et le lac Doiran et les deux mitrailleurs sont cités pour cette victoire, qui est la première homologuée à l’escadrille V 90.
En représailles de ces raids l’aviation allemande lance un raid de masse contre Salonique à l’aube du 27 mars 1916. Tout ce que l’aviation française possède comme chasseurs décolle, les 5 Nieuport de l’escadrille N 91 du Slt Potin en tête. Cette escadrille décollant de Topcin met en fuite 5 des assaillants avant qu’ils ne bombardent Salonique. Elle est épaulée par quelques Nieuport de la N 87, un Farman de l’escadrille MF 88 et un Caudron de la C 89 venus de Salonique, ainsi que deux Nieuport du GBO. A la V 90, décolle également le Voisin Canon du Slt Mézergues emmenant comme pointeur l’aspirant Naud. Le lourd biplace fait un long parcours autour de Salonique dans lequel il croise la route une première fois d’un Albatros attaqué par plusieurs Nieuport à plus haute altitude. Naud intervient dans la bagarre et tire un obus… à mitraille, ce qui fait que tout le monde se ramasse des plombs, ce qui entraîne un rapport plutôt corsé d’un pilote de Nieuport qui relève le numéro du Voisin Canon ! Continuant son parcours, Mézergues croise la route d’un deuxième biplace allemand attaqué par un Nieuport. Naud lui tire dessus plus prudemment 7 obus et 15 coups de carabine et l’ennemi s’abat dans le lac Amatovo. La victoire sera pourtant créditée au seul Nieuport du sergent Terme et du MdL Astor, l’enquête ayant démontré que les tirs ayant descendu l’allemand ne pouvaient avoir été tirés de plus bas, où se trouvait le Voisin.
Au mois d’avril, le GBO va mener trous nouveaux raids. Les deux premiers ont lieu sur les campements allemands de Bogorodica (à l’ouest du lac Doiran). La brume permet d’éviter la chasse pour premier raid du 13 avril, les 4 Voisin de l’escadrille V 90 parvenant tous sur l’objectif (sur 15 Voisin LAS participant au raid). Le 16 avril 1916, aucun des 4 Voisin LAS de la V 90 n’atteint l’objectif (6 des 13 Voisin LAS doivent rebrousser chemin pour problèmes mécaniques. En revanche, les 3 Voisin Canon de la V 90 escortent les LAS sur l’objectif et doivent faire face à l’opposition du Pfalz E I du Vicefeldwebel Kurt Jentsch qui revendiquera 2 victoires (non confirmées), ne faisant qu’en réalité qu’endommager de 9 balles l’appareil du Slt Mézergues. Il entendra siffler autour de lui un total de un total de 22 obus de 37 mm, 16 boites à mitraille et 26 coups de carabine tirés par les pointeurs des appareils des Slt Mézergues, Gomberg et du Sgt Deloupy ! Le 21 avril, l’objectif du GBO est l’état-major bulgare de Petric et seul 1 des 3 Voisin LAS de la V 90 atteint l’objectif qui n’est pas défendu par l’aviation, 7 Voisin LAS sur 13 rebroussant chemin suite à des problèmes mécaniques des moteurs Canton Unné qui souffrent du climat.
Un Zeppelin au tapis :
Durant la nuit du 4 au 5 mai 1916, le Zeppelin LZ 85 venu de Bulgarie va de nouveau faire parler de lui en réalisant son 3eme et dernier raid sur la ville de Salonique. Le sergent René Vicaire se souvient de cette nuit telle que l’on vécue les pilotes de la V 90 : "Il était déjà tard, environ 22 heures [Plutôt 2 h du matin, NDA]. Nous sommes réunis dans notre popote, la discussion bat son plein, lorsque soudain sonne l’alerte. Que se passe-t-il ? Un Zeppelin est signalé en direction de Salonique. Deux pilotes, Deloupy et son équipier prennent immédiatement l’air. Nous sortons pour regarder, le ciel est illuminé par les projecteurs de terre et tout à coup l’éclairage s’intensifie : la marine de guerre vient d’allumer ses phares. Le canon tonne, les éclatements crépitent, les batteries terrestres et la marine sont en action, c’est un splendide feu d’artifice." Les deux Voisin Canon qui viennent de décoller sont montés par le sergent Guy Deloupy et le pointeur Robert Lelong, ainsi que le sous-lieutenant Albert Mézergues (décidément toujours là où se trouve l’action) emmenant le pointeur Martin. Le Voisin de Mézergues tire 5 coups de canons de 1000 à 1500 m de distance pendant que le ciel nocturne se transforme en enfer avec la DCA navale qui entre en action. C’est à ce moment que Deloupy repère le Zeppelin et attaque, tirant 2 obus avant d’être aveuglé par les projecteurs. Prend alors le large mais revient à la charge une deuxième fois en repérant le Zeppelin sous son appareil. Alors qu’il s’apprête à tirer, il des de nouveau pris sous un projecteur puis touché par un éclat de DCA qui le décide à s’éclipser pour de bon. C’est là qu’un immense incendie venant des marécages du Vardar lui fait comprendre que le Zeppelin a été abattu ! Le lendemain, une gigantesque chasse à l’homme a lieu dans les marais du Vardar pour capturer l’équipage ainsi que l’étendard du Zeppelin. Tous seront fièrement exhibés comme des trophées, tout comme les restes du dirigeable démontés et exposés près de la tour blanche de Salonique où les soldats de l’entente en permission en prendront des milliers de photos. Deloupy et Lelong seront cités à l’ordre de l’armée pour leur courage mais la victoire du Zeppelin reviendra officiellement à une batterie de voitures-canon. Dans les conversations, tout canonnier de Salonique, fantassin ou marin, revendique la victoire... S’il ne fait nul doute que la plupart des coups au but viennent de la DCA, la V 90 peut s’enorgueillir d’avoir participé au combat et d’être une des rares escadrilles françaises de la grande guerre à avoir un Zeppelin à son tableau de chasse !
Le bombardement de Xanthi :
Les Voisin LAS du GBO vont connaître quelques semaines d’accalmie, bien que les Voisin Canon de la V 90 soient toujours utilisés contre des objectifs au sol, comme le 8 mai 1916 où le Slt Gombert et le pointeur Pacatte tirent sans succès 15 coups de canon sur un Drachen entre Bogdanci et Pobreg. Mais le 24 mai 1916, le GBO au complet part pour son raid le plus audacieux : le bombardement de Xanthi, en Thrace bulgare, où le général Mackensen est supposé passer en revue des troupes selon les rapports des services d’espionnage. Environ 180 kilomètres séparent le camp Girard-Misrachi de l’objectif qui sera à l’extrême limite du rayon d’action des Voisin, qui devront se ravitailler au retour sur le terrain d’Orfano, sur le rivage de la mer Egée. Le taux d’indisponibilité est tel que seulement 12 Voisin LAS peuvent prendre part au raid, dont 4 de la V 90, qui fournit en outre 5 Voisin Canon d’escorte accompagnés de 4 Nieuport 10 de l’escadrille N 91.
Aleksandar Deroko, un observateur serbe détaché à l’escadrille V 90, fait partie du raid dont il nous fait un récit complet : "Les avions prennent doucement de l’altitude, aussi vite qu’ils peuvent. Le pilote Morenas est avec moi. Nous pesons chacun plus de 100 kilos dans nos lourdes combinaisons de vol... Nous gagnons péniblement l’altitude de 1 200 mètres, aller plus haut est impossible car en donnant un coup sur le manche, l’avion s’arrête et tombe. Notre Voisin est le moins rapide du groupe. La cabine est à l’air libre dans cet avion, comme sur une barque ou un balcon. C’est rafraîchissant, agréable, votre nervosité disparaît... Le soleil se lève quelque part derrière le Mont Athos. A droite se trouve la mer, à gauche, assez proches, des montagnes, qui semblent nous tendre les bras. Kavala est ici comme un cap profondément enfoncé dans la mer. Les avions blancs jouent à saute-mouton entre eux... Ils conservent leur vitesse en cherchant à rester groupés. Trois heures de vol comme cela, l’objectif est à 200 kilomètres, et notre vitesse ne dépasse pas 80 kilomètres / heures. Dans la cabine à ciel ouvert quelque chose court en entre mes jambes. C’est petit, gris, et court de droite à gauche : une souris. Comme nos avions stationnent en plein air, sans hangars, la bestiole a trouvé un moyen de monter à bord par un petit trou pour j’imagine lécher le lubrifiant sous le moteur. Je la vois sur la glace à mes pieds, avec ses petites pattes, disparaître dans un recoin.
Enfin arrivés dans la vallée, les premiers signes de bienvenue se manifestent devant les appareils de tête. Nous voyons les soi-disant obus brisants avec le la fumée noire, accompagnée de shrapnels blancs. Avec le bruit du moteur j’entends un „bang“. Je me lève et vois des éclats métalliques laisser un ensemble de trous sur l’aile tribord, avant de glisser dans le vide. Quand un avion solitaire est tiré de la sorte nos instructeurs nous ont conseillé de changer de direction et d’altitude pour tromper les artilleurs, mais quand ceux-ci tirent dans le tas dans un groupe d’appareils, il n’y a rien à faire.
Les bombes emportées sont alignées la tête en haut sur les côtés du fuselage sur une attache improvisée, maintenue par une ceinture. Nous en avons six de chaque côté, ce sont des obus d’artillerie sur lesquels sont adaptés des ailettes. D’abord les amorces sont actionnées avec un crochet, puis la ceinture est détachée et nous les poussons à la main, une à une ou plusieurs à la fois. Elles vrillent dans le vide avant que les ailettes ne les stabilisent. On les voit rapetisser et disparaître dans la brume en dessous, puis apparaissent des bouquets de fumée et explosions. En bas se trouvent des maisons, une gare, des monastères, que sais-je ? On nous a dit que Mackensen serait précisément ici. Chaque avion relâche ses bombes au jugé (il n’y a pas de viseur), puis fait un virage serré avant de prendre le chemin du retour. Nos chasseurs tournent autour de nous. Il n’y a aucun ennemi en vue.
Jusqu’à ce que Morenas me tape le dos : Un boche ! Où ça ? Il est très au dessous de nous. C’est un avion avec un long fuselage. Je hurle à travers le bruit du moteur de mettre plein gaz et de s’appuyer sur mes épaules. Les Voisin sont d’étranges appareils, si vous voulez aller plus vite, à part mettre les gaz à fond, vous devez le mettre en piqué et avez besoin de toutes vos forces pour pousser le manche, d’où l’aide donnée par l’observateur. La peur est énorme. Nous sommes seuls, car, étant les plus lourds, nous sommes les plus lents et les plus bas... Je regarde tout autour de moi et je ressens inconsciemment la présence de quelque chose au dessus de ma tête : c’est juste la lune, pale, toujours visible dans cette fin de matinée. Le temps passe si lentement...
Cependant, nous nous sommes échappés. On respire mieux ! En vue à notre gauche se trouve l’île de Thasos. On nous a dit que s’y trouvait une petite piste de fortune. Heureusement, nous n’en n’avons pas besoin. Je demande à Morenas de vérifier combien de carburant il nous reste réellement, car nous volons depuis trois heures, il nous reste du chemin à faire et la jauge indique un niveau dangereusement bas. Il se lève, défait sa ceinture et la plonge dans le réservoir qui est juste derrière lui. La ceinture plie sans toucher de carburant : à sec ! C’est sérieux. Nous avons déjà passé Thasos. Nous continuerons aussi loin que nous pourrons. Bientôt le moteur commence à protester. Sur l’indicateur, le nombre de tours/minute commence à chuter. Je regarde devant pour y trouver une place pour se poser. Soudain on remarque sur une bande de sable le long de la mer un de nos chasseurs qui s’est posé. Cela veut dire que c’est possible et qu’il semble hors des lignes bulgares. Ne prenons plus de risques. Il est plus facile de se poser tant que le moteur tourne que quand il aura cessé de le faire. Nous choisissons un terrain, qui s’avère à l’approche plus délicat qu’il n’y paraissait : un marécage. Nous sommes trop court et notre avion cogne contre des roseaux ou je ne sais quoi, et se plante sur le nez. Nous sommes saufs, mais les roues sont faussées."
La fin du GBO et la conversion en escadrille de chasse :
Les Voisin Canon de l’escadrille V 90 ne restent pas l’arme au pied et sont envoyés sur des objectifs d’attaque au sol : le 30 mai 1916, 3 d’entre eux (pilotes : soldat Laffon, Slt Mézergues, Sgt Deloupy) attaquent un Drachen sur le village de Pobreg qui résiste malgré les 52 coups de canons de 37 mm tirés par les 3 appareils ! Le Pfalz E I du Vicefeldwebel Kurt Jentsch s’interpose et revendiquera un "Farman" et un "Caudron" qui ne lui seront pas homologuées, en réalité il a à peine touché le Voisin de Mézergues avant d’être mis en fuite par le tir combiné des trois appareils.
Si les Voisin Canon, à défaut d’obtenir des résultats, ne semblent pas manquer de dynamisme, les Voisin LAS sont en revanche à bout de souffle. Le 6 juin 1916 a lieu la dernière mission du GBO qui part bombarder Petric. 12 Voisin escortés de 4 Nieuport décollent, mais seulement 4, accompagnés des Nieuport, atteignent l’objectif. Aucun des 5 Voisin de la V 90 n’a pu mener à bien la mission… Le GBO est alors dissous au mois de juin 1916 et les Voisin sont renvoyés en France, tandis que ses escadrilles se convertissent sur Farman F 40. La V 90 ne deviendra pas cependant la F 90 : peut être en raison des nombreuses missions de chasse effectuées par ses pilotes de Voisin Canon, il est finalement décidé de la transformer en escadrille de chasseurs Nieuport.
La plupart des pilotes sont alors mutés en France dès le 8 juin 1916 et de nouveaux, brevetés sur chasseurs Nieuport, lui sont affectés – le lieutenant de Thézy, confirmé en tant que chef d’escadrille, reste le seul vétéran de cette première époque. L’escadrille, renumérotée N 390, est équipée d’une combinaison de Nieuport biplace 110 hp (des type 10 de seconde main, puis des type 12 neufs) et des monoplaces 80 hp (Type 11 " BB " puis type 21 à compter du mois d’octobre). Tous ont leur capot-moteur peint en rouge, disposition peut-être héritée du temps du GBO où au moins un de ses Voisin portait des marquages rouges sur les plans.
Dans l’offensive sur Monastir :
La N 390 est mise à la disposition de l’Armée Française d’Orient (AFO) qui a pris position dans les montagnes de Macédoine au nord-ouest de Salonique, tandis que les bulgares, jusque là restés à la frontière, ont pris le 27 mai 1916 le fort Rupel évacué part les troupes grecques à la demande de leur souverain… Après plusieurs semaines passées l’arme au pied, les troupes bulgares lancent une offensive généralisée le 18 août 1916 et s’emparent de la ville de Florina qu’occupaient les troupes françaises. Le front d’orient devient alors un front continu et l’AFO, avec son composant aérien dont la N 390 fait partie, va s’employer à déloger les bulgares des montagnes de macédoine avec le concours des troupes serbes. Celles-ci, le 28 août 1916, prennent la ville d’Ostrovo et s’ouvrent la route dans la plaine de Monastir. La N 390 quitte alors le camp Girard-Misrachi et migre vers l’ouest vers le terrain de Mikros le 6 septembre 1916, au pied des montagnes de Macédoine, puis s’enfonce rapidement à l’intérieur des reliefs en gagnant le terrain de Sorovicevo. C’est à cette occasion que le sergent Vermonet remporte la première victoire homologuée de l’escadrille le 13 septembre 1916, où au cours d’un vol d’escorte de Farman dans la région de Bogdanci, il descend un Albatros qui tombe à la verticale d’une hauteur de 3 000 m et tombe dans ses lignes bien que les archives allemandes, certes incomplètes, ne recensent aucune perte ce jour. Vermonet n’aura de toute façon pas le temps de profiter de sa croix de guerre car il se tue accidentellement le 2 novembre suivant, tandis que l’escadrille a entretemps poursuivi sa migration à l’ouest en ralliant la ville de Florina le 6 octobre.
Alors que les troupes françaises et serbes se rapprochent de Monastir, la N 390 remporte sa deuxième victoire homologuée le 6 novembre 1916 quand les maréchaux des logis Jacques Mortagne et Henry Du Lac abattent un avion ennemi qui tombe à Kravari, dans les lignes ennemies – il est alors détruit à la bombe par deux Farman F 40 de l’escadrille MF 386, escortés du Ltt de Thézy venu constater de ses yeux le travail de ses pilotes. Le 13 novembre, on livre aux pilotes les premières fusées le Prieur arrivées de France, qui sont fixée le long des haubans d’aile de deux Nieuport 21 avec pour instruction d’attaquer le Drachen de Monastir. L’attaque est conduite sans grand succès, le pilotage des petits chasseurs étant rendu particulièrement difficile. L’escadrille s’installe à Kladerop le 15 novembre, tandis que la ville de Monastir est mise quatre jours plus tard bien que les troupes germano-bulgares stationnent à quelques kilomètres au nord, la menaçant toujours de leur artillerie… C’est précisément ce qui se passe le 25 novembre 1916, où la N 390 perd deux de ses appareils (n°1408 et 1660) qui stationnaient sur un terrain avancé à proximité de la ville, pilonné par l’artillerie allemande.
L’offensive aérienne allemande :
Le 1er décembre 1916, l’escadrille s’installe sur le terrain de Kravari, puis le 11 décembre, sur celui aménagé sur la côte 619, à 2 km au sud de Negocani. Mais l’évènement marquant de la fin de l’année 1916 est l’agressivité retrouvée de l’aviation allemande, dotée d’avions de reconnaissance puissants ainsi que d’avions de chasse livrés en nombre – une première escadrille de chasse, la Jasta 25, est formée à Prilep en décembre 1916. Avec ses petits Nieuport 21 équipée de moteurs de 80 hp, la N 390 parvient très difficilement à rattraper les avions de reconnaissance ennemis, et ne peut espérer poursuivre ses chasseurs. Et quand un Nieuport parvient enfin à se mettre en position de tir, il faut encore espérer qu’il parvienne à descendre sa proie avec les seules 47 cartouches de sa mitrailleuse Lewis fixée sur l’aile… quand celle-ci ne s’enraye pas purement et simplement ! Passé ces 47 cartouches, il faut changer de chargeur, ce qui est impossible à faire en combat, puis revenir au contact – l’ennemi en profite généralement pour s’échapper. Ainsi, du 16 au 31 décembre 1916, les Nieuport conduisent 22 tentatives interception d’avions ennemis mais se font purement et simplement semer à 14 reprises. Des 8 interceptions réussies, 1 tourne court en raison d’une mitrailleuse enrayée, 6 donnent lieu à échange de tir sans résultat et une seule voit l’ennemi touché par le MdL Mortagne, le 17 décembre 1916, sur un appareil qui pique dans les marécages de la Cerna pendant qu’il recharge sa Lewis. Succès non homologué… Le MdL Du Lac est pour sa part proprement descendu par un chasseur allemand d’escorte et parvient à se poser en capotant, légèrement blessé. Au bar de l’escadrille, "le cafard rouge", on se plaint chaque soir de ce mauvais matériel qui leur fait perdre bien des occasions de remporter des victoires.
Une tornade vient apporter un point final à cette fin d’année difficile en détruisant au sol tous les avions de la N 390 le 1er janvier 1917. Ils sont reconstitués assez rapidement mais on critique en haut lieu de l’inefficacité des chasseurs français. Le capitaine Hamoir, qui commande l’aviation de l’Armée Française d’Orient, envoie alors un rapport à Salonique expliquant toutes les difficultés rencontrées, estimant que ses hommes ont fait au mieux avec les moyens matériels mis à leur disposition, et propose d’être relevé de son commandement s’il est estimé qu’il a failli à sa tâche. Le général Sarrail, assez peu au fait des choses de l’air, comprend alors l’état dans lequel se trouve ses aviateurs. Il est relayé par le commandant Denain qui rappelle en outre qu’il y a seulement 24 avions de chasse pour un secteur de 280 kilomètres… Des renforts finissent par arriver de France : des chargeurs pour Lewis de 97 cartouches, ainsi que des chasseurs Nieuport 17, livrés… sans les bandes de leurs mitrailleuses Vickers ! Sarrail demande la livraison de chasseurs SPAD, tandis que la N 390 est renforcée en effectifs et passe à 10 appareils en février 1917, dont les premiers Nieuport 110 hp (Nieuport 17).
Bombardiers sur la Macédoine :
L’aviation allemande va faire un pas supplémentaire le 15 février 1917 par l’arrivée sur le terrain d’Hudova du Kaghol 1, une unité de bombardement doté de 3 escadrilles de bimoteurs Gotha, Rumpler, AEG et Friedrichshafen. Ces puissants appareils opérant en masse vont agir en toute impunité sur des objectifs jusqu’ici jamais touchés : le 27 février 1917, la ville de Salonique est attaquée et subit de nombreux dégâts, en même tems que la base de Gorgop qui voit détruit au sol tous les appareils de l’escadrille 385 qui y stationnent. D’autres secteurs du front, dont celui de l’AFO, sont également visités : les serbes perdent ainsi tout un dépôt de munitions qui est volatilisé…
Bien que le mauvais temps du mois de mars permette quelques périodes de répit dans le secteur de Monastir, c’est le branle-bas de combat dans toute l’aviation d’orient et les escadrilles de chasse sont fortement sollicitées. Le 10 mars 1917, le commandant Denain ordonne à l’escadrille de chasse N 390, qui comporte 8 Nieuport disponibles, de grouper ses efforts avec l’escadrille franco-serbe N 387 stationnée à Kravari pour intercepter les bombardiers allemands. Ceux-ci délaissent temporairement le secteur de Monastir mais les appareils allemands de chasse et de reconnaissance sont toujours présents avec autant de mordant et sont une des causes de l’échec de l’attaque terrestre française lancée sur ce secteur. Le répit – causé par le mauvais temps – n’est que de courte durée et dès le mois d’avril les bimoteurs allemands apparaissent sur le secteur de la Cerna et de Monastir. Les Nieuport 80 hp (21) et 110 hp (23) sont à la peine, et, malgré un bombardier revendiqué le 3 avril 1917 par l’escadrille N 387, Denain décide une concentration des moyens de chasse en ordonnant à l’escadrille N 391, qui stationne à Salonique, à venir s’établir sur le terrain de la N 390 à Negocani en laissant un maigre détachement pour la défense de Salonique. Fait humiliant pour la N 390, le commandement du groupement de chasse qui s’installe le 15 avril 1917 est confié au Ltt Potin, chef de l’escadrille N 391…
La chasse française ainsi renforcée, qui reçoit d’ailleurs son premier SPAD VII, va pouvoir partir à l’assaut des bombardiers dont le parcours est au préalable " nettoyé " par des chasseurs allemands. Le 24 avril, le groupement 390-391 poursuit les bombardiers dans la direction de Prilep mais ne peut les rejoindre. Le 29 avril voit le premier succès obtenu par les chasseurs français, lors d’un raid sur le village de Skocivir (rive Sud de la boucle de la Cerna) qui est arrosé de 2300 kg de bombes. Les Nieuport sont cette fois-ci en bonne position pour l’interception des Gotha, mais doivent d’abord faire face aux chasseurs à croix noire. Le MdL Christmas, de la N 391, parvient à glisser son Nieuport 21 au entre les chasseurs et rejoindre un bombardier sur lequel il vide – sans résultat – le chargeur de 100 cartouches de sa mitrailleuse Lewis. L’adjudant Costes, pilotant un Nieuport 23 de la N 391, est plus chanceux (et également mieux armé) et tire un bombardier qui tire une fusée de détresse et continue son chemin en perdant de l’altitude. Costes est alors pris à partie par deux chasseurs et doit lâcher sa proie, la victoire lui sera néanmoins reconnue. Le succès des chasseurs est cependant tout relatif, car, au sol, 12 hommes et 50 chevaux ont été tués ou blessés… Le lendemain 30 avril, le village de Vodena, en secteur serbe dépendant de la N 387, est touché et on compte 41 victimes. Le 1er mai 1917 voit le dernier combat des bimoteurs du Kaghol 1, qui bombardent le village de Batch où stationne une escadrille française, qui perd 2 Farman F 40 au sol et son dépôt d’essence. Les chasseurs français réussissent l’interception et engagent le combat qui ne cause aucune perte de part et d’autres. Le Kaghol 1, dont les appareils sont vulnérables au sol sur leur terrain d’Hudova qui commence à se faire attaquer par l’aviation française, est alors muté par l’état major allemand vers la Flandre pour mener des raids contre l’Angleterre, après avoir conduit près de deux mois et demi de raids ayant bousculé tous les arrières du front.
Succès d’été :
Le départ du Kaghol 1 entraine aussi celui de l’escadrille 391 qui revient à Salonique, laissant la N 390 sur son secteur. L’épisode des bimoteurs allemands va entrainer un sérieux coup de fouet dans l’emploi de l’aviation française, bénéfique pour la chasse qui reçoit du matériel de qualité, mais aussi pour le bombardement. L’avion de base des escadrilles de corps d’armée est le Farman F 40 qui est désormais complètement dépassé ; son remplacement par des Sopwith 1A2 et Dorand AR 1 est alors amorcé. Toutefois, avant même l’arrivée des avions de remplacement, les vieux Farman, imitant l’exemple allemands, vont être utilisés pour des raids de masse sur les arrières ennemis en groupant les moyens des escadrilles de l’AFO, les 501, 503, 504, 505, 508 et 509 plus une escadrille italienne. L’escadrille N 390, désormais renumérotée 506, participe aux raids non en fournissant une escorte mais en menant des opérations de balayage préalable sur la zone de l’objectif.
Ces nouvelles tactiques de combat s’avèrent payantes et la chasse allemande est maintenant cantonnée à la défensive. Forte au 2 juin 1917 de 9 Nieuport, 2 SPAD VII et d’un Sopwith 1A2 utilisé pour des missions de grande reconnaissance, l’escadrille 506 va remporter plusieurs succès pendant l’été 1917 et l’automne 1917. Ainsi, le 11 juin 1917, le sergent Voituron sur Nieuport revendique un biplace qui pique dans ses lignes ; le surlendemain le Slt Nast et le MdL Laumonier en contraignent un autre à atterrir à Baranci où ils le mitraillent au sol. Bien que le 30 juin, le MdL Jean Landrin est tué par le mitrailleur arrière d’un biplace qu’il attaque, le mois de juillet voit une nouvelle victoire homologuée obtenue par les Nieuport au nez rouge : le 2 juillet 1917, les MdL Laumonier et Domicent tirent un chasseur ennemi qui s’écrase à Dedebal dans ses lignes. Le 20 juillet 1917 voit le premier succès d’un SPAD de l’escadrille, que l’on confie au MdL Hebert, un pilote expérimenté venu de France de l’escadrille SPA 62 où il a déjà remporté 2 victoires. Une patrouille de deux Nieuport pilotés par le capitaine de Thézy et le Slt Nast accompagne le SPAD d’Hébert quand ils aperçoivent un biplace ennemi qui est aussitôt attaqué. Comme souvent, l’allemand prend la fuite ne piqué mais cette fois ci le SPAD peut le suivre et continuer le tir. Ayant reçu près de 800 cartouches, le biplace ennemi s’écrase dans un champ au sud de Rabodor dans les marais de la Cerna. Les trois chasseurs rentrent à leur base et un avion de reconnaissance part sur les lieux du crash mais il ne peut localiser l’épave de la victime, qui n’est ainsi pas homologuée aux pilotes français. Le mois d’août 1917 voit la réalisation de gros raids groupés sur les objectifs ennemis du secteur de l’AFO (Prilep notamment) ainsi que la venue pour quelques jours d’un nouveau renfort de chasse de l’escadrille 507 et de l’aviation britannique, afin d’appuyer les opérations aériennes. C’est à cette occasion que le Ltt Lebouc et le MdL Hébert, volant chacun sur SPAD, peuvent intercepter un LVG allemand et le forcer à se poser au SO de Florina dans les lignes françaises où l’équipage est capturé, l’observateur, l’Oberleutnant Herbert Esche de la FA 246 décèdera d’ailleurs de ses blessures quelques jours plus tard. Malgré le succès de l’offensive aérienne, aucune mention des aviateurs n’est faite dans le communiqué de l’armée d’Orient, ce dont le commandant Denain doit se plaindre en haut lieu… Le 16 octobre 1917 le Sgt Laffon disparaît aux commandes de son Nieuport dans les lignes ennemies le 16 octobre 1917, victime de l’as Reinhard Treptow (6 victoires) de la Jasta 25. Il était avec le capitaine de Thézy le dernier vétéran de l’époque où l’escadrille volait sur Voisin. En contrepartie de cette perte, la poignée de chasseurs SPAD de l’escadrille vont confirmer leur efficacité en remportant deux nouvelles victoires homologuées durant l’automne. Dès le lendemain 17 octobre 1917, le Slt Nast abat un chasseur au NE de Prilep, et le 15 novembre 1917 le MdL Drozières descend un chasseur Rolland au N. de Kanatlarci, base de la Jasta 25.
Pénurie d’essence et venue d’un "experten" :
Avec la venue de l’hiver, l’escadrille va quitter le terrain de Negocani à une date indéterminée pour s’installer à Boresnica, toujours dans le secteur de Monastir. Si le 24 janvier 1918, une victoire est revendiquée par le Sgt Perrier et le Cprl Lefèvre contre un chasseur ennemi vu piquant dans ses lignes, les vols se réduisent de façon drastique, non en raison de la météo, mais à cause d’une pénurie d’essence qui atteint toutes les escadrilles de l’aviation d’Orient… La situation se débloque avec le concours de la marine de la Grèce qui organise le transport de matériel depuis l’Italie vers Salonique. L’escadrille 506 participe d’ailleurs le 12 février 1918 à un barrage de protection destinée à sécuriser la visite du Roi des grecs au grand parc de Salonique…
Si l’aviation d’orient gagne en puissance en 1918, la chasse allemande également qui, bien que combattant sur des appareils quelque peu dépassés par rapport à ceux du front occidental, comporte dans ses rangs des pilotes de tout premier ordre dont le Feldwebel Gerhard Fieseler, l’as des as du front d’orient aux 19 victoires qui stationne à Prilep avec la Jasta 25 et que les pilotes de l’escadrille 506 vont affronter à de nombreuses reprises.
Le 13 avril 1918, le Slt Forthuny, Adj Perrier, Cprl Aumaitre revendiquent une victoire sur un chasseur vers la côte 1248, lors d’un combat contre 3 monoplaces. Celle-ci est homologuée de manière discutable : reprise dans le bulletin de l’armée d’orient, elle est contredite par un rapport de l’artillerie française qui confirme avoir vu l’avion ennemi tomber en vrille jusqu’à 10 m du sol, puis redresser et rentrer dans ses lignes… Quel que soit le bien fondé de cette victoire, elle sera tout de suite éclipsée par la chasse allemande qui va démontrer la virtuosité de ses pilotes en abattant coup sur coup deux pilotes de la 506. Le 24 avril 1918, le Ltt Fernand Pivain est abattu et tué sur le Lac Presba aux commandes de son Nieuport et ce malgré l’intervention du Ltt Drozières, sur son SPAD, qui assiste à sa chute de son équipier. Dès le lendemain, le caporal Lefèvre tombe au combat à Gramsci également aux commandes d’un Nieuport qui apparaissent clairement dépassés.
Si la dotation de l’escadrille au début mois de mai est de 10 Nieuport, 2 SPAD et 2 Sopwith 1A2, de nouvelles livraisons vont intervenir faisant passer l’effectif à 6 SPAD. Les Sopwith sont quant à eux remplacés par 5 Breguet 14, qui vont constituer une section de l’escadrille spécialisée dans les grandes reconnaissances et les bombardements lointains. Les Breguet entrent ainsi en action dès le 23 mai 1918 en bombardant la ville d’Ohrida sur le lac du même nom, à l’extrême ouest du front, escortés par des SPAD. Les SPAD remplacent progressivement les Nieuport, mais c’est un de ses derniers qui remporte la victoire suivante de l’escadrille le 16 juin 1918 avec le Sgt Mathieu qui abat un biplace ennemi au nord de Monastir. C’est précisément à cette période qu’arrivent détachés à l’escadrille les deux " as " de l’aviation d’orient, les adjudants Costes et Sauné de l’escadrille 531, pour quelques jours de chasse sur la région de Monastir. Le résultat ne sera pas à la hauteur des espérances, puisque le 20 juin 1918 a lieu une patrouille tragique. Costes, Sauné et le Slt Cochet-Forthuny de l’escadrille 506 doivent partir pour une patrouille sur le front à bord de leurs SPAD. L’appareil de Costes ne veut pas démarrer et ses deux équipiers partent sans lui… Pour tomber sur une patrouille de trois chasseurs allemands qu’ils tentent d’attaquer par surprise. Seul un des avions allemand les voit, et perd volontairement de l’altitude comme pour rentrer se poser. Sauné et Cochet-Forthuny attaquent alors les deux appareils restant en patrouille mais se font surprendre par le chasseur Albatros qui s’était esquivé et qui se trouve être piloté par le Feldwebel Gerhard Fieseler, le futur as des as d’orient. Un furieux combat tournoyant s’engage entre Sauné et Fieseler et se termine au ras du sol où le SPAD du français ne peut plus utiliser son avantage qui est de piquer vite. Fieseler l’abat près de Voprecani mais la victoire sera attribuée à son chef de patrouille, le Ltt Rose, ce qui laissera une certaine amertume à Fieseler comme il le raconte dans ses mémoires. Quant à Cochet-Forthuny, il parvient à revenir in extremis à sa base, moteur fumant… Costes décollera un peu plus tard pour tenter en vain de secourir son équipier. Il le vengera quatre jours plus tard, le 24 juin 1918, en mitraillant impitoyablement un LVG avec 3 équipiers de la 506, le MdL Hebert, le Sgt Leman et le caporal Aumaitre. Le LVG soutient le combat courageusement contre les quatre Nieuport mais doit se poser en catastrophe dans ses lignes, à 6 km au nord-ouest du Dobropolje.
Le 28 juillet 1918, la section de Breguet 14 de l’escadrille 506 est de nouveau de sortie et mène un raid en commun avec les Breguet de l’escadrille 510 contre divers objectifs sur la route entre Monastir et Prilep. Les 8 Breguet parviennent à atteindre leurs objectifs en bombardant à travers les trous de la couche nuageuse, mais ils sont interceptés par 3 Albatros D V de la Jasta 25. L’un d’eux est piloté par le Feldwebel Gerhard Fieseler qui attaque à plusieurs reprises et abat le Breguet 14 de la 506 piloté par le Ltt Lebouc avec pour observateur le caporal Roger Baville. Il s’en prend ensuite à un autre Breguet de la 506, celui de l’équipage des sergents Giron et Garat, mais le mitrailleur Garat parvient à toucher l’assaillant qui est vu piquer en flammes vers ses lignes – la victoire lui est homologuée bien que Fieseler ait survécu à l’engagement. Le 5 août 1918, la patrouille de Nieuport composée du Slt Cochet-Forthuny, de l’Adj Perreau et du Sgt Leman remporte une nouvelle victoire contre un chasseur au sud de Podmol (entre Prilep et Monastir). Malgré ce succès, le commandant Denain reste insatisfait des résultats de la chasse du secteur de l’AFO qui ne peut limiter les pertes parmi les appareils de reconnaissance français, insuffisamment protégés par des avions de chasse trop dispersés. Il envoie pour la quatrième fois de la guerre un renfort de quatre chasseurs de l’escadrille 507 dans le but de "reprendre l’ascendant moral sur l’ennemi". Il reste que, malgré les renforts qualitatifs des SPAD, la situation n’a guère changé depuis la fin 1916 : avec ses escortes à fournir aux 5 escadrilles de reconnaissance du secteur, ses patrouilles de chasse à accomplir, ses barrages à organiser plus les reconnaissances d’armée qui lui sont demandées, l’escadrille 506 aura toujours eu des effectifs insuffisants pour le secteur d’opérations qu’elle doit couvrir.
L’offensive finale :
Après plus de deux ans de guerre de position, les forces françaises vont réussir une percée murement préparée qui permettra la victoire sur le front d’orient. Le 15 septembre, après une préparation d'artillerie intense, les divisions françaises et serbes s’emparent sommets fortifiés par les Bulgares, qui ouvrent la route de Prilep, objectif des Français et de Gradsko objectif des Serbes. Suite à ce succès, les Français s'emparent de Prilep le 23 septembre. Puis, la brigade des Chasseurs d'Afrique suivie par la brigade coloniale chevauchent à travers la montagne afin de créer la surprise. Le 29 septembre, elles s'emparent d'Uskub (aujourd'hui Skopje) où se trouve la zone arrière de théâtre de la XI° Armée. Celle-ci est obligée de replier ce qui lui reste sur Kalkandelen (aujourd'hui Tetovo), puis de capituler. L'armée bulgare est ainsi coupée en deux. La route de Sofia est ouverte. La Bulgarie demande alors, sans délai, un armistice qui est ratifié le 5 octobre.
L’aviation prend une part primordiale dans ce succès en raison de l’étroitesse des voies de communication, qui sont attaquées sans relâche. L’aviation allemande est toujours aussi présente… Pendant la préparation de l’offensive où sont conduites de nombreuses reconnaissances aérienne, la 506 va remporter son ultime victoire homologuée à Resna contre un biplace descendu par le Ltt Bonnetête et le Sgt Mathieu, tous sur SPAD. Dès la prise des sommets durant les premiers jours de l’offensive, les troupes germano-bulgares doivent se replier derrière la rivière Cerna, les obligeant à se concentrer sur les rares ponts qui s’y trouvent dont celui de Razim-Bey qui est attaqué vigoureusement par l’aviation franco-serbe, l’escadrille 506 y déployant plusieurs patrouilles de chasse et ses Breguet de bombardement. Plusieurs avions français tombent dans la bataille aérienne s’y déroulant du 15 au 20 septembre et l’aviation allemande y remporte ses derniers succès. Le 16 septembre 1918, le SPAD de l’Adj Henri Leman ne rentre pas d’une patrouille sur la boucle de la Cerna, et deux jours plus tard, l’Adj Jean Charles Perreau est abattu par le Feldwebel Gerhard Fieseler sur la même région, obtenant son 18e et avant dernier succès. Quand les troupes allemandes évacuent la base aérienne de Kanatlarci le 21 septembre 1918, l’aviation allemande disparaît de la circulation et l’activité des SPAD et Breguet 14 de l’escadrille 506 se résume à une longue suite d’attaques au sol sur les troupes germano-bulgares refluant vers la ville de Kalkanderen.
Tandis que les armées françaises s’étendent dans tous les Balkans, de Grèce jusqu’en Hongrie et du Monténégro jusqu’en Roumanie, le général Franchet d’Esperey soumet le 30 décembre 1918 au ministre la guerre la dissolution de certaines escadrilles. L’escadrille 506 fait partie du lot et sa trace se perd après cette date, son personnel d’active étant réparti dans les autres unités aériennes. En trois années de campagne aérienne sans repos, cette escadrille du bout du monde délaissée par l’état-major sur le plan du matériel se sera battue dans des conditions extrêmes sur un immense territoire. Elle aura néanmoins remportée 18 victoires aériennes homologuées et 5 probables, contre 10 tués au combat, 2 blessés et 1 tué par accident.
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