L’escadrille N 92/I doit sa création aux raids entrepris par l’aviation autrichienne sur la ville de Venise, peu après l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de l’entente en 1915. L’aviation italienne étant très insuffisante, le gouvernement français, conscient du geste diplomatique, offre une "demi-escadrille" pour défendre la ville et son patrimoine cher au cœur des italiens comme du monde entier.
Rassemblée à Lyon qu’elle quitte le 13 août 1915, l’escadrille N 92/I (I pour Italie) s’installe à Bazzera, au Nord de Mestre, le 15 août. Son personnel volant comporte seulement trois pilotes (les sous-lieutenant Louis Brullard, Georges Lachmann et Emile Devienne) et trois observateurs dirigés par le capitaine Marcel de Chalonge, breveté pilote mais qui n’effectuera pratiquement pas de vols. Les appareils sont des Nieuport 10 biplaces.
L’escadrille est rapidement renforcée à six appareils et pilotes, car très sollicitée par les Italiens tout comme l’escadrille d’hydravions française de l’aviation maritime stationnée dans la lagune de Venise, qui lui emprunte mitrailleuses et observateurs. Le 19 octobre 1915, deux de ses Nieuport s’envolent pour le terrain de Casina Farello (entre Grado et Aquileia) pour y effectuer des missions sur le front de l’Isonzo et le golfe de Trieste. Cependant les raids d’hydravions autrichiens continuent sur Venise et la première interception a lieu le 25 octobre, sans résultats. Lors du raid suivant, le 25 octobre 1915, le succès est enfin au rendez-vous puisque le sous-lieutenant Georges Lachmann peut s’interposer avec efficacité, mettant en fuite quatre hydravions ennemis avant qu’ils ne bombardent Venise et endommageant sérieusement l’un d’eux, au terme d’un long combat de plus d’une heure (Hydravion Lohner immatriculé L 59 effectivement touché). Depuis ce combat, les autrichiens vont globalement cesser leurs attaques de jour sur Venise, laissant l’escadrille française dans un relatif chômage technique pendant tout le restant de la guerre ( la DCA a la charge exclusive de la défense nocturne). Ignorant ce fait, la N92/I déménage au terrain du Lido le 11 décembre 1915 : c’est un terrain situé à l’entrée du chenal de la lagune, beaucoup plus favorable pour l’interception des appareils autrichiens venant de l’Est. Le Lido est aussi une station balnéaire et les pilotes français, logés dans un hôtel réquisitionné, la « Villa Paradiso », seront sans nul doute les pilotes les plus confortablement installés de toute l’histoire de la grande guerre. L’élite aristocratique de Venise leur ouvre leurs salons, et de nombreuses personnalités visiteront l’escadrille pendant tout le conflit, à commencer par le poète italien Gabrièle D’Annunzio.
Rien de particulier ne se passe pendant les cinq premiers mois de 1916 et le capitaine de Chalonge propose de nouveau d’employer un détachement de ses pilotes au terrain avancé de Casina Farello. Le 23 juin 1916, alors que l’escadrille est rebaptisée N 392, ceux-ci sont utilisés dans un traquenard tendu à l’hydravion de chasse Lohner L 16 du linienschiffleutnant Gottfried Banfield, dont les exploits font parler de lui, et qui terrorise le ciel de Trieste. Un hydravion italien, volant près du rivage, sert d’appât. Quand Banfield vole l’intercepter, l’italien fait demi-tour vers le large : des vedettes rapides font un barrage de DCA, et plusieurs Nieuport lui tombent dessus, l’un piloté par le lieutenant Chambarière, l’autre étant un biplace piloté par le lieutenant René Robert et emmenant le lieutenant Romeyer comme observateur. Banfield parvient à s’enfuir tiré par les deux Nieuport, tandis que d’autres hydravions autrichiens viennent à son secours et sont contrés par un troisième Nieuport piloté par le docteur Espanet. L’opération, si elle n’a pas abattu l’as Banfield, est considérée comme un succès et est fêté comme il se doit par un festin au mess de l’escadrille, que d’Annunzio honore de sa présence en dédicaçant le menu des mots "plus haut ! ".
Dès lors, la N 392 va sortir de sa mission première qui est la défense de la ville de Venise en fournissant des escortes aux appareils attaquant les rivages autrichiens du Golfe de Trieste, dont à plusieurs reprises les hydravions français du centre d’aviation maritime de Venise. Le 15 août 1916, les Nieuport ne peuvent empêcher l’hydravion de Gottfried Banfield de descendre deux hydravions FBA français du CAM, dont celui de l’enseigne de vaisseau Jean Roulier qui est tué avec son mitrailleur, le QM Auguste Costerousse. Les Nieuport français prendront leur revanche le 13 septembre 1916 lors de l’escorte d’un raid sur Parenzo, où le lieutenant Daniel Chambarière mitraille un hydravion ennemi contraint d’amerrir. Si la victoire n’est pas homologuée, l’hydravion autrichien, immatriculé K 163, sera bien perdu suite à une fausse manœuvre en étant hissé à quai pour être réparé… Le mois d’octobre voit l’arrivée de renforts sous la forme de pilotes supplémentaires (l’effectif passe à 10) et de Nieuport 11 équipés de fusées Le Prieur, les premières à gagner le front italien. Ceci occasionne un incident diplomatique : deux Nieuport sont détachés à Cascina Farello pour mener conjointement avec les italiens la première attaque contre les Drachen avec ce nouvel équipement. Aucune voiture n’ira chercher les pilotes français le jour de l’attaque. Quand ceux-ci arrivent à pied au terrain, ils découvrent que le commandant de la base, Pier Ruggiero Piccio, a décollé sans eux pour obtenir une victoire contre un ballon autrichien ! Le 23 octobre 1916, lors d’une escorte, le sous-lieutenant Xavier Garros remporte la première victoire homologuée de l’escadrille en descendant l’hydravion autrichien L 138 (Lohner) qui est capturé à Caorle.
L’hiver et le printemps 1917 s’écoulent dans l’inactivité, que mettent à profit les pilotes pour peindre de splendides décorations personnelles sur leurs appareils. Au mois de mai, arrive en Italie l’escadrille "Espinasse" (du nom de son commandant), composée de Sopwith 2A2 destinés au réglage d’artillerie des batteries lourdes envoyées de France sur le front Italien. Plusieurs appareils de la N 392 sont détachés pour un mois dans la région de Vérone sur le front pour en escorter les appareils. Ce travail d’escorte est le bienvenu, car l’ennui gagne les pilotes, au point que le capitaine de Chalonge propose d’en réduire les effectifs ou de l’affecter sur le front. Le ministère l’autorise à envoyer un détachement permanent de quatre appareils à Cascina Farello.
Le 14 août 1917 pourtant, un raid massif a lieu de jour sur Venise, mené par des appareils terrestres de l’aviation allemande tout comme des hydravions de la marine autrichienne. De lourds dégâts sont déplorés sur l’arsenal, mais un hydravion (immatriculé K 203) est abattu en mer par le lieutenant de Geoffre de Chabrignac.
Désormais désignée N 561, l’escadrille compte maintenant 18 pilotes équipés de Nieuport 23 et 24, d’un premier SPAD VII et de quelques Sopwith 1A2 Clerget utilisés pour des raids de reconnaissance stratégique sur des villes aussi éloignées que Fiume. Les missions vont désormais se multiplier depuis Cascina Farello. Le 28 août 1917, lors d’une escorte, le maréchal des logis Loyseau de Grandmaison abat en mer un hydravion de chasse Hansa Brandenburg CC immatriculé A 14 dont le pilote est tué. Le 4 septembre, en escortant sur le chemin du retour le Sopwith 1A2 piloté par le MdL Edouard Corniglion, un Nieuport est abattu par la DCA à Punta Salvore et son pilote, le maréchal des logis Jean Tétart, est tué. Il sera la seule perte au combat de l’escadrille.
Le détachement de Cascina Farello n’allait cependant pas s’éterniser. Le 24 octobre 1917, une offensive conduite par des troupes allemandes perce le front à Caporetto et menace d’encerclement le gros des troupes italiennes, qui battent retraite en catastrophe. Les pilotes regagnent tous Venise mais les nombreuses rencontres avec l’aviation ennemie permettent à l’aspirant Marcel Robert de descendre au large de Miramar l’hydravion autrichien K 221. Des renforts affluent de France et d’Angleterre pour permettre d’arrêter la percée ennemie qui est contenue sur la rivière Piave, laquelle se jette à proximité de la lagune de Venise : le front est désormais tout proche. Plusieurs escadrilles françaises sont affectées en Italie, dont deux escadrilles de chasse. La N 561, désormais rattachée à la 10e armée française, reçoit de nouveaux chasseurs SPAD.
Dès le 16 novembre 1917, à peine trois semaines après la bataille de Caporetto, la marine autrichienne s’enhardit au point de réaliser une sortie par deux de ses navires de ligne, le "Wien" et le "Budapest", qui partent accompagnés de patrouilleurs bombarder le petit port de Cortelazzo, à l’extrême nord-est de la lagune de Venise. Plusieurs hydravions accompagnent le raid mais la N 561, alertée à temps, les intercepte. Le sergent Lévy et le maréchal des logis Corniglion parviennent à descendre l’hydravion K 374 qui se pose en mer près de ses navires – il sera mitraillé et coulé par les deux pilotes malgré la DCA. Le lendemain, lors d’une nouvelle alerte, un autre hydravion (K 211) est descendu par les Slt Bignon et le sergent Etienne Robert, aidés d’hydravions Macchi M5 de la marine italienne. Moteur détruit, l’autrichien amerrit et son équipage est secouru en mer par les hydravions italiens.
Avec l’hiver, les vols se raréfient mais les reconnaissances sur Pola et l’Istrie sont toujours effectuées sur les Sopwith 1A2 de l’escadrille. La proximité du front amène certains pilotes à pratiquer la chasse aux Drachen sur la Piave : le 21 mars 1918, le sergent Marcou en attaque un sans l’enflammer et revient avec son Nieuport 27 couvert d’éclats. La malchance le poursuit car le 21 avril au cours d’une patrouille à 4000 m un obus antiaérien explose sous son Nieuport et un éclat le blesse au pied. Ce n’est que le 21 juin que le sergent Lévy et le maréchal des logis Corniglion parviennent à détruire le premier Drachen de l’escadrille. Lévy se spécialise avec succès dans ce sport puisqu’il en détruit deux autres le 20 juillet et encore un le 5 août avec le maréchal des logis Autissier. Le 16 septembre 1918, alors qu’il abat son 5ème Drachen à l’ouest de Ceggia, il est touché par la DCA et doit poser son SPAD dans les lignes ennemies. Il est envoyé en captivité en Autriche d’où il s’évadera après un périple rocambolesque à pied à travers les montagnes du Tyrol, regagnant son escadrille peu avant la fin des combats.
La menace aérienne est de toute façon terminée autour de Venise. Pendant la capture de Lévy, l’escadrille est endeuillée le 12 octobre par la mort accidentelle du Maréchal des Logis Autissier tué sur son Nieuport en rentrant en collision contre un Macchi M 5 de la 261a Squadriglia (Sottocapo cannoniere Giulio Macchia qui survécut à l’accident).