Texte de Valeriu Avramet, traduit par J. Lassaque.
Adapté et corrigé par J. Lassaque et Albin Denis.
Pour superviser le dispositif de la mission aéronautique française en Roumanie fut nommé à sa tête le Lcl aviateur de Vergnette de la Motte et l'aviation roumaine doit à ses décisions une restructuration efficace.
Le Lcl de Vergnette réorganisa l'aviation roumaine en trois groupes :
- Le 1er groupe d'aviation, basé à Bacau et commandé par le capitaine aviateur Alexandre Sturdza, affecté à la 2ème armée roumaine. Il était composé de l'escadrille F.2 de reconnaissance (commandée par le capitaine Georges Negrescu) à Onesti , de l'escadrille F.6 de reconnaissance (commandée par le capitaine Scarlat Stefanescu) à Girbovanul, et de la N.1 de chasse (commandée par le capitaine René Chambe). Le groupe disposait de 21 avions de types F.40, 42, 60 (F.40 types 42 et 60) de bombardement et de reconnaissance ainsi que de Nieuport XI et XXI de chasse.
- Le 2ème groupe d'aviation disposait d'un total de 40 avions et était commandé par le capitaine (par la suite promu au grade de chef de bataillon) André Popovici avec sa base à Tecuci et était affecté à la Ière armée roumaine. Ses composantes étaient l'escadrille F.4 (commandée par le capitaine H. Giossanu) à Tecusi, l'escadrille F.7 (commandée par le capitaine André Goulin) et l'escadrille F.9 (commandée par le capitaine de Fraguier) à Calmatui, l'escadrille N 3 (commandée par le capitaine Maurice Gond) et la N. 11 (commandée par le capitaine Stéphane Protopescu), respectivement à Tecuci et à Damnesti. Le groupe disposait aussi d'une section de bimoteurs Caudron G.4 de reconnaissance à longue portée et de bombardement, commandée par le lieutenant Bonneton.
- Le 3ème groupe d'aviation était commandé par le capitaine (par la suite promu au grade de chef de bataillon) Nicolas Capsa, basé à Galati et affecté à la IVème armée russe. Il était composé des escadrilles de bombardement F.5 (commandée par le lieutenant de vaisseau Radu Irimescu) à Slobozia et BM.8, celle-ci dotée d'avions Bréguet et Bréguet-Michelin, certains dotés de canons de 37 mm Hotchkiss. Le commandant de cette dernière escadrille, le lieutenant Arnaud Delas a déployé un important effort de formation des pilotes roumains de façon qu'ils puissent voler et combattre sur un avion difficile. L'escadrille de chasse N.10 (commandée par le capitaine Bléry) à Galati puis à Vanatori (avec la BM.8) assurait la protection de la ville de Galati contre les attaques de bombardiers allemands. Ces escadrilles disposaient du terrain moderne de Braila et il y avait sur le lac de Sirat une escadrille d'hydravions. Le 3ème groupe disposait de 18-20 avions.
Des officiers français de la mission aéronautique furent nommés à des fonctions importantes dans le cadre de l'aviation roumaine. Ainsi, le capitaine de Larenthy Tholozan fut nommé adjoint technique à l'état-major aéronautique du GQG roumain, le lieutenant Albert Lataste adjoint du commandant du 3ème groupe d'aviation de même que le lieutenant Meyer, adjoint du capitaine Nicolas Capsa. En conséquence, les autres groupes, l'école de pilotage et diverses escadrilles (F.2, F.4, F.5, F.6 et N.11) furent attribués à des aviateurs roumains, ce qui libérait un nombre croissant d'aviateurs français.
Avec la stabilisation du front de Siret, l'activité de l'aviation roumaine et des équipages français s'intensifia. Le 23 décembre 1916, l'équipage constitué du sergent pilote James Texier et du lieutenant observateur Roger Lucy volant à bord du Nieuport biplace anglais n° 3978 attaqua au-dessus du village de Rosioru près de la ville de Ramnicu-Sarat un Aviatik allemand qu'ils descendirent en flammes.
* Citation à l'ordre de l'armée du Sgt James Yves Martin Texier, pilote à l'escadrille N 3, en date du 15 février 1917 : "Jeune pilote plein de bravoure et d'ardeur. Au cours d'une journée de bataille, a atterri à plusieurs reprises pendant le combat pour communiquer au commandement les renseignements recueillis par son observateur. Le 23 décembre 1916, a livré combat à un avion ennemi qu'il a abattu dans ses lignes."
Le 12 février 1917, le Cal Henri Manchoulas de l'escadrille N.3 abattit en combat aérien un avion de reconnaissance allemand type L.V.G. tombé au nord de Focsani. Deux jours plus tard, son camarade l'adjudant Charles Revol-Tissot abattit un Albatros allemand tombé dans nos lignes aux environs du village de Diocheti . En mission de protection sur le front dans la matinée du 23 février, le sergent James Texier de l'escadrille N.3 a sauvé l'équipage roumain composé de l'adjudant pilote Tase Rotaru et du S/lieutenant observateur Emile Gheorghiu de l'escadrille F. 4 en mission de reconnaissance dans les lignes ennemies. L'équipage d'un avion allemand L.V.G. armé de deux mitrailleuses ouvrit un feu précis, atteignant notre avion de type F.40 dans les ailes et la carlingue. Au moment critique, le chasseur français attaqua avec un grand courage, abattant l'avion ennemi qui s'écrasa dans les environs de Focsani.
* Citation à l'ordre de l'armée de l'Adj Charles Alfred Revol-Tissot, pilote à l'escadrille N 3, en date du 25 mai 1917 : "Pilote énergique et adroit, a su par son ardeur et son courage entraîner les jeunes pilotes de son escadrille. Le 15 février 1917, a abattu un avion allemand qui s'est écrasé sur le sol dans nos lignes."
* Citation à l'ordre de l'armée du Sgt Henri Manchoulas, pilote à l'escadrille N 3, en date du 25 mai 1917 : "Pilote très habile et très brave, qui a déjà livré de nombreux combats aériens; le 23 février 1917, a pris en chasse un appareil ennemi venu sur ..., l'a rejoint et l'a abattu après un engagement très serré. A eu au cours du combat son appareil mis hors d'usage par les balles ennemies."
Bien que le mois de mars fut marqué par le froid et une météo défavorable, les aviateurs français ainsi que leurs camarades roumains exécutèrent des missions de chasse à toutes les heures du jour. Le 7 mars 1917, le capitaine Micheletti, le lieutenant Mihailescu et l'adjudant Brun de l'escadrille N.1 attaquèrent à la mitrailleuse des troupes de la 71ème division d'infanterie austro-hongroise, leur causant d'importantes pertes.
* Citation à l'ordre de l'armée du Ltt Maurice Roch Gond, commandant de l'escadrille N 3, en date du 17 avril 1917 : "Pilote excellent et remarquable chef d'escadrille qui par ses qualités de commandement et son exemple personnel a su obtenir de son unité le rendement maximum. A livré dans le courant du mois de mars plus de dix combats aériens très serrés dans lesquels il a toujours dominé ses adversaires."
A partir du 13 avril 1917, des pages héroïques furent écrites par les pilotes de l'escadrille N. 3. A 17h 45, Revol-Tissot intercepta un avion allemand dans le secteur de Padurea Neagra, mena une attaque-éclair en lui tirant 100 cartouches, obtenant sa deuxième victoire, ce qui lui valut sa promotion au grade de sous-lieutenant. Trois jours plus tard, le caporal Théron abattit un chasseur Fokker, tombé près de Biliesti. Dans l'après-midi du 16 avril, les pilotes Théron et Revol-Tissot abattirent un Albatros allemand, tombé près de Foscani.
* Citation à l'ordre de l'armée du Cal Jules Emile Théron, pilote à l'escadrille N.3, en date du du 26 avril 1917 : "Au cours d'une croisière, ayant été brusquement attaqué par un fokker, a fait face à son adversaire, le manœuvrant et le mitraillant de très près; l'a abattu en feu dans ses lignes."
Les équipages français de l'escadrille BM.8 bombardèrent le 19 mai 1917 par un vent violent les réservoirs de pétrole du port fluvial de Braila. Ils larguèrent 100 bombes en plein dans les réservoirs qui prirent feu et l'incendie se propagea à plusieurs petits navires. Une escadrille de chasseurs allemands décolla du terrain du lac Sarat et attaqua les bombardiers au-dessus de Braila d'où un combat des appareils ennemis avec les avions d'escorte. Le lieutenant Basile Craiu et l'adjudant de Bentzmann de l'escadrille N. 10 endommagèrent deux avions Fokker.
* Citation à l'ordre de l'armée du Sgt François Terry, pilote à l'escadrille N 3, en date du 3 juin 1917 : "D'origine cubaine et engagé pour la durée de la guerre. Excellent pilote de chasse plein de bravoure et d'audace, qui a déjà livré sur le front roumain plus de 15 combats. Le 23 mai, a attaqué seul deux avions ennemis et les a forcé à prendre la fuite. A eu au cours de ce combat très serré son moteur traversé, un plan détruit et n'a pu rejoindre l'aérodrome que grâce à son habileté et à son sang-froid."
Une mission extraordinaire se déroula dans l'après-midi du 25 mai 1917, impliquant des aviateurs de l'escadrille BM.8. A 17h 05, décollèrent du terrain de Vanatori les deux équipages caporal pilote Enel-bombardier soldat Siguret et caporal pilote Pigrenet-mitrailleur soldat Maringer avec mission de bombarder la gare de Traian et les trains militaires. La formation était escortée par l'équipage lieutenant pilote Delas-canonnier soldat Bost qui participait à la mission sur le Bréguet n° 572 armé d'un canon de 37 mm. Après largage des bombes, la formation fut attaquée par des Aviatik de chasse et l'avion BR n° 256 piloté par le caporal Pigrenet étant criblé de balles ennemies. A cet instant précis, le canonnier Bost ouvrit le feu avec son canon. Un Aviatik atteint par des éclats d'obus fit une manœuvre brusque et tomba presque à la verticale mais, parvenu à proximité du sol, parut se redresser et disparut pendant plusieurs minutes puis il rejoignit les trois autres Fokker. Le combat devint désespéré. Le ciel était rempli d'éclats d'obus de 37 mm. Alertés, arrivèrent à la rescousse deux pilotes roumains le lieutenant Basile Craiu et l'adjudant Marin Popescu de l'aviation de chasse roumaine qui patrouillaient sur zone. Les deux aviateurs roumains attaquèrent en force et un Fokker succomba dans le combat contre le lieutenant Craiu. Les bombardiers et leurs équipages français rentrèrent au terrain avec des avions criblés de balles.
Sur le front de la IIème armée, le 31 mai 1917, le lieutenant Schneider de l'escadrille N. 1 abattit un L.V.G. au sud de Soveja.
Au début de l'été 1917, l'armée roumaine achevait ses préparatifs en vue d'une offensive générale sur tout le front. L'aviation contribua dans une grand mesure à recueillir des renseignements sur l'ennemi, le front fut photographié en totalité par les escadrilles roumaines au sein desquelles volaient des pilotes français. Plus la date se rapprochait, plus les missions de reconnaissance s'intensifiaient.
Et les avions de chasse y prenaient part. Le 24 juin 1917, au cours d'une mission de cette nature, l'adjudant Donatien Lamprou, de l'escadrille N.1 abattit un appareil de reconnaissance allemand dans les environs de Maxineni. Le lendemain, il obtint une nouvelle victoire aérienne et fut décoré de la croix de guerre avec palme. Le 25 juin 1917, le sergent Manchoulas de l'escadrille N. 3 abattit un avion de reconnaissance allemand (du Fliegerabteilung 242 (A)w ), tombé dans les lignes roumaines, près du village de Ciuslea.
* Citation à l'ordre de l'armée du Sgt Henri Manchoulas, pilote à l'escadrille N 3, du 1er juillet 1917 : "Pilote d'une hardiesse et d'une bravoure remarquables, qui s'est spécialisé dans l'attaque des avions ennemis et a déjà remporté trois victoires sur le front roumain. Le 25 juin, a attaqué de très près et a abattu dans nos lignes."
Le 30 juin 1917, le S/lieutenant de Flers de l'escadrille N. 10 attaqua au-dessus du village d'Independenta (comté de Ialomita) un avion allemand, qui fut descendu en flammes. Le 8 juillet, l'adjudant Pierre Alexandre aux commandes d'un bimoteur Caudron G.4 attaqua à 15h un chasseur allemand. Grâce à un grand courage et sa maîtrise de l'art du pilotage, l'aviateur français réussit à vaincre son adversaire, qui s'écrasa au sol.
Les combats aériens se succédaient tous les jours pendant les batailles de la Marasti et de Marasesti et sollicitèrent fortement les escadrilles franco-roumaines. Le 20 juillet, le capitaine Gond, pilotant le Nieuport 21 n° 1909 intercepta à 9h 15 un avion allemand qui s'écrasa près du village de Ciuslea. Le 7 août, l'adjudant James Texier et le l'adjudant Marin Popescu (de la N. 11) par une attaque parfaitement synchronisée abattirent un Fokker, tombé en flammes près de Faurei, sur la rive de la Putna.
Le 8 août 1917 fut une journée marquée par des victoires aériennes sur le front roumain. L'équipage formé par le lieutenant Bonneton, pilote, et le S/lieutenant Nederval (d'origine Lithuanienne), observateur, qui volait sur le Caudron G.4 n° 1814, repéra un avion de chasse ennemi attaquant un ballon roumain. L'équipage français intervint immédiatement et après un combat à bout portant, l'avion ennemi fut abattu et tomba au nord de Marasesti. Au cours d'une patrouille, le lieutenant Brullard de l'escadrille N.1 abattit un avion austro-hongrois de type Hansa Brandenburg C.1, tombé au environs du village de Harja.
Au cours des combats de 1917 en Marasesti, Marasti et Oituz se sont distingué par leur courage les aviateurs Marius Lafarge, le sergent de Triquerville de la F.6 les lieutenants Roger Lucy et Albert Brissaud de la F.2 et Laperotte de la F.6, observateurs aériens.
* Médaille militaire et citation à l'ordre de l'armée de l'Adj James Yves Martin Yves Texier, pilote à l'escadrille N 3, en date du 15 août 1917 : "Sous-officier modèle et excellent pilote de chasse qui a déjà abattu trois avions ennemis. A fait preuve des plus belles qualités de courage, d'énergie et de sang-froid dans un dur combat aérien qu'il a livré le 15 août 1917, et dans lequel il a été grièvement blessé."
* Citation à l'ordre de l'armée du Ltt Charles Edmond Maurice Mallet, pilote à l'escadrille N 3, en date du 20 août 1917 : "Officier d'une énergie et d'un courage à toute épreuve, qui s'est déjà distingué par plusieurs vols audacieux et plusieurs bombardements de nuit. Le 20 juillet 1917, a exécuté avec plein succès une mission spéciale de la plus haute importance et dans des conditions particulièrement difficiles et dangeureuses."
Ces courageux Français formaient des équipages mixtes avec des aviateurs roumains, exécutant leurs missions au mépris du danger, photographiant jusqu'aux plus petites positions ennemies au profit de l'artillerie roumaine de Valea Casinului et Valea Putnei. Ils volaient pendant de nombreuses heures à une altitude de 500 mètres, vulnérables au tir du sol. Combien de fois sont-ils rentrés de mission avec des avions criblés de balles ennemies. Le 16 août 1917, le capitaine Gond obtint sa deuxième victoire aérienne, abattant au-dessus de Barlad un avion ennemi du Fliegerabteilung 20. L'escadrille N.3 perdit par contre un combattant admirable, l'adjudant James Texier, mortellement blessé en combat aérien. Faisant preuve d'un caractère exceptionnel, presque inconscient, il rentra au terrain et se posa parfaitement, sauvant son appareil. C'est alors seulement qu'il perdit définitivement connaissance . Le roi Ferdinand Ier lui décerna la médaille d'argent de la bravoure militaire et le Capitaine Gond fut nommé officier de l'ordre de l'étoile de Roumanie avec croix ornée de glaives.
Le 8 septembre, le capitaine Micheletti de l'escadrille N.1 affronta un avion ennemi au-dessus de Magurii Casinului, obtenant une brillante victoire. De son côté, le lieutenant Brullard obtint deux victoires aériennes les 8 et 9 septembre 1917, venant s'ajouter au palmarès de la célèbre escadrille N.1, commandée par le capitaine René Chambe.
Après la conclusion des combats que les historiens nomment "bataille de la Marasti-Marasesti-Oiluz", l'action des aviateurs français s'est poursuivie avec le même enthousiasme et esprit de sacrifice jusqu'en décembre 1917. Le 29 octobre 1917, le capitaine Micheletti et le lieutenant Bonneton, partis en patrouille, abattirent un avion Hansa Brandenburg C.1. Ce fut la 29ème victoire aérienne obtenue par des aviateurs français sur le front de Roumanie.
Il faut rendre hommage à tous ces pilotes français venus pendant la guerre en Roumanie. Nous connaissons bien aujourd'hui la composition de la mission aéronautique. Au cours de l'année 1917, celle-ci fut constituée de 60 officiers, 25 adjudants, 50 sergents, 49 caporaux et 119 soldats soit un total de 303 hommes. Pour leur participation aux combats, quatre aviateurs français furent décorés des plus hautes distinctions roumaines. La croix de Michel le Brave de IIIème classe fut attribuée au capitaine Maurice Gond, commandant l'escadrille N. 3, au capitaine Charles Mallet de l'escadrille N.1 (et commandant pendant une certaine période de l'escadrille N.3), au capitaine Augustin de Mailly-Nesle et au lieutenant Roger Lucy.
Au cours de la campagne 1916-1917, la mission aéronautique française a versé son sang pour la cause de la victoire. Tombés au champ d'honneur, le Slt Cordonnier et l'Adj James Texier ont leurs noms inscrits sur le monument des héros de l'aéronautique à Bucarest.
Après que la Roumanie ait été, conséquence de la paix séparée germano-russe de Brest-Litovsk, forcée de conclure l'armistice de Focsani avec les puissances centrales (9 décembre 1917), le gouvernement roumain resté en fonctions mit un terme à la présence d'une grande partie des aviateurs français le 28 février 1918. Après cette date, la mission française retournait dans sa patrie. Les aviateurs français furent salués à leur départ par "Au revoir ! A bientôt, après la victoire !".